1. |
En 1986, les sociétés Lisrestal Ld.a, GTI Ld.a, Rebocalis Ld.a, Lisnico Ld.a, Gaslimpo SA (ci-après les « sociétés »), ainsi que deux autres entreprises, Proex Ld.a et Gelfiche, ont introduit auprès du Fonds social européen (ci-après le « Fonds »), par l'intermédiaire du Departamento para os Assuntos do Fundo Social Europeu (ci-après le « DAFSE »), une demande de concours financier en vue de permettre la réalisation au Portugal d'actions « destinées à améliorer les possibilités d'emploi pour les jeunes, notamment par des mesures de formation professionnelle après la fin de leur scolarité obligatoire à temps plein ». Ces mesures sont prévues par l'article 3, paragraphe 1, de la décision 83/516/CEE du Conseil ( 1 ). |
2. |
Le 31 mars 1987, le projet d'actions a été agréé par la décision C(87) 670 de la Commission. Conformément à l'article 5, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 2950/83 ( 2 )(ci-après le « règlement »), le Fonds a ensuite versé une avance de 50 % du concours financier octroyé. |
3. |
Le 31 octobre 1988, les sociétés ont introduit, toujours par l'intermédiaire du DAFSE, une demande de paiement du solde, accompagnée, conformément aux dispositions de l'article 5, paragraphe 4, du règlement, d'un rapport détaillé sur le contenu, les résultats et les aspects financiers des actions concernées. |
4. |
Avant de procéder au paiement du solde réclamé, et sur proposition du secteur « contrôle », les contrôleurs du Fonds ont effectué des vérifications auprès des entreprises concernées. Ces contrôles ont permis de constater chez certaines de ces entreprises diverses irrégularités dans la gestion de l'action financière, à savoir: absence des infrastructures et du personnel nécessaires à la réalisation de l'action; facturation irrégulière de certaines dépenses. |
5. |
Le 19 octobre 1990, le DAFSE a signifié aux sociétés, au moyen de « certificats » émis à leur attention, qu'une mission de la Commission avait été effectuée en vue de vérifier la régularité des actions entreprises. Aucune précision n'était cependant apportée à ce stade quant aux résultats de ce contrôle. |
6. |
Le 14 juin 1991, la Commission a transmis au DAFSE les conclusions de son activité de contrôle en indiquant le montant du concours consacré à des dépenses non éligibles, parce que celles-ci ne coïncidaient pas avec les actions agréées. Elle a, en outre, précisé le montant donnant lieu à répétition et fixé, conformément aux dispositions de l'article 6, paragraphe 1, du règlement, un délai de 30 jours afin que l'État membre puisse présenter ses observations. |
7. |
Par lettre du 8 juillet 1991, le DAFSE a informé le Fonds qu'il n'avait pas d'objections à soulever à l'encontre des conclusions formulées par celui-ci et qu'il acceptait la décision prise. Ce n'est qu'à la suite de cette communication de la part de l'administration de l'État membre, à savoir le 3 mars 1992, que la Commission a adressé au DAFSE un ordre de remboursement. |
8. |
Par divers actes, l'autorité administrative portugaise a informé chacune des sociétés du contenu de la décision de la Commission en leur communiquant les montants à restituer au Fonds et à l'administration portugaise en sa qualité de cobailleur de fonds. |
9. |
Le 19 juin 1992, les sociétés ont introduit devant le Tribunal un recours tendant à obtenir non seulement l'annulation de la décision de la Commission, mais également la condamnation de la Commission à verser les sommes dues par celle-ci à titre de solde de l'avance et à supporter les dépens ( 3 ). |
10. |
Par arrêt rendu le 6 décembre 1994, le Tribunal, faisant droit aux moyens des sociétés tirés d'une violation des droits de la défense et d'une insuffisance de motivation, a annulé la décision de la Commission ( 4 ). C'est à l'annulation de cet arrêt que la requérante conclut en l'espèce. |
11. |
La Commission invoque à l'appui de son pourvoi deux prétendues erreurs de droit, que le Tribunal aurait commises lorsqu'il a déclaré que:
|
12. |
En conséquence, la Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour renvoyer l'affaire devant le Tribunal de première instance pour qu'il statue sur le quatrième moyen, soulevé en première instance, que les sociétés ont tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ( 5 ). Les sociétés défenderesses s'y opposent bien entendu en concluant à ce qu'il plaise à la Cour rejeter le pourvoi et confirmer l'arrêt du Tribunal. |
13. |
Nous examinerons les vices allégués par la Commission en suivant l'ordre dans lequel ceux-ci ont été exposés dans le pourvoi. |
14. |
L'appréciation du Tribunal sur le moyen en question concerne le non-respect du principe, également fondamental en droit communautaire, qui exige « le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci » (point 42 de l'arrêt entrepris) ( 6 ). Le juge de première instance a estimé qu'il y avait lieu de reconnaître aux sociétés le droit à être entendues avant que la Commission n'adopte la décision qu'elles contestent, dans la mesure où cet acte les concernait directement et individuellement, et qu'elles étaient par conséquent fondées à l'attaquer (points 44 à 47). |
15. |
La Commission objecte, quant à elle, que le Tribunal a confondu les aspects relatifs à la capacité de former une action en justice et ceux ayant trait au droit à être entendu au cours des procédures administratives. Si les sociétés avaient le locus standi permettant d'attaquer la décision de la Commission, cela ne signifie cependant pas, à son avis, qu'elles devaient, sous peine de nullité de l'acte, être entendues avant que ne soit adoptée la décision qui a été par la suite censurée. |
16. |
La Commission développe la thèse exposée ci-dessus en s'appuyant sur plusieurs arguments. L'argument principal, qui inspire l'ensemble du raisonnement suivi dans le cadre du présent pourvoi, a trait au système prévu par le règlement pour le fonctionnement du Fonds. Le comportement de la Commission aurait respecté le rôle central que ladite réglementation réserve à l'administration de l'État, en donnant à celle-ci, conformément aux dispositions de l'article 6, paragraphe!, du règlement, l'occasion de présenter des observations avant que la Commission n'adopte la mesure relevant de sa compétence. |
17. |
La Commission ayant pleinement satisfait aux obligations réglementaires qui lui incombent, on serait mal fondé à lui reprocher de ne pas avoir permis aux entreprises concernées, ou de ne pas s'être assurée que l'État membre leur avait offert la possibilité, de faire valoir leur point de vue préalablement à l'adoption de la décision. De l'avis de la Commission, dans l'affaire Oliveira/Commission ( 7 ), la Cour aurait expressément fait sienne une telle analyse du système. L'autre solution, telle que retenue par le Tribunal, serait, d'autre part, en nette contradiction non seulement avec les dispositions du règlement, mais également avec l'application utile du principe de subsidiarité, selon lequel les rapports avec les entreprises sociétés devaient rester de la compétence de l'État membre. |
18. |
C'est donc la spécificité même de la collaboration entre l'État membre et la Commission dans le cas d'espèce qui plaidrait en ce sens que l'on ne saurait, aux fins de la présente instance, avoir recours aux précédents jurisprudentiels rappelés par le Tribunal pour constater une violation des droits de la défense. |
19. |
Plus précisément, selon la Commission, dans le cas examiné dans l'arrêt Pays-Bas e. a. /Commission ( 8 ), tant les PTT que le royaume des Pays-Bas étaient dans une position comparable par rapport à la décision qui incombait à la Commission. Or, de l'avis de la Commission, il n'en va pas de même en l'espèce. En effet, la décision attaquée traduirait directement ou indirectement une appréciation de l'État membre, en raison du rôle central que celui-ci occupe dans la procédure et du fait que l'administration de l'État est chargée de veiller à l'utilisation appropriée des fonds communautaires. |
20. |
En outre, le contexte factuel dans lequel s'inscrit l'arrêt Fiskano/Commission ( 9 ) serait différent de celui de l'espèce. La Commission fait valoir que, à la différence de l'affaire Fiskano/Commission, il ne s'agit dans le cas d'espèce ni d'une amende ni d'une sanction. L'obligation faite aux entreprises de restituer à l'État les fonds qui n'ont pas été correctement utilisés ne serait rien de plus qu'un « corollaire administratif » du non-respect des conditions énoncées dans la décision d'agrément du concours. Le principe s'appliquerait, dès lors, selon lequel le droit à être entendu n'est reconnu au bénéficiaire que si et dans la mesure où il est prévu par la réglementation qui régit la procédure ( 10 ). |
21. |
Telle est la position de la Commission. Avant d'en analyser le bien-fondé, il convient de relever l'incontestable nouveauté du présent cas d'espèce par rapport aux autres sur lesquels la Cour a statué en la matière ces dernières années ( 11 ). L'élément nouveau contenu dans l'arrêt du Tribunal concerne précisément la position qui est réservée aux entreprises dans le mode de fonctionnement du Fonds, dans la mesure où celles-ci se voient reconnaître le droit à être préalablement entendues dans le cas d'espèce. Il convient de contrôler le bien-fondé de la solution retenue par le Tribunal. La question se pose donc de savoir si le fait que la Commission a satisfait à l'obligation de communication prévue à l'article 6, paragraphe 1, du règlement suffit, ou non, à répondre aux exigences relatives aux droits de la défense qui devaient être garantis au destinataire de la mesure administrative. |
22. |
Pour répondre au problème ainsi posé, nous aborderons d'emblée l'argument central de la thèse avancée par la Commission. Les exigences relatives aux droits de la défense des sociétés doivent, selon la requérante, être compatibles avec les données essentielles du système prévu pour l'affectation des fonds, lequel serait caractérisé par les principes que la Cour a établis dans l'arrêt EISS/Commission: dans le cadre de la procédure considérée, « les relations financières s'établissent, d'une part, entre la Commission et l'État membre concerné » et, d'autre part, entre cet Etat membre et le bénéficiaire du concours financier ( 12 ). L'État membre serait, en définitive, l'« unique interlocuteur du Fonds » ( 13 ). |
23. |
Nous convenons nous aussi de ce que le système exposé ci-dessus constitue le mode pour ainsi dire normal de l'affectation des fonds. Toutefois, pour les raisons indiquées ci-après, nous n'estimons pas qu'il en résulte les conséquences que la Commission a fait valoir en l'espèce. |
24. |
En premier lieu, il est constant que la décision attaquée prive les sociétés du concours initialement consenti et qu'elle affecte, de ce fait, leur patrimoine. |
25. |
D'autre part, les sociétés sont directement et individuellement concernées par la décision attaquée. Ce point a été correctement établi par le Tribunal à la lumière d'une jurisprudence constante ( 14 ). |
26. |
En effet, les sociétés sont directement touchées parce que les dispositions du règlement n'octroient aux autorités de l'État membre aucun pouvoir d'appréciation propre en ce qui concerne l'affectation ou l'éventuelle réduction des concours. L'État est certes l'interlocuteur de la Commission, mais c'est celle-ci qui statue en définitive. A supposer même que l'État membre refuse de transposer au niveau national la décision de la Commission, une phase de concertation s'engagerait avec les services du Fonds, à l'issue de laquelle serait prise une décision dont la Commission assume la responsabilité juridique ( 15 ). |
27. |
En outre, l'acte attaqué, bien qu'adressé aux autorités portugaises, comporte une référence claire et précise aux sociétés. Les conditions fixées par la Cour pour définir le cas dans lequel l'acte d'une autorité administrative concerne directement une personne et est susceptible de lui faire grief sont donc remplies ( 16 ). |
28. |
Face à une telle situation, il y a lieu de considérer que le droit communautaire garantit à l'intéressé le droit à être entendu avant que l'autorité compétente n'adopte la mesure qui le concerne ( 17 ). Les objections soulevées par la Commission ne sont pas de nature à ébranler la reconnaissance de ce droit. |
29. |
Tout d'abord, l'objection selon laquelle la Commission n'aurait pas de relations directes avec les entreprises concernées ne résiste pas à l'analyse. En premier lieu, l'article 5, paragraphe 5, du règlement dispose que la Commission « informe toutes les parties intéressées au moment du versement du paiement », y compris, par conséquent, les entreprises bénéficiaires du concours. En second lieu, une chose est la séparation entre les différents niveaux institutionnels intervenant dans la procédure, et l'établissement des relations financières qui s'ensuit, tel que défini dans l'arrêt EISS/Commission précité, et une autre chose est la protection de l'entreprise. Le système de financement ne compromet pas la protection de l'entreprise, parce que, en définitive, il est destiné à constituer également pour les opérateurs économiques des avantages qui représentent des intérêts garantis par le droit communautaire. Ceci explique que les entreprises bénéficiaires se voient reconnaître le droit d'attaquer les décisions les privant, en tout ou en partie, de concours qui leur avaient été accordés ( 18 ). Les mêmes entreprises peuvent, en outre, faire valoir l'inexécution de l'obligation de communication à l'État membre posée à l'article 6, paragraphe 1, du règlement, qui constitue le non-respect d'une formalité substantielle et entraîne, par conséquent, la nullité de la décision de réduction ( 19 ). Nous ne voyons pas comment on pourrait nier que ce droit à agir inclut, à son tour, l'intérêt essentiel de l'entreprise bénéficiaire à un déroulement correct de la procédure administrative de décision relative au résultat ou au montant du concours qui lui est accordé ( 20 ). |
30. |
Ajoutons que les objections de la requérante, selon lesquelles les références de l'arrêt entrepris à la jurisprudence antérieure ne seraient pas pertinentes ( 21 ), nous paraissent dénuées de fondement. A ce propos, ainsi que nous l'avons exposé plus haut, la Commission soutient que le cas d'espèce se distingue à différents égards des cas mentionnés par le Tribunal: le régime du financement et la nature des mesures adoptées seraient différents; plus particulièrement, il manquerait en l'espèce, à la différence des autres cas, une disposition expresse qui habilite le particulier à intervenir dans la procédure prévue en ce qui concerne la restitution ou la réduction des concours accordés par le Fonds. |
31. |
Voyons de plus près quel poids il convient d'accorder à cette argumentation. Nous commencerons par l'affaire Pays-Bas e. a. /Commission, précitée. Certes, celle-ci diffère de l'espèce qui nous occupe en ce qu'un régime de partenariat entre l'administration communautaire et l'administration nationale y faisait défaut, alors qu'un tel régime existe en l'espèce. Il convient cependant de tenir compte des éléments communs aux deux affaires, qui, à notre sens, justifient pleinement la décision rendue par le Tribunal. En l'occurrence, tout comme alors, la mesure prise par la Commission, quoique non formellement destinée aux particuliers concernés, les vise expressément et spécifiquement; les sociétés supportent, dès lors, les conséquences de la décision adoptée, mais le sujet atteint dans ses intérêts n'a pas la possibilité de faire valoir son point de vue au cours du processus d'élaboration de la décision, uniquement du fait de l'absence, dans le règlement applicable, de dispositions expresses prévoyant une telle protection. Or, s'il y a eu une violation des droits de la défense dans ce contexte, la même conclusion s'impose aussi nécessairement en ce qui concerne le cas qui nous occupe aujourd'hui ( 22 ). |
32. |
Tout aussi dénuées de fondement nous paraissent les remarques formulées par la Commission sur le fait que la décision attaquée ne revêt pas le caractère d'une sanction et sur l'absence de règles de procédure concernant la protection en question des entreprises concernées. La Commission invoque à cet égard l'arrêt de la Cour rendu dans l'affaire Fiskano/Commission. Ce précédent ne nous semble cependant pas invoqué à bon escient. Dans le cadre de cette affaire, la Cour a été appelée à apprécier un acte ayant clairement la nature d'une sanction, à savoir le refus d'octroi d'une nouvelle licence de pêche, à la suite d'infractions au régime de licence commises par le titulaire en cause. Ledit litige a été en tout cas tranché en ayant recours au principe général selon lequel l'intéressé est entendu par l'autorité compétente avant que celle-ci ne prenne la mesure qui le concerne et qui porte atteinte à ses intérêts. En effet, c'est la nature d'acte faisant grief, et non pas nécessairement celle de sanction, qui constitue la condition nécessaire et suffisante pour qu'un tel droit soit garanti au destinataire de l'acte. Telle est la seule condition qui importe ici, et qui est satisfaite en l'espèce. |
33. |
Il convient d'observer enfin que ce droit à être entendu existe même en l'absence de dispositions qui le prévoient expressément en ce qui concerne la procédure en cause. Tel a été le raisonnement suivi par le Tribunal. Cette solution est correcte ( 23 ). La solution contraire serait entachée d'un formalisme incompatible avec la raison d'être de la garantie essentielle dont il s'agit ici. Le principe audi alteram partem constitue, ainsi que l'avocat général M. Darmon l'a affirmé dans ses conclusions relatives à l'affaire Fiskano/Commission, « un standard minimum ne pouvant, dès lors, être divisé en fonction de la spécificité de la procédure instruite » ( 24 ), et s'applique, comme la Cour l'a précisé, « même en l'absence d'une réglementation spécifique » ( 25 ), qui le rappelle expressément. Il convient, dès lors, d'interpréter les dispositions du règlement en cause en ce sens qu'elles ne lèsent pas les droits de la défense, puisqu'elles supposent que ceux-ci font nécessairement partie intégrante de leur contenu ( 26 ). |
34. |
La référence faite à l'arrêt Nicolet ( 27 ) n'étaye pas non plus la thèse de la Commission. Le droit du particulier à être entendu au cours de la procédure en cause était exclu dans cette affaire, non pas par la lettre de la réglementation applicable, qui ne prévoyait rien à cet égard, mais du fait que la décision en question avait « été prise à l'occasion d'une procédure d'importation au Royaume-Uni, à laquelle Nicolet était étrangère» ( 28 ) (c'est nous qui soulignons). Il s'agissait — comme il semble donc utile de le souligner — d'une procédure (d'examen comportant la participation d'experts) qui ne concernait en aucun cas directement la requérante. Dans le cas d'espèce, nous sommes en présence d'une mesure portant atteinte à des intérêts, et la décision censurée qui l'arrête fait directement référence aux entreprises lésées. C'est donc à juste titre que l'on a distingué dans cette affaire les aspects propres au droit de recours et ceux concernant les droits de la défense. Mais une telle solution ne peut pas, et ne doit pas, s'appliquer en l'espèce. |
35. |
Cela étant dit, nous pouvons conclure en précisant notre point de vue quant à la procédure prévue à l'article 6, paragraphe 1, du règlement. L'avocat général M. Tesauro, dans ses conclusions présentées sous l'arrêt FUNOC/Commission, ne la considère pas comme une « procédure formelle de consultation » ( 29 ). Nous sommes du même avis. Mais il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une procédure prévue pour que la Commission puisse prendre en pleine connaissance de cause la mesure qui lui incombe, en appréciant l'« autre dimension » ( 30 ) — selon la formule utilisée, dans une autre affaire, par l'avocat général M. Darmon — des intérêts en jeu, à savoir non seulement ceux de la Communauté, mais également ceux de l'État membre, dans le sens et dans les limites que nous avons précisés plus haut. Le rôle dévolu à l'autorité nationale au cours de la procédure s'explique par les fonctions de cofinancement que celle-ci assume, ainsi que par sa responsabilité à titre subsidiaire ( 31 ). L'échange même de courriers, tel que prévu, s'insère dans le régime de partenariat établi entre la Commission et l'État et vise à mettre l'administration nationale en mesure non pas de décider, mais d'intervenir en ce qui concerne les concours qu'il y a lieu d'assurer. On a estimé que l'État était l'autorité sans doute la plus proche des bénéficiaires et, par conséquent, capable d'apprécier des décisions qui déploient leurs effets non seulement au niveau des bénéficiaires, mais également au niveau de l'État ( 32 ). |
36. |
A ce stade, une autre précision s'impose. Nous avons affirmé, en renvoyant à la jurisprudence de la Cour, que la disposition énoncée à l'article 6, paragraphe 1, du règlement nous paraissait être une règle essentielle. Or, nous souhaiterions préciser à cet égard que le simple fait que cette disposition soit respectée par la Commission légitime la décision que celle-ci adopte pour annuler, réduire ou suspendre l'octroi des fonds uniquement vis-à-vis de l'État membre, mais pas également vis-à-vis du particulier bénéficiaire. |
37. |
Celui-ci, tel que nous appréhendons le mode de fonctionnement du Fonds, jouit d'une double catégorie de droits distincts mais qui sont tous dignes d'être juridiquement protégés et bénéficient, en fait, d'une telle protection. Le premier droit est invoqué par les particuliers lorsqu'ils font grief de violations de l'obligation essentielle posée à l'article 6, paragraphe 1. Il s'agit du droit au déroulement correct de la procédure de décision, grâce auquel l'autorité compétente parvient à une décision justement réfléchie, et qui comporte une consultation entre État membre et Commission, selon les modalités requises. Le second droit, dont il est précisément question en l'espèce, est protégé en vertu du principe fondamental selon lequel le particulier qui supporte les conséquences d'un acte de l'administration qui lui est expressément adressé doit être mis en mesure de faire valoir préalablement son point de vue ( 33 ). |
38. |
La faculté offerte à l'État membre de présenter des observations, telle que prévue par le règlement, et le droit du particulier à être entendu, avant que ne soit adoptée une décision susceptible de lui faire grief, représentent donc deux formes distinctes de protection. L'interprète doit conserver cette distinction et apprécier, en cas de litige, si l'une et l'autre formes de protection ont été assurées. En l'espèce, si le droit que le règlement confère à l'administration de l'État a été respecté, la protection qui devait être garantie aux entreprises concernées a été cependant contrariée. En conséquence, le premier moyen du pourvoi doit être rejeté. |
39. |
Par le second moyen du pourvoi, la requérante conteste l'appréciation que le Tribunal a portée sur l'insuffisance, au regard de l'article 190 du traité, de la motivation de la décision contestée. |
40. |
Le juge de première instance — se fondant sur le principe selon lequel une décision portant réduction d'un concours initialement octroyé doit faire clairement apparaître les motifs qui justifient la réduction du concours par rapport au montant initialement agréé — a estimé que la Commission n'avait pas respecté les exigences minimales de motivation dont dépend la légalité de l'acte qu'elle a pris. |
41. |
De l'avis de la Commission, le Tribunal n'a dûment tenu compte ni du fait que les sociétés avaient, à la suite des « certificats » que le DAFSE a émis à leur attention le 19 octobre 1990, déjà connaissance des doutes que la Commission nourrissait, ni de ce que, par la lettre du 14 juin 1991, le DAFSE avait été informé des raisons qui justifiaient la décision d'exiger le remboursement de l'avance et le non-versement du solde. Toujours selon la Commission, eu égard au mode de fonctionnement du Fonds et à la séparation qu'il établit entre la sphère communautaire et celle de l'État, il serait indifférent que le DAFSE ait omis de transmettre les informations aux entreprises concernées. |
42. |
Or, l'obligation de motivation des actes administratifs découle, comme on le sait, d'un principe fondamental du droit, qui est clairement consacré par l'ordre juridique communautaire. Ainsi que la Cour l'a précisé en d'autres circonstances, « une motivation doit faire apparaître d'une façon claire et non équivoque les raisons sur lesquelles l'acte est fondé » ( 34 ). En outre, les termes dans lesquels la motivation est concrètement formulée varieront bien entendu selon les différentes catégories d'actes, la finalité de ces actes et la marge d'appréciation qui est laissée aux pouvoirs publics en ce qui concerne l'adoption de la mesure en question, c'est-à-dire de son contenu ou contexte ( 35 ). |
43. |
L'obligation de motivation est particulièrement impérieuse pour les actes administratifs concernant l'individu, et notamment pour ceux qui, comme celui visé en l'espèce, impliquent des conséquences défavorables dans la sphère juridique du particulier, dans la mesure où ils prévoient la restitution de montants qui ont été précédemment versés. |
44. |
La jurisprudence de la Cour en matière de concours du Fonds nous fournit une définition précise de l'étendue de l'obligation de motivation en fonction du contexte. En effet, en raison des différentes situations dans lesquelles les mesures du Fonds peuvent avoir une incidence, la Cour a établi deux règles de motivation différentes. Plus précisément, la Cour a admis un certain laconisme des motifs lorsque la décision prise par la Commission refusait un concours du Fonds pour un projet de formation, eu égard justement au grand nombre de demandes dont l'institution communautaire était saisie et à la méthode utilisée par celle-ci (à savoir le traitement informatique) pour statuer sur les demandes de concours ( 36 ). En l'absence de telles circonstances, la Cour a apprécié la décision de restitution des montants versés à l'aune d'une règle de motivation plus stricte ( 37 ). |
45. |
La logique de cette différence de règles est claire. Dans un cas, le nombre des demandes est tellement important que l'autorité administrative ne peut pas les passer au crible moyennant une motivation détaillée, alors qu'il n'en va pas de même dans l'autre cas ( 38 ). D'autre part, ainsi que la Cour a déjà eu l'occasion de le constater, le fait de réduire ou de suspendre un concours déjà accordé, voire le fait de prévoir le remboursement à l'État membre des sommes initialement octroyées, constitue une mesure objective- ment plus grave, eu égard aux conséquences qui en découlent pour les droits des personnes directement concernées, par rapport au refus initial du concours sollicité. Il s'agit en effet d'une mesure qui va à l'encontre des attentes au regard desquelles l'intéressé avait estimé, dans l'exercice de son activité d'entreprise, pouvoir nourrir une confiance légitime ( 39 ). |
46. |
La mesure en cause en l'espèce s'apparente à l'évidence à ce dernier type de décisions et pèse, du reste, de manière particulièrement grave sur les intérêts des bénéficiaires, en ce qu'elle prévoit le remboursement total du concours initialement versé. On comprend, dès lors, que le Tribunal ait décidé, dans le droit fil de la jurisprudence que nous avons rappelée plus haut, d'appliquer le critère strict selon lequel la décision « doit faire clairement apparaître les motifs qui justifient la réduction du concours » (point 52 de l'arrêt entrepris). |
47. |
Pour être plus précis, nous observons à cet égard que le Tribunal a correctement appliqué ladite règle en excluant que, en l'espèce, l'exigence posée à l'article 190 avait été satisfaite. La lettre que le DAFSE a adressée aux sociétés se bornait, en fait, à informer celles-ci de la mission de contrôle déjà effectuée, sans pour autant fournir des indications précises en ce qui concerne le résultat de cette mission et une éventuelle décision de la Commission. |
48. |
D'autre part, la lettre que la Commission a adressée au DAFSE le 14 juin 1991 n'a pas fourni une ventilation claire des différents montants et des rubriques en question, c'est-à-dire une explication utile et précise des raisons qui ont amené la Commission à réduire le concours à l'égard de chacune des sociétés. N'oublions pas non plus que le système de financement protège également les particuliers bénéficiaires. Les contraintes d'ordre procédural ne sauraient sans raison s'opposer à la poursuite de cette finalité de la réglementation. La Commission n'est donc pas fondée à exciper du fait qu'elle a informé le DAFSE des raisons qui justifiaient sa décision, si celui-ci n'a pas par la suite mis les entreprises en mesure de connaître ces raisons. |
49. |
Pour ces motifs, nous estimons que, également en ce qui concerne la motivation insuffisante, il y a lieu de confirmer l'arrêt du Tribunal. |
— |
rejeter le pourvoi de la Commission tendant à l'annulation de l'arrêt du Tribunal du 6 décembre 1994, Lisrestal e. a. /Commission (T-450/93, Rec. p. II-1177), par lequel le Tribunal a annulé la décision de la Commission portant réduction du concours financier octroyé par le Fonds social européen au titre du projet no 870844 P1; |
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condamner la Commission aux dépens. |