Chronologie de l'affaire
Cour d'appel de Caen 12 décembre 2017
Cour de cassation 29 juin 2022

Cour de cassation, Troisième chambre civile, 29 juin 2022, 18-14.966

Mots clés société · vente · banque · violence · nullité · économique · prix · immobilier · saisie · société à responsabilité limitée · pourvoi · siège · terme · immeuble · occupation

Synthèse

Juridiction : Cour de cassation
Numéro affaire : 18-14.966
Dispositif : Rejet
Publication : Inédit au bulletin
Décision précédente : Cour d'appel de Caen, 12 décembre 2017, N° 15/00800
Président : Mme TEILLER
Rapporteur : Mme Greff-Bohnert
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2022:C310328

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Caen 12 décembre 2017
Cour de cassation 29 juin 2022

Texte

CIV. 3

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 29 juin 2022

Rejet non spécialement motivé

Mme TEILLER, président

Décision n° 10328 F

Pourvoi n° Q 18-14.966

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 JUIN 2022

La société DMB, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 18-14.966 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2017 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Brétigny, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Figaro national, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Greff-Bohnert, conseiller, les observations écrites de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société DMB, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Brétigny, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Greff-Bohnert, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.

1. Il est donné acte à la société DMB du désistement partiel de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Figaro national ;

2. Le moyen de cassation annexé, qui est invoqué à l'encontre de la décision attaquée, n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

3. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.

EN CONSÉQUENCE, la Cour :



REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société DMB aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société DMB à payer à la société Brétigny la somme de 3 000 euros ; rejette les autres demandes ;

Ainsi décidé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE

à la présente décision

Moyen produit par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour la société DMB

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société DMB de sa demande de nullité de la vente du 16 juin 2010 et ordonné à cette société de remettre les clés de l'immeuble litigieux à la société Bretigny sous astreinte et de lui payer la somme de 250 euros par jour à compter du 7 août 2012 ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE Sur la demande d'annulation du contrat pour violence économique : la Sarl DMB entend se prévaloir des dispositions de l'article 1111 du code civil ancien aux termes duquel « la violence exercée contre celui qui a contracté l'obligation est une cause de nullité encore qu'elle ait été exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite » ; qu'elle ajoute que l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, a introduit la notion de violence par abus de dépendance, et que si les contrats conclus antérieurement demeurent soumis à la loi ancienne, la loi nouvelle n'a fait que consacrer la solution jurisprudentielle, et repris l'essentiel du droit positif en vigueur au travers de l'article 1143 du code civil qui prévoit que : « il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » ; qu'elle considère que les conditions ainsi énumérées sont réunies en l'espèce ; qu'à l'instar des sociétés intimées, la cour relève que ce n'est que plus d'un an et demi après son assignation que la société DMB a présenté la violence économique comme moyen de nullité, devenu même son moyen principal en cause d'appel ; que la société DMB soutient en effet avoir été victime, de bonne foi, en octobre 2008 d'un cas de force majeure résultant de la mise en liquidation judiciaire de la banque Landsbanki Luxembourg, déconfiture qu'elle rend responsable de sa propre défaillance à l'égard de la Sarl Sodam et par voie de conséquence de la banque CIC Iberico ; qu'elle aurait en quelque sorte été contrainte de « brader » son bien immobilier et d'accepter des conditions auxquelles elle n'aurait jamais souscrit dans d'autres circonstances ; que la société Bretigny aurait ainsi profité sciemment de l'impasse dans laquelle se trouvait la société DMB pour réaliser une opération lui ayant procuré un avantage excessif résultant du prix inférieur à la valeur vénale de l'immeuble ; que c'est par une juste appréciation des faits de l'espèce toutefois que les premiers juges ont retenu que la vente litigieuse était intervenue dans le cadre d'un projet d'investissement immobilier spéculatif qui avait échoué par manque de financement et abouti à une procédure de saisie immobilière ; que la prétendue contrainte exercée sur la société DMB par ses créanciers (la banque Iberico devenue Banco Popular France) a un caractère légitime dans la mesure où elle visait à obtenir l'exécution d'une décision de justice, et la société appelante ne justifie pas de ce qu'elle a été privée du choix de procéder à une vente amiable aux conditions fixées par la cour d'appel d'Aix-en-Provence au terme de son arrêt du 20 novembre 2009 ; qu'au demeurant, le compromis de vente signé plusieurs mois auparavant, en février 2010, soit bien avant l'adjudication de juin 2010, comportait les mêmes conditions ; que vainement la société DMB tente d'établir un lien entre la faillite de la banque Landsbanki, l'intervention de la banque Iberbanco puis celle de la société Bretigny, affirmant que c'est un ancien employé de la banque Landsbanki qui aurait agi en qualité d'apporteur d'affaires de la société Bretigny ; qu'en effet, la Landsbanki a fait faillite en décembre 2008 alors que l'acte définitif de vente à réméré est intervenu un an et demi plus tard d'une part, d'autre part et surtout, la société DMB n'a jamais été débitrice de ladite banque, puisque seuls les époux [O] ont contracté auprès d'elle un emprunt, et que la garantie prise pour cet emprunt portait non pas sur le bien litigieux mais sur la maison habitée par les emprunteurs, étrangère au présent litige ; que l'incapacité de la société DMB à faire face à la dette qu'elle avait contractée quant à elle avec la banque Iberbanco est insuffisante à caractériser les conditions d'une violence ayant créé une crainte disproportionnée justifiant l'acte de vente ; que la société DMB excipe ensuite du caractère illicite de la convention d'occupation précaire en raison du montant de l'indemnité exigée à ce titre ; que, pourtant, il est communément admis que les parties ont la liberté de prévoir une convention d'occupation précaire dont le montant est supérieur au prix moyen des loyers, en raison même de la faculté de rachat laissée au vendeur, laquelle prive l'acquéreur de la libre jouissance d'un bien dont il s'est rendu propriétaire ; que les termes de comparaison proposés sont dès lors sans emport sur l'appréciation de la validité de la convention d'occupation précaire ; qu'enfin la seule considération de l'inoccupation par des particuliers de la villa en cause est insuffisante là encore à caractériser l'illicéité de la convention dès lors qu'est effective l'indisponibilité du bien pour l'acquéreur ; que la société DMB ne démontre pas davantage en quoi la stipulation dans l'acte de vente à réméré d'une indemnité de rachat d'un montant de 190 000 € en cas d'exercice dans le délai de 24 mois, réduite à 130 000 € en cas d'exercice dans le délai de 12 mois, était de nature à rendre impossible l'exercice de cette faculté, et, partant, abusive ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, étayés par les pièces du dossier, que les premiers juges ont rejeté la demande d'annulation sur ce fondement ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Sur la nullité de la convention pour "violence économique" : à titre liminaire, il convient de rappeler que la vente avec faculté de rachat est un mécanisme de crédit avec transfert de propriété à titre de gage, autorisée par la loi (y compris lorsque la faculté de rachat est payante) ; que la société DMB soutient avoir signé cette cession sous la contrainte économique (elle déclare que la vente forcée de l'immeuble était prévue pour le lendemain) acceptant des conditions contractuelles illégitimes procurant à la société Bretigny un avantage excessif (prix inférieur à la valeur vénale de l'immeuble) de telle sorte que son consentement a été vicié ; qu'il est constant en jurisprudence que l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes
de la personne peut vicier son consentement au sens de l'article 1111 du code civil ; que la preuve que la société DMB a été victime d'un vice du consentement lui incombe ; qu'au soutien de son argumentaire, elle cite deux arrêts de cour d'appel, considérant qu'ils traitent de situations similaires ; que, non seulement, ces décisions qui émanent de juges du fond n'ont aucune autorité juridique ou doctrinale, mais en outre la seule circonstance que les deux affaires portent sur des cessions d'immeubles saisis vendus à des prix inférieurs à leur valeurs vénales ne permet pas d'affirmer qu'il s'agit de litiges identiques ; qu'en effet, le premier arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence est motivé à titre principal par l'indisponibilité du bien en raison de la saisie immobilière, ce qui dans l'esprit des juges suffisaient à justifier le prononcé de la nullité, alors que dans le cas présent le créancier poursuivant a signé l'acte de vente, se désistant de ses poursuites et sollicitant à titre définitif la radiation du commandement ; que le second arrêt de la cour d'appel de Douai porte sur des faits différents (occupation d'un immeuble par la mère du débiteur saisi, prix de cession inférieur à la valeur vénale de plus de 50 %, vente d'un immeuble non saisi à des conditions exorbitantes du droit commun très désavantageuses [sous valorisation de l'immeuble de l'ordre de 70 % et prix payable 18 mois après la vente]) ; qu'en l'espèce, la vente-litigieuse est intervenue dans le cadre d'un projet d'investissement immobilier spéculatif qui a échoué par manque de financement et abouti à une procédure de saisie immobilière ; que le juge de l'exécution rappelle que le gérant de la société DMB est aussi le représentant de trois autres sociétés ayant pour activité la gestion et la location d'immeubles ; qu'au moment où la demanderesse s'est engagée, l'immeuble était saisi et devait à terme être vendu aux enchères, c'est à dire à un prix probablement très inférieur à sa valeur vénale ; qu'une cession à hauteur de 70 % de sa valeur avec une possibilité de rachat au prix de 130 000 euros (la première année) ou 190 000 euros (la seconde année) n'apparaît donc pas aussi désavantageuse que la société DMB le prétend (même en considérant que l'indemnité d'occupation était supérieure d'environ un tiers à la valeur locative de l'immeuble, cf. infra sur les pénalités de retard), puisqu'en l'absence de cession amiable il aurait été vendu aux enchères ; que la société DMB n'a d'ailleurs critiqué la convention qu'à l'issue du délai de deux ans fixé pour exercer sa faculté de rachat, faute d'avoir pu trouver un financement ; qu'une première promesse de vente a été signée six mois auparavant aux mêmes conditions de telle sorte qu'elle ne peut soutenir que la signature de la convention litigieuse est intervenue dans la précipitation ; qu'en conséquence, la société DMB ne justifie pas que son consentement a été vicié par "violence économique", ni qu'il s'agit en réalité d'un prêt déguisé, de telle sorte qu'elle sera déboutée de ses demandes de nullité de la convention et de ses demandes subséquentes ;

1°) ALORS QUE l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne vicie de violence son consentement ; que, pour exclure que la société DMB ait conclu la vente avec faculté de rachat du 16 juin 2010 sous l'emprise d'une violence économique ayant vicié son consentement, la cour d'appel a retenu que la faillite de la banque Landsbanki Luxembourg n'avait pas mis la société DMB dans un état de dépendance économique puisque l'emprunt accordé par cette banque l'avait été au profit des époux [O] et non de la société DMB ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si, comme il était soutenu, l'obligation pour les époux [O] de restituer les fonds prêtés par cette banque en raison de la déchéance du terme prononcée en suite de sa faillite ne leur avait pas interdit, comme il était prévu, d'effectuer les avances en compte courant d'associé de la société DMB, avances dont dépendaient directement et exclusivement le financement des travaux et, en conséquence leur achèvement, la division du terrain et la possibilité de mettre en vente la villa neuve et n'avait dès lors pas imposé à ces associés gérants de la société DMB de vendre à un prix modique la propriété litigieux pour sortir leur société et eux-mêmes de l'endettement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1112 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS QUE l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne vicie de violence son consentement ; que, pour exclure que les conditions de la vente du 16 juin 2010 aient démontré l'abus dont la société Bretigny s'était rendue coupable en obtenant des conditions financières particulièrement avantageuses, notamment au regard du montant de l'indemnité d'occupation fixée, la cour d'appel s'est bornée à affirmer, en termes généraux et abstraits, qu'il serait « communément admis » que l'indemnité prévue à une convention d'occupation précaire soit supérieure au prix moyen des loyers en raison de la faculté de rachat laissée au vendeur ; qu'en statuant par ce motif d'ordre général et abstrait, sans examiner si, en l'espèce, le montant de l'indemnité d'occupation révélait ou non un abus de l'acquéreur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1112 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°) ALORS QU'en écartant toute nullité de l'acte de vente pour violence économique au prétexte que le compromis de vente signé en février 2010 aurait été soumis aux mêmes conditions, prétexte inopérant dès lors qu'il avait été conclu dans le même contexte de pression et d'urgence que l'acte authentique puisqu'il faisait suite à l'arrêt du 30 novembre 2009 ordonnant la vente amiable au plus tard pour le 20 mars 2010, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1112 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°) ALORS QUE sauf prescription ou contradiction au détriment d'autrui, un moyen venant au soutien d'une demande de nullité peut être soulevé en tout état de cause ; qu'en retenant pourtant encore, pour écarter toute nullité de l'acte de vente du 16 juin 2010, que la société DMB n'avait pas, dès l'assignation, invoqué le moyen tiré de la violence économique pour fonder sa demande, la cour d'appel, qui a statué derechef par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1112 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.