Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 mars 2021 et 3 mai 2022, la société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA) Mandataires judiciaires associés (MJA), agissant en qualité de mandataire judiciaire de la liquidation de la société anonyme à responsabilité limitée (SARL) architecture et conseil Patricia Leboucq, représentée par Me Edou, demande à la juge des référés :
1°) de condamner la région Ile-de-France à lui verser, sur le fondement de l'article
R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 122 727,78 euros hors taxes (HT) au titre de ses honoraires de maîtrise d'œuvre correspondant à la prolongation exceptionnelle du chantier du lycée Prony à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) pour la période ayant couru du 1er septembre 2016 au 24 août 2017 ;
2°) de mettre à la charge de la région Ile-de-France la somme de 3 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la responsabilité de la prolongation du délai d'exécution des travaux de 53 mois, qui ne lui est pas imputable, légitime le principe de la provision de 122 727,78 euros HT qu'elle sollicite, laquelle correspond aux honoraires qui lui étaient dus pour la période ayant couru du 1er septembre 2016 au 24 août 2017, comme l'a d'ailleurs admis le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends (CCIRA) ;
- faute de rémunération pendant trois ans, alors que la région Ile-de-France a explicitement reconnu que le retard de 53 mois en cause ouvrait droit à rémunération pour l'ensemble des locateurs de l'ouvrage à l'exception de l'architecte, elle a subi un grave préjudice financier et a été contrainte de licencier l'intégralité de son personnel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 août 2021, la présidente de la région Ile-de-France, représentée par Me Mokhtar, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société MJA au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- si, au cours de l'exécution des travaux, de nombreuses difficultés sont apparues et ont retardé la livraison du chantier, la région Ile-de-France n'en a pas été tenue pour responsable ; en tout état de cause, la requérante, qui a été rémunérée sur le fondement des stipulations contractuelles et qui sollicite le versement d'une provision complémentaire sur le seul fondement de l'allongement de la durée d'exécution des travaux sans établir que ses missions ont été modifiées, ne justifie ni d'une modification du programme ou des prestations par le maître d'ouvrage, ni de difficultés trouvant leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat ou la réalisation de prestations indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art ;
- l'obligation de la requérante, qui ne justifie au surplus pas du montant de son préjudice et qui, en toute hypothèse, ne peut être rémunérée que de manière forfaitaire et non en proportion de la durée d'exécution du chantier, est sérieusement contestable.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée ;
- le décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Oriol, vice-présidente, en application de l'article
L. 511-2 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit
:
1. La région Ile-de-France a entrepris des travaux de restructuration d'ensemble et d'extension du lycée Prony à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) pour augmenter sa capacité d'accueil, en désignant comme mandataire la société d'aménagement et d'équipements de la région parisienne (SAERP). Le marché de maîtrise d'œuvre, notifié le 2 septembre 2005 pour une rémunération égale à 10,16 % du montant total des travaux, a été attribué au groupement constitué des sociétés Architecture et Conseil Patricia Leboucq, mandataire, et Beterem Ingénierie, tandis que le délai d'exécution de leurs missions était fixé à 57 semaines. Les travaux ont commencé le 19 octobre 2009 et la date prévue pour leur réception a été fixée au 15 mars 2013. Toutefois, les bâtiments des sites " Maine " et " Bretagne " n'ont été livrés qu'en janvier 2014 et août 2017 respectivement, après que le marché de maîtrise d'œuvre en cause eut été modifié par quatre avenants successifs à partir de 2009, notamment pour augmenter la rémunération prévue pour le groupement en raison de la prolongation du délai d'exécution des travaux pour une durée de trente mois et demi, rendue nécessaire, entre autres, par plusieurs difficultés imprévues concernant le local transformateur du site " Bretagne " et le mauvais état des bâtiments préfabriqués récupérés à Courbevoie. De ce fait, la société à responsabilité limitée (SARL) Architecture et Conseil Patricia Leboucq a sollicité, le 14 décembre 2012, l'allongement des délais de travaux des phases 1 et 2 du site " Maine " et le report de la date de livraison de la phase " 3 " du site Bretagne, ce qui lui a été refusé par la SAERP qui a vainement proposé, à la place, un avenant portant sur des missions complémentaires pour aléas de chantier, d'études et de travaux, sous réserve que la maîtrise d'œuvre renonce à ses prétentions concernant l'allongement des délais de travaux. Le 13 février 2017, la SARL Architecture et Conseil Patricia Leboucq a finalement demandé à la SAERP de l'indemniser des conséquences financières de l'allongement de la durée des travaux sur la période ayant couru du 1er septembre 2016 au 24 août 2017, pour laquelle elle n'a pas perçu d'honoraires. Alors que la SAERP a refusé de faire droit à cette demande, la SARL Architecture et Conseil Patricia Leboucq a été placée en liquidation judiciaire le 29 avril 2021, la SELAFA MJA ayant été désignée comme mandataire liquidateur. Si par lettre du 13 août 2021, la région Ile-de-France a résilié le marché de maîtrise d'œuvre et établi un décompte faisant état d'un solde de 18 079,15 euros toutes taxes comprises (TTC) au bénéfice de la requérante, la SELAFA MJA demande à la juge des référés de condamner la région Ile-de-France à lui verser une provision de 122 727,78 euros HT au titre de la rémunération complémentaire qu'elle estime être due à la SARL Architecture et Conseil Patricia Leboucq au titre de la période ayant couru du 1er septembre 2016 au 24 août 2017.
Sur la demande de provision :
2. Aux termes de l'article
R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ".
3. Il résulte des dispositions de l'article
9 de la loi du 12 juillet 1985 et de l'article 30 du décret du 29 décembre 1993, visés ci-dessus, que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seules une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peuvent donner lieu, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. La prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage. En outre, le maître d'œuvre qui effectue des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage n'a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations que lorsque, soit elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, soit le maître d'œuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat.
4. Ainsi qu'il a été dit au point 1 ci-dessus, la SAERP a refusé d'indemniser la SARL Architecture et Conseil Patricia Leboucq des conséquences de l'allongement de la durée du marché, arguant de ce qu'il avait été modifié par quatre avenants successifs et un protocole transactionnel signé le 31 mars 2017. Il résulte toutefois de l'instruction que si l'expert mandaté par le tribunal a estimé, dans son rapport du 12 août 2016, que des travaux supplémentaires non prévus initialement avaient été commandés par le maître d'ouvrage, le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends (CCIRA) a pour sa part estimé que la prolongation de la mission de maîtrise d'œuvre avait présenté un caractère exceptionnel du simple fait de sa durée de 48 mois et induit de ce fait des charges supplémentaires. En raison de ces analyses divergentes, les questions d'appréciation juridique des faits posées soulèvent des difficultés sérieuses, qu'il n'appartient pas à la juge des référés de connaître.
5. Dans ces conditions, et dès lors en outre que le rapport d'expertise du 12 août 2016 a dégagé la région Ile-de-France de toute responsabilité, tandis que celle du groupement de maîtrise d'œuvre dont la société requérante est membre a été engagée à concurrence de 5 % pour manquement dans la direction d'exécution des travaux, la SELAFA MJA n'est pas fondée à se prévaloir d'une obligation non sérieusement contestable de la SARL Architecture et Conseil Patricia Leboucq au titre de la réparation du préjudice financier subi du fait du retard dans l'exécution du marché.
6. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les conclusions de la SELARL MJA tendant à la condamnation de la région Ile-de-France à lui verser une provision.
Sur les frais liés à l'instance :
7. La région Ile-de-France n'étant pas la partie perdante à l'instance, il y a lieu de rejeter les conclusions de la requérante présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a également lieu de rejeter les conclusions de la région Ile-de-France présentées sur le même fondement.
Par ces motifs
, le tribunal ordonne :
Article 1er : La requête de la SELAFA MJA est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la région Ile-de-France présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SELAFA MJA et à la présidente de la région Ile-de-France.
Fait à Cergy, le 19 janvier 2023.
La juge des référés,
signé
C. Oriol
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine, en ce qui le concerne, ou à tous les commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.