CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini, 4 juin 1987, 392/85

Mots clés produits · production · stocks · quotas · commission · livraison · classe · trimestre · magasin · catégorie · prorogation · réduction · requête · société · chaud

Synthèse

Juridiction : CJUE
Numéro affaire : 392/85
Date de dépôt : 02 décembre 1985
Titre : Quotas d'acier - Stocks préexistants - Catégorie Ia.
Rapporteur : Due
Avocat général : Mancini
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1987:255

Texte

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI

présentées le 4 juin 1987 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1.

Par requête déposée le 2 décembre 1985, la société Finsider SpA vous demande d'annuler ou de réduire l'amende de 2165350 Êcus que la Commission des Communautés européennes lui a infligée le 9 octobre 1985, en l'accusant d'avoir dépassé les quotas de production et de livraison du deuxième trimestre de 1983, relatifs aux produits sidérurgiques de la catégorie la.

Rappelons que, le 24 juin 1981, compte tenu de la grave crise dans laquelle était encore plongée l'industrie sidérurgique européenne, la Commission a introduit, par décision n° 1831/81, du 24 juin 1981 (JO L 180, p. 1), un nouveau régime de contrôle de la production. « L'expérience, lit-on au quatrième considérant de cette décision, a montré que la fixation de quotas de production pour les larges bandes à chaud ne suffit pas à rétablir l'équilibre du marché étant donné qu'un quart seulement de la production de (ces) ... bandes ... est écoulé sur le marché en l'état, il est ... suffisant de soumettre au système de quotas les larges bandes à chaud constituant un produit fini et les produits (dérivés). » Pour garantir à ce régime une pleine efficacité, la catégorie I (coils et feuillards laminés à chaud), précédemment soumise au régime des quotas, en a été exclue. « Vu l'évolution différente des marchés (respectifs) », les produits dérivés de cette catégorie ont été, au contraire, subdivisés en quatre classes (a, b, c et d) et soumis à un contingentement.

Font notamment partie du groupe la les « larges bandes à chaud pour l'utilisation directe pour l'exportation ..., pour relaminage ou autres transformations dans (des) entreprises de la Communauté » autres que celles du producteur (article 1er, alinéa 2, premier et deuxième tirets). Comme on peut aisément s'en rendre compte, ces coils métalliques sont définis par rapport à leur destination, ce qui implique que pour le régime des quotas ils soient pris en considération non au moment de leur production, mais au moment où ils quittent matériellement la fabrique. En ce qui concerne le groupe dont il s'agit, la production et la livraison coïncident. Cette assimilation a pour conséquence pratique que chaque entreprise doit soigneusement programmer la quantité et la qualité de l'acier à produire, faute de quoi elle accumulerait des coils qu'elle ne pourrait — par suite des contingentements communautaires — écouler en tant que produits du groupe la qu'en partie seulement.

2.

La demande d'annulation présentée par le holding italien se fonde sur deux moyens: a) violation des articles 2, 4 et 11, paragraphe 6, de la décision n° 1696/82, du 30 juin 1982 (JO L 191, p. 1), prorogeant le régime de surveillance et de quotas de production instauré par la décision n° 1831/81; b) détournement de pouvoir, envisagé sous les angles de l'inégalité de traitement et de la violation de la confiance légitime.

En substance, la thèse de Finsider est que la quantité de larges bandes à chaud produites et livrées par elle au-delà des limites qui lui ont été imposées pour le deuxième trimestre de 1983 doit être tenue pour légitime: il y aurait lieu, en effet, d'imputer ces excédents sur les stocks se trouvant en magasin au jour de l'adoption de la décision de prorogation et que les entreprises pouvaient licitement utiliser au cours des trimestres suivants. Militerait notamment en ce sens l'article 2, paragraphe 1, alinéa 2, de la décision précitée, de même que la pratique de la Commission. Selon cette disposition, en effet, les entreprises doivent déclarer « pour les produits visés à l'article 4 ... la situation de leurs stocks existant au 30 juin 1982». Partant, certains opérateurs — se souvenant que l'année précédente la Commission avait permis d'imputer aux stocks les quantités de coils livrées, au-delà du quota alloué, au cours des trimestres suivants — ont vu dans cette formulation une autorisation d'écouler également les stocks accumulés entre le 30 juin 1981 et le 30 juin 1982. De son côté, la Commission ne se serait pas ouvertement opposée à cette interprétation et, en tout état de cause, elle n'aurait pas sanctionné les dépassements de quotas.

La défenderesse ne partage pas ce point de vue. La mesure litigieuse — font observer ses avocats — signale de manière explicite que, aux termes de l'article 11, paragraphe 6, de la décision n° 1831/81 (et donc également de la norme identique, reprise dans la décision n° 1696/82), la production des larges bandes à chaud rentrant dans la catégorie la est uniquement imputable sur le trimestre de leur affectation aux opérations prévues à l'article 1er. Cela signifie que « la constitution d'un stock de ces produits est ... exclue à partir de l'entrée en vigueur de la décision n° 1831/81 ... par conséquent, les seules livraisons de produits la effectuées après le 1er juillet 1981 que la Commission (a admis) de ne pas imputer au quota sont celles des produits fabriqués avant cette date et en stock au 30 juin 1981».

Cette explication, réplique Finsider, est manifestement inacceptable. En réalité, si, après le 30 juin 1981, seuls les stocks « physiques », autrement dit ceux existant matériellement en magasin, pouvaient être utilisés pour résorber d'éventuels excédents de quotas, il est certain que ces excédents ont été écoulés en quelques mois en raison de la rotation normale déterminée par la détérioration des produits. Il en résulte qu'au 30 juin 1982 aucune entreprise ne pouvait avoir de stocks à déclarer, si on entend par là les surplus présents en magasin l'année précédente; or, en pareil cas, l'obligation visée à l'article 2, qui vaut pourtant pour tous les produits soumis au nouveau régime, serait privée d'objet.

Pour éviter cette conclusion absurde, il est donc nécessaire — selon Finsider — de reconnaître que l'obligation en cause se réfère non aux stocks physiques, mais à ceux dits « comptables ». Autrement dit, l'article 11, paragraphe 6, interdit aux entreprises d'augmenter les stocks de produits la, par exemple en les portant du niveau 1 (qui représente la quantité de coils emmagasinée au 30 juin 1981) au niveau 1 + x; il n'interdit pas, en revanche, le maintien des stocks au niveau atteint à cette date. Ce n'est qu'à la lumière d'une telle interprétation que l'obligation de déclarer les stocks se trouvant en magasin au 30 juin 1982 peut être respectée également pour les produits la; or, si telle est bien la situation, il serait manifestement contraire aux dispositions de l'article 2 de sanctionner l'emploi des stocks correspondants.

De toute façon, même en accueillant l'argument de la Commission, on ne pourrait certes pas admettre que l'organe de contrôle applique une pratique administrative de façon arbitraire et discriminatoire. En l'espèce, au contraire, n'ayant produit et livré que des coils de la classe Ia, Finsider n'a pu mettre à profit l'avantage concédé aux entreprises productrices d'acier relevant des trois autres classes. Sous cet angle, donc — conclut Finsider —, il n'y a pas de doute que la décision de sanction est viciée d'un détournement de pouvoir.

3.

Ces deux moyens doivent être rejetés. Comme on l'a vu, la requérante soutient1er juillet 1981 que, pour la période comprise entre le 30 juin 1981 et le 30 juin 1982, elle avait le droit d'accumuler — à tout le moins jusqu'à un certain plafond — des stocks classés la dont elle pourrait ultérieurement se servir pour couvrir les livraisons de ces mêmes produits effectuées en dépassement des limites communautaires. Observons que, si cette thèse était fondée, Finsider aurait dû contester la légalité des quotas de livraison qui lui ont été imposés pour le deuxième trimestre de 1983; or, elle ne l'a pas fait et, la décision par laquelle la Commission lui a communiqué ces limites étant entre-temps devenue définitive, elle ne peut plus le faire aujourd'hui en demandant l'annulation d'une amende (voir l'arrêt du 10 décembre 1986 dans l'affaire 41/85, Sideradria/Commission, Rec. p. 3917, point 10 des motifs). Nous sommes de toute façon certain que, au jour de l'édiction de la décision générale n° 1831/81, les entreprises sidérurgiques ne pouvaient avoir de stocks de produits Ia et qu'il ne leur était pas permis d'en constituer de nouveaux.

Nous avons rappelé, sous le point 1, qu'antérieurement à cette date — soit le — il n'existait qu'une seule catégorie I soumise au régime des quotas et comprenant également les coils. Après libération des produits y relatifs, les coils « vendus ou exportés » (classe Ia) ont été au contraire soumis à quota, de même que les aciers des groupes Ib, Ic et Id. Comme l'a expliqué la Commission, la mise en œuvre d'un tel régime a donné lieu à un problème de régime transitoire. Le 1er juillet 1981, en effet, les entreprises pouvaient avoir en magasin des stocks de coils appartenant à l'ancienne catégorie I, fabriqués dans le respect des quotas de production prévus par le régime précédent.

Or, si postérieurement à cette date ces coils avaient été commercialisés en tant que produits de la nouvelle classe la, le fabricant aurait dû observer, par l'effet de la règle identifiant la production avec la vente, les limites imposées pour les quotas de livraison. En d'autres termes, les coils fabriqués dans le cadre de la catégorie I, mais vendus ou exportés après le 1er juillet 1981 en tant qu'acier de la classe Ia, auraient « payé » deux fois. Pour remédier à cet inconvénient, la Commission a alors permis aux entreprises de fondre les dépassements des quotas de livraison des produits Ia dans le stock de vieux coils entreposé dans les magasins au 30 juin 1981. En ce qui concerne les produits des classes Ib, le et Id, pour lesquelles la règle « production = livraison » ne s'applique pas, l'organe de contrôle s'est limité, au contraire, à ne pas soumettre les aciers fabriqués antérieurement à la réforme aux restrictions de livraison correspondantes (pour ce qui est de cette pratique, déjà appliquée dans le passé, voir l'ordonnance du 16 décembre 1980 dans l'affaire 258/80 R, Rumi/Commission, Rec. 1980, p. 3867, point 16 des motifs).

En définitive, il apparaît du cadre ainsi défini que: a) au 30 juin 1981, il ne pouvait y avoir de stocks de produits la, puisque cette classe venait à peine d'être créée; b) à partir du 1er juillet suivant, la constitution de tels stocks était illégitime à cause de la règle « production = livraison ». Ainsi se trouve mis en lumière le motif pour lequel la Commission n'a jamais tenu compte de ces stocks. D'autre part, étant donné qu'il était exclu qu'au 30 juin 1982 des stocks de coils produits avant juillet 1980 soient encore présents, il est évident que l'obligation de déclaration prévue à l'article 2 de la décision n° 1696/82 ne pouvait se référer aux coils la. L'allégation selon laquelle la norme a été violée est, par conséquent, sans fondement.

Quant au moyen tiré d'un traitement discriminatoire, imputé à la Commission par Finsider, il n'est pas davantage fondé. Rappelons, à cet égard, que l'obligation de déclarer les stocks en magasin au 30 juin 1982 a été imposée pour permettre un contrôle plus efficace du respect des quotas de production et certes pas pour justifier un éventuel dépassement des quotas de livraison (voir troisième considérant de la décision précitée). L'article 2 n'a donc pas conféré aux entreprises le droit d'utiliser des stocks accumulés au cours de la période 1981-1982; et il n'est pas concevable que la Commission ait toléré un semblable comportement. Comme nous l'avons déjà dit, les coils Ia se distinguent des autres du fait qu'ils ne sont juridiquement identifiables qu'au moment où ils quittent la fabrique, la constitution de stocks n'étant pas admise au sein de cette dernière. Compte tenu d'une telle distinction — qui, répétons-le, a été voulue par le législateur « pour garantir ... une pleine efficacité au (nouveau) régime » des quotas —, la Commission ne pouvait, sauf à réduire à néant toute la réforme, permettre l'utilisation de stocks indûment accumulés ou maintenus. Dans ces circonstances, la décision de sanctionner les dépassements de quotas de Finsider ne peut être tenue pour discriminatoire.

4.

Envisageons à présent les conclusions tenant à la réduction de l'amende. La décision attaquée — rappelons-le — reconnaît que « la situation d'incertitude au cours du deuxième trimestre de 1983 quant à la prorogation du régime des quotas justifie pour ladite (période) la réduction du taux ... (de 100 à) 50 Écus par tonne de dépassement » (p. 5, troisième considérant). On doit toutefois observer qu'en vertu de l'article 12, alinéa 1, de la décision n° 1696/82 les amendes doivent être calculées sur la base non de 100, mais de « 75 Écus par tonne ». La Commission a donc commis une erreur qu'il y a lieu de corriger en accueillant sur ce point la demande de la requérante.

5.

Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons:

a)

de réduire l'amende que la Commission des Communautés européennes a infligée à la société Finsider SpA de 2165350 à 1600000 Écus;

b)

de rejeter pour le surplus la demande présentée par l'entreprise par requête déposée le 2 décembre 1985.

Pour ce qui concerne les dépens, nous suggérons de les compenser entre les parties conformément à l'article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure.


( *1 ) Traduit de l'italien.