AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ la société ASPC, société à responsabilité limitée, dont le siège est ...,
2°/ M. X..., mandataire-liquidateur, domicilié immeuble Vision 2000, ..., agissant en sa qualité de représentant des créanciers de la société à responsabilité limitée ASPC, admise au redressement judiciaire par décision du tribunal de commerce de Mâcon du 22 juillet 1994,
en cassation d'un arrêt rendu le 8 juillet 1994 par la cour d'appel de Besançon (2e chambre commerciale), au profit de la société Favre, société anonyme, dont le siège est 39260 Moirans-en-Montagne,
défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 10 décembre 1996, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. Léonnet, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de la société ASPC et de M. X..., ès qualités, de la SCP Defrenois et Levis, avocat de la société Favre, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Besançon, 8 juillet 1994) que la société Favre, fabricant de jouets, a confié en 1989 à la société ASPC, spécialisée dans le façonnage de produits en matière plastique injectée, la réalisation en sous-traitance de différentes pièces destinées à des jeux pour enfants; qu'au mois de décembre 1993, la société ASPC a adressé à la société Favre une facture d'un montant de 1 472 935,50 francs concernant des produits fabriqués pour cette entreprise en 1993; qu'estimant que ces produits avaient déjà été régulièrement payés, et que cette facture remettait rétroactivement en cause le tarif arrêté entre les parties, la société Favre en a refusé le règlement; que la société ASPC a alors décidé d'interrompre les livraisons destinées à la société Favre et de retenir les moules que celle-ci lui avait confiés pour sa fabrication; qu'il s'ensuivit plusieurs instances en référé devant diverses juridictions commerciales à l'issue desquelles la société Favre a obtenu la restitution de ses moules retenus par ASPC; que la société ASPC a assigné la société Favre devant le tribunal de commerce pour que cette société soit condamnée à lui payer le montant des factures qu'elle prétendait impayées ainsi que des dommages-intérêts pour rupture abusive de relations contractuelles; que M. X... a déclaré reprendre l'instance en qualité de liquidateur de la société ASPC;
Sur le premier moyen
, pris en ses quatre branches :
Attendu que M. X..., ès qualités, fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande de la société tendant au paiement d'une somme de 1 472 938,50 francs au titre d'une facturation complémentaire en date du 17 décembre 1993, alors, d'une part, selon le pourvoi, que la cour d'appel constate que la facturation en litige concerne la fabrication par injection de gaz, non seulement des poignées du porteur "Carino" (pour 248 999,68 francs), mais encore des éléments du trotteur "Vito"; que la cour d'appel, qui relève que cette technique par injection de gaz était déjà utilisée pour les poignées du porteur "Carino" sans qu'il y ait eu révision de prix en 1992, et qui écarte, pour ce seul motif, le moyen tiré de la mise en oeuvre d'une nouvelle technique d'injection en 1993 pour la fabrication du trotteur "Vito", s'est déterminée par une considération inopérante et a ainsi privé sa décision de motif en violation de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile; alors que, d'autre part, les pièces versées aux débats par la société ASPC ne comportaient que les prix de vente des éléments du trotteur "Vito" pour février-mars 1993 et avril-mai 1993, et non pour septembre 1993, mention figurant sur la seule pièce n 13 communiquée par la société Favre; que la cour, en estimant que des pièces versées aux débats il résultait que le prix unitaire de chaque élément du trotteur "Vito" avait fait l'objet d'une tarification précise et écrite de la société ASPC, sans autre examen de la portée de la discordance apparente sur la même pièce produite par chacune des parties, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article
1134 du Code civil; alors que, de surcroît, la pratique consistant à imposer à un sous-traitant de vendre ses produits à un prix inférieur au prix de revient est abusive; que la cour d'appel, qui constate que pour certaines pièces, le prix de vente était inférieur au prix de revient, ce qui constitue une pratique illicite, et qui estime cependant que la société Favre n'a pas abusé d'une situation économique dominante, n'a pas déduit de ses constatations les conséquences légales au regard de l'article 8, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986; et, alors enfin, qu'il résulte des éléments de la cause que le refus de la société Favre d'accepter le bordereau de cession de créance Dailly du 29 décembre 1993 que la société ASPC avait créé en représentation de la facture complémentaire date du 6 janvier 1994, soit postérieurement au 2 janvier 1994, date à laquelle la société ASPC indiquait à la société Favre qu'elle entendait faire rétention sur l'ensemble des matériels; que la cour d'appel, en estimant que c'est ce refus d'accepter le bordereau de cession de créance Dailly qui a conduit la société ASPC à adresser à la société Favre, le 2 janvier 1994, le courrier par lequel elle lui indiquait qu'elle entendait faire rétention sur l'ensemble des matériels, s'est encore déterminée par une considération inopérante et a ainsi privé sa décision de motifs en violation de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, appréciant les éléments de preuve versés au débat par les parties, a relevé que les prestations effectuées par la société ASPC pour la société Favre avaient toujours été, depuis 1983, facturées sur la base des tarifs unitaires définis par le sous-traitant au jour des commandes; que la cour d'appel a également constaté que la société ASPC avait livré à la société Favre, au cours de l'année 1992, des produits fabriqués par "injection-gaz" et que cette technique n'était pas nouvelle pour cette entreprise lorsqu'elle avait livré les "trotteurs-porteurs Vito" en 1993 dont les prix avaient été "ramenés à 4,20 francs, 2,29 francs et 1,36 francs à partir du mois de septembre 1993"; qu'en usant de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et en relevant que le refus d'accord de la société Favre pour une facturation supplémentaire résultait "suffisamment de ce quelle (avait) refusé d'accepter le bordereau de cession de créance" que la société ASPC avait créé en représentation de la facture en litige, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs de la première, deuxième et quatrième branches du moyen;
Attendu, en second lieu, que le fait pour un fournisseur d'accepter de vendre à une entreprise un produit qu'il fabrique à un prix inférieur au prix de revient n'implique une exploitation abusive de la part de cette entreprise que s'il est établi que le fournisseur se trouve à son égard dans un état de dépendance économique et qu'il ne dispose pas de solution équivalente; que la cour d'appel n'ayant pas constaté que la société ASPC se trouvait dans cette situation, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 8.2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le deuxième moyen
, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X..., ès qualités, fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive de contrat, alors que, selon le pourvoi, d'une part, suivant la lettre du 4 janvier 1994 reproduite dans l'arrêt, la restitution des pièces et outillages était demandée par la société Favre quelque soit le bien-fondé des prétentions de la société ASPC concernant la facture complémentaire du 17 décembre 1993; qu'en considérant cependant que la rupture du contrat était imputable à la société ASPC au seul motif que celle-ci remettait subitement en cause les accords suivis par les parties, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations établissant que la rupture immédiate du contrat provenait du fait unilatéral de la société Favre, violant ainsi les dispositions des articles
1134 et
1184 du Code civil; et alors que, d'autre part, l'obligation de loyauté rappelée par l'article
1134, alinéa 3, du Code civil est renforcée si les parties se trouvent dans un rapport contractuel relevant des dispositions de l'article 8, alinéa 2, de l'ordonnance du 1er décembre 1986; qu'en l'espèce, la société ASPC avait fait valoir dans ses conclusions que la société Favre, en rompant de manière brutale et unilatérale le contrat de prestation de services qui la liait à la société ASPC, s'était rendue coupable d'un acte de malveillance dans l'intention de nuire à un partenaire commercial dans un état de
dépendance économique; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions pertinentes, et en imputant la rupture du contrat à la société ASPC, qui était dans un état de dépendance économique vis-à-vis de la société Favre, la cour d'appel a violé les articles
4 et
455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que l'arrêt a constaté que la société ASPC avait, de façon irrégulière, facturé à nouveau des marchandises déjà payées et qu'elle avait, pour obtenir le paiement de la facture complémentaire, fait pression sur la société Favre, en procédant de façon brutale et unilatérale à la rétention des matériels et produits destinés à la société Favre, ce qui avait paralysé la distribution de ses produits et l'avait empêchée de faire procéder à leur fabrication par un autre sous-traitant en l'obligeant à saisir le juge des référés pour obtenir restitution de ses moules; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, ayant exclu la "prétendue situation économique dominante" de la société Favre, a pu décider que la rupture des relations contractuelles entre les parties n'était pas imputable à la société Favre et rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts présentée par la société ASPC pour rupture abusive; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le troisième moyen
:
Attendu que M. X..., ès qualités, fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamné au paiement de 150 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, que la société ASPC avait rappelé dans ses conclusions demeurées sans réponse que, sur les 28 jours pendant lesquels elle avait retenu les moules et outillages de la société Favre, elle y avait été autorisée par ordonnance du président du tribunal de commerce de Lons-le-Saunier pour la période du 18 au 27 janvier 1994 à la suite de l'ordonnance autorisant une saisie conservatoire sur ces moules ;
que la cour d'appel, en allouant à la société Favre des dommages-intérêts en réparation de l'immobilisation des outillages par la société ASPC pendant un mois, n'a pas répondu à ces conclusions et a violé les articles
4 et
455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu que c'est pas une décision motivée que la cour d'appel a, répondant aux conclusions de la société ASPC, déterminé le préjudice subi par la société Favre en constatant que cette dernière avait été privée de son matériel pendant un mois du fait de la rétention des moules de fabrication; que le moyen n'est pas fondé;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société ASPC et M. X..., ès qualités, aux dépens;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Favre;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.