Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 10, 18 janvier 2023, 19/11392

Mots clés Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution · contrat · société · salaire · travail · procédure civile · remise · indemnité · congés payés · prud'hommes · passif

Synthèse

Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro affaire : 19/11392
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Président : Monsieur Nicolas TRUC

Texte

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 18 JANVIER 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/11392 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6U7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mars 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/00716

APPELANTE

Madame [M] [T] épouse [H]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Valérie PICHON, avocat au barreau de PARIS, toque : R284

INTIMEES

SELAFA MJA Prise en la personne de Maître [G] [L], en qualité de « Mandataire ad'hoc » de la « SARL MAZAL 25 »

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

UNEDIC DELEGATION AGS - CGEA IDF OUEST

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Sabine SAINT SANS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0426

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOST, Vice-Présidente faisant fonction de Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de chambre

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Vice-Présidente faisant fonction de Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président de chambre, et par Madame Sonia BERKANE, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [M] [T] soutient avoir été embauchée par la S.A.R.L. MAZAL 25, par contrat verbal à durée déterminée, en qualité de maître d'hôtel extra à plusieurs reprises au cours de l'année 2012.

La convention collective applicable est la convention collective nationale de la restauration rapide.

Afin de demander la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 4 décembre 2013.

Par jugement du 7 mars 2014 du tribunal de commerce de Paris, la S.A.R.L. MAZAL 25 a été placée en liquidation judiciaire. La date de cessation des paiements de la société MAZAL 25 a été fixée au 23 août 2013.

Par jugement réputé contradictoire du 15 mars 2019, notifié à Mme [T] le 16 octobre 2019, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- débouté Mme [T] l'ensemble de ses demandes ;

- condamné Mme [T] dépens.

Mme [T] a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée par voie électronique le 13 novembre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 29 mai 2021, Mme [T] demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions les termes du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris à la date du 15 mars 2019 ;

Et statuant à nouveau,

- débouter les AGS de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- reconnaître sa qualité de salariée ;

- requalifier les contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée ;

- dire la rupture du contrat de travail abusive ;

En conséquence,

- condamner solidairement la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [G] [L] ès qualités de mandataire liquidateur de la société MAZAL 25 et les AGS CGEA IDF Ouest ;

Et,

- fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société MAZAL 25 aux sommes de :

* 9 640,88 euros à titre d'indemnité de requalification du CDD en CDI ;

* 9 640,88 euros à titre d'indemnité de préavis ;

* 964,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

* 9 640,88 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

* 86 767,92 euros à titre de rappel de salaire (1er avril au 31 décembre 2012) ;

* 8 676,79 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents ;

* 927,52 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

* 74 400 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour rupture abusive du contrat de travail aux termes de l'article L.1235-5 du code du travail dans sa version en vigueur à l'époque des faits ;

* 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner solidairement à la SELAFA MJA prise en la personne de Maître [G] [L] ès-qualités de Mandataire Liquidateur ad hoc de la société MAZAL 25 et les AGS CGEA IDF Ouest la remise du certificat de travail, de l'attestation Pôle Emploi et du bulletin de salaire conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard commençant à courir à compter du prononcé de la décision ;

- dire la décision à intervenir opposable à l'AGS CGEA IDF OUEST ;

- dire que les dépens de la présente instance seront supportés par la liquidation judiciaire et les fixer à la créance au passif de la liquidation judiciaire.

L'appelante fait valoir que :

- elle a effectivement travaillé en qualité de maître d'hôtel, qu'elle n'est pas associée de la société MAZAL 25 et n'avait aucun pouvoir de décision,

- dès lors qu'en tant que conjoint elle a perçu une rémunération au moins égale au salaire minimum et qu'elle a été déclarée au régime de sécurité sociale, le statut de salarié est établi,

- l'organisme Pôle emploi n'a jamais remis en cause sa qualité de salariée,

- les certificats de travail versés aux débats ont été valablement établis à l'époque des faits et signés par les dirigeants de l'entreprise ;

- les bulletins de salaire émanant de la société sont suffisants pour établir la qualité de salarié et l'existence d'un contrat de travail,

- le poste de Maître d'Hôtel est lié à l'activité normale et permanente de la société MAZAL 25, société de traiteur organisant des événements.

Par ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 28 août 2020, l'AGS demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 15 mars 2019;

Y faisant droit,

A titre principal :

- débouter Madame [T] de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

- dire et juger que s'il y a lieu à fixation de la garantie de l'AGS, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale ;

- dire et juger qu'en tout état de cause la garantie de l'AGS ne pourra excéder, toutes créances avancées pour le compte du salarié, le plafond des cotisations maximum au régime d'assurance chômage, en vertu des dispositions des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, soit la somme de 62 580 euros ;

- dire et juger qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution ou pour cause de rupture du contrat de travail au sens dudit article L. 3253-8 du code du travail, les astreintes, la remise de documents ou de l'article 700 du code de procédure civile étant ainsi exclus de la garantie ;

- statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'UNÉDIC AGS.

L'intimé fait valoir que :

- la société MAZAL 25 comptait 3 associés : le père, la tante et le mari de Mme [T] ;

en l'absence de contrat de travail écrit, il appartient à Mme [T] d'établir l'exécution d'une prestation de travail moyennant rémunération dans le cadre d'un lien de subordination,

- les certificats de travail produits tardivement par Mme [T] devant la cour d'appel sont fallacieux car signés respectivement par le père et l'époux de Mme [T] ;

- les attestations produites par Mme [T] ne démontrent pas un lien de subordination, mais établissent au contraire qu'elle agissait en qualité d'employeur à l'égard des autres salariés de la société ;

- les rappels salariaux et les demandes indemnitaires sont infondés et sans objet puisqu'il n'existait pas de relation de travail.

La déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées, le 19 février 2020, à la SELAFA MJA, en la personne de Maître [G] [L], ès qualité de mandataire ad'hoc de la SARL MAZAL 25, qui n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 mars 2022.


SUR CE


Aux termes de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

En application du dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputé s'en approprier les motifs.

Sur l'existence d'un contrat de travail

En présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.

L'existence d'un contrat de travail apparent découle notamment de la délivrance de bulletins de paie.

En l'espèce, l'AGS conteste l'existence d'un contrat de travail entre Mme [T] et la société MAZAL faisant valoir que Mme [T] ne produit aucun contrat de travail signé, qu'elle ne rapporte pas la preuve du versement effectif d'une rémunération, ne démontre pas l'existence d'une prestation de travail et ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un lien de subordination.

Mme [T] produit des bulletins de paie pour les mois de janvier, février et mars 2012 puis pour les mois d'octobre, novembre et décembre 2012. Pour les mêmes mois, elle produit des attestations Pôle Emploi.

Ces éléments suffisent à établir un contrat de travail apparent, peu important la valeur qui peut être allouée aux certificats de travail établis par l'employeur pour les mêmes mois qui ont été produits non signés en première instance et signés en cause d'appel.

Au regard des éléments qu'elle produit, Mme [T] peut se prévaloir d'un contrat de travail apparent dont l'AGS n'établit pas la fictivité.

Sur la requalification

Aux termes de l'article L.1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

En l'espèce, il est constant qu'aucun contrat de travail écrit n'a été établi.

En conséquence, les relations entre les parties doivent être requalifiées en contrat à durée indéterminée.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

En application de l'article L. 1245-2 du code du travail, le salarié dont le contrat est requalifié a droit à une indemnité ne pouvant être inférieure à un mois de salaire.

Il convient de fixer au passif de la société MAZAL 25 la somme de 9 640,88 euros compte tenu du montant du dernier salaire de Mme [T].

Sur la demande de rappel de salaire

Le salarié, engagé par plusieurs contrats à durée déterminée, dont le contrat est requalifié en contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées que s'il établit qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.

Mme [T] sollicite le paiement de salaires pour la période d'avril 2012 à septembre 2012 en conséquence de la requalification. Elle expose que pour la période d'octobre 2012 à décembre 2012, les bulletins de paie ont été établis sans que sa rémunération ne lui soit effectivement versée.

Elle produit plusieurs attestations qui témoignent de son activité pour la société MAZAL 25. Aucune de ces attestations ne date les événements auxquels Mme [T] aurait participé et fourni une prestation de travail.

Ainsi, Mme [T] ne démontre pas avoir travaillé entre avril 2012 et septembre 2012 et n'établit pas s'être tenue à la disposition de l'employeur pendant cette période. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de rappel de salaire pour la période d'avril 2012 à septembre 2012.

Il n'est pas utilement contesté le non paiement de sa rémunération correspondant aux mois d'octobre à décembre 2012, mois pour lesquels elle produit des bulletins de paie.

Il convient en conséquence de fixer au passif de la société MAZAL la somme de 27 826,13 euros outre 2 782,61 euros au titre des congés payés.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la rupture du contrat de travail

Le non-renouvellement des contrats à durée déterminée à compter de janvier 2013 a mis fin aux relations entre les parties et constituent un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, Mme [T] peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis.

Il convient de fixer au passif de la société MAZAL 25 la somme de 9 640,88 euros outre 964,08 euros au titre des congés payés afférents.

Mme [T] comptant moins de deux ans d'ancienneté, elle peut prétendre à une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement qui ne peut excéder un mois de salaire.

L'AGS ne forme aucune observation sur cette demande.

Il convient de fixer au passif de la société MAZAL 25 la somme de 9 640,88 euros.

Mme [T] comptant une année d'ancienneté dans l'entreprise peut également prétendre à une indemnité conventionnelle de licenciement d'un dixième de mois. En conséquence, il convient de fixer au passif de la société MAZAL la somme de 927,52 euros.

En application de l'article L. 1235-5 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce, le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Au regard du préjudice subi par Mme [T], il convient de fixer au passif de la société MAZAL la somme de 1 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la remise des documents sociaux

Compte tenu des développements qui précèdent, il convient de faire droit à la demande de remise de documents sociaux conformes, dans les termes du dispositif sans qu'il n'y ait lieu d'assortir cette remise d'une astreinte.

Seul le mandataire sera tenu de cette obligation, à l'exception de l'AGS dont Mme [T] sollicitait également la condamnation.

Sur les frais de procédure

Les dépens seront inscrits au passif de la société MAZAL.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser ses frais irrépétibles à la charge de Mme [T].

PAR CES MOTIFS



La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Fixe au passif de la société MAZAL 25 les sommes de :

* 9 640,88 euros à titre d'indemnité de requalification,

* 27 826,13 euros outre 2 782,61 euros au titre des congés payés à titre de rappel de salaire pour les mois d'octobre à décembre 2012,

* 9 640,88 euros à titre d'indemnité de préavis outre 964,08 euros au titre des congés payés afférents,

* 9 640,88 euros pour procédure irrégulière,

* 927,52 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 1 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Rappelle que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et que les créances de nature indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter de la décision jusqu'à l'ouverture de la procédure collective qui arrête le cours des intérêts et que la capitalisation est de droit conformément à l'article 1343-2 du code civil.

Ordonne la remise des documents sociaux conformes à la présente décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt,

Fixe les dépens au passif de la société MAZAL 25,

Déboute Mme [M] [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA Ile de France Ouest qui devra sa garantie dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, étant rappelé que les indemnités allouées aux titres de l'article 700 du code de procédure civile et de la liquidation de l'astreinte ne rentrent pas dans le champ de cette garantie.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT