CJUE, Ordonnance de la Cour (huitième chambre), YS et RW contre Freebird Airlines Europe Ltd, 3 octobre 2022, C-302/22

Mots clés Renvoi préjudiciel · Article 99 du règlement de procédure de la Cour · Transports aériens · Règlement (CE) no 261/2004 · Article 5, paragraphe 3 · Indemnisation des passagers aériens en cas de retard important d’un vol · Exonération de l’obligation d’indemnisation · Circonstances extraordinaires · Collision entre un aéronef et des volatiles · Manœuvre de freinage d’urgence entraînant l’endommagement des pneumatiques de cet aéronef

Synthèse

Juridiction : CJUE
Numéro affaire : C-302/22
Date de dépôt : 06 mai 2022
Titre : Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Amtsgericht Eilenburg
Parties : YS et RW contre Freebird Airlines Europe Ltd
Rapporteur : Gavalec
Avocat général : Emiliou
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2022:748

Texte

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

3 octobre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 5, paragraphe 3 – Indemnisation des passagers aériens en cas de retard important d’un vol – Exonération de l’obligation d’indemnisation – Circonstances extraordinaires – Collision entre un aéronef et des volatiles – Manœuvre de freinage d’urgence entraînant l’endommagement des pneumatiques de cet aéronef »

Dans l’affaire C-302/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Eilenburg (tribunal de district d’Eilenbourg, Allemagne), par décision du 19 avril 2022, parvenue à la Cour le 6 mai 2022, dans la procédure

YS,

RW

contre

Freebird Airlines Europe Ltd,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, MM. M. Safjan et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant YS et RW à Freebird Airlines Europe Ltd, transporteur aérien, au sujet du refus de ce dernier d’indemniser ces passagers dont le vol a subi un retard important à l’arrivée.

Le cadre juridique

3 Les considérants 1, 14 et 15 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1) L’action de [l’Union européenne] dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

[...]

(14) Tout comme dans le cadre de la [convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, faite à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38)], les obligations des transporteurs aériens effectifs devraient être limitées ou leur responsabilité exonérée dans les cas où un événement est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. De telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif.

(15) Il devrait être considéré qu’il y a circonstance extraordinaire, lorsqu’une décision relative à la gestion du trafic aérien concernant un avion précis pour une journée précise génère un retard important, un retard jusqu’au lendemain ou l’annulation d’un ou de plusieurs vols de cet avion, bien que toutes les mesures raisonnables aient été prises par le transporteur aérien afin d’éviter ces retards ou annulations.

[...] »

4 L’article 5 de ce règlement, intitulé « Annulations », dispose :

« 1. En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés :

[...]

c) ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7 [...]

3. Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

[...] »

5 Sous l’intitulé « Droit à indemnisation », l’article 7 dudit règlement prévoit, à son paragraphe 1, sous b) :

« 1. Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :

[...]

b) 400 euros pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1 500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1 500 à 3 500 kilomètres ;

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

6 YS et RW ont réservé un vol au départ de l’aéroport de Leipzig-Halle (Allemagne) à destination de l’aéroport d’Héraklion (Grèce).

7 Ce vol a été effectué avec un retard à l’arrivée supérieur à trois heures. Pour s’opposer à la demande d’indemnisation formée par ces passagers au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 261/2004, Freebird Airlines Europe, le transporteur aérien effectif, fait valoir que ce retard est imputable à la survenance d’une circonstance extraordinaire lors de la phase de décollage de l’aéronef concerné. En effet, alors que cet aéronef était en phase de roulage et avait atteint la vitesse de 120 nœuds (environ 222 km/h), celui-ci a heurté des volatiles, ce qui a conduit le commandant de bord à déclencher une manœuvre de freinage d’urgence, laquelle a entraîné la surchauffe, puis la destruction de deux pneumatiques. Ledit retard aurait ainsi été occasionné non pas par la collision avec les volatiles, mais par le temps nécessaire au remplacement de ces deux pneumatiques.

8 La juridiction de renvoi éprouve des doutes quant au point de savoir si cette manœuvre de freinage relève de la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, dès lors qu’elle constituerait une action typiquement liée à l’exercice de l’activité de transport aérien et serait sous la maîtrise du commandant de bord. Toutefois, cette juridiction estime qu’une telle manœuvre pourrait être qualifiée de « circonstances extraordinaires », au sens de cette disposition, dans la mesure où elle trouve son origine dans un événement, tel qu’une collision avec des volatiles, qui constitue lui-même une « circonstance extraordinaire », au sens de ladite disposition.

9 C’est dans ce contexte que l’Amtsgericht Eilenburg (tribunal de district d’Eilenbourg, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’endommagement du pneumatique d’un avion en raison d’une manœuvre de freinage sur la piste, déclenchée en raison d’une collision avec des volatiles, constitue-t-il une “circonstance extraordinaire”, au sens de l’article 5, paragraphe 3, du [règlement no 261/2004] ? »

Sur la question préjudicielle

10 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que l’interruption de la phase de décollage d’un aéronef engendrée par la collision de celui-ci avec des volatiles et se traduisant par une manœuvre de freinage d’urgence endommageant les pneumatiques de cet aéronef relève de la notion de « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition.

11 En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, cette dernière peut à tout moment décider, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque, notamment, la réponse à une question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable.

12 Tel étant le cas dans la présente affaire, il y a lieu de faire application de cette disposition.

13 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, en cas d’annulation de vol ou de retard important, c’est-à-dire d’une durée égale ou supérieure à trois heures, le législateur de l’Union a entendu aménager les obligations des transporteurs aériens prévues à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 261/2004 (arrêt du 4 mai 2017, Pešková et Peška, C-315/15, EU:C:2017:342, point 19).

14 Aux termes des considérants 14 et 15 ainsi que de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, par dérogation aux dispositions du paragraphe 1 de cet article, le transporteur aérien est ainsi exonéré de son obligation d’indemnisation des passagers au titre de l’article 7 du règlement no 261/2004 s’il est en mesure de prouver que l’annulation ou le retard de vol égal ou supérieur à trois heures à l’arrivée est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises (arrêt du 4 mai 2017, Pešková et Peška, C-315/15, EU:C:2017:342, point 20).

15 À cet égard, selon le considérant 14 dudit règlement, de telles circonstances peuvent se produire, notamment, en cas de risques liés à la sécurité ou de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol concerné.

16 Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, qui est d’interprétation stricte, désigne des événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci, ces deux conditions étant cumulatives et leur respect devant faire l’objet d’une appréciation au cas par cas (arrêt du 23 mars 2021, Airhelp, C-28/20, EU:C:2021:226, points 23 et 24 ainsi que jurisprudence citée).

17 La Cour a ainsi jugé que la collision entre un aéronef et un volatile ainsi que l’éventuel endommagement provoqué par cette collision, faute d’être intrinsèquement liés au système de fonctionnement de l’aéronef, ne sont pas, par leur nature ou leur origine, inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à sa maîtrise effective. Partant, la Cour a jugé qu’une telle collision devait être qualifiée de « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 (arrêt du 4 mai 2017, Pešková et Peška, C-315/15, EU:C:2017:342, point 24).

18 En outre, la Cour a jugé qu’il est indifférent de savoir si cette collision a effectivement causé des dommages à l’aéronef concerné. En effet, l’objectif de garantir un niveau élevé de protection des passagers aériens, poursuivi par le règlement no 261/2004 ainsi qu’il est spécifié au considérant 1 de celui-ci, implique de ne pas inciter les transporteurs aériens à s’abstenir de prendre les mesures requises par un tel incident en faisant prévaloir le maintien et la ponctualité de leurs vols sur l’objectif de sécurité de ces derniers (arrêts du 4 mai 2017, Pešková et Peška, C-315/15, EU:C:2017:342, point 25, et du 4 avril 2019, Germanwings, C-501/17, EU:C:2019:288, point 28).

19 Par ailleurs, la Cour a constaté que la défaillance d’un pneumatique trouvant son origine exclusive dans le choc avec un objet étranger présent sur la piste de l’aéroport ne saurait être considérée comme inhérente, par sa nature ou son origine, à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné. En outre, compte tenu des contraintes particulières qui s’imposent au transporteur aérien lors des opérations de décollage et d’atterrissage liées notamment à la vitesse à laquelle celles-ci sont effectuées et à l’impératif de sécurité des passagers à bord, ainsi que du fait que l’entretien des pistes ne relève aucunement de la compétence de celui-ci, ladite circonstance échappe à sa maîtrise effective. En conséquence, l’endommagement d’un pneumatique d’un aéronef par un objet étranger, tel qu’un débris mobile, présent sur la piste d’un aéroport, relève de la notion de « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 (arrêt du 4 avril 2019, Germanwings, C-501/17, EU:C:2019:288, points 26 et 34).

20 Il découle ainsi de ce qui précède que, en l’occurrence, l’interruption de la phase de décollage d’un aéronef engendrée par la collision de celui-ci avec des volatiles et se traduisant par une manœuvre de freinage d’urgence endommageant les pneumatiques de cet aéronef ne saurait être considérée comme inhérente, par sa nature ou son origine, à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappe à la maîtrise effective de ce dernier. Dès lors, un tel événement doit être qualifié de « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004.

21 Cela étant, il convient encore de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante, en cas de survenance d’une « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, le transporteur aérien n’est exonéré de son obligation d’indemnisation des passagers au titre de l’article 7 de ce règlement que s’il est en mesure de prouver qu’il a adopté les mesures adaptées à la situation en mettant en œuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait, afin d’éviter que celle-ci conduise à l’annulation ou au retard important du vol concerné, sans pour autant qu’il puisse être exigé de lui qu’il consente des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2019, Germanwings, C-501/17, EU:C:2019:288, point 19 et jurisprudence citée).

22 À cet égard, dans une situation telle que celle en cause au principal, il appartient au transporteur aérien concerné de démontrer qu’il a mis en œuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait, afin d’éviter que le remplacement des pneumatiques endommagés à la suite du freinage d’urgence ne conduise au retard important à l’arrivée du vol concerné, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier (voir, par analogie, arrêt du 4 avril 2019, Germanwings, C-501/17, EU:C:2019:288, point 33).

23 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens que l’interruption de la phase de décollage d’un aéronef engendrée par la collision de celui-ci avec des volatiles et se traduisant par une manœuvre de freinage d’urgence endommageant les pneumatiques de cet aéronef relève de la notion de « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition.

Sur les dépens

24 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs

, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91,

doit être interprété en ce sens que :

l’interruption de la phase de décollage d’un aéronef engendrée par la collision de celui-ci avec des volatiles et se traduisant par une manœuvre de freinage d’urgence endommageant les pneumatiques de cet aéronef relève de la notion de « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition.

Signatures

* Langue de procédure : l’allemand.