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Tribunal administratif de Lille, 24 février 2023, 2301587

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal administratif de Lille
  • Numéro d'affaire :
    2301587
  • Type de recours : Excès de pouvoir
  • Dispositif : Rejet
  • Nature : Ordonnance
  • Commentaires :
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Résumé

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Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête, enregistrée le 20 février 2023, l'association " La Citadelle ", représentée par Me Pichon, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté préfectoral du 15 février 2023 portant interdiction de la tenue de la manifestation dénommée " Qu'ils retournent en Afrique " prévue le 24 février 2023 ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - elle a un intérêt à agir contre la décision attaquée ; cette décision préjudicie gravement à ses droits ; elle a engagé des frais importants pour la tenue de cette réunion qui ne pourra pas avoir lieu, alors que de nombreux participants ainsi que des intervenants extérieurs sont attendus ; elle est attentatoire à la liberté d'expression et à la liberté de réunion ; - la condition d'urgence est remplie ; en interdisant la réunion prévue le 24 février 2023, la décision porte atteinte à la liberté d'expression et de communication, à la liberté de manifester ou de se réunir et à la présomption d'innocence ; la réunion est prévue de longue date et de nombreux participants sont attendus ; - pour ces mêmes raisons, l'atteinte en question est grave ; - la décision attaquée est manifestement illégale ; l'évènement qu'elle souhaite organiser n'est ni une provocation à la haine, ni une incitation à la discrimination ; le fait que l'évènement soit organisé en soutien au député Grégoire de Fournas qui a été sanctionné par l'Assemblée nationale pour avoir tenu les propos suivants " qu'ils retournent en Afrique " ne peut caractériser en soi une provocation à la haine ; l'Assemblée nationale n'a en outre sanctionné le député en cause qu'au motif que ces propos ont provoqué une scène tumultueuse ; le fait que l'évènement interdit par le préfet B s'intitule " Qu'ils retournent en Afrique " ne caractérise pas une démarche raciste ; les propos visent les migrants irréguliers et non l'ensemble des étrangers susceptibles de rentrer sur le territoire ; il ne s'agit que de l'expression d'une opinion hostile à l'immigration et non une incitation à la haine raciale ; le préfet B retient à tort dans son arrêté que les visuels de communication visent les personnes provenant d'Afrique, alors qu'ils visent les migrants clandestins venus d'Afrique ; la circonstance que le préfet B ait signalé ces faits, le 10 février 2023, au procureur de la République près du tribunal judiciaire de Lille et qu'une enquête ait été ouverte pour provocation à la haine ou à la violence en raison de l'origine, de l'ethnie ou de la race ne peut suffire à justifier d'interdire la manifestation en cause sans méconnaître le principe de présomption d'innocence ; le préfet B ne peut davantage se fonder sur le fait que le président de l'association ait été membre de l'association " Génération identitaire " qui a été dissoute au cours de l'année 2021 pour en déduire qu'elle se rend elle-même responsable d'incitation à la haine raciale ; la décision du préfet B est entachée d'un détournement de pouvoir ; l'arrêté en cause se fonde sur la décision de la maire de Lille ordonnant la fermeture administrative de l'officine " bar La Citadelle " le 14 février 2023 ; la décision de la maire de Lille de fermer ce local était un moyen d'empêcher le fonctionnement de l'association et de combattre ses idées ; enfin il n'est pas établi que l'évènement en cause serait susceptible de créer un trouble à l'ordre public ; l'évènement organisé par l'association a eu initialement une faible ampleur ; c'est au contraire son interdiction et la fermeture du local qui ont provoqué d'importantes réactions dans les médias ; concernant les risques d'affrontements avec les groupes antifascistes, ils doivent être suffisamment importants et avérés pour que les simples mesures de maintien de l'ordre ne puissent suffire à maintenir l'ordre public ; le préfet B ne justifie pas du nombre de personnes susceptibles de venir troubler cette manifestation. Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2023, le préfet B conclut au rejet de la requête. Il soutient que : - la condition d'urgence n'est pas remplie ; l'association requérante se borne à alléguer qu'elle a engagé des frais importants pour organiser cet évènement ; rien ne démontre que l'évènement en cause ne pourrait pas être reporté ; ce type de rencontre a lieu régulièrement tous les vendredis à 19 heures ; - l'association requérante n'apporte aucun élément démontrant qu'il aurait commis un détournement de pouvoir ; - la manifestation en cause est de nature à porter atteinte à la dignité de la personne humaine ; l'objet de la manifestation présente des risques sérieux d'incitation à la haine et à la discrimination en raison de l'origine de l'ethnie ou de la religion ; il s'agit d'un délit pénalement répréhensible ; le thème de la manifestation " Qu'ils retournent en Afrique " est explicite et désigne les migrants venant d'Afrique et vise ainsi un groupe déterminé les invitant à rentrer dans leur pays d'origine ; le visuel de la manifestation est volontairement provocateur ; l'activité de l'association et les antécédents de son président qui était un leader de " Génération identitaire " dans le département B ne laissent que peu d'ambiguïté sur l'intention d'encourager la haine et la discrimination à l'égard des migrants en provenance d'Afrique ; l'arrêté en cause tend à prévenir la commission de l'infraction et de l'atteinte à la dignité humaine ; le risque de troubles à l'ordre public est certain, la mobilisation notamment des groupes d'extrêmes gauches et des groupuscules antifascistes étant importante contre cet évènement porté par l'association requérante. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ; - le code de la sécurité intérieure ; - le code de justice administrative. Le président du tribunal a désigné M. Lassaux, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé. Au cours de l'audience publique du 22 février 2023 à 14h30 à l'issue de laquelle l'instruction est close, M. C a lu son rapport et entendu : - les observations de Me Pichon, représentant l'association La Citadelle, en la présence de M. D E, qui conclut aux fins et par les mêmes moyens que la requête ; il soutient également que seuls les membres de l'association ont le droit d'accéder au bar ; l'association compte 400 membres à jour de leur cotisation et 1 300 membres qui ont pu payer leur cotisation par le passé ; il soutient que le local sis rue des arts à Lille ne peut contenir qu'une quarantaine de personnes en même temps ne faisant qu'environ 38 m² ; le président de l'association requérante précise que si la réunion de soutien du 24 février 2023 ne peut pas se tenir dans son local situé 8 rue des Arts à Lille, il n'entend pas l'organiser sur la voie publique, ni dans tout autre lieu ; il n'est d'ailleurs pas en mesure de trouver un autre local pour l'organiser ; - les observations de M. A, directeur de cabinet, représentant le préfet B qui reprend ses écritures en défense ; il soutient que le préfet B a décidé, tenant compte de la fermeture du bar " La Citadelle " ordonnée par la maire de Lille le 14 février 2023, d'interdire toute manifestation qui aurait lieu sur la voie publique ; il soutient également qu'alors même que l'association " La Citadelle " obtiendrait du juge des référés la suspension de l'exécution de la fermeture administrative de son bar " La Citadelle ", le grand nombre de participants attendus ne pourrait pas tenir simultanément dans ce local de 38 m² ce qui induirait un rassemblement à l'extérieur ; la mesure d'interdiction de la manifestation sur la voie publique demeure donc justifiée, y compris dans l'hypothèse où le local serait de nouveau accessible à la faveur d'une décision favorable du juge des référés ; le risque d'affrontement avec les groupes d'extrême-gauche et les groupes antifascistes est avéré ; un nombre important de participants à une contre-manifestation est à prévoir ; en 2016, les antifascistes avaient attiré 600 personnes.

Considérant ce qui suit

: 1. L'association " La Citadelle " a décidé d'organiser, le 24 février 2023 de 19 heures à minuit, une réunion de soutien au député Grégoire de Fournas intitulé " Qu'ils retournent en Afrique ". Par un arrêté du 14 février 2023, la maire de Lille a ordonné la fermeture de l'officine désignée " le bar La Citadelle ", située 8 rue des Arts à Lille. Le préfet B craignant l'organisation d'une manifestation sur la voie publique, a décidé, sur le fondement des articles L.2215-1 du code général des collectivités territoriales et L.211-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, le 15 février 2023, d'interdire l'organisation, le 24 février 2023, de la manifestation, l'association " La Citadelle " demande au juge des référés sur le fondement de l'article L.521-2 du code de justice administrative la suspension de l'arrêté du préfet B en date du 15 février 2023 en ce qu'il a interdit l'organisation de la manifestation de soutien au député Grégoire de Fournas. Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". 3. La liberté d'expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dont découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Son exercice, notamment par la liberté de manifester ou de se réunir, est une condition de la démocratie. Il doit toutefois être concilié avec le maintien de l'ordre public et il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police d'apprécier le risque de troubles à l'ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles dont, le cas échéant, l'interdiction de la manifestation si une telle mesure est seule de nature à préserver l'ordre public. 4. Il résulte des écritures de l'association requérante qu'elle attend un nombre important de participants à la réunion de soutien du député Grégoire de Fournas prévue le 24 février 2023 dans son local située 8 rue des Arts à Lille. Il résulte des déclarations du président de l'association que celle-ci compte 400 membres ayant payé leur cotisation et plus de 1 300 personnes ayant adhéré par le passé. Par ailleurs, la communication autour de cet évènement qui a été faite initialement au moyen de réseaux sociaux a eu un écho retentissant dans les médias locaux mais également nationaux, M. Verhassel, président de l'association, s'étant notamment rendu dans l'émission de télévision " Touche pas à mon poste " du 15 février 2023 pour présenter son projet de soutien au député Grégoire de Fournas et dénoncer la décision prise par la maire de Lille tendant à fermer le bar " La Citadelle ". Il résulte de l'instruction que la programmation de la réunion prévue le 24 février 2023 a immédiatement entraîné une réaction du groupuscule d'ultra-gauche " Lille Antifa " prévoyant une forte mobilisation pour empêcher la tenue de cet évènement et de groupes de la mouvance antifasciste tels que " GTA NP2C " qui ont appelé à un rassemblement contre l'association " La Citadelle ", le 24 février 2023 à 19 heures. Cet appel à se rassembler, paru sur une page d'un réseau social, a été commenté, selon l'extrait produit le préfet B, par 132 personnes. Parallèlement la fédération des jeunes communistes B, la ligue des droits de l'homme et la SFA CGT ont adressé au préfet B, le 21 février 2023, une déclaration préalable afin d'organiser un rassemblement statique contre l'association " La Citadelle " une nouvelle fois le 24 février 2023 à 19 heures sur la Grand'place de Lille, non loin du local de " La Citadelle ". Le préfet B produit, par ailleurs, plusieurs notes blanches dans lesquelles sont relatées les précédentes mobilisations des groupuscules antifascistes et d'extrême gauche dirigées contre l'association requérante. Il y est décrit que se sont rassemblées, le 24 septembre 2016 et le 19 novembre 2016, 600 personnes dont 350 personnes de la mouvance " anarcho-libertaires ". En 2018 et 2019, il est rappelé que respectivement 260 et 150 militants d'extrême gauche s'étaient rassemblés contre l'association " La Citadelle ". Les notes blanches ainsi produites soulignent la volonté affichée des groupuscules antifascistes d'en découdre avec les membres de l'association " La Citadelle ". Le préfet B précise, d'ailleurs et sans être sérieusement contesté, que le 3septembre 2020, le local de l'association " La Citadelle " avait fait l'objet de dégradations et qu'à cette occasion, son président avait appelé à s'en prendre aux militants antifascistes qu'il tenait pour responsables de ces actes de vandalisme. Le grand nombre de personnes devant participer à cet évènement rend inévitable un rassemblement très important de membres de l'association et de personnes invitées à cette soirée aux alentours de ce local, situé rue des Arts à Lille, trop exigu pour contenir une forte affluence. Dans ces conditions et eu égard au retentissement médiatique de cette affaire, le risque d'affrontement en plein centre-ville de Lille, entre de nombreux représentants des groupuscules d'extrême gauche et antifascistes, d'une part, et les personnes soutenant l'évènement organisé par l'association requérante, d'autre part, est très sérieux. En interdisant ainsi tout rassemblement sur la voie publique en soutien à cet évènement, le préfet B est davantage en mesure de contenir les troubles à l'ordre public que pourrait induire la tenue cette réunion. Par suite, le préfet B en décidant d'interdire toute manifestation dénommée " Qu'ils retournent en Afrique " sur la voie publique et donc, comme il vient d'être dit, tout rassemblement en soutien à cet évènement sur la voie publique a pris une mesure nécessaire, proportionnée et adaptée au regard du risque avéré de troubles à l'ordre public qui existe. Dès lors que la mesure attaquée est ainsi justifiée par ce seul motif qui vient d'être rappelé, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir, par les différents moyens qu'elles soulèvent dans sa requête, que l'arrêté préfectoral du 15 février 2023 serait de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales dont elle se prévaut telles que notamment la liberté de réunion et la liberté de manifestation. 5. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l'arrêté susvisé du 15 février 2023 du préfet B doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence. 6. Par suite, les conclusions de la requérante tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées, l'Etat n'étant pas la partie perdante.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de l'association La Citadelle est rejetée. Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association La Citadelle et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet B. Fait à Lille, le 24 février 2023. Le juge des référés, Signé P. C La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. Pour expédition conforme, Le greffier. N°2301587

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