Vu la procédure suivante
:
Par une requête et quatre mémoires, enregistrés le 8 juin 2020, le 5 janvier 2021, le
19 mai 2022, le 9 et le 28 novembre 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué en application de l'article
R. 611-1 du code de justice administrative, M. I B, représenté par Me Journault, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision datée du 3 février 2020 par laquelle la directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a exercé le droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles sur un ensemble immobilier cadastré 852H30, sis dans la calanque de Sormiou sur le territoire de la commune de Marseille ;
2°) de mettre à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article
L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision est signée d'une autorité incompétente, dès lors, en premier lieu, que le département n'a pu valablement renoncer à l'exercice de son droit au regard des articles
L. 113-8,
L. 113-14 et
R. 215-8 du code de l'urbanisme, en deuxième lieu, que le bâti de la parcelle se trouve en dehors du périmètre d'intervention foncière fixé par le conseil d'administration du conservatoire, en troisième lieu que la signataire n'avait pas reçu délégation pour exercer le droit de préemption, en quatrième lieu que la délibération dont elle se prévaut n'était pas exécutoire et caduque ;
- la décision n'a pas été précédée d'un avis du service des domaines en méconnaissance de l'article
R. 213-21 du code de l'urbanisme ;
- la décision est intervenue tardivement au regard des règles relatives aux délais pour exercer le droit de préemption fixées par l'article
R. 215-14 du code de l'urbanisme ;
- la décision est insuffisamment motivée en fait ;
- l'acquisition du bien litigieux ne répond pas aux objectifs définis par l'article
L. 113-8 du code de l'urbanisme et
R. 322-26 du code de l'environnement, dès lors qu'elle ne s'inscrit pas dans la finalité d'ouverture au public voulue par les articles
L. 113-8 et
L. 215-11 du code de l'urbanisme ;
- elle méconnaît l'article 1er du protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- elle est entachée de détournement de pouvoir .
Par quatre mémoires, enregistrés le 18 août 2020, le 5 octobre 2021, le 29 août 2022 et le 12 décembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué en application de l'article
R. 611-1 du code de justice administrative, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par Me Heitzmann, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Par ordonnance en date du 14 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 décembre 2022.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Busidan, première conseillère,
- les conclusions de M. Terras, rapporteur public,
- et les observations de Me Journault, représentant M. B, et de Me Perao, représentant le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Considérant ce qui suit
:
1. Par jugement d'adjudication du 16 janvier 2020 rendu par le Tribunal judiciaire de Marseille, M. B est devenu adjudicataire, au prix de 1 023 000 euros, d'un ensemble immobilier constitué d'une parcelle cadastrée 852 H30 de 123 500 m² supportant une maison à usage d'habitation de 85 m² et situé dans la calanque de Sormiou sur le territoire de la commune de Marseille. Par une décision datée du 3 février 2020, dont M. B demande l'annulation, la directrice du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a fait usage du droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles (ENS) pour acquérir le bien au prix conforme à l'adjudication prononcée en se substituant à l'adjudicataire.
Sur le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée :
2. D'une part, il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que l'ensemble immobilier en litige est compris dans la zone de préemption délimitée au titre des ENS créée par arrêté préfectoral du 29 décembre 1982 au profit du département des Bouches-du-Rhône. L'article
L. 215-5 du code de l'urbanisme prévoit que : " Lorsque le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est territorialement compétent, il peut se substituer au département si celui-ci n'exerce pas le droit de préemption ".
3. D'autre part, aux termes de l'article
R. 322-26 du code de l'environnement, " le conseil d'administration [du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres] règle par ses délibérations les affaires de l'établissement public et définit l'orientation de la politique à suivre.// II. - Il délibère notamment sur : /()/ 2° Les programmes d'intervention foncière et d'acquisition ;/() ". En vertu de l'article
R. 322-37 du même code, le directeur du Conservatoire conclut les acquisitions, échanges, ventes et cessions d'immeubles ou de droits immobiliers dans les conditions fixées par le conseil d'administration en application, notamment, du 2° de l'article R. 322-26.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par délibération n° 2015-38 du 9 juillet 2015, le conseil d'administration du Conservatoire a habilité la directrice de cet établissement à signer, entre autres, les décisions de préemption relatives à un périmètre d'intervention foncière situé à Sormiou sur le territoire de Marseille, d'une superficie de 13 hectares, dans la limite d'une variation de 10 %, dont il est constant que l'emplacement correspond à celui de la parcelle en litige. Contrairement à ce que soutient le requérant, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conservatoire aurait exclu du périmètre d'intervention ainsi défini la construction sus-évoquée se trouvant sur la parcelle. Il résulte ainsi de ces éléments et des dispositions précitées de l'article
R. 322-26 que le Conservatoire était territorialement compétent sur la totalité de l'ensemble immobilier en litige.
5. En vertu des dispositions sus-rappelées de l'article
L. 215-5 du code de l'urbanisme, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres pouvait donc se substituer au département pour exercer le droit de préemption au titre des ENS, dans l'hypothèse où ce dernier y renonçait. Par lettre, datée du 30 juillet 2019 émanant de la conseillère départementale déléguée aux domaines départementaux, aux espaces naturels, à la chasse et à la pêche, le département des Bouches-du-Rhône a informé le président du tribunal de grande instance de Marseille de son intention de ne pas acquérir le bien mis en vente par voie d'adjudication, et de ne pas exercer son droit de préemption. Si cette lettre fait seulement référence à l'audience initiale d'adjudication prévue pour le 12 septembre 2019, il ressort de ses termes mêmes que le département a entendu renoncer à l'acquisition du bien en litige en son principe. Par suite, contrairement à ce que soutient le requérant, aucune renonciation à l'exercice du droit de préemption ne devait être réitérée à l'occasion de l'audience de surenchère qui s'est déroulée le 16 janvier 2020, alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le département aurait pu changer d'avis durant le laps de temps écoulé entre les deux audiences d'adjudication et en l'absence d'élections départementales.
6. Par ailleurs, aux termes de l'article
R. 322-28 du code de l'environnement : " Les délibérations du conseil d'administration [du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres] sont exécutoires à l'expiration d'un délai de huit jours si le ministre chargé de la protection de la nature n'a pas fait d'observations.// ().// Les délais prévus au présent article courent à partir de la réception des délibérations et documents correspondants par les ministres précités et s'appliquent à défaut d'approbation expresse notifiée de ces ministres. ". Ces dispositions, non plus qu'aucune autre disposition législative ou réglementaire en vigueur à la date de la délibération du 9 juillet 2015, n'imposent sa transmission au ministre chargé de la protection de la nature, lequel est représenté au conseil d'administration du Conservatoire en vertu de l'article
R. 322-17 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable. En outre, il ressort des pièces du dossier que cette transmission a été effectuée.
7. Enfin, l'autorisation sus-évoquée donnée par le conseil d'administration au directeur du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, prévue à l'article
R. 322-37 du code de l'environnement, ne revêt pas le caractère d'une délégation de signature. Par suite, si la composition du conseil d'administration du Conservatoire a été modifiée postérieurement à l'adoption de la délibération du 9 juillet 2015 et que la titulaire du poste de directeur du Conservatoire a également changé, ces circonstances sont par elles-mêmes sans incidence sur la validité de l'habilitation conférée au directeur de cet établissement public de conclure les acquisitions d'immeubles relatives au périmètre d'intervention foncière défini par le conseil d'administration.
8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision du 3 février 2020 doit être écarté en toutes ses branches.
Sur le moyen tiré de l'absence d'avis du service des domaines :
9. Aux termes de l'article
R. 213-21 du code de l'urbanisme : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article
R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques ". L'article
R. 215-6 du même code dispose : " Les dispositions des articles
R. 213-21 et R. 213-24 sont applicables dans les zones de préemption créées en application de l'article L. 215-1 ".
10. Il ressort des pièces du dossier que, par avis donné le 28 janvier 2020, le service des domaines a indiqué que " le montant proposé dans le cadre de l'adjudication à hauteur de 1 023 000 euros n'appelle pas d'observations particulières ". Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article
R. 213-21 du code de l'urbanisme auquel renvoie l'article
R. 215-6 du même code ne peut qu'être écarté.
Sur le moyen tiré du non-respect des délais applicables à la décision de préemption :
11. Il résulte des dispositions combinées des articles
R. 215-17 et
R. 215-18 du code de l'urbanisme que, s'agissant d'une vente par adjudication d'un bien soumis au droit de préemption, telle celle de l'espèce, la décision de se substituer à l'adjudicataire prise par le titulaire du droit de préemption est notifiée dans un délai de trente jours à compter de l'adjudication au greffier de la juridiction chargée de procéder à la vente par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il ressort des pièces du dossier qu'informé des résultats de l'adjudication au prix de la dernière surenchère intervenue le 16 janvier 2020, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a notifié la décision en litige par lettre recommandée accusant une réception le 7 février 2020 par le greffe du tribunal judiciaire de Marseille, décision au surplus signifiée par huissier au même greffe le 11 février 2020. Dans ces conditions, alors que l'article
R. 215-14 invoqué par le requérant ne s'applique pas à l'adjudication en cause régie, comme il vient d'être dit, par les articles
R. 215-17 et
R. 215-18 du code de l'urbanisme, le moyen tiré du non-respect des délais applicables à la décision de préemption doit être écarté.
Sur le moyen tiré de l'insuffisant motivation de la décision de préemption :
12. Les décisions de préemption prises dans les zones de préemption créées au titre des espaces naturels sensibles doivent, en application de l'article 1er de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 comporter l'énoncé des motifs de droit et de fait ayant conduit l'autorité administrative à préempter. Cette obligation de motivation implique que la décision comporte une référence à l'acte portant création de la zone de préemption et indique les raisons pour lesquelles la préservation et la protection des parcelles en cause justifiaient la préemption. En revanche, elle n'impose pas à l'auteur de la décision de préciser la sensibilité du milieu naturel ou la qualité du site, dès lors que l'inclusion de parcelles dans une zone de préemption est nécessairement subordonnée à leur intérêt écologique, ou les modalités futures de protection et de mise en valeur des parcelles qu'il envisage de préempter.
13. La décision en litige indique qu'elle est prise dans le cadre des articles
L. 113-8 et suivants du code de l'urbanisme, qu'elle est conforme à la décision du conseil d'administration du Conservatoire du 9 juillet 2015 d'acquérir le site de Sormiou au sein du massif des Calanques, que l'ensemble immobilier concerné étant situé au sein de cet espace naturel remarquable, au cœur du parc national des Calanques et présentant une richesse tant paysagère qu'écologique en raison de la présence d'espèces faunistiques et floristiques protégées, elle est prise pour assurer la sauvegarde et l'intégrité du site et des paysages tout en garantissant l'ouverture au public. Elle précise également que le bâtiment désaffecté existant, frappé d'un arrêté de péril, fera l'objet d'une étude menée en concertation avec l'ensemble des acteurs publics concernés permettant d'envisager une éventuelle restauration dans le respect des réglementations pesant sur cet espace et dans un objectif d'accueil du public, et qu'à défaut sa démolition pourra être envisagée. Par suite, alors que le Conservatoire n'avait à avancer ni la réalité d'un projet d'aménagement à la date à laquelle il exerçait le droit de préemption, ni la réalité d'une menace pesant sur le bien immobilier, le moyen tiré d'une insuffisante motivation de la décision en litige doit être écarté.
Sur les moyens relatifs à la légalité interne de la décision contestée :
14. Pour affirmer que la décision en litige serait, en réalité, contraire à la politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles voulue par l'article
L. 113-8 du code de l'urbanisme, le requérant soutient que le véritable projet du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres serait révélé par divers documents versés au dossier, parmi lesquels notamment une délibération du conseil municipal de Marseille en date du
29 juin 2015, portant avis sur l'acquisition envisagée par le Conservatoire, et indiquant que
" l'acquisition pourrait permettre, outre la maitrise foncière de l'espace naturel correspondant, d'envisager une relocalisation d'une partie du centre UCPA voisin ". Cependant, il ne ressort ni de cet avis ni de celui émis le 11 juin 2015 par le conseil de rivages Méditerranée que, comme le prétend le requérant, l'intention réelle du Conservatoire ne consisterait pas à ouvrir le site au public, mais à le mettre, au moins sur la partie du site comprenant la construction, à la disposition de l'Union nationale des centres sportifs de plein air (UCPA), opérateur privé pratiquant au surplus des activités d'escalade néfastes à la protection de l'environnement. Alors qu'au regard de l'article
R. 215-11 du code de l'urbanisme qui dispose qu'" A titre exceptionnel, l'existence d'une construction ne fait pas obstacle à l'exercice du droit de préemption dès lors que le terrain est de dimension suffisante pour justifier son ouverture au public et qu'il est, par sa localisation, nécessaire à la mise en œuvre de la politique des espaces naturels sensibles des départements. Dans le cas où la construction acquise est conservée, elle est affectée à un usage permettant la fréquentation du public et la connaissance des milieux naturels. ", la présence de la maison de 85 m² frappée d'un arrêté de péril sur une parcelle de plus de 12 hectares n'est pas de nature à compromettre la mise en œuvre de la politique des espaces naturels sensibles et que le Conservatoire n'est pas tenu par les avis, datant de 2015, qu'il a recueillis avant de procéder à la préemption, les éléments versés au dossier par le requérant sont insuffisants à faire douter des motifs de la préemption et de la réalité de l'intérêt général, conforme à la politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles voulue par l'article
L. 113-8 du code de l'urbanisme, qui la fonde. Dans ces conditions, les moyens tirés de l'inexistence de l'intérêt général au soutien de la décision en litige, du détournement de pouvoir, de l'erreur d'appréciation doivent être écartés, de même que, à les supposer opérants à l'encontre de la décision en litige, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du protocole additionnel de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article 2 de la déclaration de l'homme et du citoyen de 1789.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision en litige.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par le requérant sur ce fondement. En revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B la somme de 1 500 euros à verser au Conservatoire au titre des frais d'instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B est rejetée.
Article 2 : M. B versera au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. I B et au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Copie pour information en sera adressée à M. F E, à Mme H C, à Mme D E, à M. G E et à M. et Mme A E.
Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Hogedez, présidente,
- Mme Busidan, première conseillère,
- M. Peyrot, premier conseiller,
assistés de M. Brémond, greffier.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 juin 2023.
La rapporteure,
signé
H. BusidanLa présidente,
signé
I. Hogedez
Le greffier,
signé
A. Brémond
La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Le greffier,