TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARISJUGEMENT rendu le 09 Juin 2011
3ème chambre 4ème sectionN° RG : 10/02276
DEMANDERESSESMadame Anne-Cécile C
Société
ANNE CECILE COUETIL[...]75012 PARISreprésentées par Me
Jean-Philippe HUGOT de l'Association HUGOTAVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2501
DÉFENDERESSESS.A.R.L.
MANGO FRANCE[...]75009 PARIS
Société MANGO HAUSSMANN[...]75009 PARISreprésentées par Me
Serge LEDERMAN de la SCP NATAF FAJGENBAUM & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0305
Société PUNTO FA SL domiciliée : chez MERCADERS 9611. Pol. Ind. Riera de Caldes. 08184 Palau-Solita i Plegamans BARCELONE (ESPAGNE)défaillante
Société MANGO-ON LINE SA domiciliée : chez MERCADERS 9-11. Pol. Ind. Riera de Calde 08184 Palau-Solita i Plegamans BARCELONE (ESPAGNE)défaillante
COMPOSITION DU TRIBUNALMarie-Claude H, Vice-PrésidenteLaure COMTE, JugeRémy MONCORGE, Jugeassistés de Katia CARDINALE, Greffier
DÉBATSA l'audience du 04 Mai 2011tenue publiquement
JUGEMENTRendu par mise à disposition au greffeRéputé contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE Anne Cécile C a créé une société portant son nom ayant pour activité la création et la commercialisation d'accessoires de mode pour femme et notamment d'articles de maroquinerie. La société est titulaire de la marque française Velvetine déposée le 26 juillet 2006 pour désigner des produits de la classe 14.
Anne Cécile C se déclare créatrice d'un modèle de sac à main de type besace dénommé Iggy qui a fait l'objet d'un dépôt à l'Inpi le 12 avril 2007, publié au Bopi le 8 janvier 2010. Ce modèle a été ultérieurement décliné avec des franges sous la dénomination Sid.
Elle se déclare également créatrice d'un modèle de sac à main de type besace dénommé Elliot.
Estimant que des sacs proposés à la vente sous les marques Mango ou MGN, reprenaient les caractéristiques de ses créations, Anne Cécile C et sa société ont fait procéder à une saisie-contrefaçon, le 11 janvier 2010, dans un magasin Mango boulevard Haussmann à Paris ainsi qu'au siège de la société
Mango France.
Le 8 février 2010, Anne Cécile C et la société du même nom ont fait assigner les deux sociétés françaises
Mango France et Mango Haussmann ainsi que les deux sociétés espagnoles Punto fa en sa qualité de fournisseur et la société
Mango on line en sa qualité d'exploitante du site Internet www. mangoshop.com, sur le fondement de la contrefaçon des sacs à main Iggy, Sid et Elliot faisant l'objet d'une protection par le droit d'auteur. Anne Cécile C réclame la somme de 50 000 € en réparation de l'atteinte à son droit moral et la société
Anne Cécile Couetil la somme de 200 000 € en réparation de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux.
Cette dernière réclame également la somme de 150 000 € sur le fondement de la concurrence déloyale.
Les demanderesses sollicitent, en outre, des mesures d'interdiction et de destruction ainsi que la publication du jugement. Enfin, elles en demandent l'exécution provisoire et l'allocation d'une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile.
Dans leurs dernières écritures du 30 septembre 2010, Anne Cécile C et sa société font valoir que cette dernière est recevable à agir puisqu'elle exploite sous son nom les modèles de sacs en cause , sans que ses droits ne soient contestés par l'auteur. Elles précisent que la commercialisation du sac Iggy a commencé en boutique au mois de juillet 2007 sous la marque Velvetine. Elles ajoutent qu'il importe peu que le nom d'Olivier G figure sur le dépôt.
S'agissant de la qualité d'auteur d'Anne Cécile C, les demanderesses invoquent l'article L 113-1 du Code de procédure civile et déclarent qu'Olivier G dont le nom figure sur le dépôt publié au Bopi lui a cédé ses droits selon un contrat du 21 janvier 2010.
Elles soutiennent ensuite que les sacs créés par Anne Cécile C représentent ses choix créatifs et personnels et constituent des oeuvres originales reposant sur une combinaison spécifique d'éléments caractéristiques même si certains sont déjà connus.
Les demanderesses font valoir que le sac commercialisé par les sociétés Mango reprend la combinaison originale qui caractérise le sac Iggy et que les différences n'affectent pas l'impression d'ensemble identique qu'ils produisent. Elles ajoutent que ces sacs qui sont de mauvaise qualité portent atteinte à l'intégrité de oeuvres d'Anne Cécile C ainsi qu'à son droit de paternité.
La société
Anne Cécile Couetil invoquent également l'existence d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme distincts car la ressemblance entre les sacs en présence est telle qu'il existe un risque de confusion. Elle relève également la mauvaise qualité des sacs Mango qui déprécie et vulgarise ses modèles alors que les parties visent la même clientèle. Elle soutient que le caractère déloyal des agissements des défenderesses ressort également de la modicité des prix qu'elles pratiquent et qui permet l'absence d'investissement.
Ainsi, les demanderesses maintiennent leurs demandes et sollicitent la communication d'informations comptables complémentaires.
Dans leurs dernières écritures du 8 décembre 2010, les sociétés
Mango France et Mango Haussmann exposent que leur fournisseur la société espagnole Punta fa a mis au point un modèle de sac besace commercialisé sous la marque MNG à compter du mois de juin 2009, dans le cadre de la collection Mango automne hiver 2009. Elles ajoutaient que selon les informations transmises dans le cadre de la saisie-contrefaçon, elles avaient vendu 253 sacs litigieux et en conservaient en stock 99.
En premier lieu, elles concluent à l'irrecevabilité des demandes. Elles estiment qu'en l'espèce, les pièces produites n'établissent pas suffisamment la divulgation à une date certaine des sacs à main en cause sous le nom d'Anne Cécile C et que celle-ci ne peut donc se prévaloir de l'article
L 113-1 du Code de la propriété intellectuelle. Elles relèvent que la demanderesse ne verse aux débats aucune pièce ayant date certaine, identifiant le modèle en cause et caractérisant sa participation à l'acte de création Elles ajoutent que l'acte de dépôt fait apparaître Olivier G, ce qui avait au départ été caché par les demanderesses.
Les sociétés
Mango France et Mango Haussmann ajoutent que la présomption de titularité des droits attachée à une exploitation paisible sous le nom de la société ne peut également jouer que si l'oeuvre revendiquée est précisément identifiée, si la date de sa divulgation est déterminée et si la concordance entre le modèle divulgué et le modèle revendiqué est établie. Elles déclarent également que la personne morale qui revendique la titularité des droits doit établir l'existence d'un processus de création dès lors que les pièces produites créent des doutes sur l'origine du modèle revendiqué. Les défenderesses considèrent que les dates de 1ere commercialisation sont février et avril 2009 pour les sacs Iggy et Sid et que la société
Anne Cécile Couetil n'est pas en mesure de justifier des conditions de création des modèles qu'elle revendique de telle sorte qu'elle ne peut bénéficier d'aucune présomption.
En deuxième lieu, les défenderesses contestent le caractère protégeable des sacs en cause qui présentent des éléments banals (besace, franges, drapé) dont la combinaison n'est pas originale mais correspond à la tendance actuelle de la mode.
Les défenderesses contestent ensuite l'existence d'actes de contrefaçon des sacs Iggy et Sid, précisant qu'aucun acte de contrefaçon du sac Elliot ne leur est reproché. Elles déclarent que le sac Mango n'est pas une copie servile des sacs des demanderesses et que l'apparition des sacs Sid et Mango est concomitante. Elles déclarent qu'ils ne produisent pas une impression d'ensemble identique et que le sac Mango ne reprend pas les seuls éléments caractéristiques des sacs Iggy et Sid.
Elles concluent donc au rejet de demandes fondées sur la contrefaçon, ajoutant que les préjudices allégués ne sont pas démontrés et elles s'opposent à la demande d'informations alors qu'elles ont fourni l'ensemble des éléments nécessaires.
S'agissant des actes de concurrencé déloyale, les sociétés
Mango France et Mango Haussmann relèvent l'absence de faits distincts de la contrefaçon et déclarent que la modicité du prix ou la moindre qualité de produits ne caractérisent pas des comportements fautifs. Enfin, elles relèvent l'absence de risque de confusion entre les sacs en présence alors qu'au surplus, les sacs commercialisés par les défenderesses le sont sous la marque MNG dans des magasins à l'enseigne Mango. Les défenderesses déclarent par ailleurs que la société
Anne Cécile Couetil ne justifie d'aucun investissement lui permettant d'invoquer le parasitisme.
Les défenderesses concluent donc au rejet de l'ensemble des demandes et réclament chacune, la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION :
II convient tout d'abord de relever que les deux sociétés de droit espagnol Punta fa et
Mango on line n'ont pas été régulièrement assignées faute d'avoir été destinataires d'une assignation en langue espagnole conformément à leur demande.
La présente instance ne concerne donc que les deux sociétés françaises
Mango France et Mango Haussmann uniquement poursuivies pour des faits de contrefaçon et de concurrence déloyale se rapportant aux sacs Iggy et Sid.
1/ Sur la recevabilité des demandes :
- sur la qualité d'auteur d'Anne Cécile C :
Anne Cécile C invoque la présomption de l'article
L 113-1 du Code de la propriété intellectuelle et doit donc établir la divulgation des sacs à main Iggy et Sid sous son nom.
Pour justifier de cette divulgation sous son nom elle fait état du dépôt qu'elle a réalisé le 12 avril 2007 et qui a été publié au Bopi le 8 janvier 2010.
Le dépôt a également été réalisé par Olivier G mais celui-ci a cédé ses droits à Anne Cécile C selon un contrat du 21 janvier 2010 et il déclare par ailleurs dans une attestation du 21 juillet 2010 que la seule créatrice des sacs est Anne Cécile C. La présence du nom d'Olivier G sur l'acte de dépôt ne peut donc suffire à exclure la qualité de créatrice d'Anne Cécile C.
Néanmoins, l'acte de dépôt ne peut constituer une divulgation de l'oeuvre sous le nom d'Anne Cécile C puisqu'il est demeuré secret jusqu'en janvier 2010.
Il ressort des factures produites par les demanderesses que le document le plus ancien se rapportant au sac Iggy est une facture du 15 mars 2007 pour une société japonaise. Il peut donc être retenu que le sac Iggy a été divulgué à cette date mais aucun élément ne permet de retenir que cette divulgation s'est faite sous le nom d'Anne Cécile C.
Le blogs présentant Anne Cécile C comme créatrice des sacs de la société éponyme et plus spécialement du sac Iggy, sont de 2009 ou 2010 et sont très postérieurs à la lere commercialisation du sac de telle sorte qu'ils ne peuvent servir de fondement à l'application de l'article
L 113-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Ainsi, en l'absence de pièce justifiant d'une divulgation du sac Iggy sous le nom d'Anne Cécile C, celle-ci ne peut valablement se prévaloir de la présomption de l'article
L 113-1 du Code de la propriété intellectuelle.
Par ailleurs, celle-ci ne verse aux débats aucun élément établissant qu'elle a participé au processus de création de ce sac à main autre que l'attestation d'Olivier G. Mais celle-ci qui est très succincte et n'est confortée par aucun autre élément, ne constitue pas une preuve suffisante du rôle d'Anne Cécile C dans la création du modèle.
Ainsi Anne Cécile C n'établit pas sa qualité d'auteur du sac Iggy et de sa déclinaison le sac Sid et les demandes qu'elle forme en cette qualité doivent donc être déclarée irrecevables.
- sur la qualité de titulaire des droits de la société
Anne Cécile Couetil
La personne morale qui exploite une oeuvre sous son nom sans contestation de l'auteur, est présumée être titulaire des droits patrimoniaux portant sur cette oeuvre.
Il ressort des factures produites par la société
Anne Cécile Couetil que celle-ci commercialise le sac Iggy depuis le mois de mars 2007 quelques jours avant qu'un dépôt effectué à l'Inpi par ses fondateurs fassent apparaître les caractéristiques du sac ainsi dénommé.
La société
Anne Cécile Couetil produit également des factures de 2008 et 2009 établissant qu'elle a continué la commercialisation de ce sac sous cette dénomination et des articles de presse en ont reproduit ou décrit les caractéristiques revendiquées aujourd'hui.
Il ressort suffisamment de ces éléments que la société
Anne Cécile Couetil commercialise paisiblement le sac dénommé Iggy sous la marque Velvetine, tel que revendiqué dans la présente procédure depuis mars 2007. Elle peut donc valablement se prévaloir de la présomption de titularité des droits patrimoniaux à compter de cette date.
Pour le sac Sid qui constitue une déclinaison du sac Iggy, les 1 factures de commercialisation sont du mois de février 2009 et il y a lieu d'admettre que la société
Anne Cécile Couetil peut également se prévaloir de la titularisé des droits sur ce modèle, à compter de cette date.
Les demandes de la société
Anne Cécile Couetil fondées sur le droit d'auteur doivent donc être déclarées recevables dès lors que les sacs en cause seront reconnus originaux.
- sur l'originalité des sacs en cause :
Le sac Iggy se caractérise par les éléments suivants : II s'agit d'un sac- pour femme de type besace de forme allongée avec une anse attachée par des anneaux à des rivets métalliques,- réalisé en cuir et orné de quatre franges sur chaque côté,
- composé d'un drapé recouvrant l'ouverture et d'une patte qui passe par dessus l'ouverture pour le fermer grâce à un fermoir métallique de couleur ou d'argent,- qui se décline en trois variations de couleur noir, rouge et camel.
Le sac féminin de type besace, agrémenté de franges est assez banal et le recours à un drapé pour en assurer la fermeture, ne suffit pas à rendre original un tel type de sac, néanmoins le sac Iggy présente une forme allongée très spécifique ainsi qu'un fermoir en forme d'aiguille dont l'originalité n'est pas contestée.
Aussi à raison de cette combinaison d'éléments particuliers, le sac Iggy présente une apparence qui lui est propre et qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur. Il y a donc lieu d'admettre qu'il est protégé par les droits d'auteur attachés aux œuvres de l'esprit.
Il en est de même du sac Sid qui reprend la combinaison ainsi revendiquée et ne se distingue du sac Iggy que par la position et le nombre de franges qui sont cousues sur le devant du sac au lieu d'être sur le côté.
2/ Sur l'existence d'une contrefaçon :
Le sac Mango est un sac féminin de type besace avec des franges sur son pourtour et fermé par un drapé avec un fermoir.
L'examen des sacs Iggy et Mango fait apparaître que le sac Mango reprend la combinaison du sac Iggy mais uniquement dans ces éléments banals appartenant au fonds commun de la mode ( besace à franges avec un drapé en fermeture) et qu'elle ne reprend pas les éléments qui permettent de distinguer le sac Iggy à savoir la forme particulière de la besace ainsi que l'élément de décoration que constitue le fermoir et qui représente un élément essentiel de son originalité.
Ainsi, la combinaison des éléments caractéristiques du sac Iggy ainsi que du sac Sid n'est pas reprise par le sac Mango de telle sorte que celui-ci ne produit pas une impression d'ensemble identique à celui des deux sacs de la société
Anne Cécile Couetil et les demandes fondées sur la contrefaçon seront donc écartées.
3/ Sur la concurrence déloyale et le parasitisme :
II est constant que les sociétés Anne Cécile C et Mango proposent toutes trois des accessoires de mode à une clientèle féminine plutôt jeune. Elles se trouvent donc en situation de concurrence et il convient donc de déterminer si les défenderesses ont commis des actes fautifs susceptibles de fausser cette concurrence tels que la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyale du commerce.
Or comme il a été relevé ci-dessus les sociétés défenderesses n'ont pas réalisé une copie servile ou quasi-servile des sacs Iggy ou Sid mais ont offert à leur clientèle des sacs de type besace à franges correspondant aux tendances actuelles de la mode et qui sont suffisamment banals pour ne pas susciter de lien avec les créations originales proposées par la société
Anne Cécile Couetil.
Il ne ressort donc pas de ces éléments que les sociétés défenderesses aient commis des actes déloyaux alors que par ailleurs, la modicité du prix et la différence de qualité des matériaux ne constituent pas des circonstances fautives.
Enfin, la société
Anne Cécile Couetil ne peut invoquer une atteinte à ses investissements dès lors qu'elle échoue à établir une faute constitutive d'un acte de concurrence déloyale.
Ses demandes fondées sur l'article
13 82 du Code civil seront également rejetées.
L'exécution provisoire n'est pas nécessaire compte tenu de la nature de la décision.
Il sera alloué à chacune des sociétés défenderesses la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
:
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
Constate que les deux sociétés de droit espagnol Punta fa et
Mango on line n'ont pas été assignées,
Déclare Anne Cécile C irrecevable à agir en contrefaçon des sacs Iggy et Sid faute d'établir sa qualité d'auteur,
Déclare la société
Anne Cécile Couetil recevable à agir sur le fondement de la contrefaçon des sacs Iggy et Sid,
Rejette les demandes de la société
Anne Cécile Couetil fondées sur la contrefaçon des deux sacs en cause,
Rejette les demandes de la société
Anne Cécile Couetil fondée sur la concurrence déloyale et le parasitisme,
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
Condamne Anne Cécile C et la société
Anne Cécile Couetil à payer in solidum à la société
Mango France et la société Mango Haussmann chacune la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile,
Condamne Anne Cécile C et la société
Anne Cécile Couetil in solidum aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la sep Nataf Fagenbaum & associés, selon les règles de l'article
699 du Code de procédure civile