Cour d'appel de Paris, Chambre 5-9, 18 juin 2015, 14/19670

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2016-12-07
Cour d'appel de Paris
2015-06-18

Texte intégral

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D'APPEL DE PARIS Pôle 5 - Chambre 9

ARRET

DU 18 JUIN 2015 (n° , pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 14/19670 Décision déférée à la Cour : Jugement prononcé le 08 Juillet 2014 par le Tribunal de Commerce de SENS - RG n° 2013F00056 APPELANT Monsieur [T] [S] de nationalité française né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 3] demeurant [Adresse 2] [Localité 2] représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480 ayant pour avocat plaidant Me Sylvie SAPOVAL, de la SELARL SAPOVAL PORLIER ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : E1445 INTIMÉ Maître [L] [W] associé de la SELARL [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA BERGAME [Adresse 1] [Localité 1] représenté par Me Marc TOULON de la SELARL CALCADA TOULON LEGENDRE, avocat au barreau de MEAUX COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2015, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Michèle PICARD, Conseillère et Madame Christine ROSSI, Conseillère Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Michèle PICARD, Conseillère faisant fonction de Président Madame Christine ROSSI, Conseillère Monsieur Joël BOYER, Conseiller appelé d'une autre chambre afin de compléter la Cour en application de l'article R.312-3 du Code de l'Organisation Judiciaire qui en ont délibéré, Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine ROSSI dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de procédure civile, Greffier, lors des débats : Monsieur Xavier FLANDIN-BLETY MINISTERE PUBLIC : l'affaire a été communiquée au Ministère Public. ARRÊT : - contradictoire - par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. - signé par Madame Michèle PICARD, Conseillère, aux lieu et place de Monsieur François FRANCHI, Président, empêché, et par Monsieur Xavier FLANDIN-BLETY, Greffier présent lors du prononcé. * En 1999, monsieur [H] [S], père de monsieur [T] [S] a créé la société Artecom SA, puis le 17 juin 1999, la société Artepack dont Artecom SA est le principal actionnaire. En 2004, la société Artecom SA a racheté le groupe MG. Le 18 novembre 2004, la société Artecom SAS a été créée avec pour objectif de reprendre l'activité d'imprimerie de la société Artecom SA. Le 30 juin 2005, les associés de la société Artecom SA ont approuvé un projet d'apport partiel d'actifs relatif à la branche complète et autonome d'activité d'imprimerie de la société Artecom SA à la société Artecom SAS et ont décidé que la société Artecom SA serait désormais dénommée Bergame SA. Monsieur [T] [S] a été embauché le 1er janvier 2001 par la société Artepack. Le 24 avril 2003, il a été nommé administrateur de la société Artecom SA devenue Bergame SA, et le 30 décembre 2005 il est devenu salarié de cette dernière. La société Bergame a déclaré la cessation de ses paiements le 17 juillet 2012. Elle a été placée en redressement judiciaire par jugement du 23 juillet 2012, converti en liquidation judiciaire le 29 octobre 2012. La Selarl [W] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire en la personne de maître [W]. Dans un jugement du 8 juillet 2014, le tribunal de commerce de Sens, saisi sur assignation du 18 juin 2013 de maître [W] ès qualités, faisant droit aux demandes de ce dernier au visa des articles L. 225-44 du code de commerce et 2222 du code civil, a : - dit que le contrat de travail conclu entre la société Bergame et monsieur [T] [S] était affecté d'une nullité absolue, le cumul avec les fonctions d'administrateur étant interdit par les textes alors en vigueur, - dit que monsieur [T] [S] devait par conséquent rembourser les salaires bruts qu'il avait perçus de la société Bergame, - dit que les demandes concernant la période du 1er janvier 2006 au 18 juin 2008 étaient prescrites, - condamné monsieur [T] [S] à payer à maître [W] ès qualités la somme de 827.551,47 euros. Monsieur [T] [S] a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Sens le 8 juillet 2014. *** Dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 10 avril 2015, monsieur [S] demande à la cour de : - constater la nullité du jugement rendu par le tribunal de commerce de Sens le 8 juillet 2014 ; A titre subsidiaire : - déclarer l'action prescrite au visa de l'article L 235-9 du code de commerce ; - infirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé le contrat de travail et l'a condamné au remboursement des salaires bruts outre intérêts moratoires avec anatocisme, ainsi qu'aux dépens et frais irrépétibles ; - confirmer le jugement en ce qu'il a dit que les demandes concernant la période du 1er janvier 2006 au 18 juin 2008 étaient prescrites ; En tout état de cause : - fixer au passif de la société Bergame une créance de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens qui seront recouvrés par la scp Bolling Durand Lallement conformément à l'article 699 du code de procédure civile. Monsieur [T] [S] demande à la cour de dire que la réorganisation du groupe Bergame a eu pour conséquence le transfert de son contrat de travail avec la reprise de son ancienneté, et que ce transfert lui confère l'antériorité nécessaire à la validité de celui-ci. Il fait valoir que le 'Livre d'entrée sortie du personnel' de la société Artepack mentionne que son contrat de travail a été transféré et que ses bulletins de salaire vise une ancienneté au 1er décembre 2001. Dans ses conclusions signifiées le 10 avril 2015, maître [L] [W] ès qualités demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé illégal le cumul entre les fonctions d'administrateur de monsieur [S] et ses fonctions de salarié ; et en conséquence de : - dire que le contrat de travail conclu entre la société Bergame et monsieur [T] [S] est affecté d'une nullité absolue ; - dire que monsieur [T] [S] doit par conséquent rembourser les salaires bruts qu'il a perçus de la société Bergame ; - dire que les demandes concernant la période allant du 1er janvier 2006 au 18 juin 2008 ne sont pas prescrites ; - condamner monsieur [T] [S] à payer à la Selarl [W] prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Bergame la somme de 1.089.648 euros ; - dire que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision à venir, avec anatocisme conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ; - condamner monsieur [T] [S] à payer à maître [W] ès qualités la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. Sur la nullité du jugement de première instance, il fait valoir que monsieur [S] se fonde en réalité sur la nullité de l'assignation qu'il n'a pas soulevé en première instance et qu'en tout état de cause la demande n'est pas fondée. Sur la prescription prétendue de l'action, il fait valoir que les dispositions de l'article L. 235-9 du code de commerce ne sont pas concernées par le présent litige. Sur le fond, il rappelle l'impossibilité, avant la loi du 22 mars 2012, pour un administrateur d'une société anonyme de devenir salarié de cette même société et conteste l'existence prétendue d'un transfert du contrat de travail en cause. ***

SUR CE,

Sur la demande tendant à la nullité du jugement attaqué Monsieur [S] au soutien de ce chef entend se réclamer du non respect du délai de signification de 15 jours défini à l'article 856 du code de procédure civile, seuls 14 jours s'étant écoulés entre la délivrance de l'assignation le 18 juin 2013 devant le tribunal de commerce de Sens et le 2 juillet suivant, date de l'audience. Cependant, et sans entrer plus avant dans la discussion opposant les parties, il importe de relever avec maître [W] ès qualités que c'est bien la nullité de l'acte introductif d'instance devant le tribunal de commerce que monsieur [S] entend voir sanctionner à l'appui de sa demande de nullité du jugement, or, d'une part, ce moyen est nouveau et dès lors irrecevable en cause d'appel conformément aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile pour n'avoir pas été soulevé en première instance, d'autre part, il est encore irrecevable sur le fondement de l'article 112 du code de procédure civile pour avoir été soulevé postérieurement aux moyens de défense au fond, enfin, aucun grief n'est établi ni même allégué au préjudice de monsieur [S] qui, constitué dans le cadre de la première instance, a pu faire valoir la défense de ses intérêts. Pour l'ensemble de ces motifs, la demande tendant à la nullité du jugement déféré sera rejetée. Sur la demande en nullité du contrat de travail À titre liminaire, il convient de constater que contrairement à ce qu'oppose monsieur [S], ce n'est pas la nullité de la délibération du 30 décembre 2005 ayant acté son recrutement qui est poursuivi par maître [W], mais bien la nullité du contrat de travail à compter du 1er janvier 2006. Dès lors, l'argumentation développée par l'appelant et tendant à voir juger prescrite la demande de maître [W] ès qualités sur le fondement de l'article L. 235-9 du code de commerce n'est en tout état de cause pas pertinente et sera rejetée, ce dernier texte définissant le délai de prescription de l'action en nullité d'une société ou d'actes et délibérations, non présentement concernée. Il y a donc lieu d'examiner la demande en nullité du contrat de travail. Conformément à l'article L. 225-44 du code de commerce les administrateurs ne peuvent recevoir de la société aucune rémunération, permanente ou non, autre que celles autorisées, à savoir, les jetons de présence, celles exceptionnelles pour une mission donnée, celle du président du conseil d'administration, celle du directeur général ou du directeur général délégué. La loi du 22 mars 2012 a ouvert une possibilité aux administrateurs de devenir salariés, mais un tel cumul était impossible avant l'entrée en vigueur de cette dernière. Ainsi, sous l'empire de la loi ancienne applicable au cas présent, un administrateur ne pouvait devenir salarié de la même société. En l'espèce, le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration du 30 décembre 2005 porte les mentions suivantes : '(...) Le Conseil est appelé à délibérer sur l'ordre du jour suivant : 'EMBAUCHE DE MONSIEUR [T] [S] EN QUALITE DE DIRECTEUR TECHNICO COMMERCIAL RESPONSABLE DE LA QUALITE : statut salarié - cumul avec le mandat d'administrateur et tout autre mandat social à venir. Monsieur Le Président rappelle que Monsieur [T] [S], qui occupe actuellement les fonctions d'administrateur au sein de la Société BERGAME (mandat pour lequel il n'est pas rémunéré) va être embauché par la société BERGAME le 1er janvier 2006, en qualité de directeur technico-commercial et responsable qualité de la branche PLV du Groupe. (...) Il cumulera donc son statut d'administrateur avec celui de salarié (...). La rémunération mensuelle brute qui sera allouée à Monsieur [T] [S] s'élèvera à 7 435 € (SEPT MILLE QUATRE CENT TRENTE CINQ EUROS) sur 12 mois, hors frais professionnels.' Monsieur [S] soutient que la réorganisation du groupe Bergame a eu pour conséquence le transfert de son contrat de travail avec la reprise de son ancienneté, et que ce transfert lui confère l'antériorité nécessaire à la validité de celui-ci, son mandat d'administrateur de la société Bergame SA étant postérieur à sa qualité de salarié au sein du groupe. Cependant, et contrairement à ce que voudrait voir retenir monsieur [S], son contrat de travail n'a pas été transféré nonobstant les termes, sans portée dans le cadre du présent litige, du 'Livre entrée et sortie du personnel' de la société Artepack. En effet, il n'y a pas eu rachat de la société Artepack par la société Bergame mais seulement une réorganisation interne qui ne saurait emporter les effets d'une cession. Sur ce point, comme le souligne maître [W] ès qualités aux termes du procès-verbal des délibérations du conseil d'administration du 29 juillet 2005, versé aux débats par monsieur [S], il est exposé : 'afin de rationaliser l'organisation du groupe et de réduire les frais de fonctionnement de chaque filiale, il est envisagé de confier à la société BERGAME une mission de conseil et d'assistance permanente dans le cadre de la gestion administrative, commerciale, technique, juridique et financière, auprès de ses filiales, par la signature entre BERGAME et ces dernières, d'une convention de prestations de services.' Monsieur [S] ne saurait mieux se limiter à contester la valeur probante du procès-verbal de délibération précité du 30 décembre 2005 en faisant valoir que ledit procès-verbal n'apparaît pas comme une décision côtée et paraphée au registre des réunions du conseil d'administration, alors en tout état de cause qu'il n'en justifie pas, la pièce qu'il prétend produire sur ce point et figurant à son bordereau de communication sous le numéro 17 n'étant que la copie du procès-verbal du 29 juillet 2005. Dans tous les cas, la poursuite de son contrat de travail antérieurement conclu avec la société Artepack n'est pas démontrée, il n'a pas été établi d'avenant au contrat initial et la reprise de son ancienneté par la société Bergame ne saurait caractériser le transfert du contrat initial. Il sera encore observé que le périmètre fonctionnel du contrat conclu avec la société Artepack était différent de celui conclu avec la société Bergame puisque de directeur commercial, il est devenu, moyennant une rémunération très largement supérieure, directeur technico-commercial et responsable qualité au sein de la société holding qui facturait des prestations de services pour ses filiales. Dès lors, il convient de retenir que monsieur [S] a bien été engagé par la société Bergame avec laquelle il a conclu un nouveau contrat de travail à compter du 1er janvier 2006 et alors qu'il y exerçait les fonctions d'administrateur depuis 2003. Dans ces conditions, la décision des premiers juges ne peut qu'être confirmée en ce qu'ils ont retenu que le contrat de travail était affectée d'une nullité absolue. Monsieur [S] doit en conséquence remboursement des salaires bruts indûment perçus. Étant précisé que contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges qui seront infirmés sur ce point, les demandes en remboursement relatives à la période allant de janvier 2006 à juin 2008 ne sont pas prescrites. En effet, aux termes de l'ancien article 2262 du code civil le délai de prescription était fixé à 30 ans, ce délai a été ramené à 5 ans par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, mais les dispositions transitoires de l'article 2222 du code civil ont prévu :'En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.' Conformément à l'article 1er du code civil, la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 est entrée en vigueur le 19 juin 2008, soit, en l'absence de dispositions spécifiques, le lendemain de sa publication le 18 juin au journal officiel. Dès lors, un nouveau délai de cinq ans a commencé à courir à compter du 19 juin 2008, et l'assignation ayant été délivrée le 18 juin 2013, la prescription n'est pas encourue. Enfin, doit demeuré sans incidence sur les effets de la nullité le fait que le juge-commissaire ait maintenu les salaires de monsieur [S] sur le fondement du contrat de travail que celui-ci produisait. Au vu des pièces produites, monsieur [S] est donc redevable de la somme de 89.220 euros pour chacune des années 2006 et 2007, de la somme 181.752 euros pour chacune des années 2008, 2009 et 2010, et de celle de 182.976 pour chacune des années 2011 et 2012, soit un montant total de 1.089.648 euros au paiement duquel il doit être condamné au profit de maître [W] ès qualités. Conformément à la demande et aux dispositions des articles 1153 et 1154 du code civil, cette somme, à compter de la présente décision, produira intérêts au taux légal et les intérêts dus au moins pour une année entière échus des capitaux produiront à leur tour intérêts. Sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance et d'appel L'équité justifie, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de confirmer la décision des premiers juges au titre des frais irrépétibles et de condamner monsieur [S] au paiement à maître [W] ès qualités de la somme de 2.000 euros pour l'instance d'appel. La solution retenue fonde de condamner monsieur [S] aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Rejette la demande formée dans l'intérêt de monsieur [T] [S] tendant à la nullité du jugement déféré ; Confirme le jugement du 8 juillet 2014 du tribunal de commerce de Sens en ce qu'il a jugé que le contrat de travail conclu entre la société Bergame et monsieur [T] [S] était affecté d'une nullité absolue ; L'infirme en ce qu'il a jugé prescrite la demande de remboursement des salaires bruts perçus sur la période du 1er janvier 2006 au 18 juin 2008 ; Statuant de nouveau, Condamne monsieur [T] [S] à payer à la selarl [W] prise en la personne de maître [L] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Bergame la somme de 1.089.648 euros en remboursement des salaires bruts perçus ; Dit que cette somme, à compter de la présente décision, produira intérêts au taux légal et que les intérêts dus au moins pour une année entière échus des capitaux produiront à leur tour intérêts ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné monsieur [T] [S] à payer, outre les dépens, la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance au profit de maître [W] ès qualités ; Condamne monsieur [T] [S] à payer à la selarl [W] prise en la personne de maître [L] [W] ès qualités de liquidateur judiciaire la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ; Rejette toute autre demande ; Condamne monsieur [T] [S] aux entiers dépens d'appel. LE GREFFIER, POUR LE PRESIDENT EMPÊCHé, Xavier FLANDIN-BLETY Michèle PICARD