Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 octobre 2023 et 22 janvier 2024, Mme B A, représentée par Me Dioum, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " au regard de sa situation actuelle et, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation personnelle en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros hors taxes en application des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil, qui s'engage dans ce cas à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- l'arrêté est entaché d'incompétence de son auteur ;
- il est entaché d'un défaut de motivation ;
- il méconnaît l'article
L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît l'article
L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- l'exécution de la mesure d'éloignement vers Gaza méconnaît les stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte-tenu de la situation sur place.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par Mme A ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 23 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 26 janvier 2024.
Par une décision du 3 novembre 2023, Mme A a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hameline, présidente-rapporteure,
- et les observations de Me Dioum, représentant Mme A.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme B A, née à Gaza le 16 juillet 1991 et titulaire d'un passeport délivré par l'Autorité palestinienne, est entrée en France le 12 décembre 2022 sous couvert d'un visa de court séjour, et déclare s'y être maintenue continuellement depuis. Le 14 février 2023, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 29 septembre 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. La requérante demande au tribunal d'annuler cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône :
2. En premier lieu, l'arrêté attaqué du 29 septembre 2023 a été signé par Mme D C, adjointe au chef du bureau de l'éloignement du contentieux et de l'asile à la direction des migrations, de l'intégration et de la nationalité de la préfecture des Bouches-du-Rhône, qui bénéficiait d'une délégation, accordée par arrêté du préfet n° 13-2023-05-16-00003 du 16 mai 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 13-2023-114 du même jour, à l'effet de signer notamment les refus de séjour et les décisions portant obligation de quitter le territoire français. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit dès lors être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article
L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / - restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police () ". Aux termes de l'article
L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Aux termes de l'article
L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / () 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents () ". Aux termes de l'article
L. 613-1 de ce code : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Dans le cas prévu au 3° de l'article
L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. () ".
4. L'arrêté contesté vise les textes dont il a fait application, notamment les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il expose, par ailleurs, avec suffisamment de précision les éléments déterminants de la situation personnelle et familiale de Mme A qui ont conduit à lui refuser la délivrance d'un titre de séjour et à l'obliger à quitter le territoire français, alors que le préfet n'était notamment pas tenu de mentionner de manière détaillée les circonstances liées à la nationalité et à l'état de santé du frère de l'intéressée. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, le préfet des Bouches-du-Rhône a indiqué que Mme A est entrée en France le 12 décembre 2022 " sous couvert d'un visa d'une validité de 90 jours ", mais qu'elle n'établit pas s'y être maintenue continuellement depuis lors. Cet arrêté comporte ainsi de manière suffisamment précise, circonstanciée et non stéréotypée, l'énoncé des éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement et est suffisamment motivé. Le moyen tiré du défaut de motivation doit, dès lors, être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
" 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article
L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
6. Mme A fait valoir qu'elle est entrée en France le 12 décembre 2022, sous couvert d'un visa de court séjour valable du 1er novembre 2022 au 30 avril 2023, et y est demeurée par la suite, en vue de porter assistance à son frère atteint d'une pathologie invalidante et dont elle constitue l'aidante principale. Toutefois, s'il ressort des pièces du dossier que le frère de la requérante résidant à Marseille souffre de séquelles importantes et notamment de troubles de l'équilibre à la suite de l'ablation chirurgicale d'une tumeur au cerveau, l'intéressée ne justifie pas, ainsi qu'elle l'allègue, que son frère serait de nationalité française et n'établit pas non plus être la seule à pouvoir assurer une telle aide. Par ailleurs, l'intéressée, qui ne séjourne en France que depuis neuf mois à la date de la décision contestée, est célibataire, ne fait état d'aucune autre attache personnelle ou familiale en France et n'établit pas davantage être dépourvue de telles attaches sur le territoire palestinien où résident, selon les mentions non contredites de l'arrêté attaqué, ses parents et la majorité de sa fratrie. Enfin, la requérante ne justifie pas d'une insertion sociale ou professionnelle sur le territoire français. Dans ces conditions, eu égard notamment à la faible durée de son séjour en France, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de Mme A au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise et n'a donc méconnu ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions de l'article
L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, cet arrêté n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation sur la situation de l'intéressée.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article
L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 () ".
8. Les circonstances exposées au point 6 ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à caractériser un motif exceptionnel ou des considérations humanitaires au sens des dispositions de l'article
L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit, dès lors, être écarté.
9. En cinquième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points précédents qu'aucun des moyens soulevés par Mme A à l'encontre de la décision du préfet des Bouches-du-Rhône rejetant sa demande de titre de séjour n'est fondé. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision, soulevé à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.
10. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi () ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de la même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Mme A soutient qu'elle craint, en cas de retour dans le territoire palestinien de Gaza où elle vivait avant son entrée en France, d'être exposée à des traitements contraires aux stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte-tenu de la situation locale. L'arrêté contesté, édicté le 29 septembre 2023 antérieurement à l'éclosion d'un conflit armé de forte intensité dans la bande de Gaza à la suite des attaques perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 sur le territoire israélien, prévoit que la requérante peut être éloignée " à destination du pays dont elle a la nationalité ou qui lui a délivré un titre de voyage en cours de validité ". Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait nécessairement exposée de ce fait à retourner exclusivement dans la bande de Gaza. Par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination doit être écarté. Toutefois, compte tenu du conflit en cours et de la situation humanitaire dans le territoire dont la requérante établit être originaire, il appartient à l'administration, soit de ne pas mettre immédiatement à exécution l'obligation faite à la requérante de quitter le territoire français, soit de prendre en compte cette situation survenue postérieurement à l'édiction de l'arrêté contesté pour l'exécution de la mesure d'éloignement et la détermination du pays de destination.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de Mme A doit être rejetée, y compris en ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au profit de son conseil sur le fondement des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 1er février 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Hameline, présidente,
- Mme Fabre, première conseillère,
- Mme Hétier-Noël, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juillet 2024.
L'assesseure la plus ancienne,
signé
E. FabreLa présidente-rapporteure,
signé
M-L. Hameline
La greffière,
signé
B. Marquet
La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,