CJUE, Conclusions de l'avocat général Reischl, 11 mai 1978, 139/77

Mots clés règlement · agricole · produits · producteurs · compensation · notion · production · communautaire · aides · animaux · industriel · prix · paragraphe · vente · réévaluation

Synthèse

Juridiction : CJUE
Numéro affaire : 139/77
Date de dépôt : 16 novembre 1977
Titre : Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Münster - Allemagne.
Rapporteur : Mackenzie Stuart
Avocat général : Reischl
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1978:102

Texte

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 11 MAI 1978 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Ainsi que nous l'avons déjà appris par d'autres procédures, le Deutsche Mark a été réévalué avec effet au 27 octobre 1969 par rapport à sa parité officielle applicable jusqu'alors. Comme les prix agricoles européens dépendent d'unités de compte, cette mesure monétaire — la valeur des unités de compte restant constante — devait entraîner des pertes de revenus pour l'agriculture allemande: en effet, les revenus nets, exprimés en Deutsche Mark, pour les produits agricoles relevant de l'organisation commune des marchés ont baissé de 9 % environ.

Le Conseil a examiné cette situation lors de sa réunion du 27 octobre 1969. Il a rejeté une modification de l'unité de compte mais aussi l'instauration d'un régime de compensation à la frontière que la république fédérale d'Allemagne avait sollicité, parce que ces mesures auraient entraîné une hausse des prix dans les autres États membres et parce qu'elles auraient constitué un encouragement à la production. Par contre, la décision a été prise d'octroyer des aides, qui devaient être financées, pour l'essentiel, par la république fédérale d'Allemagne. Ce n'est que jusqu'à l'entrée en vigueur de ce système que la république fédérale d'Allemagne a été autorisée à augmenter les prix d'intervention et les prix d'achat et à appliquer un système de taxes à l'importation et de subventions à l'exportation. Ainsi, le maintien du niveau de prix existant était assuré jusqu'au 31 décembre 1969.

En ce qui concerne l'octroi d'aides destinées à compenser les pertes de revenus, le Conseil a adopté, le 9 décembre 1969, le règlement (CEE) no 2464/69 «relatif aux mesures à prendre dans le secteur agricole à la suite de la réévaluation du Deutsche Mark»(JO no L 312 du 12. 12. 1969, p. 4). Ce règlement contenait une habilitation à accorder des aides aux producteurs agricoles allemands à partir du 1er janvier 1970. A cet égard, il était décidé que les aides pourraient atteindre un montant de 1,7 milliard de DM pour chacune des années budgétaires de 1970 à 1973 et que la Communauté, c'est-à-dire le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole, participerait d'une certaine manière à leur financement. In extenso, l'article 1, paragraphe 3, du règlement prévoyait ce qui suit:

«Les aides peuvent être accordées sous forme d'une aide directe au producteur agricole, pour autant que celle-ci ne soit pas déterminée en fonction du prix ou de la quantité du produit.

Cette aide peut être accordée partiellement, sous forme d'une avance reçue par le producteur agricole, lors de la vente de ses produits, dans la limite d'un plafond de 3 % du prix de vente, aide qui peut être payée soit par son acheteur, soit par un organisme à désigner par les autorités nationales compétentes.»

Cette mesure a été prorogée par la décision du Conseil du 21 janvier 1974 — qui n'a pas été publiée — dont l'article 1 stipule ce qui suit:

«La république fédérale d'Allemagne a été provisoirement autorisée à accorder aux producteurs agricoles une aide sous la forme d'une compensation, versée au producteur lors de la vente de ses produits, dans la limite d'un plafond de 3 % du prix de vente; l'aide est payée soit par son acheteur, soit par un organisme à désigner par les autorités nationales compétentes.

…»

En vertu du règlement précité, le législateur a promulgué le 23 décembre 1969 la «Gesetz über einen Ausgleich für Folgen der Aufwertung der Deutschen Mark auf dem Gebiet der Landwirtschaft (Aufwertungsausgleichgesetz)» (loi portant compensation au titre de la réévaluation dans le domaine de l'agriculture). L'article 4 de la loi autorisait les exploitations agricoles au sens de l'article 24, paragraphe 2, de la «Umsatzsteuergesetz» (loi sur la taxe sur le chiffre d'affaires) à réduire de 3 % la taxe due sur le chiffre d'affaires. Au sens de l'article 24, paragraphe 2, no 2, de la «Umsatzsteuergesetz» du 29 mai 1967, sont considérées comme exploitations agricoles et forestières «les entreprises d'élevage, dans la mesure où, en application des articles 51 et 51 a de la “Bewertungsgesetz” (loi d'évaluation) … le cheptel fait partie intégrante de l'exploitation agricole». L'article 51, paragraphe 1, de la loi d'évaluation mentionnée prévoit ce qui suit:

«Le cheptel fait en totalité partie intégrante de l'exploitation agricole, si au cours de l'exercice le nombre des unités de cheptel produites ou élevées ne dépasse pas

10 unités pour les premiers 20 hectares de terres régulièrement mises en culture par l'exploitant agricole;

7 unités pour les 10 hectares suivants, 3 unités pour les 10 hectares suivants,

et 1,5 unité par hectare pour le reste des surfaces cultivées. Il convient de convertir le cheptel en unités d'après les besoins en aliment pour animaux.»

En vertu de ces dispositions de la législation allemande, la requérante au principal ne bénéficiait pas de la compensation au titre de la réévaluation. Il est vrai qu'outre la fabrication d'aliments pour animaux, la requérante exploite une entreprise d'engraissement de veaux dans laquelle elle utilise les aliments de substitution à base de lait qu'elle produit elle-même. La requérante poursuit cette activité sans avoir de terres agricoles; elle achète des veaux qu'elle fait élever dans le cadre de contrats qui portent sur l'engraissement des veaux contre rémunération (Lohnmastverträge) et qui sont conclus avec des exploitants agricoles, et elle les vend ensuite aux abattoirs après un délai de quatre mois. La requérante est donc soumise à l'impôt en tant qu'entreprise industrielle et commerciale et, en conséquence, l'administration des finances a rejeté la demande qu'elle avait formée dans sa déclaration d'impôts portant sur l'année 1974 pour l'octroi d'une aide s'élevant à 3 % du chiffre d'affaires réalisé sur l'engraissement des veaux.

Après avoir été déboutée de la procédure gracieuse, la requérante a donc formé un recours devant le Finanzgericht de Munster.

De l'avis de la requérante, la loi sur la compensation au titre de la réévaluation n'est pas compatible avec le droit communautaire. En effet, ce dernier n'opère aucune distinction entre les éleveurs exploitant une entreprise agricole et les éleveurs à titre «industriel et commercial»; les termes mêmes de l'organisation des marchés dans le secteur de la viande bovine, en cause en l'espèce, (règlement (CEE) no 805/68 du Conseil du 27. 6. 1968, JO no L 148 du 28. 6. 1968, p. 24) contiendraient une garantie pour tous les producteurs. Conformément à ce règlement, et du fait qu'ils ont été touchés de la même manière par la réévaluation, les éleveurs à titre «industriel et commercial» tomberaient sous le coup de la notion de «producteur agricole» utilisée dans le règlement (CEE) no 2464/69. En outre, l'application restrictive par la république fédérale d'Allemagne de l'habilitation concédée serait critiquable au regard des dispositions de l'article 40 (interdiction d'opérer des discriminations entre producteurs) ainsi qu'au regard de l'interdiction de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives — puisque des distorsions de concurrence entravent le commerce intracommunautaire.

Le «Finanzamt» (administration des finances), partie défenderesse en l'espèce, a soulevé certaines objections à l'encontre de cette opinion. A son avis, il importe de noter que le règlement (CEE) no 2464/69 ne contient qu'une habilitation, c'est-à-dire qu'il fixe un cadre à l'intérieur duquel le législateur allemand disposait d'un pouvoir d'appréciation. Il ne peut être question d'une violation du principe de non-discrimination du fait que, d'une part, le critère de distinction ne se fondait pas sur la nationalité et, d'autre part, du fait que les exploitations industrielles et commerciales peuvent s'adapter plus facilement à une modification des conditions du marché et des facteurs de coûts. Il ne peut s'agir davantage d'une infraction à l'interdiction de mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation; en règle générale, cette interdiction ne vise que l'accès de produits étrangers au marché intérieur, qui ne joue aucun rôle en l'espèce.

Par ordonnance du 26 septembre 1977, le Finanzgericht a sursis à statuer et a demandé à la Cour, conformément à l'article 177 du traité CEE, de statuer à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

1.

L'expression de droit communautaire «producteur agricole» figurant à l'article 1, paragraphe 1, et à l'article 3 du règlement (CEE) no 2464/69 englobe-t-elle également l'éleveur-détenteur industriel ou commercial d'animaux au sens de la législation fiscale allemande?

En cas de réponse affirmative à cette question:

2.

Les articles 39, 40, paragraphe 3, alinéa 2, du traité CEE, l'article 1 du règlement (CEE) no 2464/69 du Conseil et d'autres dispositions éventuelles du droit communautaire doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans le cas de l'octroi d'aides directes versées pour compenser les effets de la réévaluation pour des produits agricoles relevant d'une organisation de marchés, ils interdisent à la république fédérale d'Allemagne, en tant que destinataire du règlement (CEE) no 2464/69, d'exclure de l'octroi de ces aides certaines catégories de producteurs agricoles — ici les détenteurs et éleveurs industriels ou commerciaux au sens de la législation fiscale allemande?

3.

Cette interdiction est-elle directement applicable, de sorte que le justiciable peut l'invoquer devant les juridictions nationales?

1.

Il ressort de l'exposé des faits que le règlement (CEE) no 2464/69 n'est resté en vigueur que jusqu'à l'année 1973 incluse. Par contre, la demande de réduction d'impôts dont il s'agissait dans la procédure pendante au principal se rapportait à l'année 1974. En ce qui concerne le droit communautaire, c'est donc en premier lieu la décision du Conseil du 21 janvier 1974 qui est déterminante au regard de cette demande. Ainsi, c'est au premier chef à la lumière de cette décision qu'il convient d'analyser les questions déférées à la Cour. Cette méthode ne constitue d'ailleurs aucune modification fondamentale de la fonction de la Cour de justice. En effet, la décision mentionnée utilise également la notion d'«exploitant agricole». De surcroît, il est clair que la décision qui a été arrêtée sur la base de l'article 3 du règlement (CEE) no 2464/69 était destinée, pour l'essentiel, à proroger son application dans le temps et qu'en conséquence, la notion d'«exploitant agricole» a la même portée que dans le règlement (CEE) no 2464/69.

2.

En ce qui concerne l'interprétation de la notion en cause, la requérante souligne dès l'abord que l'on ne saurait déduire de l'utilisation du terme «allemand» à l'article 1 du règlement (CEE) no 2464/69 que par là même il est fait référence au droit allemand. En réalité, cet adjectif aurait pour seul but de décrire le champ d'application territorial du règlement; en outre, il faudrait partir du point de vue que la substance de la notion d'«exploitant agricole» est communautaire.

A notre avis, il convient de se rallier sans réserve à ces considérations. A cet égard, il est important que le règlement se fonde sur les articles 42 et 43 du traité CEE, c'est-à-dire qu'il s'agisse d'une mesure arrêtée dans le cadre de la politique agricole commune. On peut également faire référence à l'article 3, paragraphe 3, du règlement, en vertu duquel, compte tenu du développement de la politique agricole commune, le Conseil décide les mesures appropriées selon la procédure prévue à l'article 43, paragraphe 2, du traité. Enfin, un élément intéressant en l'espèce est le fait que la Communauté participe au financement des mesures.

Quant à la question de savoir quel est le contenu de la notion de droit communautaire qui n'a pas fait l'objet d'une définition expresse dans le règlement, la requérante estime que le règlement se fonde sur la notion qui est à la base du traité. A cet égard, elle se réfère à une série d'articles du traité (l'article 37, paragraphe 4, les articles 40, 42, 43 et 45) pour en déduire que la notion de «producteur» qui y est utilisée doit être interprétée en ce sens qu'elle vise quiconque produit des produits agricoles au sens de l'article 38 et de l'annexe II au traité. A ce titre, le système de production — dans le cadre d'une exploitation agricole type ou d'une exploitation à caractère industriel et commercial — importerait peu et, en conséquence, il faudrait supposer qu'une telle distinction, pour laquelle tout critère de droit communautaire ferait d'ailleurs défaut, n'aurait aucune importance au regard du règlement (CEE) no 2464/69.

Il nous semble — et à cet égard nous nous rallions à l'avis de la Commission — que cette considération n'est pas convaincante.

D'une part, la notion de «producteur agricole», qui est employée dans le règlement, n'apparaît pas dans les articles cités au traité. Le traité se réfère — il en est ainsi à l'article 42 — à la production de produits agricoles. L'article 37, paragraphe 4, et l'article 43 concernent les «producteurs intéressés», expression par laquelle sont visés les produits agricoles dont l'écoulement est facilité grâce à des monopoles d'État à caractère commercial (article 37, paragraphe 4) ou à des organisations nationales de marché pour certains produits (article 43). Comme dans l'article 40, en liaison avec le principe de non-discrimination applicable dans le cadre de l'organisation commune des marchés agricoles, nous trouvons ici simplement la notion de «producteur», et, comme dans l'article 45, nous trouvons les termes «producteurs nationaux» auxquels des dispositions nationales assurent l'écoulement de leur production, ou les termes de «producteurs de la Communauté» pour lesquels il convient d'exclure toute discrimination.

D'autre part, nous rappelons que, dans les conclusions présentées dans l'affaire 85/77 (Società Santa Anna Azienda Avicola/Istituto Nazionale della Previdenza Sociale et Servizio Contributi Agricoli Unificati, conclusions présentées le 31. 1. 1978, arrêt du 28. 2. 1978), nous avions cru devoir déduire de certains éléments figurant dans les articles 38, 39 et 42 quelle était la notion d'«exploitation agricole» sur laquelle le traité se fondait. Toutefois, la Cour ne s'est ralliée ni à cette considération, ni à l'idée selon laquelle il faudrait se baser sur la production de produits agricoles au sens de l'article 38. L'arrêt rendu dans l'affaire 85/77 constate que le traité ne contient aucune définition des notions «agriculture» et «exploitation agricole». Il appartiendrait beaucoup plus aux organes de la Communauté de développer chaque fois une définition appropriée à la réglementation particulière et, ce faisant, il conviendrait de se fonder en particulier sur les objectifs visés par la réglementation.

Telle est la raison pour laquelle on ne peut répondre à la question soulevée qu'en essayant de rechercher dans les termes le but et l'historique du règlement (CEE) no 2464/69 ce que recouvre l'expression «producteur agricole». En appliquant cette méthode, la Commission est arrivée à la conclusion que la notion en cause n'englobait pas les producteurs à titre «industriel et commercial» de produits agricoles. Si vous nous permettez de le dire dès maintenant, il semble qu'il convienne bien de se rallier à ce point de vue.

L'historique de la disposition le confirme tout à fait clairement. A cet égard, nous avons déjà mentionné qu'à l'origine, la république fédérale d'Allemagne avait souhaité une compensation à la frontière, c'est-à-dire une mesure s'appliquant aux produits. Il n'a pas été possible de prendre une décision en ce sens et on n'a pu qu'arrêter une mesure de portée moindre portant octroi d'aides. Mais cela implique également — conformément au principe selon lequel les réglementations s'écartant du droit commun du traité sont d'interprétation stricte — que la notion de «producteur agricole», déterminante pour l'octroi d'aides, devait être entendue au sens strict. D'ailleurs, lors des consultations, il n'est pas seulement apparu que, pour le calcul des pertes de revenus dont parle le règlement, seules les exploitations agricoles au sens propre avaient été prises en considération. Bien plus, il a même été déclaré expressément que l'octroi d'aides devait être limité aux exploitations agricoles au sens du droit fiscal allemand. Nous nous référons sur ce point au procès-verbal de la séance du Conseil du 9 décembre 1969 qui a été produit devant la Cour. Ce document fait état d'une déclaration sans équivoque à cet égard de la part du commissaire alors en exercice, M. Mansholt; c'est sur cette base que les membres du Conseil ont donné leur accord immédiatement après.

Mais puisque, selon la jurisprudence citée par la requérante, les réserves et les déclarations qui ont gardé un caractère interne — les procès-verbaux du Conseil ne sont pas publiés — ne peuvent seules définir l'interprétation d'une notion, il est également important, que la restriction en cause ressorte avec suffisamment de clarté des termes du règlement lui-même. Un élément intéressant à cet égard est que, contrairement au traité qui parle de la production de produits agricoles et, partout, met l'accent sur les produits, le règlement utilise les termes «producteurs agricoles» . En fait, l'utilisation de l'adjectif «agricole» suggère la production agricole type, et c'est également ce qui devrait ressortir du fait qu'à l'article 3 du règlement il est question de l'agriculture allemande.

De même, il nous semble important que, dans les considérants du règlement, il est dit que le relai des aides pourrait être assuré par le moyen de mesures ayant un caractère de politique sociale ou structurelle. A cet égard, le premier élément — des mesures ayant un caractère de politique sociale — fait apparaître clairement l'accent social qui est donné à la compensation au titre de la réévaluation: elle est destinée à atténuer l'effondrement du niveau des revenus de groupes de la population qui, pour l'essentiel, exercent leurs activités sur des exploitations agricoles petites ou moyennes et qui ne peuvent s'adapter que lentement à l'évolution monétaire. En outre, on peut également renvoyer à l'avis de l'Assemblée mentionné également dans les considérants du règlement. Cet avis a été préparé par le rapport élaboré par M. Vredeling au nom de la Commission pour l'agriculture (Parlement européen, documents de séance 1969 à 1970, document no 165). Il nous semble tout aussi intéressant de constater que ce document évoque l'accroissement du pouvoir d'achat que les agriculteurs allemands tirent de leur revenu, et l'amélioration de la situation sociale et économique des agriculteurs allemands que de constater que la décision du Parlement (JO 1969, no C 160, p. 37 et suiv.) utilise les notions d'«agriculture allemande» et d'«agriculteurs» et qu'elle se réfère à la situation économique et sociale des agriculteurs allemands.

Enfin, le but que vise la réglementation, tel qu'il ressort clairement des considérants, revêt également un intérêt. Aux termes de ces considérants, il s'agit de compenser les pertes de revenu de l'agriculture allemande, qui sont exactement chiffrées. Lors de l'évaluation de ces pertes, les effets positifs qu'a entraînés la réévaluation — baisse du prix des aliments pour animaux et des biens d'équipements importés — ont évidemment été pris en considération. Mais il est certain que cet élément est beaucoup plus important pour les éleveurs à titre «industriel ou commercial» qui n'utilisent que des aliments pour animaux et des produits de base achetés que pour les agriculteurs qui utilisent, au premier chef, leurs propres produits. Pour les éleveurs à titre «industriel et commercial» — comme le laisse supposer une analyse globale — les pertes dues à la réévaluation étaient moins sérieuses parce que la structure des entreprises était différente et parce que leur flexibilité était plus grande; à cet égard, la situation n'était pas critique, au point qu'il aurait paru inéluctable de lui appliquer le régime de compensation.

Pour ces motifs, il nous semble que la notion de «producteur agricole» utilisée dans le règlement (CEE) no 2464/69 et dans la décision du Conseil du 21 janvier 1974 ne peut être interprétée qu'en ce sens qu'elle n'inclut pas les producteurs à titre «industriel et commercial». C'est la seule interprétation à retenir en l'espèce. Par contre — sans une connaissance exacte de tous les détails du cas d'espèce — , il n'est pas possible à l'heure actuelle d'accorder une portée quelconque au fait que, dans une habilitation analogue concédée aux Pays-Bas par le règlement du Conseil du 19 novembre 1973, l'autorisation semble avoir été interprétée dans cet État membre — ainsi que le montrent une loi du 19 décembre 1973 et un décret du 7 décembre 1973 — en ce sens que les producteurs à titre «industriel et commercial» bénéficient également d'aides.

3.

Compte tenu de la conclusion à laquelle nous sommes arrivés, il peut sembler superflu d'examiner les autres questions soulevées, dans la mesure où elles n'ont été posées qu'en cas de réponse affirmative à la première question,. c'est-à-dire en cas d'une réponse déclarant qu'au sens du règlement, les éleveurs à titre «industriel et commercial» sont assimilés aux producteurs agricoles. Toutefois, nous désirons poursuivre l'examen des autres questions à deux points de vue:



les autres questions peuvent être examinées au regard du règlement (CEE) no 2464/69 et de la décision du Conseil de janvier 1974. Dans ce contexte, il conviendrait d'analyser si, sur le fondement des articles 39 et 40, paragraphe 3, du traité CEE ou d'autres dispositions du droit communautaire, l'interprétation limitative de la notion de «producteur agricole» utilisée dans les deux actes du Conseil, que nous proposons, paraîtrait inadmissible;



d'autre part, si on voulait donner à la notion de «producteur agricole» la portée que la requérante estime licite de lui accorder, on peut se demander si, pour différentes raisons tenant au droit communautaire, il avait été interdit au destinataire de l'habilitation, la république fédérale d'Allemagne, de faire une utilisation plus limitative des pouvoirs concédés.

Cet examen appelle les considérations suivantes:

a)

En ce qui concerne, tout d'abord, la question de la validité de l'acte du Conseil, il s'agit de savoir si, lors de la limitation des compétences attribuées, ainsi que nous l'avons exposé ci-dessus, on aurait négligé de tenir compte de l'interdiction de l'article 40, paragraphe 3, selon laquelle il faut exclure toute discrimination entre producteurs et consommateurs de la Communauté.

Toutefois, cette considération n'est pas pertinente, même si l'on part du point de vue, ce qui semble possible, que l'article 40 vise également l'inégalité de traitement des producteurs à l'intérieur d'un seul État membre. L'article 40 n'exige rien d'autre que de ne pas traiter différemment des cas identiques ou analogues, à moins qu'il n'existe un motif objectif de le faire. Or, en l'espèce, il n'y a pas similarité des cas; pour le moins convient-il de reconnaître qu'il existait des motifs objectifs et raisonnables d'opérer une distinction.

Ce qui est essentiel avant tout, c'est que les éleveurs à titre «industriel et commercial» ont subi un préjudice moindre du fait de la réévaluation parce qu'ils pouvaient tirer avantage de l'utilisation d'aliments pour animaux et de produits de base importés et meilleur marché. Cela est bien moins vrai pour les agriculteurs qui cultivent des terres, c'est-à-dire qui utilisent, du moins en partie, des aliments pour animaux de leur propre production et qui, pour cette raison, pouvaient moins facilement se tourner vers les produits importés et meilleur marché. Il nous est difficile de comprendre pourquoi cette considération ne peut s'appliquer de la même manière à l'élevage de veaux — la requérante a fait valoir à cet égard que les éleveurs agriculteurs achètent également des veaux et des aliments et qu'en conséquence les terres cultivées sont sans importance — puisqu'il faut supposer que de petits agriculteurs emploient en partie d'autres méthodes, c'est-à-dire élèvent leurs propres veaux et utilisent à cet effet les aliments qu'ils produisent eux-mêmes. Toutefois, à supposer que la thèse de la requérante soit exacte, il convient de considérer en tout cas que, la fin de la période transitoire étant imminente, il s'agissait d'une mesure d'urgence et que lors de son adoption — on ne disposait encore d'aucune expérience — il n'était pas possible d'écarter des solutions grossières, schématiques, qui ne tenaient pas compte des particularités des différentes formes de production.

De plus, il est important d'observer — et c'est à bon droit que la Commission a également attiré l'attention sur ce point — , que les entreprises industrielles et commerciales sont avantagées pour d'autres raisons. A cet égard, il ne faut pas tellement s'attacher au fait que la requérante, en tant que fabricant d'aliments pour animaux, a un avantage concurrentiel du fait qu'elle fait l'économie de la marge bénéficiaire. Il suffit de faire observer que, pour les producteurs de ce type, l'élevage ne représente souvent qu'un des moyens d'existence et que ces producteurs peuvent, plus facilement que les agriculteurs, développer ou limiter cette source de revenus supplémentaire et qu'ils disposent donc d'une plus grande flexibilité dans l'orientation de leurs activités.

Nous ne doutons pas que, lors de l'adoption d'un régime d'aides, soumis à des conditions très strictes quant à sa licéité et à sa portée, c'est à bon droit que l'on a tenu compte de tels éléments et que le grief portant sur la méconnaissance du principe de non-discrimination est ainsi sans fondement.

b)

Dans ce contexte, la requérante a développé un autre point de vue selon lequel les objectifs et le fonctionnement des organisations communes de marchés — en l'espèce l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (règlement no 805/68) — ne doivent pas être mis en cause et qu'il convient de respecter l'article 40 du traité CEE qui stipule qu'une politique commune des prix doit être fondée sur des critères communs et sur des méthodes de calcul uniformes.

Néanmoins, on peut formuler des doutes quant à l'application de ce principe dans les actes émanant des organes de la Communauté du fait que, dans la jurisprudence, de telles considérations n'ont été développées jusqu'à présent que dans le cadre de mesures prises par les États membres. A cet égard, nous renvoyons aux arrêts rendus dans l'affaire 60/75 (Carmine Antonio Russo/Azienda di Stato per gli Intervenu sul Mercato Agricolo (AIMA), arrêt du 22. 1. 1976, Recueil 1976, p. 45, des mesures nationales ne peuvent intervenir dans les conditions du marché), dans l'affaire 65/75 (Riccardo Tasca, arrêt du 26. 2. 1976, Recueil 1976, p. 291, fixation unilatérale, par un État membre, de prix maximaux à la vente) et dans l'affaire 77/76 (Entreprise F.lli Cucchi/Avez SpA, arrêt du 25. 5. 1977, Recueil 1977, p. 987, interventions nationales dans le mécanisme de la formation des prix).

De surcroît, le principe de l'uniformité des prix et du maintien de méthodes de calcul uniformes, tel qu'il découle de l'organisation commune des marchés, n'a pas été affecté en réalité. Le régime autorisé avait pour seul but d'atténuer les pertes de revenus provoquées par la nouvelle parité du Deutsche Mark que subissaient les catégories les plus durement touchées, les agriculteurs qui cultivaient des terres.

Les motifs avancés par la requérante ne permettent donc pas de mettre sérieusement en doute la validité de l'acte du Conseil. Eu égard à l'évolution qu'a présentée la Commission relativement au prix de marché des veaux qui ne font pas l'objet d'une intervention, on peut tout au plus se demander si une compensation au titre de la réévaluation était encore justifiée à cet égard en 1974; toutefois, cette question ne pourrait contribuer à faire aboutir la demande de la requérante en vue de bénéficier également des versements compensatoires.

c)

A la suite de ces considérations, il nous reste simplement à examiner si — pour autant que l'on veuille faire bénéficier les producteurs agricoles, y compris les producteurs à titre «industriel et commercial», de l'habilitation communautaire — la république fédérale d'Allemagne a méconnu une quelconque disposition de droit communautaire en utilisant de façon limitative l'autorisation concédée. Ce point ne nécessite pas une longue argumentation.



C'est ainsi qu'à notre avis, un élément décisif auquel il convient de s'attacher est le fait qu'il s'agissait d'une habilitation, c'est-à-dire que les organes communautaires ont fixé un cadre à l'intérieur duquel il était possible de s'écarter des règles communes aux États membres. On peut en déduire sans hésitation que, sous l'angle du droit communautaire, on ne peut faire grief à la république fédérale d'Allemagne de ne pas avoir épuisé toutes les possibilités offertes dans ce cadre et on peut même en déduire qu'il y avait une certaine obligation — comme il s'agissait de dérogations au droit communautaire — de n'utiliser l'habilitation que dans les hypothèses où existait une réelle nécessité.



A supposer que, lorsqu'il adopte des mesures qui entraînent des conséquences dans le domaine des organisations communes de marché et lorsqu'il met en œuvre des mesures communes de politique agricole, un État membre soit tenu de respecter le principe de non-discrimination de l'article 40. Nous renvoyons à cet égard à l'arrêt rendu dans l'affaire 51/74 (P. J. van der Hulst's Zonen/Produktschap voor Siergewassen, arrêt du 23. 1. 1975, Recueil 1975, p. 79) et à nos conclusions dans l'affaire 52/76 (Luigi Benedetti/Munari F.lli s.a.s., arrêt du 3. 2. 1977, Recueil 1977, p. 163) — , ce qui vaut pour la question, examinée précédemment de savoir si, en se fondant sur une notion étroite du «producteur agricole», le règlement du Conseil a violé le principe de non-discrimination, s'applique aussi à une distinction nationale opérée à l'intérieur d'un cadre de droit communautaire. Il convient donc de considérer que de telles distinctions sont licites dans la mesure où elles peuvent se fonder sur des raisons objectives telles que nous les avons exposées également ci-dessus.



Enfin, en ce qui concerne la prétendue mise en cause des objectifs et du fonctionnement de l'organisation commune des marchés, nous pouvons, pour l'essentiel, renvoyer aux considérations déjà formulées. A supposer qu'on se soit écarté en l'espèce des mécanismes communautaires de formation des prix ou d'autres principes de l'organisation des marchés — à cet égard, la requérante se réfère, entre autres, au régime de primes à l'abattage des vaches laitières et à l'engraissement souhaité des veaux avec des produits laitiers tels qu'il était recommandé — , ces écarts seraient en principe couverts par la mesure communautaire. Par contre, de prétendues distorsions de concurrence tomberaient uniquement dans le domaine d'application du principe de non-discrimination, et, à cet égard, nous avons déjà dit tout ce qui était nécessaire.



En conséquence, si l'habilitation concédée par le Conseil avait la portée que pense pouvoir lui attribuer la requérante, il convient de retenir que l'on ne peut reprocher à la république fédérale d'Allemagne d'en avoir fait un usage qui n'était pas licite sous l'angle du droit communautaire.

4.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons de répondre comme suit aux questions déférées à la Cour par le Finanzgericht de Münster:

a)

la notion de «producteur agricole» utilisée à l'article 1 du règlement (CEE) no 2464/69 ainsi qu'à l'article 1 de la décision du Conseil du 24 janvier 1974 n'englobe pas les éleveurs à titre industriel et commercial au sens du droit fiscal allemand;

b)

le droit communautaire ne contient aucune disposition empêchant de limiter en ces termes la notion en cause.


( 1 ) Traduit de l'allemand.