Tribunal de Grande Instance de Paris, 30 septembre 2009, 2007/15870

Mots clés protection du modèle · protection au titre du droit d'auteur · originalité · elément indifférent · matière · banalité · concurrence déloyale · relations d'affaires · changement de fournisseur · préjudice · masse contrefaisante

Synthèse

Juridiction : Tribunal de Grande Instance de Paris
Numéro affaire : 2007/15870
Domaine de propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
Marques : 1 ET 1 FONT 3 ; SWILDENS
Parties : 1 ET 1 FONT 3 SARL ; S (Juliette) / HPP SARL ; GDL SARL

Texte

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 30 Septembre 2009

3 ème chambre 3 ème section N° RG 07/15870

DEMANDERESSES S.A.R.L. 1 ET 1 FONT 3 [...] 75006 PARIS

Madame Juliette S représentées par Me Maxime VIGNAUD, du Cabinet RENAULT THOMINETTE V, avocat au barreau de Paris vestiaire P.248

DÉFENDERESSES S.A.R.L. HPP [...] 75011 PARIS représentée par Me Cédric FISCHER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0147

S.A.R.L. GDL [...] 75011 PARIS représentée par Me Steve CYGLER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire KO 172

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lors des débats Elisabeth B, Vice-Président, signataire de la décision Agnès T, Vice-Président, Florence GOUACHE, Juge

Lors du prononcé Agnès T, Vice-Président, signataire de la décision Anne CHAPLY, Juge Mélanie BESSAUD, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision

DEBATS

A l'audience du 02 Juin 2009 tenue en audience publique

JUGEMENT Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort La société "1 ET 1 FONT 3" est une société dont l'activité est la fabrication et la commercialisation d'articles de prêt-à-porter et d'accessoires sous les marques "1 et 1 font 3" et "Swildens".

Mme Juliette S indique qu'elle a créé en 2006 un modèle original de gilet en lapin, et en a concédé l'exploitation à la société " 1 ET 1 FONT 3", qui l'a commercialisé sous la marque "Swildens".

La société "1 ET 1 FONT 3" commercialise ce modèle de gilet sous la marque "Swildens" et sous la référence "2 H7 Xoum", ainsi que ce modèle figure dans son catalogue ("look book") Automne/Hiver 2007 édité en avril 2007.

Le modèle de gilet "2 H7 Xoum" a été publié dans la presse et notamment dans des articles parus dans le magazine "ELLE" n°3221 du 24 septembre 2007, le magazine "Madame F" n°1208 du 20 octobre 2007 et le magazine "Marie-France" n° 154 de décembre 2007.

Le modèle de gilet "2 H7 Xoum" est actuellement commercialisé par la société "1 ET 1 FONT 3" sous la marque "Swildens" au prix public de 320 euros TTC.

Lors du salon Who' s next, qui s'est tenu du 1 er au 4 février 2007 à Paris, la société "1 ET 1 FONT 3" a proposé aux professionnels une gamme de vêtements sous la marque " Swildens", parmi lesquels le gilet "2 H7 Xoum".

Le 2 février 2007, la société HPP, dont le nom commercial est "ET VOUS" a commandé auprès de la société "1 ET 1 FONT 3" vingt exemplaires du gilet "2 H7 Xoum».

Cette commande de vingt exemplaires du gilet "2 H7 Xoum" a été confirmée puis livrée à la société HPP le 18 juillet 2007.

La société HPP est une société à responsabilité limitée au capital social de 10.000 €, immatriculée au RCS de Paris sous le n°43 4 553 426, dont l'établissement principal est situé II [...].

Les produits commercialisés sous la marque "ET VOUS" sont notamment distribués par sept boutiques situées à Paris.

Autorisées par le Président du tribunal de grande instance de Paris, la société "1 et 1 font 3" et Mme Juliette S ont fait établir une saisie contrefaçon dans la boutique à l'enseigne "ET VOUS" située [...] au siège de la défenderesse.

A cette occasion il est apparu que les gilets argués de contrefaçon avaient été fabriqués par la société GDL, dont le nom commercial est PHOEBUS.

Estimant que la société HPP commercialisait des vêtements, fabriqués par la société GDL, constituant la contrefaçon des droits d'auteur dont Mme S et la société 1 et 1 font 3 se prétendent titulaires, ces dernières par acte d'huissier de justice en date du 20 novembre 2007 ont fait assigner la société HPP et la société GLD devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon. Par dernières conclusions signifiées le 13 mai 2008, la société "1 et 1 font 3" et Mme Juliette S ont principalement demandé au tribunal de :

Dire que les gilets fabriqués et distribués par les défenderesses, objets de l'ordonnance de saisie-contrefaçon du 26 octobre 2007 et des saisie-contrefaçons du 26 octobre 2007, correspondent au modèle original de gilet "2 H7 Xoum" créé par Mme Juliette S et commercialisé par la société "1 ET 1 FONT 3" sous la marque SWILDENS;

Dire qu'en reproduisant et en assurant la fabrication, distribution, promotion et diffusion des gilets contrefaisants en France sans autorisation préalable, notamment dans les points de vente à enseigne « ET VOUS» les défenderesses se sont rendues coupables de contrefaçon au sens des articles L. 121-1, L. 122-4 et L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, et d'actes distincts de parasitisme et de concurrence déloyale au préjudice de Madame Juliette S et de la société "1 ET 1 FONT 3";

En conséquence,

Interdire aux défenderesses de fabriquer, importer, commander, commercialiser, distribuer, diffuser, utiliser, offrir ou exploiter commercialement ou non, de quelque manière et à quelque titre ou fin que ce soit, directement ou indirectement, les gilets ayant illicitement reproduit le modèle original de gilet "H7 Xoum" créé par Madame Juliette S et commercialisé par la société" 1 ET 1 FONT 3" sous la marque SWILDENS ou tout gilet reproduisant les caractéristiques originales du gilet "1/2 H7 Xoum", sous astreinte de 1.500 euros par infraction constatée à compter du prononcé de la décision à intervenir;

Ordonner la destruction, devant huissier et sous astreinte, des gilets contrefaisants détenus en stock et aux frais les défenderesses;

Condamner in solidum les défenderesses à verser à la société " 1 ET 1 FONT 3" la somme 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour compenser le préjudice patrimonial subi au titre des actes de contrefaçon;

Condamner in solidum les défenderesses à verser à Madame Juliette S la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour compenser le préjudice moral subi au titre des actes de contrefaçon;

Condamner in solidum les défenderesses à verser à la société "1 ET 1 FONT 3" la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour compenser le préjudice que cette dernière a subi du fait des actes distincts de parasitisme et de concurrence déloyale qu'elles ont commis à son encontre;

Ordonner, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du l0ème jour suivant le prononcé de la décision à intervenir, la publication judiciaire de la décision à intervenir, sur la page d'accueil de chacun des sites Internet des défenderesses (notamment www.etvous.fr),pour une durée de six (6) mois, ainsi que dans trois (3) revues ou magazines au choix des demanderesses et aux frais des défenderesses (in solidum) dans la limite d'une somme de 30.000 euros;

En toute hypothèse,

Condamner la société HPP à verser à la société "1 ET 1 FONT 3" la somme de 2.329,60 euros au titre de la facture impayée n°805 du 18 juillet 2007 sous astreinte de 100 euros par jour de à compter du prononcé de la décision à intervenir;

Dire et juger que le Président du Tribunal de grande instance de Paris, saisi en la forme des référés, sera compétent pour la liquidation des astreintes ordonnées;

Condamner in solidum les défenderesses à verser à chacune des demanderesses la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamner in solidum les défenderesses aux entiers dépens;

Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en tous ses chefs.

Les demanderesses soutiennent que leur modèle créé par Mme S est original et qu'il y a eu contrefaçon des droits d'auteur de Mme S. Il y a atteinte à l'image de marque de la société 1 ET 1 FONT TROIS et atteinte aux droits moraux d'auteur de Mme S; II y a des actes de concurrence déloyale parasitaire du fait de la reprise des mêmes coloris et des mêmes matières.

Par dernières conclusions signifiées le 4 juin 2008, la société HPP demande principalement au tribunal de :

Débouter la société « 1 ET 1 FONT 3 » de l'ensemble de ses demandes;

Dire et juger que le gilet sans manche commercialisé par la société « 1 ET 1 FONT 3 » sous la référence « 2 H7 XOUM» n'est ni nouveau, ni original et ne possède aucun caractère propre susceptible de bénéficier de la protection instituée par l'article L 511-4 du Code de la Propriété Industrielle.

Dire et juger que la Société HPP n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale.

Débouter la société « 1 ET 1 FONT 3 » ainsi que Madame Juliette S de toutes leurs demandes fins et conclusions.

Condamner in solidum la société "1 ET 1 FONT 3" ainsi que Madame Juliette S à payer à la société HPP la somme de 5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi que les entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP FISCHER, TANDEAU DE MARSAC, SUR et associés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

La société défenderesse soutient qu'aucune contrefaçon ne peut être retenue dès lors que le modèle opposé n'est pas protégé. Elle fait de longs développements sur les critères de nouveauté et sur le caractère propre nécessaire pour protéger un modèle en application de l'article L511 -2 du code de propriété intellectuelle. Elle soutient que le modèle n'est ni nouveau ni original et qu'il n'a pas de caractère propre et que l'originalité de ce modèle réside principalement dans sa doublure semée d'étoiles qui n'est pas reprise dans le modèle argué de contrefaçon.

La société GDL a signifié des conclusions le 8 avril 2008 concluant au débouté et demandant la condamnation des demanderesses à lui payer la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 octobre 2008.

La société GDL a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 18 novembre 2008.

Compte tenu de ce fait nouveau intervenu depuis la clôture, par ordonnance du 10 mars 2009, le juge de la mise en état a révoqué l'ordonnance de clôture afin de permettre une régularisation de la procédure à l'encontre de Maître G, mandataire judiciaire liquidateur de la société GDL.

La société "1 et 1 font 3" et Mme S n'ont pas régularisé d'écritures à l'encontre de Maître G, mais par conclusions en date du 26 mars 2009, elles se sont désistées de leur instance introduite à l'encontre de la société GDL.

Une nouvelle ordonnance de clôture a été prononcée par le juge de la mise en état le 31 mars 2009.


MOTIFS

Sur le désistement d'instance à rencontre de la société GDL

II résulte d'un extrait K BIS du registre du commerce de Paris que la société GDL a été placée en liquidation judiciaire.

Il convient en conséquence de faire application des dispositions de l'article 1622–21 du code de commerce, qui dispose que :"le jugement d'ouverture interrompu interdit toute action en justice de lapait de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L622-17 et tendant 1 ° à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent (...) et de l'article L622-22 selon lequel : "sous réserve des dispositions de l'article L625-3 les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L626-5 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leurs montant."

Dès lors, la créance n'ayant pas été déclarée, ni le liquidateur mis dans la cause, les demandes formées contre la société GLD sont réputées abandonnées et il y lieu de donner acte aux demanderesses de leur désistement d'instance en ce qui la concerne ; Sur l'originalité du modèle opposé

L'article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que "l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous".

Une oeuvre de l'esprit n'est protégée qu'autant qu'elle est originale c'est-à-dire qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Selon les demandeurs, l'originalité de ce modèle de gilet réside essentiellement, "outre la coupe, dans la combinaison de la couleur, la matière, de la fermeture qui ne présente qu'une seule et unique attache sous forme de crochet au niveau du col".

Il est constant que seule la forme du modèle peut être protégée au titre du droit d'auteur et non la matière.

Le tribunal constate qu'il s'agit d'une veste sans manche ayant une coupe droite. Forme en elle-même d’une grande banalité.

Par ailleurs, le tribunal relève que le système d'attache par crochet unique est tout à fait habituel pour les vêtements en fourrure.

La combinaison de ces caractéristiques est insuffisante à conférer audit gilet un caractère protégeable.

En outre, c'est ajuste titre que les défendeurs font valoir que les gilets sans manche en fourrure ont de tout temps existé, que ce type de gilet a notamment été porté en 1962 par le fondateur du groupe "THE ROLLING S" Brian J, que l'on retrouve des modèles de ce type dans le magasine ELLE publié le 1 er septembre 1969.

Certes le modèle des demanderesses a fait l'objet de publication dans la presse, mais le tribunal relève que l'accent a été mis sur sa doublure "imprimé d'étoiles" qui lui confère un caractère original.

Dès lors, les éléments invoqués par les demanderesses, tant pris isolément qu'en combinaison ne sont pas susceptibles de bénéficier de la protection du droit d'auteur.

Sur la contrefaçon

Le modèle revendiqué par les demanderesses n'étant pas protégé par le droit d'auteur, elles ne sauraient se plaindre d'une quelconque contrefaçon de leurs droits.

Sur la concurrence déloyale

La société 1 et 1 font 3 reproche à la société HPP d'avoir voulu se placer dans le sillage de sa notoriété dans le domaine de la mode en reprenant à l'identique le modèle dont s'agit, élément caractéristique de ses collections, alors même qu'elle lui en avait, dans un premier temps passé commande, afin de tester sa commercialité.

Les éléments versés aux débats par la société demanderesse démontrent que c'est après lui avoir commandé des exemplaires du gilet litigieux que finalement la société défenderesse s'est approvisionnée chez un autre fournisseur en réassortiment d'un modèle semblable qu'elle a diffusé sous sa griffe "ET VOUS".

La société HPP soutient qu'elle n'a agi de la sorte que parce qu'elle y a été contrainte car la société 1 et 1 font 3, contactée en août 2007 a refusé la demande de réassortiment qu'elle lui avait présentée.

Ces faits sont contestés par la société 1 et 1 font 3 et la société HPP n'établit ses dires que par la production d'une attestation émanant d'une de ses salariées.

Le tribunal considère que cette attestation est insuffisante à elle seule à établir les dires de la société HPP.

Dès lors, celle-ci ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait été contrainte à faire fabriquer par un tiers le gilet litigieux faute de réassortiment accordé par la société demanderesse.

En conséquence, une faute étant caractérisée, la société HPP a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société "1 et 1 font 3".

Sur les mesures réparatrices

Les demanderesses ont fait procéder le 29 octobre 2007 à une saisie contrefaçon dans les locaux de la société HPP.

Il en ressort que l'étendue de la masse contrefaisante est la suivante: 50 gilets litigieux ont été fabriqués à la demande de la société HPP par la société GDL.

Compte-tenu de ces éléments, le tribunal est en mesure de fixer à la somme de 2000 Euros le montant de la réparation du préjudice subi par la société "1 et 1 font 3" du fait des actes de concurrence déloyale à son détriment.

Le dommage étant suffisamment réparé par l'octroi des dommages-intérêts il ne sera pas fait droit à la demande de publication.

Sur l'exécution provisoire

Il est nécessaire en l'espèce et compatible avec la nature de l'affaire d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

II parait inéquitable de laisser à la charge de la société "1 et 1 font 3" les frais irrépétibles et non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer à ce titre une indemnité de 3500 Euros. Sur les dépens

Il y a lieu de condamner la société HPP, partie perdante, aux dépens.

PAR CES MOTIFS



Le tribunal, statuant contradictoirement, en premier ressort et par jugement mise à disposition au greffe ;

Donne acte aux demanderesses de leur désistement d'instance à l'encontre de la société GDL placée en liquidation judiciaire,

et laisse les dépens de l'instance opposant les demanderesses à la société GDL à la charge des demanderesses,

Dit que le gilet référencé "2 H7 XOUM" n'est pas protégé par le droit d'auteur,

Déboute les demanderesses de leurs demandes en contrefaçon,

Dit que la société HPP et en offrant à la vente des gilets en fourrures sans manche, similaires aux gilets "2 H7 XOUM" commercialisés par la société "1 et 1 font 3", alors qu'elle s'était précédemment fournie auprès de la société 1 et 1 font 3, a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de cette dernière;

Condamne la société HPP à payer à la société 1 et 1 font 3 à titre de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale la somme de 2000 Euros,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Ordonne l'exécution provisoire de la décision ;

Condamne la société HPP à verser à la société 1 et 1 font 3 la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société HPP aux entiers dépens.