AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Racer, dont le siège est ... Bastide, en cassation d'un arrêt rendu le 10 janvier 1995 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale), au profit :
1°/ de M. Serge B...,
2°/ de Mme Annick X..., épouse B...,
demeurant ensemble ...,
3°/ de l'ASSEDIC du Sud-Ouest, dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 2 avril 1997, où étaient présents : M. Gélineau-Larrivet, président, M. Boubli, conseiller rapporteur, M. Carmet, conseiller, M. Frouin, Mme Barberot, conseillers référendaires, M. Chauvy, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Boubli, conseiller, les observations de Me Cossa, avocat de la société Racer, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat des époux B..., les conclusions de M. Chauvy, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 10 janvier 1995), que les époux B..., employés de la société anonyme Racer depuis 1976, respectivement en qualité de magasinier et de secrétaire, ont été licenciés pour cause économique par lettre énonçant pour seul motif la compression des effectifs du personnel employé à la vente et au magasinage ;
Attendu que la société Racer fait grief à l'arrêt d'avoir dit que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse et d'avoir alloué des dommages-intérêts aux époux B..., alors, selon le moyen, de première part que, en se fondant de façon sélective sur certaines énonciations du rapport de gestion présenté le 31 mars 1988 par le conseil d'administration de la société Racer à l'assemblée générale ordinaire, tout en omettant de prendre en considération certaines des observations essentielles qui y étaient formulées, selon lesquelles l'augmentation du chiffre d'affaires de l'année 1987 résultait, non pas du développement de l'activité de la société, mais de l'absorption par celle-ci de la société Prothais extension, que le bénéfice net, qui était de 235 195 francs en 1986, avait régressé à 22 155 francs en 1987, et ce en raison de l'accroissement des charges de personnel, et que le président directeur général de la société Racer, avait ainsi été contraint de suspendre sa rémunération personnelle, la cour de Bordeaux a dénaturé ce document par omission, violant ainsi l'article
1134 du Code civil; alors, de deuxième part que, en s'abstenant d'examiner, même succinctement, comme elle en avait l'obligation, les autres documents produits par la société Racer afin de justifier le licenciement pour motif économique des époux B..., tout
particulièrement, le rapport de gestion présenté le 31 mars 1989 par le conseil d'administration de cette société à l'assemblée générale ordinaire et mentionnant notamment, que si les efforts établis en matière de réduction des charges de personnel s'étaient répercutés sur la progression du bénéfice net, l'objectif pour l'exercice 1988-1989 était de poursuivre la diminution de la masse salariale afin de rentabiliser la vente de marchandises au comptant et ce d'autant plus qu'une baisse des résultats était envisagée durant cette période en raison de la mise en gérance du magasin de Pessac, ainsi que l'audit établi le 6 juin 1988 par la société Presta-Compta duquel il ressortait que la trésorerie prévisionnelle négative prévue pour la fin de l'année 1988 pouvait être améliorée par la diminution des charges de personnel déjà engagée, la cour d'appel a violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile; alors, de troisième part que, un licenciement pour motif économique peut légalement être décidé en raison des difficultés financières de l'entreprise ou à l'effet d'en permettre une meilleure gestion; qu'en l'espèce, les documents produits par la société Racer afin de justifier les licenciements litigieux, à savoir les rapports de gestion du conseil d'administration des 31 mars 1988 et 1989, l'audit de la société Presta-Compta du 6 juin 1988 et la lettre de la société Sodarex du 13 janvier 1989, mentionnaient tous la nécessité dans laquelle se trouvait l'employeur de poursuivre la réduction des effectifs de l'entreprise déjà engagée afin que des marges suffisantes puissent être dégagées; que le licenciement pour motif économique des époux B... a été décidé le 17 janvier 1989 dans ce but; qu'il s'ensuit qu'en se bornant à relever, pour se déterminer comme ils l'ont fait que la restructuration du groupe avait été achevée à la fin de l'année 1988, sans cependant rechercher si, à supposer que les difficultés financières éprouvées par la société Racer aient été résolues, celle-ci n'avait cependant pas été contrainte de poursuivre dans l'établissement de l'avenue Thiers, qui n'avait pas été affecté par la restructuration, la politique de réduction de la masse salariale précédemment mise en oeuvre, les juges d'appel ont privé leur décision de base légale au regard des dispositions de l'article
L. 321-1 du Code du travail; alors, de quatrième part que, en vertu des dispositions de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile, tout jugement doit être motivé à peine de nullité, le juge ne pouvant procéder par voie de pure affirmation; que, dès lors, en affirmant péremptoirement que "la note sommaire obtenue au cours de la procédure de licenciement de la Société d'Analyses, de révisions et d'expertises comptable ne (contenait) pas de données précises et significatives et (apparaissait) comme un écrit de circonstance sans valeur probante", sans cependant faire état à cet égard d'éléments de fait circonstanciés permettant de justifier une telle affirmation, les juges d'appel n'ont pas satisfait aux exigences du texte susvisé; alors, de cinquième part que, en relevant que M. Y..., qui avait été recruté le 1er mars 1989 en qualité de vendeur, avait été reclassé le 31 mars suivant dans l'établissement du cours Evrard de Fayolle sans que ce reclassement ait été proposé à M. B...,
et que M. C... avait été maintenu au sein du magasin du cours Pasteur à son poste de vendeur-magasinier, alors que dans ses conclusions d'appel la société Racer avait indiqué que les gérants libres exploitant les magasins donnés en location-gérance décidaient seuls du recrutement de leur personnel, la cour d'appel s'est fondée sur des considérations inopérantes, privant sa décision de base légale au regard des articles
L. 122-14-3 et
L. 321-4-1 du Code du travail; alors, de sixième part que, la suppression d'un poste, même si elle s'accompagne de la dévolution de tâches confiées au salarié licencié à un ou plusieurs salariés demeurés dans l'entreprise, est une suppression d'emploi; que, dès lors, en se bornant à relever, pour nier celle-ci, qu'il n'était pas établi que les fonctions exercées par Mme B... aient été supprimées, sans cependant rechercher, ainsi que l'avait soutenu la société Racer dans ses conclusions d'appel, si elles n'avait pas été réparties entre Mlle A... et M. Z..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles
L. 122-14-3 et
L. 321-1 du Code du travail ;
Mais attendu que, par une appréciation souveraine des éléments de preuves soumis à son examen et hors toute dénaturation, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation de la société, a constaté que la cause économique des licenciements dont la lettre de rupture se bornait à énoncer qu'ils résultaient d'une compression des effectifs, n'était pas établie; que par ce seul motif, elle a justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Racer aux dépens ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Racer à payer aux époux B... la somme de 12 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.