PREMIÈRE SECTION
DÉCISION
PARTIELLE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 74989/01
présentée par OURANIO TOXO et autres
contre la Grèce
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant le 5 décembre 2002 en une chambre composée de
Mme F. Tulkens, présidente,
MM. C.L. Rozakis,
P. Lorenzen,
Mmes N. Vajić,
S. Botoucharova,
MM. A. Kovler,
V. Zagrebelsky, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 11 mars 2001,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, sont le parti politique Ouranio Toxo et M. Pavlos Voskopoulos et M. Petros Vasiliadis, deux ressortissants grecs, nés respectivement en 1964 et 1960 et résidant à Florina. Ils sont représentés devant la Cour par Me I. Kourtovik, avocate à Athènes.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.
Le parti politique Ouranio Toxo existe depuis 1994 et prend part aux élections régulièrement depuis cette date. Un des buts déclarés de ce parti est la défense de la minorité macédonienne qui habite en Grèce. Les deux autres requérants sont membres du secrétariat politique du parti.
En septembre 1995, le parti installa les bureaux du parti dans la ville de Florina, dans des locaux qu'il loua. Les requérants accrochèrent au balcon du bureau un panneau avec le nom du parti dans les deux langues employées dans la région, à savoir le grec et le macédonien.
Selon les requérants, l'ouverture du bureau et l'accrochage du panneau déclenchèrent une vague de violence de la part des habitants de la ville, sans que la police assume ses responsabilités pour les protéger contre les attaques de tout type dont ils ont fait l'objet.
En particulier, les requérants affirment que l'inauguration du bureau eut lieu au début du mois de septembre. Le 12 septembre 1995, les prêtres de l'église de Florina émirent une déclaration, publiée dans la presse locale, dans laquelle les requérants étaient qualifiés « d'amis de Skopje », animés par des « sentiments anti-helléniques et de traîtrise ». La déclaration ajoutait : « nous appellerons le peuple à une manifestation de protestation contre les ennemis de la Grèce qui accrochent arbitrairement des panneaux avec des inscriptions anti-helléniques et nous exigerons leur déportation ».
Le 13 septembre 1995, le conseil municipal de Florina se serait réuni de manière informelle et par une décision, publiée dans la presse locale, il fut décider d'organiser une protestation contre les requérants. Le même jour, des policiers décrochèrent le panneau du parti sans donner d'explication. Les requérants accrochèrent alors un nouveau panneau. Selon les requérants, le soir du même jour des groupes d'hommes se rassemblèrent devant le bureau du parti, parmi lesquels les requérants auraient reconnu le maire, le maire adjoint et certains conseillers municipaux, et se mirent à menacer les requérants, qui se trouvaient dans le bureau, et crier des insultes telles « traîtres », « chiens », « mort aux chiens de Skopje », « vous allez mourir », « nous allons tout brûler » ; ils auraient aussi exigé que les requérants leur donnent le panneau.
Le 14 septembre 1995, vers 1h30, un groupe d'homme aurait attaqué le bureau et, après avoir cassé la porte, ils se seraient mis à frapper ceux qui se trouvaient à l'intérieur du bureau et auraient exigé qu'on leur donne le panneau, ce que les requérants firent. Vers 4h, un autre groupe pénétra dans le bureau, jeta par la fenêtre tout l'équipement et le mobilier de celui-ci et y mirent le feu. Pendant toute la durée de ces incidents, les requérants auraient à plusieurs reprises téléphoné à la station de police, mais les policiers leur auraient répondu qu'ils ne disposaient pas d'effectifs suffisants pour intervenir sur place. Les requérants soulignent qu'aucune poursuite ne fut engagée par le parquet contre ceux qui participèrent aux incidents. En revanche, des poursuites furent engagées contre quatre des membres du parti, dont les requérants. Ils furent accusés d'incitation de citoyens à la discorde, sur le fondement de l'article
192 du code pénal, car, d'après l'acte d'accusation, « ils auraient accroché au bureau du parti un panneau sur lequel était inscrit, entre autres, et dans un idiome slave, les mots « Lerinski Komitet », qui avaient semé la discorde parmi les habitants de la région (...) ». Les requérants furent renvoyés en jugement.
L'audience eut lieu le 15 septembre 1998 devant le tribunal correctionnel de Florina, composé d'un juge, qui acquitta les requérants (jugement no 979/1998). Le tribunal reconnut qu'il y avait eu groupement de foule devant le bureau du parti et passage à tabac d'un des requérants et constata qu'il y avait eu aussi des voies de fait qui avaient abouti à l'incendie du bureau.
Le 5 décembre 1995, quatre des membres du parti, dont les deux requérants, portèrent plainte contre les protagonistes de ces incidents pour les infractions suivantes : incitation de citoyens à la discorde (article
192 du code pénal), trouble de la paix publique (article
189 du même code), destruction de propriété (article 381), voies de fait (article 330), trouble de la paix du domicile (article 334), menace (article 333), insulte (article 361) et incendie criminelle (article 264).
Le 24 novembre 1999, la chambre d'accusation du tribunal correctionnel de Florina considéra qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves contre les personnes à l'encontre desquelles les requérants avaient porté plainte et décida de ne pas les poursuivre.
Les requérants interjetèrent appel contre cette décision, mais la chambre d'accusation de la cour d'appel de Macédoine de l'Ouest le rejeta le 4 avril 2000.
Les requérants se pourvurent en cassation contre cette décision, mais le juge rapporteur proposa l'arrêt des poursuites pour cause de prescription. En effet, le 13 septembre 2000, les infractions dont il s'agissait tombaient sous le coup de la prescription quinquennale.
B. Le droit interne pertinent
Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi :
« Trouble de la paix publique
Article 189
1. Celui qui participe à un attroupement, qui (...) commet des voies de fait contre des personnes ou des biens, ou envahit des maisons appartenant à autrui, des domiciles ou d'autres immeubles, est puni d'une peine d'emprisonnement jusqu'à deux ans.
2. Les instigateurs et ceux qui ont commis des voies de fait sont punis d'une peine d'emprisonnement de trois mois au moins.
3. Ces peines sont infligées si l'acte n'est pas puni plus sévèrement en vertu d'une autre disposition. »
Article 192
« Celui qui, publiquement et de quelque manière que ce soit, provoque ou incite les citoyens à commettre des voies de fait ou à semer la discorde entre eux, troublant ainsi la paix publique, est puni d'une peine d'emprisonnement jusqu'à deux ans, sauf si une autre disposition impose une peine plus sévère. »
GRIEFS
1. Invoquant l'article 5 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de ce qu'ils n'ont pas été protégés par la police lors des incidents.
2. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que la procédure ouverte suite à leur plainte n'a pas été jugée dans un délai raisonnable.
3. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que la procédure ouverte suite à leur plainte n'a pas été jugée par un tribunal impartial.
4. Invoquant l'article 8 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que les autorités auraient permis aux manifestants de pénétrer dans le bureau du parti et de le détruire.
5. Invoquant l'article 10 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que leur liberté d'expression a été obstruée par la fermeture de leur bureau, par les obstacles apportés à l'emploi de leur langue, par l'organisation d'incidents à leur encontre, par la participation du clergé et des autorités municipales aux incidents et par leur renvoi en jugement.
6. Invoquant l'article 11 de la Convention, les requérants se plaignent d'une atteinte à leur droit à la liberté d'association.
7. Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de la destruction de leur bureau et de l'impossibilité dans laquelle se sont trouvés d'obtenir une indemnité.
8. Invoquant l'article 14 de la Convention, les requérants se plaignent qu'ils ont fait l'objet d'un traitement discriminatoire fondé sur la langue et l'origine nationale.
EN DROIT
1. Les requérants allèguent un dépassement du délai raisonnable de la procédure, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Les requérants soutiennent que la longueur de la procédure relative à leur plainte fut excessive, car il fallut quatre ans avant qu'une première décision soit prise et finalement les infractions dénoncées furent prescrites.
En l'état actuel du dossier, la Cour ne s'estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l'article 54 § 2 b) de son règlement.
2. Les requérants allèguent une violation des articles 8 (droit au respect du domicile), 10 (droit à la liberté d'expression) et 11 (droit à la liberté d'association), pris isolément et combiné avec l'article 14 (interdiction de discrimination) de la Convention.
Plus précisément, ils se plaignent de ce que leur droit à la liberté d'association a été violé car ils ont été poursuivis pour avoir fondé un parti politique et les bureaux du parti saccagés sans que les autorités aient pris les mesures nécessaires pour empêcher les auteurs des voies de fait d'agir ou de les arrêter après celles-ci. Ils soutiennent que cette attitude de la part des autorités était due à l'origine nationale des requérants - de l'ex-République Yougoslave de Macédoine -, à leur langue et au fait qu'ils appartiennent à une minorité nationale en Grèce.
En l'état actuel du dossier, la Cour ne s'estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l'article 54 § 2 b) de son règlement.
3. Les requérants allèguent également la violation de l'article 6 § 1 (impartialité des tribunaux) de la Convention et 1 du Protocole no 1 (droit au respect des biens).
La Cour note que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes à l'égard de ces griefs relatifs aux articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1, car ils ne les ont pas invoqués dans leur plainte.
Il s'ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
4. Les requérants allèguent également une violation de l'article 5 § 1 de la Convention, car les autorités ont méconnu le droit des requérants à la sécurité en refusant de les protéger lors des attaques dont ils ont fait l'objet des auteurs des troubles.
La Cour rappelle que l'article 5 § 1 garantit le droit des individus de ne pas être arrêtés et détenus arbitrairement et non le droit d'assurer la sécurité des personnes faisant l'objet des voies de fait par des manifestants.
Il s'ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
Ajourne l'examen des griefs des requérants tirés des articles 6 § 1 (durée de la procédure) 8, 10, 11 et 14 de la Convention ;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Søren Nielsen Françoise Tulkens
Greffier adjoint Présidente