1. | La demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France) porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de la directive 2014/17/UE ( 2 ), de l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2007/64/CE ( 3 ), de l’article 55, paragraphe 2, de la directive (UE) 2015/2366 ( 4 ), ainsi que de l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/92/UE ( 5 ). Ces dispositions visent, en substance, à faciliter la mobilité bancaire. |
2. | Cette demande a été présentée à l’occasion d’un litige opposant l’Association française des usagers de banques (ci-après l’« AFUB ») au ministre de l’Économie et des Finances, dans le cadre duquel l’AFUB conteste une réglementation nationale qui autorise le prêteur à conditionner une offre de prêt immobilier à la domiciliation par l’emprunteur, pendant dix ans ou, si la durée du contrat de prêt est inférieure, pendant cette durée, de l’ensemble de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement auprès du prêteur, sous réserve pour ce prêteur de faire bénéficier l’emprunteur d’un avantage individualisé en contrepartie de cette domiciliation. |
3. | L’AFUB estime que cette réglementation méconnaît l’objectif de facilitation de la mobilité bancaire poursuivi par les directives susmentionnées. Dans ce contexte, le Conseil d’État interroge la Cour sur la compatibilité d’une telle réglementation avec les dispositions du droit de l’Union exposées ci-dessous. |
4. | Dans les présentes conclusions, j’expliquerai pourquoi j’estime que, à supposer qu’une réglementation telle que celle en cause au principal permette une vente liée au sens de la directive 2014/17, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans le litige au principal, cette directive n’autorise pas une telle vente liée, ni en vertu de son article 12, paragraphe 2, sous a), ni en vertu de son article 12, paragraphe 3. En revanche, dans la mesure où la juridiction de renvoi estime que la réglementation en cause au principal porte sur une vente groupée au sens de la directive 2014/17, l’article 45, paragraphe 2 de la directive 2007/64, l’article 55, paragraphe 2 de la directive 2015/2366, ainsi que l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/92, ne s’opposent pas à une telle réglementation. |
5. | L’article 45 de la directive 2007/64, intitulé « Résiliation », prévoit à son paragraphe 2 : « Pour l’utilisateur de services de paiement, la résiliation d’un contrat-cadre conclu pour une durée déterminée supérieure à douze mois ou pour une durée indéterminée n’entraîne aucun frais après l’expiration d’une période de douze mois. Dans tous les autres cas, les frais de résiliation doivent être adaptés et en rapport avec les coûts. » |
6. | La directive 2007/64 a été abrogée avec effet à compter du 13 janvier 2018 par la directive 2015/2366 dont l’article 55 contient, à son paragraphe 2, une disposition en substance identique à celle de l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2007/64, si ce n’est que la période visée a été réduite de douze à six mois. |
7. | Les considérants 24 et 25 de la directive 2014/17 sont libellés comme suit :
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8. | L’article 4 de cette directive dispose : « Aux fins de la présente directive, on entend par : [...]
[...] » |
9. | L’article 12 de ladite directive prévoit : « 1. Les États membres autorisent la vente groupée mais interdisent la vente liée. 2. Nonobstant le paragraphe 1, les États membres peuvent prévoir que les prêteurs puissent demander au consommateur, à un membre de sa famille ou à un de ses proches :
[...] 3. Nonobstant le paragraphe 1, les États membres peuvent également autoriser les ventes liées lorsque le prêteur peut prouver à son autorité compétente que, en prenant dûment en compte la disponibilité et le prix des produits en question proposés sur le marché, les produits ou catégories de produits liés offerts dans des conditions similaires qui ne sont pas proposés séparément présentent des avantages évidents pour le consommateur. Le présent paragraphe s’applique uniquement aux produits qui sont commercialisés après le 20 mars 2014. [...] » |
10. | Le considérant 12 de la directive 2014/92 est libellé comme suit : « [...] L’ensemble des dispositions de la présente directive devraient s’appliquer aux comptes de paiement permettant aux consommateurs d’effectuer les opérations suivantes : verser des fonds, retirer des espèces et exécuter des opérations de paiement, y compris l’exécution de virements, en faveur de tiers, ou être les bénéficiaires de telles opérations de la part de tiers. En conséquence, les comptes assortis de fonctions plus limitées devraient être exclus. Par exemple, devraient en principe être exclus du champ d’application de la présente directive des comptes tels que les comptes d’épargne, les comptes liés à une carte de crédit dans le cadre desquels des fonds sont généralement versés dans le seul but de rembourser une dette de carte de crédit, les comptes courants destinés exclusivement au remboursement d’un crédit hypothécaire (current account mortgages) ou les comptes de monnaie électronique. Toutefois, si ces comptes devaient être utilisés pour exécuter des opérations de paiement quotidiennes et s’ils devaient comporter toutes les fonctions énumérées ci-dessus, ils relèveraient de la présente directive. [...] » |
11. | L’article 1 de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit à son paragraphe 6 : « La présente directive s’applique aux comptes de paiement permettant aux consommateurs d’effectuer au moins les opérations suivantes :
[…] » |
12. | Aux termes du paragraphe 3 de l’article 12 de ladite directive, intitulé « Frais associés au service de changement de compte » : « 3. Les États membres veillent à ce que les frais éventuellement facturés par le prestataire de services de paiement transmetteur au consommateur pour la clôture du compte de paiement que ce dernier détient auprès de lui soient fixés conformément à l’article 45, paragraphes 2, 4 et 6, de la [directive 2007/64 ( 6 )] » |
13. | Aux termes du II de l’article 67 de la loi no 2016-1691, du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le gouvernement est habilité à prendre par ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi permettant d’encadrer, dans le respect de l’article |
14. | L’article « I.-l. Est interdite la vente ou offre de vente de produits ou de prestations de services groupés sauf lorsque les produits ou prestations de services inclus dans l’offre groupée peuvent être achetés individuellement ou lorsqu’ils sont indissociables. 2. Est interdite toute vente ou offre de vente de produits ou de prestations de services faite au client et donnant droit à titre gratuit, immédiatement ou à terme, à une prime financière ou en nature de produits, biens ou services dont la valeur serait supérieure à un seuil fixé, en fonction du type de produit ou de service offert à la clientèle, par un règlement pris par arrêté du ministre chargé de l’économie, pris après avis du comité consultatif institué à l’article L. 614-1. Ces dispositions s’appliquent également aux services de paiement mentionnés au II de l’article |
15. | Aux termes de l’article « L’offre mentionnée à l’article L. 313-24 : [...]
[...] » |
16. | L’article « Le prêteur peut conditionner l’offre de prêt mentionnée à l’article L. 313-24 à la domiciliation par l’emprunteur de ses salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement mentionné à l’article Cette condition ne peut être imposée à l’emprunteur au-delà d’une durée maximale fixée par décret en Conseil d’État. Au terme du délai prévu par le contrat de crédit, l’avantage individualisé est acquis à l’emprunteur jusqu’à la fin du prêt. Si, avant le terme de ce délai, l’emprunteur cesse de satisfaire à la condition de domiciliation susmentionnée, le prêteur peut mettre fin, pour les échéances restant à courir jusqu’au terme du prêt, à l’avantage individualisé mentionné au premier alinéa, et appliquer les conditions, de taux ou autres, mentionnées au 10°de l’article |
17. | L’article R. 313-21-1, inséré dans ledit code par le décret no 2017-1099, du 14 juin 2017, fixant la durée pendant laquelle le prêteur peut imposer à l’emprunteur la domiciliation de salaires ou revenus assimilés sur un compte de paiement, dispose : « La durée maximale de domiciliation des salaires ou revenus assimilés mentionnée à l’article Cette durée ne peut en tout état de cause excéder celle du contrat de crédit. » |
18. | Par la loi no 2016-1691, du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, le Parlement français a habilité le gouvernement de cet État membre à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi permettant d’encadrer, dans le respect de l’article |
19. | L’adoption de l’ordonnance no 2017-1090, du 1er juin 2017, relative aux offres de prêt immobilier conditionnées à la domiciliation des salaires ou revenus assimilés de l’emprunteur sur un compte de paiement, résulte de cette habilitation. |
20. | Cette ordonnance a inséré un nouvel article |
21. | En réponse à une demande d’éclaircissements de la Cour ( 8 ), la juridiction de renvoi a précisé que la notion de « compte de paiement » au sens de l’article |
22. | Le décret no 2017-1099, du 14 juin 2017, pris sur le fondement de l’ordonnance mentionnée au point 19 des présentes conclusions, a inséré un nouvel article R-313-21-1 dans le code de la consommation, applicable aux offres de prêt émises depuis le 1er janvier 2018, prévoyant que la durée de la condition de domiciliation bancaire n’excède pas dix ans ou la durée de l’emprunt si celle-ci est inférieure à dix ans. |
23. | Devant le Conseil d’État, l’AFUB demande l’annulation de ce décret pour excès de pouvoir. |
24. | À cet égard, l’AFUB soutient, d’une part, que l’ordonnance no 2017-1090, du 1er juin 2017, par l’application de laquelle a été pris le décret attaqué méconnaît l’objectif de facilitation de la mobilité bancaire poursuivi par les directives 2007/64, 2015/2366, 2014/92 et 2014/17. En effet, elle autorise les établissements de crédit à assortir la domiciliation bancaire d’avantages et, en cas de renonciation à ces avantages, les emprunteurs subissent un coût prohibitif qui va à l’encontre de la mobilité bancaire. D’autre part, l’AFUB fait valoir que le décret attaqué méconnaît ce même objectif en ce qu’il fixe à dix ans la durée maximale pendant laquelle les établissements de crédit peuvent conditionner ces avantages à la domiciliation des salaires ou revenus assimilés des emprunteurs. |
25. | Le ministre de l’Économie et des Finances estime que ces moyens ne sont pas fondés. |
26. | En examinant la demande de l’annulation du décret, dont l’ordonnance no 2017-1090, du 1er juin 2017, constitue le fondement légal, le Conseil d’État s’interroge sur la compatibilité des dispositions contenues dans ces deux actes avec les directives précitées ( 9 ). |
27. | Plus précisément, cette juridiction considère que la réponse aux moyens soulevés par l’AFUB dépend du point de savoir, en premier lieu, si les dispositions de l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17, compte tenu notamment de la finalité qu’elles assignent au compte de paiement ou d’épargne dont elles autorisent l’ouverture ou la tenue, ou les dispositions de l’article 12, paragraphe 3, de cette même directive, autorisent, d’une part, le prêteur à imposer à l’emprunteur, en contrepartie d’un avantage individualisé, la domiciliation de l’ensemble de ses revenus salariaux ou assimilés sur un compte de paiement pendant une durée fixée par le contrat de prêt, quels que soient le montant, les échéances et la durée du prêt, et, d’autre part, que la durée ainsi fixée puisse atteindre dix ans ou, si elle est inférieure, la durée du contrat. |
28. | En second lieu, cette réponse dépendra du point de savoir si, d’une part, l’article 45 de la directive 2007/64, alors applicable et repris désormais à l’article 55 de la directive 2015/2366, et les articles 9 à 14 de la directive 2014/92, relatifs à la facilitation de la mobilité bancaire et aux frais de clôture d’un compte de paiement, s’opposent à ce que la clôture d’un compte ouvert par l’emprunteur auprès du prêteur pour y domicilier ses revenus en contrepartie d’un avantage individualisé dans le cadre d’un contrat de crédit entraîne, si elle a lieu avant l’expiration de la période fixée dans ce contrat, la perte de cet avantage, y compris plus d’un an après l’ouverture du compte et, d’autre part, si ces mêmes dispositions s’opposent à ce que la durée de cette période puisse atteindre dix ans ou la durée totale du crédit, si celle-ci est inférieure à dix ans. |
29. | Dans ces circonstances, par décision du 5 décembre 2018, parvenue à la Cour le 11 décembre 2018, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes :
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30. | Le gouvernement français, le gouvernement tchèque ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour. Le gouvernement français et la Commission ont comparu lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 18 décembre 2019. |
31. | Par la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17, ou l’article 12, paragraphe 3, de cette même directive, autorisent une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui permet au prêteur d’imposer à l’emprunteur, en contrepartie d’un avantage individualisé, la domiciliation de l’ensemble de ses revenus salariaux ou assimilés sur un compte de paiement pendant une durée fixée par le contrat de prêt, quels que soient le montant, les échéances et la durée du prêt, et qui permet que la durée ainsi fixée puisse atteindre dix ans ou, si elle est inférieure, la durée du contrat. |
32. | La directive 2014/17 fixe un cadre commun relatif à certains aspects des dispositions législatives des États membres concernant les contrats couvrant le crédit aux consommateurs garanti par une hypothèque ou autre crédit relatif à des biens immobiliers à usage résidentiel ( 10 ), et vise à garantir que les consommateurs concluant des contrats de crédit relatifs à des biens immobiliers bénéficient d’un niveau élevé de protection ( 11 ). |
33. | Dans ce contexte, l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/17 dispose que les États membres autorisent la vente groupée mais interdisent la vente liée ( 12 ). |
34. | Bien que la vente liée est interdite, l’article 12, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de la directive 2014/17, l’autorise cependant sous certaines conditions. Par la première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir si une réglementation telle que celle en cause au principal peut relever de l’une de ces deux exceptions. |
35. | À cet égard, je note, tout d’abord, que la directive 2014/17 s’applique aux situations visées par une réglementation relative aux prêts immobiliers telle que la réglementation litigieuse au principal. En effet, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de cette directive, celle-ci s’applique aux contrats de crédit destinés à permettre l’acquisition ou le maintien de droits de propriété sur un terrain ou un immeuble existant ou à construire. |
36. | Ensuite, je relève que la question préjudicielle est fondée sur la prémisse selon laquelle la réglementation nationale en cause au principal permet une vente liée, étant donné que les exceptions prévues à l’article 12, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de la directive 2014/17 ne visent que la vente liée. |
37. | Or, le gouvernement français fait valoir que la réglementation litigieuse relève de la vente groupée au sens de la directive 2014/17, et non de la vente liée et, partant, que cette réglementation nationale est autorisée en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de cette directive. Ledit gouvernement allègue que le prêteur est dans l’obligation de proposer au consommateur à la fois des crédits immobiliers avec clause de domiciliation bancaire, en contrepartie d’un avantage individualisé qui peut résider, par exemple, dans un taux d’intérêt préférentiel, la réduction des frais liés à la gestion du compte de paiement ou des frais de carte bancaire, et des crédits immobiliers sans clause de domiciliation bancaire. En d’autres termes, le crédit immobilier et le compte de paiement pourraient être achetés séparément ( 13 ). |
38. | Interrogé sur ce point, le Conseil d’État a relevé, en réponse à la demande d’éclaircissements de la Cour ( 14 ), que la question de savoir si la possibilité, prévue à l’article |
39. | Il apparaît ainsi que le Conseil d’État nourrit des doutes sur la portée de la réglementation en cause au principal ( 15 ). |
40. | À cet égard, je souligne l’incidence de la portée de la réglementation en cause au principal sur la réponse qu’il convient d’apporter à la question préjudicielle. |
41. | En effet, à supposer que la juridiction de renvoi considère que la réglementation en cause au principal permet une vente liée au sens de la directive 2014/17, cette réglementation ne sera autorisée, en vertu de cette directive, que si elle remplit les conditions que celle-ci prévoit soit à son article 12, paragraphe 2, sous a), soit à son article 12, paragraphe 3. Dans une telle situation, il y a certes lieu de vérifier l’applicabilité de ces deux dispositions au litige au principal. En revanche, si la juridiction de renvoi estime que la réglementation en cause au principal concerne une vente groupée au sens de l’article 4, point 27, de ladite directive, cette réglementation sera alors autorisée en tant que telle en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de cette même directive ( 16 ) qui, je le rappelle, permet la vente groupée ( 17 ). |
42. | J’examinerai ci-dessous l’applicabilité des exceptions contenues à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17 (section 1) et à l’article 12, paragraphe 3, de cette même directive (section 2) en supposant que la réglementation en cause au principal permet une vente liée au sens de l’article 4, point 26, de ladite directive ( 18 ). |
43. | L’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17, n’a pas encore, à ma connaissance, fait l’objet d’une appréciation par la Cour ( 19 ). |
44. | Cette disposition prévoit que les États membres peuvent permettre aux prêteurs de demander aux consommateurs d’ouvrir ou de tenir un compte de paiement ou d’épargne dont la seule finalité est d’accumuler un capital pour assurer le remboursement du principal et des intérêts du prêt, de mettre en commun des ressources aux fins de l’obtention du crédit ou de fournir au prêteur des garanties supplémentaires en cas de défaut de paiement. |
45. | En l’espèce, il convient par conséquent de vérifier si le compte de paiement prévu à l’article |
46. | Comme je l’exposerai, j’estime que tel n’est pas le cas : d’une part, je nourris des doutes sur la conformité de l’objectif du compte de paiement prévu à l’article |
47. | S’agissant de la finalité du compte de paiement au sens de l’article |
48. | En effet, je constate, tout d’abord, que le gouvernement français a relevé à titre subsidiaire ( 20 ), lors de l’audience, qu’en permettant d’imposer au consommateur une clause de domiciliation de ses revenus sur un compte de paiement ouvert auprès du prêteur, la réglementation nationale ne fait rien de plus qu’autoriser le prêteur à solliciter l’ouverture d’un compte dont la seule finalité est pour lui d’obtenir des garanties supplémentaires en cas de défaut de paiement. La réglementation en cause au principal viserait en d’autres termes à la dernière des trois finalités prévues à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17. |
49. | Ensuite, je rappelle que la juridiction de renvoi a précisé que la notion de « compte de paiement » au sens de l’article |
50. | Cette précision apportée par la juridiction de renvoi laisse donc entendre que le compte de paiement au sens de l’article |
51. | Enfin, je relève que la Commission a souligné que l’objectif de l’article |
52. | Avec cette remarque, la Commission semble ainsi suggérer que le compte de paiement au sens de l’article |
53. | Cela étant, je m’interroge en tout état de cause sur le point de savoir comment le compte de paiement, au sens de l’article |
54. | Cette observation m’amène à l’exigence tenant à ce que le compte n’ait qu’une seule finalité au sens de l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17. |
55. | La circonstance que les emprunteurs peuvent utiliser le compte de paiement au sens de l’article |
56. | Une interprétation littérale, téléologique ainsi que contextuelle de l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17 m’amène à considérer, à l’instar de la Commission, que tel est le cas. |
57. | En effet, tout d’abord, le libellé de l’article 12, paragraphe 2, sous a), de cette directive exige que le compte ait pour seule finalité un des trois objectifs mentionnés dans cette disposition. |
58. | À cet égard, il ressort clairement des termes en lesquels les deux premières finalités sont libellées que le compte de paiement ne peut être utilisé que pour accumuler ou mettre en commun des ressources, ce qui exclut le retrait de fonds et l’exécution d’opérations. La dernière finalité mentionnée à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17 implique une exclusion analogue, dans la mesure où elle vise les « garanties [...] en cas de défaut de paiement » pour les prêteurs. Par définition, un compte qui sert de garantie en cas de défaut de paiement n’est pas censé pouvoir être utilisé par les emprunteurs à d’autres fins. |
59. | Ensuite, ainsi que je l’ai exposé au point 53 des présentes conclusions, l’utilisation du compte de paiement pour exécuter des opérations de paiement risque de compromettre les finalités du compte de paiement prévues à l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17, qui justifient l’exception à l’interdiction de la vente liée. |
60. | En effet, ainsi qu’il ressort des considérants 24 et 25 de la directive 2014/17, la vente liée peut porter atteinte à la mobilité des consommateurs et à leur capacité à faire des choix en toute connaissance de cause. C’est la raison pour laquelle cette directive interdit la vente liée d’une manière générale et ne la permet que dans certaines situations bien encadrées où le législateur européen a estimé qu’un tel risque n’est pas présent. Or, permettre d’autres utilisations du compte de paiement, telles que celles visées par la réglementation en cause au principal, rend possible une atteinte à l’objectif de l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17. |
61. | Je ne peux donc souscrire à la position du gouvernement français qui a relevé, lors de l’audience, que le fait d’exclure certaines des utilisations du compte, telles que celles prévues par la réglementation en cause au principal, reviendrait à restreindre sans motif pour le prêteur l’usage par le consommateur de son compte de paiement en méconnaissance de ses propres intérêts. |
62. | Je souligne, à cet égard, qu’il découle en pratique de l’interprétation que je propose que les prêteurs sont tenus de limiter les revenus à domicilier sur le compte de paiement à une partie des revenus correspondant aux montants nécessaires pour le remboursement du prêt, pour l’obtention du crédit ou pour fournir au prêteur une garantie supplémentaire en cas de défaut de paiement. Cette restriction est bénéfique pour la mobilité bancaire des consommateurs, dès lors qu’elle leur permet de placer le reste de leurs revenus dans des établissements de crédit autres que celui du prêteur du crédit immobilier. |
63. | Enfin, l’interprétation que je propose est corroborée par une interprétation contextuelle de l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17. |
64. | En effet, je rappelle, d’une part, que l’article 12, paragraphe 2, sous a), de cette directive, constitue une exception à l’interdiction de la vente liée prévue à l’article 12, paragraphe 1, de ladite directive, et que, partant, il est d’interprétation stricte ( 23 ). |
65. | D’autre part, l’interprétation que je propose est confortée par la manière dont la directive 2014/17 s’articule avec la directive 2014/92 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base. |
66. | En effet, ainsi que la Commission l’a relevé lors de l’audience, dans la mesure où un compte de paiement peut être utilisé pour le retrait de fonds, ce compte est soumis aux règles de la directive 2014/92 relatives au changement de compte. En revanche, un compte exclusivement destiné au remboursement du prêt est explicitement exclu du champ d’application de cette réglementation ( 24 ), la raison étant, je présume, qu’un tel compte peut être autorisé en tant que vente liée en vertu de l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17. |
67. | Il découle de ce qui précède que l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 2014/17 doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, pour autant que cette réglementation permette une vente liée au sens de l’article 4, point 26, de cette même directive, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans le litige au principal. |
68. | L’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/17 exige quant à lui que le prêteur puisse prouver à son autorité compétente que la vente liée présente des avantages évidents pour le consommateur. En outre, la disposition établit la manière dont il convient de vérifier si tel est le cas : il convient, lors de cette appréciation, de prendre dûment en compte la disponibilité et le prix des produits en question proposés sur le marché. |
69. | À cet égard, je relève que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la transposition en droit interne d’une disposition d’une directive n’exige pas nécessairement une reprise formelle et textuelle de cette disposition dans une norme légale expresse et spécifique et peut se satisfaire d’un contexte juridique général. Toutefois, celui-ci doit assurer effectivement la pleine application de la directive d’une façon suffisamment claire et précise. En effet, chaque État membre est tenu de donner aux directives une exécution qui répond pleinement aux exigences de clarté et de certitude des situations juridiques imposées par le législateur européen, dans l’intérêt des personnes concernées établies dans les États membres. À cette fin, les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable, ainsi qu’avec la spécificité, la précision et la clarté requises ( 25 ). |
70. | S’agissant de la réglementation en cause au principal, je constate qu’il ne ressort pas de celle-ci qu’il convienne d’apprécier l’avantage individualisé au regard de la disponibilité et du prix des autres produits proposés sur le marché. Par ailleurs, il ressort des observations du gouvernement français que la clause de domiciliation bancaire contenue dans le contrat de crédit immobilier est issue de la libre négociation entre le prêteur et le consommateur. |
71. | De ce point de vue, j’estime, ainsi que la Commission l’a fait observer lors de l’audience, que cette réglementation ne garantit pas avec la spécificité, la précision et la clarté requises que l’avantage individualisé présente des avantages évidents pour le consommateur vis-à-vis du prix des autres produits proposés sur le marché ( 26 ). C’est d’autant plus le cas que l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/17, constitue une exception à l’interdiction de la vente liée et, partant, est d’interprétation stricte ( 27 ). |
72. | Il s’ensuit que l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/17 doit être interprété en ce sens qu’il n’autorise pas non plus une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, pour autant que cette réglementation permette une vente liée au sens de l’article 4, point 26, de la même directive, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans le litige au principal. |
73. | Par la seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, d’une part, l’article 45 de la directive 2007/64 et l’article 55 de la directive 2015/2366, qui a remplacé cette première disposition à partir du 13 janvier 2018 et, d’autre part, les articles 9 à 14 de la directive 2014/92, s’opposent à une réglementation nationale, selon laquelle la clôture d’un compte ouvert par l’emprunteur auprès du prêteur pour y domicilier ses revenus en contrepartie d’un avantage individualisé dans le cadre d’un contrat de crédit entraîne, si elle a lieu avant l’expiration de la période fixée dans ce contrat, la perte de cet avantage, y compris plus d’un an après l’ouverture du compte, et si la durée de cette période peut atteindre dix ans ou la durée totale du crédit. |
74. | La juridiction de renvoi n’a pas précisé quels aspects des dispositions susmentionnées l’ont conduite à s’interroger sur l’interprétation de celles-ci. |
75. | Lorsque l’on observe la formulation de la question préjudicielle, on constate toutefois, d’une part, qu’il est précisé que les dispositions du droit de l’Union concernées sont relatives « aux frais de clôture d’un compte de paiement » et qu’il est indiqué, d’autre part, que la réglementation nationale visée permet, sous certaines conditions, la perte d’un avantage individualisé en cas de clôture d’un compte. |
76. | Je comprends dès lors la question préjudicielle en ce sens que le Conseil d’État cherche à savoir, en substance, si une telle perte de l’avantage individualisé représente des frais de clôture d’un compte de paiement au sens des directives 2007/64, 2015/2366 et 2014/92, et, le cas échéant, si les modalités de cette perte remplissent les conditions prévues à cet égard par ces directives. |
77. | Pour cette raison, même si la question préjudicielle, telle qu’elle est formulée, porte sur l’article 45 de la directive 2007/64 et l’article 55 de la directive 2015/2366 dans son ensemble, ainsi que sur toutes les dispositions prévues aux articles 9 à 14 de la directive 2014/92, je la comprends en ce sens qu’elle porte, en réalité, sur le paragraphe 2 de l’article 45 de la directive 2007/64, remplacé par le paragraphe 2 de l’article 55 de la directive 2015/2366, ainsi que sur l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/92, qui concernent les frais de clôture d’un compte de paiement. |
78. | Il convient donc de vérifier si ces dispositions s’opposent à une réglementation telle que celle visée par la question préjudicielle. |
79. | À cet égard, je note que, à la différence de la première question préjudicielle qui repose sur la prémisse selon laquelle la réglementation en cause au principal permet une vente liée au sens de la directive 2014/17 ( 28 ), la seconde question n’indique pas avec la même clarté si cette question repose également sur cette prémisse. Toutefois, eu égard à la formation de la seconde question, il me semble que la réglementation visée concerne une vente groupée au sens de la directive 2014/17 ( 29 ). C’est donc sous cet angle que j’examinerai la seconde question préjudicielle ( 30 ). |
80. | S’agissant, en premier lieu, de la directive 2007/64 harmonisant les services de paiement dans le marché intérieur, il me semble qu’elle est applicable en l’espèce ( 31 ). |
81. | L’article 45 de la directive 2007/64 fait partie du chapitre 3 de cette directive, intitulé « contrats-cadres », applicable aux opérations de paiement couvertes par un contrat-cadre ( 32 ). |
82. | Dans ce contexte, l’article 45, intitulé « résiliation », dispose à son paragraphe 1 que l’utilisateur de services de paiement peut résilier le contrat-cadre à tout moment, à moins que les parties ne soient convenues d’un délai de préavis, qui ne peut pas dépasser un mois. Le paragraphe 2 ajoute que la résiliation d’un tel contrat, dont la durée est supérieure à douze mois ou indéterminée, ne peut entraîner aucun frais pour l’utilisateur après douze mois. Cette disposition vise à faciliter la mobilité des clients ( 33 ). |
83. | En l’espèce, il convient de constater que la réglementation en cause au principal, si elle permet une vente groupée au sens de la directive 2014/17, établit les conditions d’un avantage individualisé relatif à l’obtention d’un prêt. |
84. | Partant, la perte de l’avantage est le résultat de l’application d’une clause du contrat de prêt convenue entre les parties, qui subordonne l’octroi de cet avantage à la domiciliation par le prêteur de ses salaires et revenus. |
85. | Comme le font valoir à cet égard les gouvernements français et tchèque, ainsi que la Commission, la perte de cet avantage n’est que la conséquence de la fin de la domiciliation des revenus, et ne représente donc pas des frais pour résiliation d’un contrat-cadre au sens de l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2007/64. |
86. | Les observations exposées ci-dessus sont également valables en ce qui concerne l’article 55, paragraphe 2, de la directive 2015/2366, dont le champ d’application, pour ce qui est de l’affaire au principal, est identique à celui de la directive 2007/64 ( 34 ) ; cette disposition est en substance identique à celle de l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2007/64, si ce n’est que la période visée a été réduite de douze à six mois. |
87. | En ce qui concerne, en deuxième lieu, la directive 2014/92, elle s’ajoute aux directives 2007/64 et 2015/2366 en ce qu’elle fixe, entre autres, des règles concernant le changement de compte de paiement dans un État membre et des règles visant à faciliter l’ouverture transfrontalière d’un compte de paiement pour les consommateurs ( 35 ). |
88. | À cet égard, en vertu de l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/92, les États membres veillent à ce que les frais éventuellement facturés par le prestataire de services de paiement transmetteur au consommateur pour la clôture du compte de paiement soient fixés conformément à l’article 45, paragraphe 2 de la directive 2007/64 et à l’article 55, paragraphe 2 de la directive 2015/2366 ( 36 ). |
89. | Quant à la directive 2014/92, elle est applicable à une réglementation telle que celle en cause au principal en vertu de son article 1er, paragraphe 6, interprété à la lumière du considérant 12 ( 37 ). |
90. | Cela étant, eu égard aux observations exposées ci-dessus à propos de l’article 55, paragraphe 2, de la directive 2014/92 et de l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2007/64, force est de constater que la perte de l’avantage ne représente pas des frais de clôture du compte de paiement au sens de la directive 2014/92. |
91. | Il résulte de ce qui précède que l’article 45, paragraphe 2 de la directive 2007/64, l’article 55, paragraphe 2 de la directive 2015/2366, ainsi que l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2014/92 ne s’opposent pas à une réglementation telle que celle visée par la question préjudicielle. |
92. | Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Conseil d’État (France) :
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