CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. HENRI MAYRAS,
PRÉSENTÉES LE13 juillet 1976
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
I.
A -
M. Brack, demandeur au principal, citoyen britannique, né en 1906, a été assujetti, de 1948 à 1957 - soit pendant neuf ans - au régime de sécurité sociale du Royaume-Uni en qualité de travailleur salarié. Après 1957, il a exercé la profession de comptable indépendant. C'est à ce titre qu'il a continué à verser des cotisations à la sécurité sociale.
En 1971, ayant atteint l'âge de 65 ans, il avait acquis droit à une pension de retraite, tant de salarié que d'indépendant, en vertu de la section 30 du National Insurance Act de 1965, à condition de cesser toute activité professionnelle. Il eût été alors exonéré de l'obligation de payer des cotisations pour l'assurance chômage et maladie.
Mais, il prit le parti de poursuivre son activité de travailleur indépendant.
Dans cette situation, il était dès lors tenu de continuer à acquitter lesdites cotisations jusqu'à ce qu'il prît effectivement sa retraite ou qu'il atteignît l'âge de 70 ans.
Pendant les dernières années de son activité professionnelle, la santé du demandeur fut, à plusieurs reprises, sérieusement ébranlée. Pour se remettre des séquelles de diverses affections et d'une grave intervention chirurgicale, il se rendit en convalescence, sur avis médical, le 23 septembre 1974, chez des amis en France. Au cours de son séjour dans ce pays, il fut, quelques jours plus tard, atteint d'une crise aiguë de névrite qui, selon l'avis de deux médecins français, exigeait des soins médicaux immédiats et justifiait une interruption de travail d'au moins quatre semaines. Néanmoins, le 25 octobre 1974, le demandeur retourna au Royaume-Uni où il reprit, pour un temps limité, l'exercice de sa profession, avant d'être à nouveau hospitalisé. Pour chacun de ces arrêts de travail, à l'exception de celui qu'il subit en France, le demandeur bénéficia des prestations maladie en nature et en espèces.
Le dossier ne fait pas clairement apparaître si le demandeur perçut, de la part du National Health Service, des prestations en nature à raison de sa maladie en France. En tout cas, l'Insurance Officer, délégué local à l'organisme payeur, refusa de lui verser les prestations maladie en espèces pour la période de son arrêt de travail en France en se basant sur une disposition de la législation britannique (section 49-1o de la loi de 1965, articles 7(1) (b) et 7 (1 A) des règlements relatifs à la résidence et aux personnes à l'étranger (National Insurance (Résidence and Persons Abroad) Régulations 1948), en vertu de laquelle l'assuré perd son droit aux prestations afférentes à toute période pendant laquelle il s'absente du Royaume-Uni, à moins qu'il n'ait été incapable de travailler de façon continue pendant les six mois précédant son absence et qu'il soit resté sans interruption dans cet état pendant son absence ou que celle-ci ne réponde au but spécifique de suivre un traitement pour une incapacité ayant commencé avant qu'il n'ait quitté le Royaume-Uni.
A ce point, il est nécessaire de faire une parenthèse pour préciser, avec le National Insurance Commissioner, juge qui vous saisit, quelle était la situation du demandeur au regard du régime britannique:
Il n'est pas clairement établi que, durant son séjour en France, le demandeur ait effectivement usé de la faculté, prévue à l'article 5 (2) des dispositions d'exécution relatives à la résidence et aux personnes à l'étranger de verser, à titre volontaire, les cotisations dont il aurait dû obligatoirement s'acquitter à titre d'indépendant résidant au Royaume-Uni (en vertu de l'article 5 A des dispositions prises en exécution de la section 10 de la loi de 1965, s'il était resté au Royaume-Uni, il eût d'ailleurs été exempté de ce versement pour la période d'incapacité de travail, tout en étant crédité de son montant). Il est en tout cas certain qu'il s'est acquitté de ses cotisations jusqu'au moment où il est parti en France et qu'il en a repris le versement dès qu'il a regagné le Royaume-Uni.
Au moment de sa demande et au regard du droit britannique, ses seules cotisations de travailleur salarié ou ses seules cotisations d'indépendant auraient suffi pour lui ouvrir un droit à pension de retraite à un taux réduit (article 7 des dispositions d'exécution «allocation de veuve et pensions de retraite» National Insurance (Widow's Benefit and Retirement Pensions) Régulations 1972) ou à des prestations de chômage ou de maladie au taux hebdomadaire de la pension qui lui aurait été versée s'il avait été retraité (section 19 (3) de la loi de 1965).
En revanche, le taux des prestations de maladie susceptibles de lui être accordées dépendait du taux de la pension de retraite (à l'exclusion de toute majoration) qui lui aurait été versée s'il avait été retraité, ce dernier taux étant lui-même fonction de la réponse à la question de savoir s'il satisfaisait aux deux conditions suivantes:
-
premièrement, avoir effectivement versé 156 cotisations entre le début de son assurance et l'âge normal de la retraite: cette condition était remplie en prenant en compte exclusivement soit ses cotisations de salarié, soit ses cotisations d'indépendant;
-
deuxièmement, avoir verse ou pouvoir faire prendre en compte une moyenne annuelle de 50 cotisations à la date de l'âge normal de la retraite; ceci n'était le cas que si on additionnait ses cotisations de salarié et ses cotisations d'indépendant (section 4 (1) de l'annexe 2 à la loi de 1965).
Par conséquent, indépendamment de la condition de résidence rappelée ci-dessus, pour que le demandeur pût bénéficier des prestations de maladie au taux plein, il fallait totaliser ses cotisations de salarié et d'indépendant. Il y a là pour nous un élément qui contribuera à orienter, de façon décisive, le sens de la réponse que nous vous proposerons d'apporter.
Cette parenthèse étant close, il convient de rappeler que le demandeur déféra au «Local Tribunal» le refus de l'Insurance Officer. Ce tribunal ayant confirmé cette décision le 25 mars 1975, le demandeur interjeta appel devant le National Insurance Commissioner.
Le demandeur est décédé le 31 octobre 1975, mais sa veuve a été admise à poursuivre l'action ainsi intentée.
B -
C'est dans ces conditions que le National Insurance Commissioner vous pose, en vertu de l'article 177, des questions dont il attend les réponses qui lui permettront également de trancher de nombreux autres cas similaires. Dans ses observations écrites, le gouvernement du Royaume-Uni s'associe à cette préoccupation.
Que le Commissioner statue en appel ou que ses décisions ne soient pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, il nous paraît qu'il est, en tout cas, une «juridiction» au sens de l'article 177: vous êtes donc compétents pour statuer sur les questions qu'il vous pose.
Aux termes mêmes de la décision de ce juge, les prestations britanniques de maladie en espèces ont été refusées au demandeur en raison de son absence du territoire national; pour lui, si le demandeur avait eu, au moment des faits, la qualité de travailleur au sens du règlement no 1408/71, il aurait été, selon les termes de l'article 22, paragraphe 1, alinéa a), de ce règlement, un travailleur «dont l'état vient à nécessiter immédiatement des prestations au cours d'un séjour sur le territoire d'un autre État membre», de sorte qu'il aurait eu droit à des prestations de maladie en espèces en vertu de cette disposition du droit communautaire.
En un mot, le problème se présente dans les termes suivants:
Un travailleur, ressortissant d'un État membre, qui est ou a été soumis, en qualité de travailleur salarié, à la législation de sécurité sociale de cet État membre doit-il être considéré comme un «travailleur» au sens du règlement no 1408/71, même si, au moment de l'introduction de sa demande de prestation, il était classé dans la catégorie des «indépendants» aux fins du régime dont il relevait et a-t-il en conséquence le droit, s'il vient à tomber malade sur le territoire d'un État membre autre que celui où il réside, à des prestations en espèces en application des dispositions de ce règlement, comme s'il était tombé malade dans son État d'origine, nonobstant toute disposition de droit national contraire?
Le présent litige ne soulève donc directement aucun problème de totalisation de périodes prises en considération par deux législations nationales différentes pour l'ouverture ou le maintien du droit à une prestation de sécurité sociale (article 51, a), du traité), mais bien celui de l'incidence du séjour sur le territoire d'un État membre quant au paiement de prestations à une personne ayant travaillé dans un autre État membre (article 51, b). C'est donc plus un problème de discrimination, dans un même pays, entre un travailleur réellement salarié et un travailleur simplement assimilé, le premier pouvant bénéficier du règlement no 1408/71, le second ne le pouvant pas, bien qu'il ait payé obligatoirement, lui aussi, des cotisations destinées à le couvrir contre un risque correspondant. Il s'agit de savoir si le bénéfice de l'assimilation peut être refusé à un tel travailleur à raison d'un élément d'extranéité, lui-même inopposable à un travailleur salarié, stricto sensu, au sens du règlement no 1408/71.
La réponse à la première question qui vous est posée présente donc une importance fondamentale pour la solution du litige: il s'agit de préciser le champ d'application personnel d'un régime qui, ainsi que nous le verrons, s'applique à tous les actifs - salariés ou indépendants - lorsqu'une personne a été successivement ou alternativement salariée et indépendante. Les trois autres questions, subsidiaires, ont trait à la qualification possible du statut du demandeur. Plus précisément, le juge britannique voudrait savoir sous quelle autre rubrique de l'article 1, a), doit être classé le demandeur:
-
soit à raison du mode de gestion ou de financement du régime auquel il était obligatoirement affilié;
-
soit à raison du fait que l'on pourrait considérer qu'il était assuré au titre d'une assurance facultative continuée.
Vous serez ainsi amenés à faire porter votre examen autant sur la réglementation communautaire que sur la législation britannique. C'est là une particularité de l'interprétation que vous êtes appelés à donner dans le cadre de l'article 177. D'ailleurs, comme l'annexe V se réfère expressément à la législation britannique, il sera nécessaire d'exposer sommairement les dipositions de celle-ci.
II.
A -
Commençons par le régime britannique en matière de sécurité sociale, cette branche du droit que l'on pourrait qualifier, selon le professeur Garner (Administrative Law, 4e édition, p. 247 à 249), de «pierre angulaire de l'Etat-providence».
Nous ne saurions mieux faire, à cet égard, que de nous référer à l'exposé figurant en annexe aux observations écrites du gouvernement britannique. En ce qui concerne le cas qui nous intéresse, nous relèverons en particulier ce qui suit: depuis 1946, l'assurance contre l'incapacité de travail prolongée a été étendue au Royaume-Uni à toutes les personnes qui exercent une activité professionnelle et l'assurance retraite englobe toutes les personnes qui ne sont plus en âge de travailler, qu'elles exercent ou non une activité professionnelle. Les prestations prévues étaient contributives et les personnes pour lesquelles l'assurance était obligatoire se répartissaient en trois catégories:
1)
les travailleurs salariés,
2)
les travailleurs indépendants,
3)
les personnes non actives.
Le système britannique présente la particularité que certaines personnes sont classées comme salariés, bien qu'elles n'aient pas conclu de contrat de travail, tandis que d'autres sont classées comme indépendants, bien qu'elles soient liées par un contrat de travail.
Par la suite, et notamment en 1965, date à laquelle remontent les textes applicables au demandeur, cette législation a été amendée en vue d'augmenter le taux des cotisations et des prestations et un certain nombre de prestations nouvelles, dont certaines non contributives, ont été introduites. Le champ d'application personnel n'a pas été modifié, mais la dichotomie entre la nature de l'activité exercée et le classement dans la catégorie correspondant à cette activité s'est encore accrue.
Ainsi, déjà à l'époque des faits de l'espèce, la législation britannique se présentait comme un système très souple, reposant sur de nombreuses fictions et assimilations juridiques.
Depuis la décision du Conseil des Communautés européennes du 1er janvier 1973 portant adaptation des actes relatifs à l'adhésion de nouveaux États membres aux Communautés européennes (JO no L 2, du 1. 1. 1973, p. 1), mais avant les faits qui nous intéressent, des réformes importantes ont encore accentué cette tendance de la législation britannique.
B -
Bien qu'entré en vigueur après les faits qui nous intéressent, le Social Security Act de 1975 comporte des indications intéressantes. Cette loi a supprimé la répartition de la population assurée en trois catégories distinctes s'excluant en principe mutuellement. Il est prévu désormais quatre catégories de cotisations: les cotisations des deux premières catégories sont obligatoires, celles de la troisième sont facultatives, celles de la quatrième n'ont d'importance qu'au point de vue fiscal.
Les cotisations de la première catégorie sont dues tant par les salariés que par leurs employeurs; le salarié est défini comme toute personne qui exerce une activité professionnelle soit en vertu d'un contrat de travail, soit en qualité de titulaire d'une fonction dont les émoluments sont soumis à l'impôt sur le revenu selon les mêmes règles que celles qui s'appliquent aux personnes employées en vertu d'un contrat d'emploi. Il peut donc s'agir d'un indépendant au sens du droit du travail, le critère étant résolument fiscal. Les cotisations de la deuxième catégorie sont dues par les indépendants, définis comme des personnes exerçant une activité professionnelle autrement qu'en qualité de salariés au sens de ce texte: mais il peut s'agir de salariés au sens du droit du travail.
Enfin, les cotisations facultatives de la troisième catégorie sont versées par des actifs ou par d'autres personnes en vue de se constituer, de conserver ou d'accroître des droits à prestations.
Dans l'esprit du législateur, ces cotisations sont normalement versées par des personnes qui sont ou qui ont été des actifs, mais dont les cotisations obligatoires, du fait de la cessation ou d'une interruption de leur activité ou en raison du montant peu élevé de leurs revenus durant leur période d'activité, ne sont pas suffisantes pour leur ouvrir droit à des prestations au taux normal.
La non-exclusivité des catégories a comme conséquence qu'une personne peut être tenue de cotiser concurremment au titre de salarié (ou assimilé) et au titre d'indépendant (ou assimilé). Par conséquent, il peut se faire qu'une personne dont l'assujettissement à cotisation n'est pas exclusivement dû à sa qualité de salarié et qui est donc un travailleur indépendant devra néanmoins être considérée comme salarié au sens de la sécurité sociale. Inversement, il peut se faire qu'un travailleur soit tenu de cotiser dans la deuxième catégorie, afférente aux indépendants, bien qu'il soit salarié au regard du droit du travail.
Depuis 1975, toutes les personnes pour lesquelles le recouvrement de l'impôt sur le revenu s'effectue par voie de retenue à la source sur la rémunération, qu'elles soient ou non en fait travailleurs salariés, sont obligées de cotiser en qualité de travailleur salarié. Les cotisations sont déterminées en fonction du revenu et sont recouvrées comme en matière d'impôt sur le revenu.
C'est donc bien, en pratique, un critère fiscal qui est à la base du classement dans l'une des catégories et ce classement n'a plus grand chose à voir avec l'exercice d'une activité salariée ou indépendante; il peut d'ailleurs être modifié par voie réglementaire.
Dans ce régime, les prestations non contributives sont servies sans aucune distinction selon la catégorie à laquelle les assurés appartiennent ou ont appartenu ou, depuis 1975, selon la catégorie des cotisations qu'ils versent ou qu'ils ont versées, si tant est qu'ils y étaient tenus.
Pour ce qui est des prestations contributives, cas des prestations en espèces maladie, elles sont servies sans faire de distinction selon la catégorie à laquelle les bénéficiaires appartiennent à la date de réalisation du risque couvert ou, depuis 1975, selon la catégorie des cotisations qu'ils paient, si tant est qu'ils y soient tenus à ce moment. Toutefois, le versement des cotisations est pris en considération aux fins de l'ouverture ou du maintien du droit à prestations.
Les prestations en espèces sont identiques et forfaitaires pour les diverses sortes de risques. Elles ne présentent aucune relation avec le salaire perdu.
Pour ceux qui, comme le demandeur, avaient dépassé l'âge normal de la retraite, leur montant est déterminé une fois pour toutes par référence à l'état des cotisations arrêté à la date à laquelle l'intéressé a atteint l'âge normal de la retraite (section 18 (2) de la loi de 1965).
Toutefois, une majoration de pension de retraite (graduated pension scheme d'avril 1961) est, le cas échéant, accordée au titre de suppléments de cotisations ou de cotisations payées (non créditées) après l'âge normal de la retraite. Mais les cotisations supplémentaires perçues en fonction des gains, dont le principe avait été arrêté en 1966, et les prestations supplémentaires correspondantes (earnings related supplement) n'entrent pas en ligne de compte pour ceux qui, comme le demandeur, n'étaient pas assujettis à un supplément de cotisations (graduated, earnings related contribution) parce que ne cotisant pas au titre de la première catégorie. Les prestations maladie en espèces accordées en vertu de la section 19 (3) ne sont donc pas influencées par ces majorations.
Quant à la gestion du régime, aucune distinction n'est opérée à raison de la catégorie dont relève la personne qui cotise ni, depuis 1975, quant à la catégorie de la cotisation versée.
Par conséquent, pour reprendre les observations du gouvernement du Royaume-Uni, le changement de «statut» d'une personne passant, par exemple, de celui de travailleur salarié à celui de travailleur indépendant n'entraîne aucune perte des droits à prestations découlant de l'accomplissement des périodes de cotisation à prendre en considération, même si, par ailleurs, les prestations en question ne répondent pas au nouveau statut de l'intéressé. Le seul problème est de savoir si un changement temporaire dans la résidence ou le séjour de l'intéressé peut avoir un tel effet en présence des dispositions du règlement no 1408/71.
Si, comme le dit le gouvernement britannique, il n'a jamais été possible de faire, sur la base des «catégories», une distinction nette entre les personnes qui peuvent être considérées comme salariés et les autres, on peut s'interroger sur la cohérence de la conception que les auteurs du règlement no 1408/71 se faisaient des «travailleurs salariés» avec une législation telle que la législation britannique de sécurité sociale, et sur la congruence du critère tenant à l'obligation de cotiser en qualité de travailleur salarié ou du critère tiré du mode de gestion ou de financement du régime.
III.
A -
Il convient à présent de rappeler l'état de la réglementation communautaire à la veille de l'adhésion des trois nouveaux États membres. S'il nous est permis de résumer l'esprit de cette réglementation, éclairée par votre jurisprudence, nous dirons que, dépassant le cadre des territoires nationaux, elle vise à éliminer les discriminations existant en matière de sécurité sociale en adoptant une conception plus large du territoire communautaire et de la qualité de «travailleur» ou qu'«elle (il s'agit de l'article 4 du règlement no 3) s'inspire d'une tendance générale du droit social des États membres à l'extension du bénéfice de la sécurité sociale en faveur de nouvelles catégories de personnes, à raison de risques et de vicissitudes identiques» (arrêt du 27 octobre 1971, Janssen, Recueil 1971, p. 864).
Alors que le règlement no 3 parlait de travailleurs «migrants», votre jurisprudence a élargi considérablement le champ d'application de cette expression en décidant que la libre circulation des travailleurs impliquait le droit de se déplacer librement non seulement pour chercher du travail, mais également dans un but médical ou même pour un séjour touristique de courte durée.
Par votre arrêt du 19 mars 1964, Unger (Recueil 1964, p. 347), vous avez jugé, à propos d'une personne qui n'avait plus la qualité de travailleur, que l'article 19, paragraphe 1, du règlement no 3 (auquel correspond l'article 22, paragraphe 1, du règlement no 1408/71) «s'oppose … à des règles internes subordonnant l'octroi des prestations en cause … à des conditions plus onéreuses que celles qui seraient appliquées si l'intéressé était tombé malade pendant qu'il se trouvait sur le territoire de l'État dont relève l'assureur». Vous adoptiez ainsi les conclusions de l'avocat général Maurice Lagrange qui estimait (Recueil 1964, p. 379) que «cette interprétation (de l'article 19) est tout à fait dans la ligne des objets qu'a en vue l'article 51 du traité. Il s'agit de prendre, "dans le domaine de la sécurité sociale, les mesures nécessaires pour l'établissement de la libre circulation des travailleurs". Or, il est évident que toute mesure qui assimile le territoire des divers États membres au territoire de l'État d'origine pour le bénéfice des diverses prestations est bien conforme à un tel objet. Notons à ce sujet», ajoutait-il «que les dispositions'contenues sous les lettres a) et b) de l'article 51 ne sont pas limitatives, étant précédées d'un "notamment".
Cette jurisprudence a été confirmée par vos arrêts du 11 mars 1965, Bertholet (Recueil 1965, p. 111), du 9 décembre 1965, Singer (Recueil 1965, p. 1191) et du 12 novembre 1969, Caisse de maladie des chemins de fer luxembourgeois (Recueil 1969, p. 405).
Comme en l'espèce aucun problème ne se pose quant à l'ouverture et au maintien du droit aux prestations, non plus qu'au regard du calcul de celles-ci, et que la seule difficulté provient du séjour temporaire de l'intéressé sur le territoire d'un Etat membre autre que celui dont il est originaire, on pourrait considérer que cette difficulté peut être résolue sur la base de cette seule jurisprudence. Mais ceci supposerait résolu au préalable le point de savoir ce qu'il faut entendre par "travailleur", et l'on se retrouve ainsi ramené à la première question.
A cet égard, vous avez admis, par votre arrêt du 19 décembre 1968, de Cicco (Recueil 1968, p. 680), que des périodes de cotisation à l'assurance des artisans en Italie sont des périodes d'assurance au sens des articles 1, p), 24, 27 et suivants du règlement no 3 aux fins d'obtention d'une pension d'invalidité dans un autre État membre. Vous avez notamment dit, à cette occasion, que la disposition figurant à l'article 4 de ce règlement, qui utilise l'expression "travailleurs salariés et assimilés», est basée sur une conception large du cercle des bénéficiaires en ce qu'elle soumet aux dispositions du règlement non seulement les travailleurs salariés au sens strict du terme, mais encore tous ceux qui sont «assimilés» à de tels travailleurs.
Dans la même perspective, vous avez jugé, par votre arrêt du 27 octobre 1971, Janssen (Recueil 1971, p. 859), que des périodes d'assurance accomplies sous le régime de sécurité sociale des travailleurs salariés dans un État membre devaient être prises en compte pour l'ouverture du droit aux prestations à accorder aux travailleurs indépendants en Belgique.
Si, en fait, un travailleur indépendant belge, séjournant ou ayant établi sa résidence à l'étranger, ne peut y bénéficier d'une protection plus étendue que celle qui lui est accordée en Belgique, c'est uniquement parce que vous avez subordonné l'extension des dispositions d'un régime général de sécurité sociale à la condition qu'elle comporte «pour les bénéficiaires une protection contre un ou plusieurs risques, comparable à celle qui est accordée, dans le risque considéré, par le régime général lui-même» et que le législateur communautaire lui-même a apporté une limitation en décidant à l'annexe V (Belgique) du règlement no 1408/71 que, tant que les travailleurs indépendants bénéficiaires de soins de santé par application de la loi instituant un régime d'assurance obligatoire contre la maladie et l'invalidité ne bénéficient pas, pour ces soins, d'une protection identique à celle accordée aux salariés, ils ne sont pas considérés comme travailleurs au sens de l'article 1, alinéa a), lettre i), du règlement.
B -
Pour tenter de «codifier» en quelque sorte votre jurisprudence et aussi pour tenir compte des changements intervenus dans les législations de plusieurs États membres, le législateur communautaire a arrêté, le 14 juin 1971, le règlement no 1408/71 (JO no L 149, du 5. 7. 1971, p. 2). Ce texte n'est cependant entré en vigueur que le premier jour du septième mois suivant la publication au Journal officiel des Communautés européennes du règlement d'application no 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 (JO no L 74, du 27. 3. 1972, p. 1), soit le 1er octobre 1972.
Son intitulé porte qu'il est «relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté».
Ce règlement a essayé de concilier deux orientations quelque peu contradictoires:
-
d'une part, dans son texte même, il ne fait en général plus mention que des travailleurs et non des travailleurs «salariés», conformément aux considérations exposées dans son préambule;
-
d'autre part, il a évité, dans toute la mesure du possible, de parler de travailleurs «assimilés», en tentant de préciser chaque fois ce qu'il fallait entendre par «assimilés», notamment dans le cas de régimes couvrant l'ensemble de la population.
Cependant, on y trouve encore des périphrases qui ont la même portée qu'une assimilation. C'est ainsi que son article 34 dispose que le titulaire d'une pension ou d'une rente, qui a droit aux prestations en nature au titre de la législation d'un État membre du fait de l'exercice d'une activité professionnelle, «est considéré comme travailleur …» pour l'application des dispositions particulières aux prestations de maladie. Cette disposition a été introduite afin de permettre le remboursement des frais exposés par les intéressés pour des soins de santé reçus au cours d'un séjour sur le territoire d'un État membre autre que l'État compétent si, pour une raison quelconque, les formalités prévues n'ont pu être respectées pendant ce séjour.
Son article 2, 3o, dispose qu'il «s'applique aux fonctionnaires et au personnel qui, selon la législation applicable, leur est assimilé, dans la mesure où ils sont soumis à la législation d'un État membre à laquelle le présent règlement est applicable», c'est-à-dire dans la mesure où ils ne sont pas couverts par un régime spécial. Il y a là une indication importante pour nous: bien que les dispositions de l'article 48 (qui figurent au chapitre des travailleurs) ne soient pas applicables aux emplois dans l'administration publique (article 48, 4o) et que les dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement ne s'appliquent pas aux activités participant dans un État membre, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique (article 55), les auteurs du règlement ont considéré les fonctionnaires et le personnel assimilé, du moins dans la mesure où ils sont ou ont été soumis à la législation d'un État membre à laquelle s'applique le règlement no 1408/71, comme des travailleurs salariés. Nous nous félicitons de cette suppression des barrières sociales et de cette assimilation, mais nous ne voyons pas pourquoi il n'en irait pas de même des indépendants, ou du moins de ceux d'entre eux qui ont obligatoirement cotisé à titre de travailleurs salariés et qui continuent de le faire à titre de travailleurs indépendants.
C -
Ainsi, à la veille de l'adhésion, la réglementation communautaire et le régime britannique - comme du reste les systèmes de la plupart des États membres en matière de sécurité sociale - avaient suivi une évolution parallèle et convergente, illustrant la généralisation de la tendance à protéger l'ensemble de la population. L'avocat général Gand le notait déjà dans ses conclusions sur l'affaire de Cicco (Recueil 1968, p. 705); il découle de votre arrêt Unger, disait-il, que «le champ d'application du règlement se trouve déterminé par un critère de sécurité sociale et non de droit du travail», ce qui implique que le champ d'application de l'article 51 du traité est différent de celui des articles 48 à 50 et empiète sur les dispositions relatives au droit d'établissement (chapitre 2 du titre III): pour reprendre la formule même de l'arrêt Unger (Recueil 1964, p. 363), la notion de «travailleur salarié ou assimilé» vise «tous ceux qui, en tant que tels et dans quelque appellation que ce soit, se trouvent couverts par les différents, systèmes nationaux de sécurité sociale». D'ailleurs, dans le cas des apatrides et des réfugiés et, ainsi que nous l'avons vu, de certains fonctionnaires, le champ d'application de l'article 51 déborde le cadre strict des «travailleurs», et d'autres personnes que les assurés «volontaires» prolongés ou les «vacanciers» sont susceptibles de se trouver dans la situation d'assimilés.
Il n'y a là rien d'étonnant. Le critère socio-professionnel ou fonctionnel à partir duquel on distingue les salariés, les indépendants et les simples résidents ne saurait être entendu de façon étroite: par exemple, les personnes ne se trouvant pas en état de travailler pour des raisons de chômage ou d'inaptitude physique font néanmoins socialement partie du groupe auquel les rattachait leur activité antérieure. Les enfants, quoique ne travaillant pas, font partie de la catégorie à laquelle appartient la personne à la charge de laquelle ils se trouvent.
Le cloisonnement entre ces différentes catégories de personnes trouve une autre limite dans l'attraction exercée par les régimes de travailleurs salariés, qui tendent à absorber des groupes sociaux autres que ceux pour lesquels ils ont été organisés. On tend ainsi vers une situation dans laquelle il n'existe plus que deux types d'assurances sociales obligatoires: les assurances sociales pour salariés et assimilés et les assurances sociales généralisées s'appliquant à l'ensemble de la population. En outre, il existe, selon des modalités diverses, la possibilité, pour les travailleurs indépendants, de s'affilier volontairement au régime des salariés, et le législateur favorise autant qu'il le peut cette prolongation de l'assurance. Ceci correspond à la réalité socio-économique: les personnes peuvent en effet effectuer une carrière professionnelle, successivement ou alternativement, non seulement dans plusieurs pays, mais sous divers régimes.
1.
Pour tenir compte de l'incidence du règlement no 1408/71, devenu applicable au Royaume-Uni à compter du 1er avril 1973, et de l'articulation du système britannique avec la réglementation communautaire, l'acte relatif aux conditions d'adhésion (JO no L 73 27.3. 1972, p. 113), tel qu'adapté par la décision du Conseil des Communautés du 1er janvier 1973 (JO n ° L 2 du 1. 1. 1973, p. 26), a complété l'annexe V du règlement no 1408/71 par une rubrique concernant le Royaume-Uni, qui comporte le point 1 suivant:
-
«est considéré comme travailleur au sens de l'article 1, alinéa a), lettre ii), du règlement, toute personne qui est tenue de cotiser en qualité de travailleur salarié» …
La première question que pose le présent litige consiste, en un certain sens, comme le disait M. l'avocat général Warner dans ses conclusions sur l'affaire Petroni (Recueil 1975, p. 1163), à propos du règlement no 1408/71, à déterminer dans quelle mesure les auteurs de l'acte ont réussi dans cette entreprise.
IV.
S'en tenant au libellé de l'annexe, l'Insurance Officer considère que le demandeur au principal, qui était - au regard du droit du travail - un indépendant au moment des faits, n'était pas «tenu de cotiser en qualité de travailleur salarié» et n'entrait donc pas dans le cadre de la définition de l'article 1, alinéa a), lettre ii).
A -
Il paraît, au moins à première vue, exister une antinomie entre votre jurisprudence, selon laquelle le terme «travailleur» a une portée communautaire, et cette annexe V, en particulier sa rubrique concernant le Royaume-Uni, qui renvoie au droit national pour définir cette notion. Tant que le concept communautaire de travailleur recouvrait, lui aussi, les personnes «qui sont tenues de cotiser en qualité de travailleurs salariés», aucune difficulté ne se posait. Mais nous avons rappelé combien, selon votre jurisprudence, ce concept se distancie de ce critère.
En réalité, votre jurisprudence est guidée par deux considérations:
En premier lieu, vous considérez que le règlement ne peut déboucher sur une application qui dépendrait d'une définition ou d'une modification du droit national.
En second lieu, si vous avez parfois jugé que le règlement ne pouvait pas être considéré comme un acte d'harmonisation ou de rapprochement des législations des États membres, mais seulement comme un acte de coordination, c'était uniquement pour préserver ou renforcer les droits dont les travailleurs jouissent en vertu de la législation des États membres: c'est pourquoi vous avez dit qu'en aucun cas le règlement ne saurait être interprété ni appliqué comme réduisant ces droits. Vous avez encore confirmé ce principe après l'adhésion des nouveaux États membres (arrêt du 21 octobre 1975, Petroni, Recueil 1975, p. 1149).
Abordant de façon plus directe la première question qui vous est posée, il faut donc répondre que le terme «travailleur» est défini de façon exhaustive aux articles 1 et 2 du règlement, tels qu'ils doivent être interprétés selon votre jurisprudence. L'annexe V n'a pour but conformément à l'article 89 du règlement, que de déterminer les modalités particulières d'application des législations de certains États membres en fonction de cette définition et non pas de déterminer les modalités d'application du règlement en fonction et au gré des variations des législations nationales.
Nous irons même plus loin: dans la mesure où les «limitations» (article 1, a), lettre i) ou «précisions» (article 1, a), lettre ii), 2e tiret) contenues à cette annexe excluraient ou tendraient à exclure de l'application du règlement certaines personnes qui sont des travailleurs au sens de l'article 51 tel que vous l'avez interprété, cette annexe serait illégale. Le fait que le point relatif au Royaume-Uni, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, ait été arrêté par voie conventionnelle entre les États membres n'y change rien. Si la définition apportée par l'annexe V, concernant le Royaume-Uni, avait comporté une orientation nouvelle, c'est tout le règlement no 1408/71, y compris son préambule, qui, conformément à l'article 30 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion et aux adaptations des traités, aurait dû être modifié pour tenir compte de cette orientation. Cette rubrique participe du caractère réglementaire d'un texte que vous avez tout pouvoir pour interpréter et dont vous pouvez apprécier souverainement la validité au regard de l'ensemble du traité et de votre propre jurisprudence.
Mais nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de faire ce pas héroïque: l'expression «qui est tenu de cotiser en qualité de travailleur salarié» n'est pas incompatible avec une interprétation plus large, commandée par votre jurisprudence antérieure.
L'annexe ne fait qu'expliciter, en cas de changement de la loi nationale, de façon non exhaustive, ce qui est implicitement contenu dans le règlement tel qu'il doit être interprété et appliqué à la lumière de cette jurisprudence. Elle a été modifiée et complétée à différentes reprises dans les conditions prévues à l'article 95 du règlement.
Ainsi, le règlement no 1392/74 du Conseil du 4 juin 1974 (JO no L 152 du 8.6. 1974, p. 1), par son article 1, paragraphe 5, a ajouté six nouveaux paragraphes concernant le Royaume-Uni, avec effet rétroactif au 1er avril 1973.
Tel a encore été le cas du règlement no 1209/76 du Conseil du 30 avril 1976 (JO no L 138 du 26.5. 1976, p. 1) qui, «considérant les changements apportés à la législation du Royaume-Uni», a notamment modifié, par son article 1, paragraphe 4, l'annexe concernant ce pays en y ajoutant, avec effet rétroactif au 1er avril 1973, un paragraphe 16 aux termes duquel: «pour l'application de l'article 10, paragraphe 1, du règlement (il s'agit de la "levée des clauses de résidence"), le bénéficiaire d'une prestation due au titre de la législation du Royaume-Uni, en séjour sur le territoire d'un autre État membre, est considéré, pendant la durée de ce séjour, comme s'il résidait sur le territoire de cet autre État membre». En conséquence, les pensions d'invalidité, de vieillesse ou de survivants ne peuvent subir aucune réduction ni modification, ni suspension, ni suppression du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d'un État membre autre que celui où se trouve l'institution débitrice.
Un paragraphe 17 a également été ajouté, avec effet au 6 avril 1975, disposant que … «pour chaque semaine d'assurance, d'emploi ou de résidence comme travailleur, l'intéressé est censé avoir cotisé comme salarié (employed earner) sur la base d'un salaire correspondant aux deux-tiers de la limite supérieure de salaire de l'exercice fiscal considéré».
Nous pensons qu'une telle interprétation est compatible avec la nature de l'annexe qui, comme nous l'avons dit, est simplement déclaratoire, et qui ne nécessite même pas, formellement du moins, une mise à jour. Bien qu'il soit de bonne technique législative que les textes communautaires soient adaptés, en temps opportun, pour guider les autorités compétentes chargées d'appliquer la réglementation communautaire et les textes nationaux, le fait qu'ils n'aient pas été modifiés pour tenir compte de la jurisprudence de la Cour et de l'évolution de la législation britannique est inopposable aux intéressés.
B -
Après avoir montré que le point 1 des dispositions de l'annexe V, relatives au Royaume-Uni, ne peut exclure, a priori, que le demandeur puisse entrer dans le champ d'application personnel du règlement, nous voudrions, à présent, tenter d'exposer les raisons pour lesquelles, à notre sens, une personne telle que le demandeur devrait normalement rentrer dans la rubrique prévue à l'article 1, alinéa a), lettre ii), du règlement no 1408/71.
Des dispositions combinées de cet article et de l'annexe V, il nous paraît ressortir que le terme «travailleur» désigne toute personne qui, après avoir été tenue, en qualité de travailleur salarié, de s'assurer dans le cadre d'un régime de sécurité sociale s'appliquant notamment aux salariés contre une éventualité prévue au règlement no 1408/71, reste tenue - quelle que soit la nature de son activité professionnelle - de continuer à cotiser dans le cadre d'un régime général organisé notamment au bénéfice des travailleurs salariés et dont les cotisations de travailleur salarié doivent être prises en compte pour qu'elle puisse bénéficier au taux plein des prestations prévues pour une éventualité contre laquelle les travailleurs salariés sont protégés de façon identique, même si cette éventualité n'est pas expressément précisée à l'annexe V.
La jurisprudence que vous avez développée dans le cadre du règlement no 3 nous paraît parfaitement transposable au cadre du règlement no 1408/71. A supposer que l'expression «travailleurs» utilisée par ce dernier règlement vise principalement les salariés, elle recouvre, selon les termes exprès de l'article 2, paragraphe 1, non seulement ceux des travailleurs qui, en tant que salariés, sont actuellement soumis à la législation d'un ou de plusieurs États membres, mais encore ceux qui «Ont été soumis à une telle législation» à ce titre. Ceci résulte de l'attendu no 12 de votre arrêt Janssen qui a été prononcé le 27 octobre 1971. En particulier, cette expression vise toute personne qui est assurée au titre d'une assurance obligatoire continuée contre une éventualité correspondant aux branches auxquelles s'applique le règlement, dans le cadre d'un régime organisé au bénéfice des travailleurs salariés. Il y a encore place, dans le règlement no 1408/71, pour la notion d'assimilation, bien que le législateur communautaire ait tout fait pour bannir cette expression et il est inexact d'affirmer, du moins sous une forme aussi catégorique comme le fait le gouvernement danois, qu'«il est exclu, à première vue, que le règlement s'applique par exemple aux travailleurs indépendants, même s'il précise qu'il s'applique également aux personnes ayant eu la qualité de travailleur».
La mesure exacte de cette assimilation ne peut être déterminée qu'en fonction des termes de la législation nationale et il faudra donc se référer au droit du demandeur. Cependant, vous avez posé, à cet égard, un critère important: selon votre jurisprudence, «une telle assimilation a lieu chaque fois que, par l'effet d'une législation nationale, les dispositions d'un régime général de sécurité sociale sont étendues à une catégorie de personnes autres que les travailleurs salariés visés par le règlement no 3, quelles que soient les formes ou modalités utilisées par le législateur national» (arrêt Janssen, attendu no 8). De même, il appartiendra au juge national de déterminer si l'extension des dispositions du régime général aux personnes qui sont dans la situation du demandeur comporte, au regard du risque en cause, une protection comparable à celle qui est accordée, dans le risque considéré, par le régime général lui-même (attendu no 9 de l'arrêt Janssen).
Pas plus que le gouvernement britannique, nous n'avons guère de doute, pour notre part, sur le caractère complet de cette assimilation. Il ressort en effet du dossier transmis par le juge national que le demandeur avait été travailleur salarié et, comme tel, avait été assujetti aux cotisations; s'il n'était plus, strictement parlant, tenu de cotiser pour bénéficier des prestations en espèces de l'assurance maladie au titre de salarié, c'est qu'il aurait normalement eu droit à une pension de retraite qui lui aurait tenu lieu de telles prestations. Comme il avait provisoirement renoncé à percevoir sa retraite et qu'il continuait d'exercer une activité indépendante, il était dès lors tenu de cotiser pour bénéficier des prestations en espèces de l'assurance maladie en qualité de travailleur indépendant; il n'aurait pu d'ailleurs obtenir le remboursement de ses cotisations puisqu'il n'avait pas cessé d'être assujetti à l'assurance obligatoire (article 10, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1408/71). Étant donné que, selon les constatations mêmes du Commissioner, pendant son séjour temporaire sur le territoire d'un autre État membre, son état est venu à nécessiter immédiatement des prestations, il doit être traité comme s'il résidait sur le territoire de cet État et la prestation due au titre de la législation britannique ne peut subir «ni réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation» du fait de cette résidence (article 10, paragraphe 1).
L'annexe V énumère, par ailleurs, plusieurs cas dans lesquels une condition de résidence sur le territoire national est inopposable:
Ainsi, au paragraphe 4, tout assuré qui veut obtenir des prestations de chômage au Royaume-Uni est censé avoir résidé sur le territoire du Royaume-Uni durant toute la période antérieure à la date de sa demande de prestations pendant laquelle il a résidé ou accompli des périodes d'assurance ou d'emploi sur le territoire d'un autre État membre.
Ainsi encore, au paragraphe 7 (il s'agit sans doute des gens de mer), si un travailleur soumis à la législation du Royaume-Uni est victime d'un accident après avoir quitté le territoire d'un État membre pour se rendre, au cours de son emploi, sur le territoire d'un autre État membre, mais avant d'y être arrivé, son absence du territoire du Royaume-Uni ne lui est pas opposable pour déterminer si, en vertu de son emploi, il était assuré sous la législation britannique.
Enfin, rappelons le paragraphe 16 qui a été ajouté par le règlement no 1209/76.
En conséquence, la clause de résidence doit être levée dans le cas d'une personne telle que le demandeur et il serait bon que l'annexe V soit adaptée en ce sens.
C -
Par sa seconde question, le juge national voudrait savoir si, par opposition à un salarié, un travailleur indépendant assuré au titre d'un régime tel que le régime britannique est, d'une manière générale ou au regard des éventualités contre lesquelles il est protégé, un «travailleur» au sens de l'article 1, alinéa a), lettre i). Aux fins de la solution du présent litige, il serait inutile et prématuré de répondre par l'affirmative et de conclure qu'au regard de la sécurité sociale la réglementation communautaire considère que les indépendants sont, à tous effets et dans tous les cas, dans la même situation que les salariés du moment qu'ils sont soumis aux mêmes risques et aux mêmes vicissitudes et qu'ils sont couverts par une assurance obligatoire s'appliquant aux travailleurs salariés.
Il suffit de constater, mais il appartiendra au juge national de dire si c'est bien le cas et de se prononcer en définitive sur la qualification exacte du demandeur, qu'au Royaume-Uni le législateur a institué une coordination telle entre les régimes des salariés et des indépendants qu'elle implique qu'un indépendant ex-salarié tel que le demandeur est assimilé à un salarié.
Une autre interrogation vient se greffer sur cette question: l'assimilation d'une catégorie de personnes pour l'ensemble d'un risque, par exemple la maladie, entraîne-t-elle l'assimilation - et donc l'application du règlement no 1408/71 - en ce qui concerne la protection contre tous les autres risques ou éventualités dont bénéficient l'ensemble des salariés?
La préoccupation de l'Insurance Officer et du Commissioner, que nous partageons, est de disposer de critères sûrs, utilisables au-delà du cas d'espèce. Nous aurions tendance, pour notre part, à admettre la même solution pour l'ensemble des éventualités auxquelles s'applique le règlement. Il doit en aller ainsi lorsque l'assimilation s'étend à toutes les éventualités couvertes par le régime général et lorsque l'assimilation n'a pas eu pour effet de créer un régime autonome, spécial à cette catégorie de personnes. Mais ici encore, il appartiendra au juge britannique de dire si c'est bien le cas et la réponse générale qu'il souhaite recevoir ne nous paraît pas nécessaire pour trancher le cas d'espèce qui lui est soumis.
D -
Pour répondre à la troisième question que vous pose le juge britannique, il y aurait lieu d'examiner si, selon les termes de l'article 1, alinéa a), lettre ii), premier tiret, «les modes de gestion ou de financement du régime» britannique dans le cadre duquel le demandeur est assuré «permettent de l'identifier comme travailleur salarié», en raison du fait que son titre au bénéfice de prestations est constitué «pour une part importante» par les cotisations qu'il a versées ou dont il a été crédité en tant que travailleur salarié.
Compte tenu de la réponse que nous vous avons proposée, nous nous dispenserons d'examiner davantage les modes de gestion et de financement du régime dont nous avons déjà parlé plus haut.
Nous pensons que le critère de l'importance relative des cotisations versées, au titre de salarié par rapport à celles qui ont été versées au titre d'indépendant est trop vague et trop imprécis. La solution pragmatique consistant à laisser le juge décider, dans chaque cas d'espèce, en fonction de l'importance des cotisations versées au titre de salarié est à écarter parce que génératrice d'insécurité juridique dans un domaine où l'on veut précisément garantir la sécurité sociale. Personnellement, nous inclinons à penser que, dès qu'au titre du régime britannique un assuré a vocation à une prestation constituée, ne serait-ce que pour une part minime, par les cotisations qu'il a versées ou dont il a été crédité en tant que travailleur salarié, il doit être identifié comme «travailleur» aux fins d'application du règlement.
E -
Il n'y aurait lieu d'examiner la dernière question que vous pose le juge britannique que dans l'hypothèse où le demandeur aurait volontairement continué de cotiser à l'assurance maladie durant son bref séjour en France, alors qu'il n'aurait plus été tenu de le faire au Royaume-Uni dans l'hypothèse de la réalisation de cette éventualité dans ce pays, ou dans l'hypothèse où l'on pourrait assimiler sa décision de ne pas prendre sa retraite à la prolongation de son assurance sur une base volontaire.
Si une personne qui, conformément au vœu du législateur britannique, continue volontairement de verser des cotisations pour s'assurer contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches auxquelles s'applique le règlement dans le cadre d'un régime national de sécurité sociale organisé au bénéfice de tous les résidents, a la qualité de travailleur au sens du règlement (article 1, a), iii), il devrait en aller a fortiori ainsi d'une personne qui, antérieurement assurée à titre obligatoire contre une éventualité dans le cadre d'un régime salarié organisé au bénéfice des travailleurs salariés, est obligée de continuer de s'assurer contre cette même éventualité. Mais il est inutile d'approfondir ce point puisque, comme nous l'avons dit, nous pensons qu'un travailleur de l'espèce du demandeur doit normalement être rangé dans la catégorie de l'article 1, alinéa a), lettre i).
V.
Pour terminer, nous voudrions répondre à certaines objections présentées par le gouvernement danois. Celui-ci craint que «le fait d'admettre qu'une personne conserve son statut de travailleur à tous les égards aboutirait à ce que la presque totalité de la population adulte des Communautés devrait être considérée comme travailleur aus sens du règlement». Il ajoute qu'«un tel résultat impliquerait une discrimination entre les travailleurs indépendants qui séjournent temporairement dans un État membre, suivant qu'ils viennent d'un État membre où les règlements en matière de sécurité sociale ont une portée générale ou d'un État membre dont la législation en matière de sécurité sociale distingue entre travailleurs salariés et indépendants».
Ces observations montrent, au-delà du cas d'espèce, l'actualité du problème de l'extension de la protection sociale, notamment dans le cadre de la sécurité sociale, aux catégories de personnes non couvertes ou insuffisamment protégées par les régimes existants et de la coordination des régimes des indépendants et des régimes des salariés. La réponse que vous donnerez n'enlève rien à la nécessité de l'élaboration d'un véritable régime communautaire relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs - salariés ou indépendants - et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté. Pour que l'intégration européenne soit effectivement perçue comme une réalité par tous les travailleurs et que la libre circulation ne constitue pas un arrangement économique permettant une meilleure circulation du facteur «travail», il faudra aboutir à ce que les déplacements d'un pays à un autre de la Communauté, pour quelque raison que ce soit, n'entraînent aucune modification au «statut social» lié à l'activité professionnelle.
Mais, étant donné le caractère de simple coordination multilatérale qui s'attache au stade actuel à la réglementation communautaire, l'inclusion des indépendants dans le champ d'application du règlement no 1408/71 dépend encore des législations nationales. Les lacunes qui pourraient résulter des différences de champ d'application des législations nationales devraient être comblées par l'instauration de cette coordination d'ensemble dont la Commission affirme qu'elle est en bonne voie (réponse du 10 mai 1976 à la question écrite no 79/76 de M. Spicer).
Nous concluons à ce que vous disiez pour droit que:
-
lorsque la législation d'un État membre, couvrant obligatoirement les travailleurs indépendants contre le risque maladie, subordonne l'ouverture du droit aux prestations normales correspondant à ce risque à la prise en considération des cotisations qui ont été obligatoirement versées par les intéressés ou dont ils ont été crédités au titre de travailleurs salariés pour bénéficier de la même protection à raison du même risque dans le cadre de cette même législation, ces personnes doivent être regardées, aux fins d'application de l'article 22, paragraphe 1, alinéa a), du règlement no 1408/71, comme des «travailleurs» au sens de ce texte. Le fait que les intéressés aient séjourné dans un autre État membre au moment de la survenance du risque ne peut leur être opposé pour leur refuser le bénéfice de cette prestation.