AU NOM DU PEUPLE FRANC
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf mai mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle Jean-Jacques GATINEAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE
L'ESSONNE (CPAM), partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 23 juin 1994, qui, dans la procédure suivie contre Michel Y... du chef d'escroquerie, a annulé la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 405 de l'ancien Code pénal,
551,
565,
591 et
593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a annulé la citation à comparaître pour escroquerie devant le tribunal correctionnel d'Evry, délivrée le 13 mai 1993 à l'encontre de Michel A... ;
"aux motifs que la citation ne mentionne pas l'objet de la remise et, à supposer qu'il s'agisse d'une somme d'argent, n'en précise nullement le montant, bien que le préjudice soit un élément constitutif de l'infraction ;
que par ailleurs la citation ne vise comme manoeuvres frauduleuses que la fourniture de "documents falsifiés" sans énoncer ces documents, alors qu'au surplus la plainte et la procédure ne font état que d'attestations contradictoires et aucunement de documents falsifiés ;
qu'une telle citation, par ses lacunes et imprécisions, ne met pas le prévenu en mesure de préparer utilement ses moyens de défense et lui fait nécessairement grief ;
qu'elle ne peut être regardée dès lors comme ayant valablement saisi la juridiction correctionnelle ;
"alors que la citation est régulière dès lors qu'elle est rédigée de telle manière que le prévenu ne puisse se méprendre sur les faits qui lui sont reprochés ; qu'en l'espèce la citation visait, d'une part, l'envoi par Y... à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, de 1987 à 1990, de documents dans lesquels l'intéressé se prévalait faussement de la qualité de salarié, d'autre part , l'obtention par ce moyen, au cours de la même période, de tout ou partie de la fortune de la Caisse ;
qu'il n'existait à cet égard aucune indétermination ni sur les documents falsifiés ni sur l'objet de la remise, la citation ayant visé sans distinction tous les documents adressés par Y... à la Caisse pendant la période litigieuse, ainsi que l'ensemble des prestations obtenues au moyen de cette fraude ;
qu'ainsi tant les manoeuvres frauduleuses que la délivrance des prestations qui en ont été la conséquence étaient caractérisées par la citation ;
que dès lors le prévenu était précisément informé des faits servant de base à la poursuite ;
qu'en déclarant le contraire, la cour d'appel a dénaturé le sens de cette citation et violé les textes visés au moyen ;
"alors au surplus que les tribunaux ne sont saisis que des faits mentionnés par la citation ;
que dès lors en se fondant sur la circonstance que la plainte et la procédure, à la différence de la citation, ne faisaient état que d'attestations contradictoires et aucunement de documents falsifiés, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
Vu lesdits articles ;
Attendu, d'une part, qu'aux termes de l'article
565 du Code de procédure pénale la nullité d'un exploit ne peut être prononcée que lorsqu'elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la personne qu'elle concerne ;
Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ;
que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que Michel Y... a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir "à Marcoussis courant 1987, 1988, 1989 et 1990, en employant des manoeuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou tout autre événement chimérique, savoir en fournissant des documents falsifiés tendant à faire reconnaître une situation fictive de salarié, obtenu la remise ou la délivrance de la CPAM de l' Essonne de prestations, escroquant, tentant d'escroquer, par ces moyens tout ou partie de la fortune d'autrui, faits prévus et réprimés par les articles
405, alinéas 1 et 3, et
42 du Code pénal"; que le prévenu a soulevé avant toute défense au fond la nullité de la citation au motif qu'elle n'indique par le fait poursuivi ;
Attendu que, pour infirmer le jugement qui avait écarté cette exception en observant que l'omission du mot "prestations" dans la citation, pour indiquer l'objet de la remise, ne pouvait conduire le prévenu à se méprendre sur les faits qui lui étaient reprochés, la victime de ses agissements étant nommément désignée dans l'acte de poursuite, la cour d'appel se borne à énoncer qu'à supposer que la chose remise soit une somme d'argent ladite citation n'en précise pas le montant et ne mentionne pas les documents falsifiés susceptibles de constituer des manoeuvres frauduleuses ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, qui n'établissent pas que l'omission constatée a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts du prévenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs
,
CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de PARIS en date du 23 juin 1994, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de PARIS, sa mention en marge où à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Gondre conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. Culié, Roman, Martin conseillers de la chambre, M.
de Mordant de Massiac, Mme Z..., M. de X... de Champfeu conseillers référendaires, M. Libouban avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;
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