CJUE, 13 avril 1978, 34/77

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Texte intégral

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER, PRÉSENTÉES LE 13 AVRIL 1978 ( 1 ) Monsieur le Président, Messieurs les Juges, Dans cette affaire, le requérant est M. J. S. Oslizlok. Né en Pologne en 1920, il a, de 1940 à 1945, servi dans les Forces polonaises en France et en Grande-Bretagne. A la fin de la guerre, il a fréquenté l'«University College» de Cork et y a obtenu le diplôme de «Bachelor of Commerce». De 1949 à 1951, M. Oslizlok a occupé des fonctions d'assistant à l'«University College» de Cork puis à l'université de Bristol. En 1951, il a obtenu le titre de «Master of Economie Science» à l'«University College de Cork». En 1952, il a été engagé conmme économiste adjoint par la Banque centrale d'Irlande. Il a été naturalisé irlandais un an plus tard. A l'époque de l'adhésion des nouveaux États membres, le 1er janvier 1973, il avait atteint le poste de conseiller économique auprès de la Banque centrale d'Irlande. Le 1er avril 1973, le requérant est entré au service de la Commission et il a été nommé directeur de la direction A à la direction générale de la politique régionale. Ce poste était, évidemment, du grade A 2, et le requérant y a été nommé en application de l'article 29, paragraphe 2, du statut. Par décision de la Commission datée du 21 juillet 1976 (annexe 1 de la requête), le requérant a été licencié, avec effet au 15 octobre 1976, en application de l'article 50 du statut. Cette décision a été prise dans le cadre d'une réorganisation de la direction générale de la politique régionale, décidée le même jour par la Commission. Vous vous souvenez, Messieurs, qu'aux termes de l'article 50, «Tout fonctionnaire titulaire d'un emploi des grades Al ou A2 peut se voir retirer cet emploi dans l'intérêt du service par décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Ce retrait d'emploi n'a pas le caractère d'une mesure disciplinaire. Le fonctionnaire ainsi privé de son emploi et qui n'est pas affecté à un autre emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à son grade, bénéficie de l'indemnité calculée dans les conditions fixées à l'annexe IV». Le requérant n'ayant pas été affecté à un autre emploi il a donc eu droit à l'indemnité en question. Le 7 octobre 1976, conformément à l'article 90, paragraphe 2, du staut, le requérant a adressé une réclamation dirigée contre la décision le licenciant ainsi que, pour autant que de besoin, contre la décision de réorganisation de la direction générale de la politique régionale (annexe 5 de la requête). Comme il n'avait pas été répondu à sa réclamation dans le délai de quatre mois prévu par le statut, il a engagé la présente action, le 23 mars 1977. En fait, le requérant a reçu une réponse écrite à sa réclamation, mais hors des délais impartis. A vrai dire, à la suite d'une erreur, il n'a obtenu le texte intégral de cette réponse qu'en mai 1977: voir annexe I du mémoire en défense. La réponse contenait un rejet motivé de sa réclamation. A présent, le requérant demande tout d'abord et au premier chef l'annulation de la décision portant retrait de son emploi. Voici les moyens invoqués: 1) la décision aurait été prise sans qu'il eût été convenablement mis à même de faire valoir son droit à présenter ses observations, 2) la décision serait insuffisamment motivée, et 3) la décision ne serait pas prise dans l'intérêt du service, mais constituerait un détournement de pouvoir. Le requérant sollicite également, pour autant que de besoin, l'annulation de la décision de la Commission portant réorganisation de la direction générale de la politique régionale. L'avocat du requérant a précisé toutefois que cette demande n'avait été ajoutée que dans le cas où cette décision serait tenue pour indissociable de celle qui a trait au licenciement, les deux décisions devant alors être maintenues ou disparaître l'une et l'autre. Une des caractéristiques de cette affaire est que les circonstances qui ont conduit la Commission à adopter les décisions du 21 juillet 1976 n'ont été complètement éclaircies qu'à l'audience publique, quand nous avons eu l'avantage d'entendre les déclarations orales de M. Renato Ruggiero, directeur général de la direction de la politique régionale à l'époque des faits. Jusqu'au 21 juillet 1976, la direction générale de la politique régionale comprenait trois directions, à savoir: - la direction A, «analyses, documentation et objectifs», qui avait pour directeur le requérant, - la direction B, «coordination et programmes», dirigée par M. Philippe de Castelbajac (qui était également directeur général adjoint), et - la direction «opérations de développement et de reconversion», dont le directeur était M. Rosario Solima. (Voir annexe 2 bis de la requête.) M. Ruggiero nous a expliqué que cette structure avait été adoptée alors que le Fonds européen de développement régional n'existait pas. En 1975, la situation a été modifiée pour deux raisons. En premier lieu, le règlement (CEE) du Conseil no 724/75 du 18 mars 1975 et la décision du Conseil no 75/185/CEE de la même date ont institué, respectivement, le Fonds européen de développement régional et le Comité de politique régionale. La création du Fonds a nécessité le renforcement de la direction C à qui devait être confiée l'administration du Fonds. Ce renforcement a eu lieu en mai 1975 grâce à un transfert de personnel de la direction A à la direction C. Il fallait conserver la solidité de la direction B parce qu'elle devait être chargée d'assister le Comité et notamment de s'attaquer au problème de la coordination de la politique régionale communautaire et des politiques régionales nationales ainsi qu'à la formulation de programmes de développement régionaux. En second lieu, M. Thomson (élevé depuis à la dignité de Lord), le membre de la Commission alors responsable de la politique régionale, désirait mettre en application une nouvelle conception de politique régionale qui n'aurait pas seulement pour objet l'attribution de subventions à des régions pauvres, mais qui concernerait aussi l'aspect régional de chaque secteur de la politique économique communautaire (politique agricole, politique de la concurrence, etc.). M. Ruggiero pensait que ces deux raisons rendaient souhaitable la restructuration de la direction générale en deux directions, l'une chargée de la coordination et des plans, l'autre de l'administration des fonds disponibles. Cette réorganisation avait une raison supplémentaire, de caractère administratif, à savoir qu'en raison de nombreux éléments, y compris le transfert de personnel qui avait eu lieu en mai 1975, la direction A était réduite à un peu plus qu'une division (voir notes d'audience, p. 3 à 5). La Cour dispose des procès-verbaux de trois réunions de la Commission, tenues en 1975, qui reflètent dans une certaine mesure les événements dont M. Ruggiero nous a parlé. Ainsi, le procès-verbal de la réunion de la Commission du 15 janvier 1975 (annexe III au mémoire en défense) relate le point de vue de la Commission, pour qui il était très important que le Fonds européen de développement régional pût être correctement mis en place et administré pendant sa première période expérimentale; il indique également que la Commission était prête à examiner, à la demande de M. Thomson et lorsqu'il le jugerait nécessaire, l'organisation de la DG XVI (c'est-à-dire la direction générale de la politique régionale) et le pourvoi de postes supplémentaires à cette direction générale. Pareillement, aux termes d'un procès-verbal confidentiel («procès-verbal spécial») d'une réunion de la Commission datée du 12 février 1975 (annexe IV du mémoire en défense), après avoir fait part de sa préoccupation devant le fait que quatre fonctionnaires supplémentaires seulement avaient été affectés à la DG XVI au lieu de onze agents A qu'il avait demandés, M. Thomson avait chargé M. Ruggiero d'élaborer un schéma de réorganisation de cette direction générale. Durant sa réunion du 29 mai 1975, la Commission discuta à nouveau de politique régionale (annexe V du mémoire en défense) et le procès-verbal confidentiel de cette réunion (annexe VI du mémoire en défense) fait état, entre autres, de la déclaration de M. Thomson quant à son intention de présenter vers la fin de l'année en cours des proposition sur la réorganisation de la direction générale de la politique régionale. Sur la base et des documents figurant au dossier des déclarations orales de M. Ruggiero (voir notes d'audience, p. 6 à 14), on peut reconstituer ce qui s'est passé de mi-1975 à mi-1976. M. Ruggiero a élaboré un schéma de réorganisation de la direction générale, qui a été discuté avec M. Thomson puis avec M. Ortoli, alors président de la Commission. Comme cela ressortait de ces discussions, pour ce qui nous intéresse ici, le schéma était le suivant. La direction générale serait réorganisée et comprendrait deux directions, à savoir: - la direction A, «coordination, programmes, études et analyses» et - la Direction B, «opérations de développement et de reconversion». M. de Castelbajac occuperait le poste de directeur de la direction A (et resterait directeur général adjoint). Dans les effectifs de la direction A serait inclus un second poste A 2, celui de conseiller principal «spécialement chargé de la coordination des politiques et des instruments financiers». A ce stade, personne n'était proposé pour ce poste. La direction B serait confiée à M. Solima. L'article 50 du statut serait appliqué au requérant. A aucun stade de son élaboration, le schéma n'avait fait l'objet de discussions entre M. Ruggiero (ou quelqu'un d'autre) et l'un quelconque des directeurs alors en fonction à la direction générale, c'est-à-dire M. de Castelbajac, le requérant et M. Solima (voir notes d'audience, p. 7), bien qu'il semble parfaitement admis qu'ils savaient tous qu'il était prévu de réorganiser, dans un sens ou dans un autre, la direction générale. A notre avis, les raisons pour lesquelles M. de Castelbajac devait être proposé pour le poste de directeur de la direction A sont suffisamment claires. Après tout, c'était le directeur général adjoint; la nouvelle direction A devait résulter en substance de la fusion de l'ancienne direction A, réduite, et de la direction B plus active, dont il avait la charge; et, aux dires de M. Ruggiero, il avait une expérience particulière dans le secteur de la coordination des politiques régionales nationales (voir notes d'audience, p . 14). Les raisons pour lesquelles la direction de la direction B devait être proposée à M. Solima sont tout aussi claires. Comme M. Ruggiero l'a souligné devant nous (voir notes d'audience, p. 14), cette direction ne devait pas être autre chose que l'ancienne direction confiée à M. Solima, désignée par une nouvelle lettre. Même son appellation ne devait pas être modifiée; elle restait «opérations de développement et de reconversion». Quoi qu'il en soit, le point crucial ici est de savoir pourquoi le requérant ne devait pas être proposé pour occuper le troisième poste A 2 relevant de la direction générale réorganisée, c'est-à-dire le poste de conseiller principal à la direction A. La raison en a été suggérée dans les observations transmises par la Commission, aux termes desquelles les fonctions incombant à ce poste ne ressemblaient pas à celles dans lesquelles le requérant avait acquis de l'expérience en tant que directeur de l'ancienne direction A. Dans le mémoire en duplique (p. 8) il était dit que la décision de licencier le requérant avait été prise en considération des mérites de l'intéressé au regard des exigences de service. Il était ajouté que cela était parfaitement régulier et logiquement inévitable. A l'audience publique, répondant à une question que nous lui avions posée, M. Ruggiero a apporté de plus amples explications sur ce point: «Cela est une évaluation de caractère personnel. Moi, je crois que M. Oslizlok, pour son curriculum vitae et pour l'expérience qu'il a acquise à la Commission, était un homme possédant plutôt des capacités d'analyses économiques que de coordination et d'action. Il n'avait pas une très grande expérience, par exemple - et cela était tout à fait naturel, car il était rentré dans la Communauté seulement en 1973 - des différents fonds communautaires, des différentes règles communautaires. Et le travail de coordination exigeait justement une très grande capacité et une très grande connaissance dans le domaine, par exemple, du Fonds social, comment ce Fonds fonctionne, pourquoi par exemple certaines régions ne reçoivent pas d'argent et d'autres en reçoivent plus. Il fallait donc toute une série de connaissances spécifiques que M. Oslizlok n'avait pas et qu'il n'avait pas pu avoir durant sa période de fonctions à la direction générale des politiques régionales.» (Voir notes d'audience, p. 10 et 11.) Il est, croyons-nous, parfaitement admis que le 29 juin 1976, M. Thomson a convoqué le requérant pour l'avertir de ce qu'il recevrait sous peu une lettre concernant la réorganisation de la direction générale pouvant conduire, à son égard, à l'application de l'article 50 du statut. Le requérant prétend qu'ayant demandé à M. Thomson ce que cela voulait dire, ce dernier lui répondit qu'il l'ignorait, mais qu'ils auraient l'occasion de reparler plus tard de cette question. Nous n'avons entendu le témoignage d'aucune partie à cette interview, si bien que nous ne pouvons être sûrs de ce qui s'y est vraiment passé. En tout cas, à notre avis, il est également constant qu'il n'y eut pas d'ultérieures entrevues importantes entre ces personnes. Le lendemain, 30 juin 1976, eut lieu une réunion de la Commission dont voici l'extrait important du procès-verbal (produit à la demande de la Cour): «Confidentiel B. Réorganisation de la direction générale de la politique regionale - engagement de la procédure de l'article 50 du statut a l'égard d'un fonctionnaire 1. M. Thomson informe la Commission de ses intentions en ce qui concerne la réorganisation de la direction générale de la politique régionale. Il indique qu'il a longuement étudié ce problème avec M. le Président. Cette réorganisation vise à tirer les leçons de la période expérimentale d'un an qui s'est écoulée depuis la mise en place effective du Fonds européen de développement régional. Elle visera notamment à concentrer les activités de la direction générale sur deux directions au lieu de trois et à renforcer le secrétariat du Comité de la politique régionale. La Commission sera très prochainement saisie d'une communication à ce sujet, établie en accord avec M. le Président, communication sur la base de laquelle elle aura à arrêter le nouvel organigramme de la direction générale de la politique régionale. 2. M. Thomson indique à la Commission qu'il a reçu M. Oslizlok, directeur de la direction A (analyses, documentation et objectifs) de la direction générale de la politique régionale, et l'a informé de l'intention de M. le président Ortoli et de lui-même de proposer à la Commission que celle-ci engage à l'égard de M. Oslizlok la procédure de l'article 50 du statut. Sur proposition de M. le Président et de M. Thomson, après délibération, la Commission décide d'engager à l'égard de M. Oslizlok la procédure de l'article 50 du statut. M. le Président adressera à M. Oslizlok la lettre suivante …» Puis, dans le procès-verbal, suit la proposition d'un texte de lettre qu'en fait, le président de la Commission a adressée au requérant le lendemain, 1er juillet 1976 (voir annexe 3 de la requête). En voici le libellé: «Monsieur, L'examen auquel la Commission est en train de procéder quant aux modifications dans les tâches imparties à certains de ses services a conduit à reconsidérer en particulier l'attribution de certains postes supérieurs. La Commission travaille notamment à la réorganisation des services de la direction générale de la politique régionale. Dans ce contexte, la Commission estime nécessaire d'envisager de vous retirer votre emploi dans l'intérêt du service, en application de l'article 50 du statut. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me faire parvenir vos observations dès que possible, de préférence d'ici le 15 juillet, de manière à pouvoir en informer la Commission. Veuillez agréer … François-Xavier Ortoli» Le 12 juillet 1976, le requérant a adressé la réponse suivante (voir annexe 4 de la requête) : «Monsieur le Président, J'accuse réception de votre lettre du 1er juillet 1976. Vous me permettrez d'exprimer ma surprise la plus totale et ma profonde déception d'être ainsi, subitement, en ce moment, confronté à une telle situation. Vous avez l'obligeance, dont je vous remercie, de me demander de vous communiquer mes observations sur les intentions de la Commission de me retirer mon emploi en raison d'une réorganisation des services, particulièrement de ceux de la direction générale de la politique régionale (XVI). Malheureusement, votre lettre ne fournit aucune précision sur les motifs et le contenu d'une telle réorganisation, de sorte qu'à mon vif regret, je ne suis pas en mesure de répondre à votre demande d'une manière adéquate et de présenter utilement des observations. Je me permets donc de vous demander, avec une respectueuse insistance, de bien vouloir me mettre à même de faire valoir utilement des observations appropriées. En attendant, je suis contraint à me limiter à des considérations d'ordre général. Je n'aperçois absolument pas les raisons qui feraient que, dans le cadre d'une réorganisation communautaire des services à la direction générale de la politique régionale, il y aurait lieu soit à suppression de la direction A (analyses, documentation et objectifs) que je dirige et qui me paraît indispensable pour la conduite d'une politique régionale, soit, cette direction maintenue, à ce que je n'en exerce plus la direction. Si, contrairement à ce qui est ma conviction, il était dûment établi que la réorganisation de la DG XVI implique nécessairement la suppression de la direction "analyses, documentation et objectifs" ou que je n'en exerce plus les fonctions de directeur, je serais prêt à examiner la possibilité d'occuper un autre emploi correspondant à mon grade et à mes qualifications. Je ne puis croire, en effet, que des raisons objectives de service puissent aller jusqu'à impliquer mon licenciement. Au demeurant, votre lettre ne dit pas que ma compétence ou mon zèle au service de la Commission serait en cause. Vous m'autoriserez, pour en terminer, d'attirer votre bienveillante attention sur le préjudice considérable que m'occasionnerait mon licenciement malgré les dispositions prévues par l'article 50 du statut, et cela, notamment, en raison de mon âge (56 ans) et de la brièveté de ma carrière à la Commission (3 ans). J'ajoute, à ce propos, que j'ai quatre enfants, âgés respectivement de 14, 17, 21 et 23 ans et que comptant tout naturellement sur une carrière complète à la Commission et sur les revenus qui sont les miens actuellement, j'ai fait construire en Belgique (à Overijse), à l'aide d'un emprunt dont je dois rembourser les mensualités. Par ailleurs, je dois vous signaler qu'un de mes enfants a été obligé, faute d'une section de langue anglaise à l'école europénne lors de notre arrivée à Bruxelles, de poursuivre ses études dans la section de langue française. Cela lui a fait perdre un an; il est exclu qu'elle ne termine pas, dans ces conditions, ses études secondaires à l'école européenne. Veuillez agréer, Monsieur le Président l'assurance de mes sentiments de haute considération. J. S Oslizlok» La Commission n'a pas réagi à cette lettre. On en déduit à l'évidence que le requérant avait discerné que la réorganisation de la direction générale pouvait conduire soit à la suppression de sa direction, soit au retrait de son poste de directeur. M. Ruggiero nous a dit que le requérant, à la suite de son entretien avec M. Thomson, s'était entretenu avec lui et qu'il avait mis le requérant au courant des points essentiels de la proposition de réorganisation (voir notes d'audience, p. 7). Cependant, notre impression est qu'a ce stade de sa déclaration, M. Ruggiero n'était pas sûr des dates. A moins d'attribuer au requérant un exceptionnel manque de sincérité, on conclut, à la vue de la lettre qu'il a adressée au président de la Commission, qu'il n'avait pas une connaissance réelle de la nature des propositions, même si, sur la base de certaines des expressions qu'il a utilisées comme, par exemple, le fait de «présenter utilement des observations», on peut déduire qu'il avait pris conseil auprès d'un juriste. En tout cas, rien ne permet de penser à aucun stade qu'on ait dit au requérant que s'il ne lui avait pas été proposé de poste A 2 au sein de la direction générale réorganisée, c'était parce qu'on estimait qu'il ne disposait pas des qualifications appropriées. Les propositions de réorganisation de la direction générale de la politique régionale ont été communiquées aux membres de la Commission dans un document daté du 18 juillet 1976 et intitulé «Réorganisation de la direction générale de la politique régionale (communication de M. le Président et de M. Thomson)» (annexe VII du mémoire en défense). Ce document déclarait, entre autres: «La nouvelle structure se caractérise donc par l'existence de deux directions au lieu des trois existantes: - l'une chargée essentiellement des tâches confiées aux actuelles directions A et B. Par ce regroupement, sous une même autorité, il s'agit de mieux intégrer les fonctions d'études, d'analyses des évolutions régionales, de programmation et de coordination. C'est, en effet, de la parfaite interdépendance de ces différentes fonctions que dépend notamment l'élaboration progressive d'une stratégie régionale d'ensemble au plan de la Communauté. Un tel regroupement permettra en particulier d'assurer avec toute l'efficacité nécessaire tant la coordination des travaux au sein de la direction générale que la coordination de la politique régionale avec les autres politiques de la Communauté; - l'autre, plus directement chargée de la gestion des instruments financiers de la Communauté (FEDER, articles 56 CECA et BEI) dont l'actuelle direction C a la responsabilité exclusive ou partagée. En réalité, les modifications proposées pour cette direction dont les tâches sont de nature assez homogène puisqu'il s'agit de traiter des opérations de développement et de reconversion, résultent uniquement de la création du FEDER et de l'instauration du Comité du Fonds.» A ce document était annexé un tableau qui présentait la nouvelle organisation de la direction générale et indiquait les noms des fonctionnaires proposés pour occuper les postes jusqu'à ceux de chefs de division, mais laissait en blanc le nom des deux directeurs et du conseiller principal. Le document concluait en proposant à la Commission (en ce qui nous concerne ici) d'approuver la nouvelle organisation telle qu'elle figurait en annexe, de procéder à l'examen comparatif des situations individuelles et des qualifications des fonctionnaires du grade A précédemment affectés à des emplois de directeur auprès de la direction générale, au regard des exigences requises pour l'exercice des fonctions de directeur dans la nouvelle structure, d'arrêter, à l'issue de cet examen comparatif, les décisions individuelles appropriées et, enfin, de fixer au 1er août 1976 la date d'application de la nouvelle organisation. D'après le procès-verbal de la réunion de la Commission du 21 juillet 1976 (annexe VIII du mémoire en défense), la Commission a approuvé la nouvelle organisation de la direction générale de la politique régionale telle qu'elle était proposée et a décidé, comme la proposition en était faite également, qu'elle prendrait effet à partir du 1er août 1976. Dans le procès-verbal confidentiel de cette réunion (annexe IX du mémoire en défense), il était dit également que la Commission qui détenait le dossier personnel des trois directeurs en place d'après l'ancienne structure avait alors procédé à l'examen comparatif qui avait été proposé. Il fut décidé, en définitive, de nommer M. de Castelbajac à la direction de la nouvelle direction A et M. Solima à celle de la nouvelle direction B. Puis, sous le titre séparé, intitulé «Application de l'article 50 du statut», le cas particulier du requérant fut examiné. Comme les deux nouveaux postes de directeur de la direction générale de la politique régionale avaient été pourvus, la Commission examina la possibilité de confier au requérant le nouveau poste de conseiller principal de la direction A ainsi que celle de le nommer à quatre autres postes A 2 dans d'autres directions générales qui étaient soit vacants, soit en instance de le devenir. Cependant, à l'issue de cette discussion, la Commission décida d'appliquer au requérant l'article 50. Les raisons ne figurent pas dans le procès-verbal de la Commission. Nous savons toutefois que la Commission avait sous les yeux la copie de la lettre du 1er juillet 1976 adressée par le Président au requérant, celle de la réponse de ce dernier en date du 12 juillet 1976 ainsi qu'un projet de la décision à notifier le cas échéant au requérant (annexe 1 de la requête). Au cours de la réunion, aucune nomination n'a été faite au poste de conseiller principal de la direction A. En fait, ce poste n'a pas été pourvu jusqu'à octobre 1976 et il ne l'a été, à cette date, que sur une base temporaire lorsque M. Jaeger, chef de la division chargée, à la direction A, de la coordination et du secrétariat du Comité de politique régionale, a occupé les fonctions de conseiller principal. Voilà, nous semble-t-il, les faits. A notre avis, sur la base de ces faits, le requérant est en droit d'obtenir gain de cause sur le premier moyen sur lequel il fonde son recours. Votre Cour a déclare que I article 50 du statut confère à une autorité investie du pouvoir de nomination un large pouvoir discrétionnaire dont l'exercice peut avoir pour motif soit les exigences objectives du service, soit l'appréciation de qualités individuelles du fonctionnaire eh question au regard de ces exigences. Le caractère très étendu de ce pouvoir discrétionnaire exige cependant qu'il ne soit exercé qu'après un examen scrupuleux des éléments de la cause et notamment qu'après que le fonctionnaire dont il s'agit a présenté la défense de ses intérêts, ce qui signifie qu'il faut lui donner l'occasion de défendre utilement ces intérêts: voir affaire 17/68, Reinarz/ Commission, Recueil 1969, p. 61 (attendus 14 à 16 de l'arrêt), et affaire 19/70, Almini/Commission, Recueil 1971, p. 623 (attendus 9 à 11 de l'arrêt). En réalité, cela ne constitue pas plus qu'une application particulière de la règle générale relative au droit de faire connaître son point de vue, confirmé par la Cour dans des affaires comme l'affaire 17/74, Transocean Marine Paint Association/Commission, Recueil 1974, p. 1063, l'affaire 121/76, Noli/Commission, Recueil 1977, p. 1971, et l'affaire 75/77, Mollet/Commission (dans laquelle vous venez, Messieurs, de prononcer votre décision). Dans la présente affaire, nous ne pensons pas qu'une telle occasion ait été donnée au requérant parce qu'il ne lui a jamais été dit la raison véritable pour laquelle son licenciement était proposé. D'après les mots souvent cités de Lord Morris of Borth-y-Gest (Current Légal Problems, 1973, p. 11), «Si quelqu'un dispose du droit de présenter sa défense, il doit être en mesure de savoir sur quoi il faut qu'il se défende». En fait, il nous semble que cette affaire a une ressemblance frappante avec l'affaire Almini, dans laquelle la Cour a constaté que la lettre avertissant le fonctionnaire en cause faisait croire que la décision de lui retirer son emploi avait des raisons objectives de service, alors que le procès-verbal de la séance de la Commission au cours de laquelle la décision fut prise indiquait qu'elle était adoptée «en raison d'une appréciation des aptitudes personnelles du requérant au regard des exigences de certaines affectations possibles». La Cour en conclut que la Commission ne lui avait pas permis de se prononcer sur les éléments qui apparaissaient, en fin de compte, déterminants et que la décision de lui retirer son emploi devait donc être annulée. Il convient de noter que là également le fonctionnaire dont il s'agit avait déclaré «qu'il lui était difficile de prendre utilement position sans avoir une connaissance plus précise des "raisons d'intérêt public" sur lesquelles était basée l'action envisagée à son égard», (voir attendus 14 à 18 de l'arrêt). La Commission a suggéré que la présente affaire devait être distinguée de l'affaire Almini parce que, dans ce dernier cas, quatre jours seulement avaient été donnés au fonctionnaire dont il s'agit pour présenter ses observations alors qu'ici le requérant a disposé d'un délai raisonnable. Cependant, le caractère précipité de l'action de la Commission n'était pas l'unique motif, ni même le motif principal, pour lequel la Cour a statué sur l'affaire Almini en ce sens. Il est possible que si, dans le cas de l'espèce, le requérant avait été entendu sur la question de ses qualifications et de son expérience, le résultat aurait néanmoins été le même. Nous ne pouvons toutefois être sûrs de ce fait. Il a déclaré que si la question lui avait été soumise, il aurait été à même, entre autres, d'attirer l'attention de la Commission sur certains écrits importants dont il était l'auteur, qui comprennent une monographie qu'il venait d'achever sur les mécanismes monétaires de politique régionale communautaire. Ainsi, comme nous adoptons le point de vue selon lequel le requérant est en droit d'obtenir gain de cause sur ce moyen, nous pouvons nous consacrer relativement brièvement à l'examen des autres moyens sur lesquels il fonde son action. Dans l'arrêt Reinarz (déjà cité), la Cour a déclaré qu'il résulte de l'article 50 que des décisions prises en son application ne doivent pas être motivées. Le requérant nous a demandé de reconsidérer cette décision. A notre avis, Messieurs, vous devriez persister dans votre interprétation, et cela pour trois raisons: 1) Comme l'a souligné l'avocat général Roemer dans l'affaire Reinarz (p. 81), l'article 50, qui est muet sur les motifs, figure entre deux articles (les articles 49 et 51) qui ont trait tous deux à des circonstances dans lesquelles des fonctionnaires peuvent être contraints à quitter le service et qui, tous deux, exigent expressément que des motifs soient fournis. On en conclut inévitablement qu'aucun exposé des motifs n'est exigé dans une décision prise en application de l'article 50. 2) Dans un cas dans lequel a été observée la règle qui veut qu'un fonctionnaire à l'encontre duquel est envisagée l'action visée à l'article 50 dispose d'une occasion utile de présenter sa défense avant qu'aucune décision ne soit prise, le fonctionnaire connaîtra déjà les raisons de cette action. Les exposer dans une décision effective ne peut donc servir aucun but utile (voir l'affaire 41/76, Geist/Commission, Recueil 1977, p. 1419, aux termes de laquelle - 26e attendu de l'arrêt - l'absence, dans une décision, de l'exposé des motifs qui en sont à la base était sans conséquence dans les cas où ces motifs avaient été donnés dans un document antérieur). 3) L'article 25 du statut qu'invoque le requérant n'exige pas seulement qu'une décision visant un fonctionnaire et lui faisant grief soit «motivée», mais exige également que cette décision fasse «l'objet d'un affichage dans les bâtiments de l'institution dont il relève et … [qu'elle soit] publiée au Bulletin mensuel du personnel des Communautés». Cette publication des motifs du licenciement d'un fonctionnaire Al ou A 2, à qui on a retiré son emploi en application de l'article 50, pourrait rarement être à son avantage. Nous nous permettrons d'ajouter que l'affaire 27/68, Renckens/Commission, Recueil 1969, p. 255, citée par le requérant, se distingue de la présente affaire. Elle concernait l'application de l'article 25 dans le cadre de la cessation des fonctions d'un fonctionnaire A 3, en application de l'article 4 du règlement no 259/68. Voilà les raisons pour lesquelles nous n'estimons pas que le second moyen sur lequel le requérant fonde son recours puisse être considéré comme valable. Il en est de même pour le troisième moyen. Pour qu'il soit considéré comme valable, il serait nécessaire qu'ait été démontré qu'en agissant comme elle l'a fait, la Commission poursuivait un but autre que celui de favoriser l'intérêt du service. Nous ne voyons rien, dans les faits, qui établisse le bien-fondé d'une telle allégation. A un moment, nous avons été troublé par le fait qu'à sa réunion du 30 juin 1976, la Commission ait décidé «d'engager la procédure de l'article 50» à l'encontre du requérant, et de lui seul, avant même d'avoir considéré les propositions détaillées de réorganisation de la direction générale ou d'avoir comparé les qualifications de ses trois directeurs du moment. Il est apparu cependant que la raison pour laquelle la Commission avait agi ainsi était qu'elle désirait disposer des observations du requérant avant d'en arriver à examiner tous les détails des propositions. Puisqu'elle savait que le président et M. Thomson proposeraient de licencier le requérant, cela ne nous semble pas être déraisonnable. En fait, nous estimons que si l'on peut critiquer le calendrier de l'invitation adressée au requérant pour présenter ses observations, cela consiste à dire qu'il aurait peut-être fallu formuler cette invitation plus tôt, avant que les propositions du président et de M. Thomson n'aient été arrêtées définitivement. En tout cas, il n'y avait pas de raison d'adresser des invitations identiques à M. de Castelbajac ou à M. Solima, puisque personne n'avait jamais proposé le licenciement ni de l'un ni de l'autre. Enfin, nous ne vous surprendrons pas en disant que, à notre avis, le recours subsidiaire du requérant doit être rejeté, à savoir son recours selon lequel la décision de la Commission de réorganiser la direction générale de la politique régionale était elle-même nulle. Cela se conclut a fortiori si l'on accepte que le troisième moyen sur lequel le requérant base son recours principal ne peut être soutenu. Comme l'avocat de la Commission l'a déclaré de manière fort persuasive à l'audience, cela friserait le ridicule que de penser que la Commission s'est donné toute la peine de réorganiser la direction générale de la politique régionale (et de discuter cette réorganisation durant bon nombre de réunions, étalées sur une période de près d'un an et demi) dans le seul but de se débarrasser d'un fonctionnaire A 2 qu'elle avait tout loisir de licencier en application de l'article 50, si elle l'avait jugé inapte. Dans un souci d'exhaustivité, nous mentionnerons également le fait que la Commission avait argué de l'irrecevabilité de ce recours subsidiaire. A notre avis, cette prétention était mal conçue pour des motifs identiques à ceux qui affectent la même prétention de la Commission dans l'affaire 25/77, De Roubaix, dans laquelle nous venons de vous présenter nos conclusions. Pour conclure, nous estimons que le requérant est en droit d'obtenir un jugement qui annule la décision du 21 juillet 1976 de la Commission lui appliquant l'article 50 du statut et qui condamne, par conséquent, la Commission aux dépens de l'instance. ( 1 ) Traduit de l'anglais.