21 NOVEMBRE 2023
Arrêt
n°
KV/SB/NS
Dossier N° RG 21/01493 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FUGR
[O]
[V] [W]
/
Société [7] AUVERGNE RHONE ALPES , Organisme CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE ALLIER
jugement au fond, origine pole social du tj de moulins, décision attaquée en date du 31 mai 2021, enregistrée sous le n° 18/01248
Arrêt rendu ce VINGT-ET-UN NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT-TROIS par la CINQUIEME CHAMBRE CIVILE CHARGEE DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE ET DE L'AIDE SOCIALE de la cour d'appel de RIOM, composée lors du délibéré de :
Monsieur Christophe VIVET, président
Mme Karine VALLEE, conseillère
Mme Sophie NOIR, conseillère
En présence de Mme Nadia BELAROUI, greffière lors des débats et de Mme Séverine BOUDRY, greffière lors du prononcé
ENTRE :
Mme [O] [V] [W]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Blandine GUILLON de la SELARL CABINET GUILLON, avocat au barreau de VALENCE
APPELANTE
ET :
Société [7] AUVERGNE RHONE ALPES
prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité à son siège sis:
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-Baptiste TRAN-MINH de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON et par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE L'ALLIER
[Adresse 6]
[Localité 1]
Représenté par Me Valérie BARDIN-FOURNAIRON de la SAS HDV AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et par Me Thomas FAGEOLE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMES
Après avoir entendu Mme VALLEE, conseiller, en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 18 septembre 2023, la cour a mis l'affaire en délibéré, le président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article
450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 18 février 2002, Mme [V] [W] a intégré les effectifs de la société [7] Massif Central, aux droits de laquelle vient la société [7] Auvergne Rhône Alpes.
En septembre 2013 Mme [V] [W] a été promue au poste de directrice de l'agence de [Localité 8].
A compter du 28 août 2014, elle a été placée en arrêt de travail pour raison médicale.
En date du 17 février 2016, elle a complété une déclaration de maladie professionnelle au titre d'un syndrome anxio-dépressif, qui a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier (la CPAM) au titre de la législation sur les risques professionnels.
Le 3 avril 2017, après avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Auvergne (le CRRMP-Auvergne), la CPAM de l'Allier a notifié à Mme [V] [W] et à la société [7] Auvergne Rhône Alpes une décision de prise en charge de l'affection déclarée au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 18 juillet 2018, Mme [V] [W] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Allier d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la société [7] Auvergne Rhône Alpes, au titre de sa maladie professionnelle déclarée le 17 février 2016.
En application de la loi n°2016-1457 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et du décret n°2018-772 du 4 septembre 2018, les affaires en cours devant le tribunal des affaires sécurité sociale de l'Allier ont été transférées au 1er janvier 2019 au pôle social du tribunal de grande instance de Moulins, devenu à compter du 1er janvier 2020 le tribunal judiciaire de Moulins par application de l'ordonnance n°2019-964 du 18 septembre 2018 prise en application de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
Par jugement contradictoire du 31 mai 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Moulins a statué comme suit:
- déclare le recours présenté par Mme [V] [W] recevable en la forme,
- rejette la demande de sursis à statuer présentée par la société [7] Auvergne Rhône Alpes,
- déboute Mme [V] [W] de sa demande visant à voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur, la société [7] Auvergne Rhône Alpes, au titre de sa maladie professionnelle déclarée le 18 février 2016,
- rejette les demandes présentées par Mme [V] [W] au titre de l'expertise et de la provision,
- déboute Mme [V] [W] de sa demande présentée sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile,
- déboute la société [7] Auvergne Rhône Alpes de sa demande présentée sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile,
- déboute les parties de leurs autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de la CPAM de l'Allier en l'absence de reconnaissance de faute inexcusable,
- condamne Mme [V] [W] aux dépens de l'instance.
Le jugement a été notifié à Mme [V] [W] le 09 juin 2021.
Par déclaration expédiée le 5 juillet 2021, Mme [V] [W] en a relevé appel.
Les parties ont été convoquées à l'audience de la cour du 18 septembre 20232, où elles ont été représentées par leurs conseils.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ses dernières conclusions visées par le greffe et soutenues oralement à l'audience du 18 septembre 2023, Mme [V] [W] présente les demandes suivantes à la cour:
- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Moulins en ce qu'il a rejeté sa demande visant à voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur et les demandes en découlant, ses demandes au titre de l'expertise et de la provision, et sa demande sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré son recours recevable,
- juger que le syndrome anxio-dépressif déclaré présente un caractère professionnel,
Et statuant à nouveau:
- dire et juger que la société [7] a commis une faute inexcusable qui est à l'origine de la maladie professionnelle dont elle a été victime,
- fixer au taux maximum la majoration de rente qui lui sera versée,
- ordonner la désignation d'un expert avec la mission suivante:
* décrire ses lésions subies
* évaluer le préjudice esthétique
* évaluer le préjudice d'agrément
* évaluer le préjudice pretium doloris
* évaluer la diminution des possibilités professionnelles,
- condamner la société [7] à lui payer la somme de 3.000 euros par application de l'article
700 du code de procédure civile,
- condamner la [7] Massif central et la CPAM de l'Allier aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions visées par le greffe et soutenues oralement à l'audience du 18 septembre 2023, la société [7] Auvergne Rhône Alpes présente les demandes suivantes à la cour:
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [V] [W] de sa demande visant à voir reconnaître sa faute inexcusable, rejeté les demandes présentées par Mme [V] [W] au titre de l'expertise et de la provision, débouté Mme [V] [W] de sa demande sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile, et condamné Mme [V] [W] aux dépens de l'instance,
- réformer le jugement en ce qu'il a déclaré le recours présenté par Mme [V] [W] recevable en la forme, et l'a déboutée de sa demande sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau:
- juger que l'affection de syndrome anxio-dépressif de Mme [V] [W] ne présente pas de caractère professionnel,
- condamner Mme [V] [W] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile, outre le sentiers dépens d'instance et d'appel.
Par ses dernières conclusions visées par le greffe et soutenues oralement à l'audience du 18 septembre 2023, la CPAM de l'Allier présente les demandes suivantes à la cour, si elle reconnaissait la faute inexcusable de l'employeur:
- dire qu'elle est fondée à solliciter le remboursement de l'ensemble des sommes avancées par elle au titre de l'expertise auprès de la société [7] Massif central en sa qualité d'employeur,
- dire qu'elle est fondée à solliciter le remboursement auprès de la société [7] Massif central de l'ensemble des sommes avancées par elle au titre de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, au titre des préjudices et de la majoration de la rente,
- dire qu'elle est recevable à ce que l'ensemble des sommes versées par elle, tant au titre de l'expertise qu'au titre des sommes allouées au titre la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, et ce tant au titre des préjudices que de la majoration de la rente, auprès de la société [7] Massif central , portent intérêts au taux légal à compter du jour du versement des sommes allouées à Mme [V] [W].
Conformément aux dispositions de l'article
455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées des parties, oralement soutenues à l'audience, pour l'exposé de leurs
MOTIFS
Le L.461-1 alinéa 5 du code de la sécurité sociale relatif aux maladies professionnelles, dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu'est 'présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.'
L'article
L.461-1 alinéa 6 du code de la sécurité sociale dispose que 'si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
L'article
L.461-1 alinéa 7 du code de la sécurité sociale dispose que 'peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L.434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
L'article
L.461-1 alinéa 8 du code de la sécurité sociale dispose en particulier que 'dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles', et que ' l'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L.315-1.'
L'article
L.461-1 alinéa 9 du code de la sécurité sociale dispose que 'les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d'origine professionnelle, dans les conditions prévues aux septième et avant-dernier alinéas du présent article.'
En l'espèce, le syndrome anxio-dépressif déclaré par Mme [V] [W] relevant d'une pathologie psychique non désignée dans un tableau des maladies professionnelles, la CPAM de l'Allier a, en application des dispositions susvisées, soumis le dossier au CRRMP de la région Auvergne, lequel, par avis du 6 mars 2017, a conclu à l'existence d'une relation causale directe et essentielle entre les activités professionnelles exercées et l'affection déclarée.
Cet avis s'imposant à la caisse, celle-ci a notifié le 3 avril 2017 à l'assurée et à son employeur une décision de prise en charge de la pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels.
La société [7] Auvergne Rhône Alpes a saisi le tribunal judiciaire de Lyon d'une action en contestation de l'opposabilité de cette décision de prise en charge. Ce recours, enregistré sous le numéro de répertoire général 17/02041, est toujours pendant, l'affaire étant renvoyée à l'audience de mise en état du 26 octobre 2023.
Les rapports entre l'employeur et la caisse primaire d'assurance maladie étant indépendants de ceux entre l'employeur et la victime, le fait que le caractère professionnel de la maladie ne soit pas définitivement établi dans les rapports entre la caisse et l'employeur ne prive pas la victime du droit d'engager contre son employeur une action en reconnaissance de faute inexcusable.
Pour autant, l'employeur peut toujours soulever l'absence de caractère professionnel de la maladie déclarée pour défendre à l'action en reconnaissance de faute inexcusable, laquelle ne peut être retenue que si l'affection déclarée répond aux conditions légales pour être qualifiée de maladie professionnelle.
L'article
R.142-17-2 du code de la sécurité sociale, anciennement article 142-24-2, dispose que 'lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l'origine professionnelle d'une maladie dans les conditions prévues aux sixième et septième alinéas de l'article
L.461-1, le tribunal recueille préalablement l'avis d'un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du huitième alinéa de l'article
L.461-1. Le tribunal désigne alors le comité d'une des régions les plus proches.'
Ce texte, qui ne distingue pas selon la nature de l'action au cours de laquelle le différend portant sur l'origine professionnelle de la maladie est constaté, est applicable aux actions en reconnaissance de faute inexcusable lorsque l'employeur se prévaut en défense de l'absence de caractère professionnel de la maladie qui y a donné lieu.
En l'espèce, au regard de la contestation par l'employeur, la société [7] Auvergne Rhône Alpes, du caractère professionnel de l'affection déclarée par Mme [V] [W], le recueil de l'avis d'un CRRMP autre que celui de la région Auvergne est nécessaire.
Or, bien que ce moyen de défense ait été soulevé en première instance par l'employeur, le pôle social du tribunal judiciaire de Moulins n'a pas sollicité l'avis d'un second CRRMP avant de statuer sur les demandes présentées par Mme [V] [W].
La cour reste néanmoins tenue d'obtenir, préalablement à sa décision sur le bien fondé de l'action en reconnaissance de faute inexcusable qui lui est dévolue, l'avis d'un CRRMP autre que celui saisi par la CPAM de l'Allier dans le cadre de l'instruction de la déclaration de maladie professionnelle.
Ni la société [7] Auvergne Rhône Alpes ni la CPAM de l'Allier, parties à l'instance introduite devant le tribunal judiciaire de Lyon, ne font état des moyens soulevés et des pièces produites dans le cadre de cette procédure.
La cour déduit du numéro de répertoire général attribué par le tribunal judiciaire de Lyon que l'instance a été introduite par la société [7] Auvergne Rhône Alpes dans le courant de l'année 2017.
A la date du 26 octobre 2023 mentionnée au bulletin de renvoi produit par la société [7] Auvergne Rhône Alpes, l'affaire, en cours de mise en état, était donc toujours pendante.
Les raisons expliquant la durée de cette procédure ancienne de six années sont inconnues de la cour, diverses circonstances tenant à la longueur des délais de traitement des affaires et/ou à des incidents de procédure pouvant notamment y avoir concouru.
La cour peut également raisonnablement supposer que cette durée importante de procédure est imputable au moins pour partie à la désignation d'un second CRRMP, prescrite par l'article
R.142-17-2 du code de la sécurité sociale en cas de différend portant sur l'origine professionnelle de la maladie.
Si cette hypothèse était confirmée, il serait satisfait à la règle posée par ce texte sans qu'il soit nécessaire de procéder, dans le cadre de la présente instance d'appel, à la désignation d'un CRRMP autre que celui saisi par la caisse.
En conséquence, il y a lieu d'ordonner la réouverture des débats à l'audience du 5 février 2024 à l'effet de provoquer les observations des parties sur ce point et d'inviter la société [7] Auvergne Rhône Alpes et la CPAM de l'Allier à verser aux débats, le cas échéant, l'avis du CRRMP, autre que celui de la région Auvergne, qui aurait pu être désigné par le tribunal judiciaire de Lyon dans le cadre de la procédure enrôlée sous le numéro de répertoire général 17/02041.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire non susceptible de recours, après en avoir délibéré,
- Ordonne la réouverture des débats afin de provoquer les observations des parties sur l'hypothèse de la désignation par le tribunal judiciaire de Lyon d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles autre que celui de la région Auvergne dans le cadre de la procédure opposant la société [7] Auvergne Rhône Alpes à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier, enregistrée sous le numéro de répertoire général 17/02041,
- Invite la société [7] Auvergne Rhône Alpes et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Allier à verser aux débats, le cas échéant, l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles autre que celui de la région Auvergne,
- Renvoie l'affaire à l'audience du 5 février 2024 à 14h00,
- Dit que la notification du présent arrêt de réouverture des débats vaut convocation des parties à l'audience de renvoi du 5 février 2024.
Ainsi fait et prononcé le 21 novembre 2023 à Riom.
Le greffier, Le président,
S. BOUDRY C. VIVET