AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur le pourvoi formé par :
1 / la société Pernod, société anonyme, dont le siège est ...,
2 / la société Pernod Ricard Japan KK, société de droit japonais, dont le siège est Tamaya Building 3 F 14-12 Shinjuku 1 Chome, Shinjuku Tokyo 160 (Japon),
3 / la Société des produits d'Armagnac (SPA), société anonyme, dont le siège est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 17 septembre 1999 par la cour d'appel de Paris (4e chambre civile, section B), au profit :
1 / de la société Vins et domaines H. de A..., société anonyme, dont le siège est Château Les Fougères, 33650 La Brède,
2 / de Mme Y... de Secondat de A..., épouse X..., demeurant chemin de Bency, 33650 La Brède,
3 / de M. Z... de Secondat de A..., demeurant Château les Fougères, 33650 La Brède,
défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 mai 2002, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Sémériva, conseiller référendaire rapporteur, M. Métivet, conseiller, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Sémériva, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des sociétés Pernod, Pernod Ricard Japan et de la Société des produits d'Armagnac, de Me de Nervo, avocat de la société Vins et domaines H. de A..., de Mme X... et de M. de Secondat de A..., et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué
(Paris, 17 septembre 1999), que la Société des produits d'Armagnac (la société SPA), filiale du groupe Pernod-Ricard, et titulaire de la marque nationale et internationale "Marquis de B..." enregistrée sous le n° 1 587 806 en classes 32 et 33, a assigné, d'une part, la société Vins et domaines H. de A... (la société VDHM) en contrefaçon de cette marque, pour avoir déposé la marque semi-figurative n° 93 469 950 "Henry de Secondat A..." et la marque semi-figurative n° 93 469 951 "Henry, baron de A...", et, d'autre part, Mme X..., pour avoir déposé la marque dénominative "Vins et domaines Z... de Secondat, baron de A...", enregistrée sous le numéro 93 453 223 et cédée par la suite à la société VDHM ; que les sociétés Pernod SA et Pernod Ricard Japan se sont jointes à cette action pour réclamer, sur le fondement de la concurrence déloyale, la réparation du préjudice résultant selon elles de l'exploitation des marques litigieuses au Japon ;
Sur le premier moyen
, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société SPA et les sociétés Pernod font grief à
l'arrêt attaqué, d'avoir rejeté leur demande tendant à voir préciser expressément que les marques litigieuses doivent être annulées, en ce qu'elles comprennent la figuration d'un château et que l'interdiction porte également sur la représentation d'un château sur les marques déposées et les étiquettes employées par la VDHM, par Corinne X... et par Henri de A..., alors, selon le moyen :
1 ) qu'elles ne sollicitaient pas l'infirmation du jugement déféré, du chef de l'interdiction de la représentation d'un château sur les étiquettes litigieuses, le tribunal ayant fait droit à cette demande, mais simplement, que la cour d'appel précise le dispositif du jugement et confirme sur ce point en prononçant expressément cette interdiction ;
qu'ainsi l'arrêt a dénaturé les termes du litige et violé l'article
4 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que les omissions matérielles qui affectent un jugement peuvent toujours être réparées par la juridiction à laquelle il est déféré, nonobstant l'étendue de l'effet dévolutif résultant de l'acte d'appel ;
qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article
462 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) qu'à supposer que la demande litigieuse relève d'une interprétation du jugement, l'appel, limité ou non, dessaisit en tout état de cause le tribunal du pouvoir d'interpréter sa décision, et il appartient par conséquent, nonobstant l'étendue de l'effet dévolutif, à la cour d'appel de procéder à cette interprétation en lieu et place du premier juge ; qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article
461 du nouveau Code de procédure civile ;
4 ) que la demande en annulation, à raison de la représentation d'un château, de la marque M. de A... déposée en 1996, après qu'eut été rendu le jugement déféré, constituait une demande nouvelle-née de la survenance d'un fait nouveau, et partant recevable devant la cour d'appel nonobstant les mentions de l'acte d'appel ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a donc violé les articles
562 et
564 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu
, d'une part, qu'ayant constaté que, selon les déclarations d'appel respectives, la SPA avait borné ses critiques aux chefs de jugement rejetant ses actions en contrefaçon, en paiement de dommages-intérêts et en interdiction sous astreinte d'utiliser les marques et étiquettes en cause, ainsi que le nom "A..." pour désigner des produits des classes 32 et 33, et que les sociétés Pernod faisaient seulement grief à ce jugement de les avoir déclarées irrecevables en leur action en concurrence déloyale ; que ces recours ne tendant pas à la réformation du jugement quant au rejet de leur action initiale en interdiction de représentation d'un château sur les étiquettes litigieuses, la cour d'appel, devant laquelle aucune demande de rectification ou d'interprétation n'avait été formée, a pu, appréciant l'étendue de sa saisine au regard de ces déclarations d'appel, déclarer la demande irrecevable ;
Attendu, d'autre part, que quoiqu'ayant déclaré recevable la demande nouvelle portant sur une autre marque, révélée après le jugement, la cour d'appel, qui n'était saisie que d'une action en contrefaçon de la marque "marquis de B...", n'était pas tenue de répondre au moyen inopérant tiré de ce que le motif de château figurant à la marque ainsi révélée, imiterait cette marque nominative ;
Que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen
:
Attendu que les sociétés SPA Pernod, et Pernod Ricard Japan font grief à
l'arrêt attaqué de les avoir déboutées de leur action en contrefaçon de la marque "marquis de B..." et de les avoir en conséquence déboutées de leurs demande en annulation des marques déposées par les intimées et en paiement de dommages-intérêts pour atteinte à cette marque, alors, selon le moyen :
1 ) qu'en se fondant, pour écarter la reproduction de la marque "marquis de B..." constituée par l'adjonction d'un titre au nom de B..., sur la circonstance que les marques litigieuses, qui portent sur des produits identiques, comportent l'adjonction d'un titre ou d'un prénom au nom de A..., constatation dont il résulte, au contraire, que l'architecture et la substance de la marque ne sont en rien modifiées, mais au contraire reproduites, et que l'élément distinctif reproduit de façon quasi servile n'a pas perdu son individualité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations au regard des articles
L. 713-2 et
L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
2 ) que la contrefaçon est caractérisée par une simple imitation, supposant un risque de confusion entre les deux marques ;
qu'en statuant de la sorte, motif pris de l'absence de confusion intellectuelle possible entre les personnages évoqués par chacune des marques, circonstance qui n'est pas de nature à exclure le risque de confusion entre les marques elles-mêmes, à savoir le risque de faire un lien, ne serait-ce qu'inconscient, entre la marque imitante et la marque authentique, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard des article
L. 713-2 et
L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
3 ) que le risque de confusion doit être apprécié au regard des ressemblances entre les deux marques ; qu'en statuant de la sorte au regard des seules différences, qui plus est entre les personnages évoqués par les deux marques, sans rechercher si la ressemblance, tant phonétique que d'écriture, entre les deux noms de B... et de A... n'est pas, à elle seule, source de confusion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles
L. 713-2 et
L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu
, qu'ayant souverainement retenu que les noms de B... et de A..., qui étaient les éléments à eux seuls distinctifs des marques, ne pouvaient être confondus en raison de leur pouvoir évocateur propre, et ainsi constaté tout à la fois la dissemblance entre ces signes et l'absence de risque de confusion entre les marques en litige, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen
:
Attendu que les sociétés Pernod et Pernod Ricard Japan font grief à
l'arrêt attaqué, d'avoir rejeté leur action en dommages-intérêts pour concurrence déloyale, alors, selon le moyen :
1 ) qu'en statuant de la sorte, motif pris de l'absence de confusion intellectuelle possible entre les personnages évoqués par chacune des marques, circonstance qui n'est pas de nature à exclure le risque de confusion entre les marques elles-mêmes, à savoir le risque de faire un lien, ne serait-ce qu'inconscient, entre la marque imitante et la marque authentique, circonstance qu'il lui appartenait d'examiner au regard de l'ensemble des ressemblances visuelles et phonétiques entre les marques, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard de l'article
1382 du Code civil ;
2 ) qu'en écartant le risque de confusion au regard du consommateur français, à propos de la contrefaçon, sans rechercher, dans le cadre de l'action en concurrence déloyale, si le risque de confusion ne subsistait pas en tout état de cause au Japon, où le personnage de A... n'a aucune notoriété, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article
1382 du Code civil ;
3 ) qu'en matière de concurrence déloyale un simple risque de détournement de clientèle résultant du risque de confusion suffit à caractériser le préjudice ; qu'en exigeant la démonstration, au moyen de documents, d'un détournement effectif de clientèle, la cour d'appel a violé l'article
1382 du Code civil ;
4 ) qu'à supposer même, que tout risque de confusion soit exclu, en ne recherchant pas si le comportement des défendeurs au Japon n'est pas, en tout état de cause, constitutif d'agissement parasitaire consistant dans la volonté de profiter de la renommée des sociétés Pernod et de leurs produits et de se placer dans leur sillage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article
1382 du Code civil ;
5 ) que le seul fait pour un commerçant de faire des économies en se plaçant dans le sillage de la renommée d'un autre commerçant, est constitutif du préjudice justifiant sa condamnation à dommages-intérêts sur le fondement de l'action en concurrence déloyale ;
qu'en se bornant à écarter la preuve d'un détournement de clientèle, ou d'un profit réalisé par les intimées au Japon, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article
1382 du Code civil ;
Mais attendu
que, retenant souverainement, qu'il n'est pas démontré que la société VDHM aurait eu un comportement fautif dans la commercialisation des vins sous l'une des marques, et qu'aucun élément ne démontre qu'elle aurait profité de la notoriété de la marque de son adversaire, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen, qui s'attaque en ses troisième et cinquième branches à des motifs surabondants, n'est pas fondé en ses trois autres branches ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne solidairement la société Pernod, la société Pernod Ricard Japan et la Société des produits d'Armagnac aux dépens ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, les condamne solidairement à payer aux défendeurs, pris solidairement, la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit juin deux mille deux.