Cour de cassation, Chambre sociale, 9 mai 2019, 17-31.098

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2019-05-09
Cour d'appel de Nancy
2017-10-13

Texte intégral

SOC. LG COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 9 mai 2019 Cassation Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen faisant fonction de président Arrêt n° 691 F-D Pourvoi n° D 17-31.098 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

Statuant sur le pourvoi formé par

la société Monoprix exploitation, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Prisunic, et ayant un établissement [...] , contre l'arrêt rendu le 13 octobre 2017 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale 2), dans le litige l'opposant à M. A... L..., domicilié [...] , défendeur à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Vu la communication faite au procureur général ; LA COUR, en l'audience publique du 26 mars 2019, où étaient présents : Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Gilibert, conseiller rapporteur, M. Ricour, conseiller, Mme Lavigne, greffier de chambre ; Sur le rapport de Mme Gilibert, conseiller, les observations de la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat de la société Monoprix exploitation, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen

unique :

Vu

les articles L. 8223- 6-3° et L. 1221-1 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que, le 22 mai 2000, la société NBP, devenue "Aux fruits de la moisson", représentée par son gérant M. L..., a conclu un contrat de fourniture de produits de boulangerie pâtisserie avec la société Prisunic exploitation, aux droits de laquelle vient la société Monoprix exploitation ; que, le 20 juin 2012, M. L..., agissant en qualité de cogérant de la société, a résilié le contrat ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre d'un contrat de travail ; Attendu que pour rejeter l'exception d'incompétence, l'arrêt retient qu'il résulte des stipulations du contrat de fourniture ainsi que du guide des bonnes pratiques en boulangerie-pâtisserie établi par la société Monoprix exploitation que le donneur d'ordre imposait à titre permanent à M. L... des obligations précises dans la fabrication, la fourniture et la vente des produits de boulangerie et de pâtisserie à la clientèle du magasin de Lunéville et que ces contraintes étaient renforcées par un pouvoir de contrôle et de sanction du donneur d'ordre ;

Qu'en se déterminant ainsi

, par des motifs exclusivement tirés des clauses du contrat conclu entre la société "Aux fruits de la moisson"et la société Monoprix exploitation et du guide des bonnes pratiques établi par cette dernière, la cour d'appel, qui n'a pas recherché dans quelles conditions de fait M. L... exerçait une activité, a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS

: CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ; Condamne M. L... aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Monoprix exploitation IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Nancy en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour trancher le litige, d'AVOIR renvoyé pour compétence l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Nancy, d'AVOIR laissé à la charge de la société Monoprix Exploitation les frais irrépétibles par elle exposés à hauteur d'appel et d'AVOIR condamné la société Monoprix Exploitation aux dépens du contredit ; AUX MOTIFS QUE « selon l'article L. 8221-6 du code du travail, les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ouvrage par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription. L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci. Il est constant en l'espèce que M. L..., en qualité de gérant de l'EURL NBP, et la société Prisunic Exploitation, aux droits de laquelle intervient la société Monoprix Exploitation, ont passé le 22 mai 2000 un contrat nommé « contrat de fourniture » de produits de boulangerie et de pâtisserie. M. L..., qui a dénoncé ce contrat par courrier en date du 20 juin 2012 avec effet au 30 septembre 2012, soutient qu'il s'agissait d'un contrat de travail déguisé. Si l'EURL NBP a été radiée du registre du commerce et des sociétés de Reims le 9 mai 2011, M. L... ne conteste pas être resté co-gérant de la SARL « Aux Fruits de la Moisson », inscrite au registre du commerce et des sociétés de Reims, et avoir résilié le contrat susvisé par un courrier à en-tête de cette société. C'est donc à bon droit que la société Monoprix Exploitation invoque la présomption de non-salariat fondée sur l'article L. 8221-6 du code du travail. M. L... entend renverser cette présomption par la preuve d'un lien de subordination juridique permanente à l'égard du donneur d'ordre. Il fait valoir à l'appui les termes du contrat du 22 mai 2000 et du guide des bonnes pratiques en boulangerie - pâtisserie rédigé par la société Monoprix Exploitation. Dans son article 2, le contrat dit de fourniture stipule que les caractéristiques des produits fournis ainsi que leurs conditions d'achat et de livraison seront déterminées par l'intermédiaire de la centrale d'achat du magasin ; que la gestion du rayon sera déterminée par la direction du magasin, qui fournira une caisse enregistreuse, et correspondra à la politique commerciale et de prix fixée par celle-ci pour l'ensemble de son magasin ; que le magasin aura la possibilité de déplacer ou de modifier l'emplacement du rayon à tout moment au cours du contrat, en fonction de ses impératifs commerciaux ou techniques. L'article 3 énonce que les éléments mis à disposition du fournisseur devront en permanence être conformes aux normes de sécurité et à la réglementation applicables dans le magasin. Concernant le personnel, l'article 4 précise qu'il devra être qualifié et en nombre suffisant pour l'utilisation du matériel mis à disposition. Pour l'exercice de ses fonctions dans les locaux du magasin, le personnel devra exercer son activité en permanence pendant les jours et heures d'ouverture du magasin, observer les horaires, la discipline et le règlement intérieur du magasin. Ce personnel devra porter en permanence une tenue propre composée d'une blouse et d'un calot fournis par le magasin. Selon l'article 6, le fournisseur sera réputé vendre les produits au magasin un instant de raison avant la revente et au fur et à mesure de celle-ci à la clientèle du magasin. Les recettes seront enregistrées au rayon d'ordre et pour le compte du magasin, sur une caisse enregistreuse appartenant au magasin, spécialement adaptée à cette activité et à ce type de gestion. Cette caisse sera affectée à ce seul usage et fermée à clé, une clé étant détenue par la direction du magasin, l'autre par le fournisseur. Les recettes, qui feront l'objet d'un relevé contradictoire quotidien par le personnel du fournisseur et d'un représentant du magasin, seront remises chaque soir au magasin et comptabilisées journellement en vente par celui-ci. Le fournisseur facturera le montant des marchandises vendues sur la base d'un prix de vente hors taxes au moins égal au prix de vente public hors taxes diminué d'un pourcentage de 16 %, TVA en sus. Enfin, l'article 7 énonce que, compte tenu des impératifs d'approvisionnement du magasin, il est expressément convenu qu'en cas d'inexécution totale ou partielle créant des perturbations graves dans l'approvisionnement du rayon, le magasin aura la faculté de prendre, immédiatement et à son gré, toutes mesures palliatives permettant au rayon d'être approvisionné et à la clientèle du magasin d'être servie en produits de boulangerie - pâtisserie fraîches dans les meilleures conditions. Cette faculté pourra s'exercer en tant que de besoin en utilisant les mobiliers et matériel installés à ce rayon, ce pourquoi le fournisseur donne dès à présent et de façon expresse son accord. Il résulte de ces stipulations ainsi que du guide des bonnes pratiques en boulangerie - pâtisserie établi par la société Monoprix Exploitation versé aux débats que le donneur d'ordre imposait à titre permanent à M. L... des obligations précises dans la fabrication, la fourniture et la vente des produits de boulangerie et de pâtisserie à la clientèle du magasin de Lunéville. Ces contraintes étaient renforcées par un pouvoir de contrôle et de sanction du donneur d'ordre tel que l'intéressé ne disposait pas d'une réelle autonomie dans l'exercice de son activité. Ainsi, l'article 3 du contrat indique que la direction et les services techniques du magasin se réservent le droit de contrôler à tout moment le respect des prescriptions de sécurité et de la réglementation applicables au mobilier, matériel et installations mis à la disposition du fournisseur, et l'article 4 que le magasin aura le droit d'exiger le changement immédiat du personnel du fournisseur pour, entre autres, défaut de probité ou incapacité notoire, à charge d'en faire la preuve à la demande du fournisseur. Il convient en conséquence de constater que M. L... renverse la présomption de non-salariat de l'article L. 8221-6 du code du travail et établit qu'il se trouvait dans un lien de subordination à l'égard de la société Prisunic Exploitation puis de la société Monoprix Exploitation, caractérisant ainsi un contrat de travail. Il y a lieu dans ces conditions d'infirmer la décision d'incompétence des premiers juges et de renvoyer l'affaire devant le Conseil de prud'hommes de Nancy, matériellement compétent pour connaître du litige en présence d'un contrat de travail. L'équité commande de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles par elles exposés à hauteur d'appel. La société Monoprix Exploitation, qui succombe au contredit, sera condamnée aux dépens d'appel » ; 1°) ALORS QUE l'existence du lien de subordination qui résulte de l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, ne peut être déduite que des seules conditions d'exercice en fait de l'activité ; qu'en déduisant l'existence d'un contrat de travail entre M. L..., gérant de la société NBP, et la société Prisunic Exploitation, aux droits de laquelle intervient la société Monoprix, du contenu des clauses du contrat de fourniture conclu entre ces deux sociétés et des mentions du guide des bonnes pratiques en boulangerie-pâtisserie établi par la société Monoprix, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ; 2°) ALORS en tout état de cause QUE les ordres et directives révélateurs d'un lien de subordination doivent être relatifs à l'exercice du travail lui-même, et non au bien objet du contrat, ce lien ne pouvant pas plus résulter de l'organisation définie par le donneur d'ordre en fonction de sa politique commerciale ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'un lien de subordination, la cour d'appel s'est fondée sur les contraintes imposées au fournisseur en termes de produits fournis et de gestion du rayon dans le respect de la politique commerciale du magasin (article 2), lesquelles contraintes se traduisaient par le respect contrôlé des normes de sécurité et de la réglementation applicables dans le magasin (article 3), des recommandations quant au personnel employé pouvant aller jusqu'à son changement (article 4) ainsi que des prescriptions sur les recettes encaissées (article 6), et sur l'approvisionnement du magasin (article 7) ; que l'arrêt a en outre eu égard aux obligations prescrites par le guide des bonnes pratiques en boulangerie sur la fabrication, la fourniture et la vente des produits de boulangerie et de pâtisserie à la clientèle du magasin de Lunéville ; qu'en se déterminant ainsi, au regard des impératifs contractuels inhérents au seul stand objet du contrat et non à l'exercice du travail lui-même, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ; 3°) ALORS QUE lorsqu'une partie demande confirmation du jugement entrepris, elle est réputée s'en approprier les motifs ; qu'il appartient alors à la cour d'appel qui décide d'infirmer ledit jugement d'en réfuter les motifs déterminants ; qu'en l'espèce, pour déclarer la juridiction prud'homale incompétente au profit du Tribunal de commerce de Paris, le conseil de prud'hommes de Nancy, par jugement du 05 mai 2017 dont la société Monoprix Exploitation sollicitait la confirmation, avait relevé que « rien ne vient justifier, à titre personnel, une prestation de travail réalisée par M. T... L... », que « rien ne vient étayer une relation d'exécution d'une prestation faite par lui personnellement » et « qu'au surplus, celui-ci, reconnait, en sa qualité de gérant, que ce sont ses propres salariés qui vendaient pains et pâtisserie » ; qu'en infirmant le jugement déféré, sans réfuter les motifs déterminants de celui-ci pris de l'absence de toute prestation de travail personnellement réalisée par l'intéressé, la cour d'appel a violé l'article 954, alinéa 4, du code de procédure civile ; 4°) ALORS QUE l'appréciation d'un éventuel lien de subordination ne peut se faire qu'au regard de l'ensemble des éléments en présence, y compris ceux militant en faveur de l'indépendance du prestataire, la requalification ne pouvant être éventuellement opérée qu'après une balance faite entre les éléments d'indépendance et les éléments allégués de subordination ; qu'en l'espèce, pour contester que M. L... ait été, en sa qualité de gérant de la société NBP puis de la société « Aux fruits de la moisson », salarié de la société Monoprix Exploitation, cette dernière faisait valoir, preuve à l'appui (cf. productions n° 5 à 8), que l'intéressé n'exerçait aucune activité professionnelle exclusive pour son compte, celui-ci exploitant de très nombreux établissements, que la société qu'il gérait était immatriculée bien avant la conclusion du contrat de fourniture litigieux, que son activité donnait lieu à l'établissement de factures hebdomadaires, outre que c'est en qualité de « cogérant » de la société « Aux fruits de la moisson » que M. L... avait notifié sa volonté de résilier le contrat de fourniture ; qu'en estimant que celui-ci avait été lié à la société Monoprix Exploitation, venant aux droits de la société Prisunic Exploitation, par un lien de subordination, sans s'expliquer sur l'ensemble des éléments exclusifs d'un tel lien qui étaient invoqués par cette société, ni les mettre en balance avec ceux retenus au titre de la subordination alléguée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail.