AS TO THE ADMISSIBILITY OF
de la requête N° 10519/83
présentée par Amosi SALABIAKU
contre la France
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La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 16 avril 1986 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
G. SPERDUTI
F. ERMACORA
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
G. TENEKIDES
B. KIERNAN
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H. DANELIUS
J. CAMPINOS
H. VANDENBERGHE
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 29 juillet 1983 par Amosi
SALABIAKU contre la France et enregistrée le 1er août 1983 sous le N°
de dossier 10519/83 ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur
le 27 juin 1985 et les observations en réponse présentées par le
requérant le 7 octobre 1985 ;
Vu les conclusions des parties développées à l'audience le 16
avril 1986 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit :
Le requérant, de nationalité zaïroise, est né en 1951 à
Kinshasa. Il est étudiant et réside à Paris. Dans la procédure devant
la Commission il est représenté par Me Jean-Paul Combenegre, avocat à
la cour d'appel de Paris.
Courant juillet 1979, le requérant qui avait eu à l'époque le
projet de se marier en France avec une jeune Ivoirienne, avait demandé
à l'un de ses parents employé de la compagnie Air Zaïre de lui faire
parvenir quelques échantillons de nourriture de son pays.
Le 25 juillet 1979, le requérant a reçu, par l'intermédiaire
de l'agence de la compagnie susvisée à Paris, un télex lui indiquant
de se rendre à l'aéroport le samedi 28 juillet 1979 pour y retirer un
"colis" pour son mariage, arrivant par un vol QC 010. Le samedi 28
juillet, il s'est donc rendu à l'aéroport pour y retirer ce colis.
Cependant, il n'a trouvé à l'aéroport aucun colis à son nom.
Le requérant s'est alors adressé à un agent d'Air Zaïre à
Roissy, qui lui a désigné une malle qui ne portait aucun nom mais qui
n'avait pas été retirée. En même temps, cet agent a tenté de faire
discrètement comprendre au requérant que cette malle était susceptible
de contenir des marchandises prohibées et lui a suggéré de ne pas s'en
emparer.
Le requérant s'est néanmoins emparé de la malle et, celle-ci
étant plus importante que le colis qu'il attendait, il est allé
téléphoner à son frère pour lui demander de venir l'attendre au
terminal de la Porte Maillot près de leur domicile, afin de l'aider à
porter la malle.
C'est dans ces conditions, qu'après avoir passé la douane sans
encombre, le requérant a été interpellé, d'ailleurs en compagnie de
trois autres Zaïrois qu'il venait de rencontrer à l'aéroport et avec
lesquels il avait engagé la conversation.
Le requérant a alors immédiatement reconnu être le destinataire
de la malle et a mis hors de cause ses trois compatriotes. L'ouverture
de la malle a permis d'y découvrir 10 kilos de cannabis.
Le frère du requérant était lui-même interpellé Porte Maillot.
Mais, entre temps, le vol d'Air Zaïre N° QC 010 était reparti
pour sa destination finale : Bruxelles. C'est à cet endroit qu'a été
débarqué un sac au nom et à l'adresse du requérant et contenant des
denrées alimentaires africaines en mauvais état.
Le requérant et son frère ont été inculpés d'importation en
contrebande de marchandises prohibées.
Au cours de l'instruction, deux des trois Zaïrois qui avaient
assisté à la scène à l'aéroport ont déclaré qu'une femme zaïroise était
également présente et que celle-ci aurait déclaré que la malle
litigieuse lui appartenait.
Ces déclarations ont abouti à l'inculpation de M. K., parent
de cette femme.
Par une ordonnance en date du 25 août 1980, le magistrat
instructeur a renvoyé les deux frères Salabiaku et M. K. devant le
tribunal correctionnel de Bobigny.
Par jugement du 27 mars 1981, cette juridiction a prononcé la
relaxe du frère du requérant et de M. K. Elle a déclaré coupable le
requérant d'avoir (a) contrevenu aux dispositions d'administration
publique concernant les substances vénéneuses classées comme
stupéfiants (articles L 626, L 627, L 629 et L 630-1 et R 5165 et suiv.
du Code de la Santé Publique) (b) commis le délit réputé importation
en contrebande de marchandises prohibées (articles 38-414,
417,
419,
215,
435 du Code des Douanes et 42, 43-1 et suiv.,
44 du Code pénal).
Elle a condamné le requérant à une peine d'emprisonnement de 2 ans.
En outre, sur les conclusions de l'Administration des Douanes, le
tribunal a condamné le requérant à payer une amende douanière de
100.000 francs. Le requérant a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour d'appel, il a insisté sur le fait qu'il ignorait
le contenu réel de la malle qu'il avait appréhendée à Roissy et qu'il
s'était trompé en croyant emporter le colis, arrivé en réalité à
Bruxelles et qui lui était destiné. Le requérant a donc conclu à sa
relaxe sur le plan des poursuites pénales, ainsi qu'à l'irrecevabilité
par voie de conséquence de la constitution de partie civile de
l'administration des douanes. En particulier, le requérant soulignait
qu'il avait commis une erreur invincible l'exonérant de toute
présomption de fraude attachée à la détention des marchandises.
Par arrêt du 9 février 1982, la cour d'appel de Paris a infirmé
le jugement et prononcé la relaxe du requérant au bénéfice du doute du
point de vue de la poursuite pénale pour infraction à la législation
sur les stupéfiants (Code de la santé). Cependant, la cour a confirmé
le jugement sur le délit douanier d'importation en contrebande de
marchandises prohibées (Code des douanes) et maintenu la condamnation
du requérant au paiement d'une amende de 100.000 francs au profit des
douanes.
Le requérant a formé un pourvoi en cassation contre cette
décision en soulevant un moyen tiré de ce que, d'une part, en mettant
à la charge du prévenu une présomption de culpabilité, profitant à
l'administration des douanes, la cour d'appel avait violé l'article 6,
par. 1, de la Convention, et que, d'autre part, en mettant à la charge
du prévenu une présomption de culpabilité quasiment irréfragable, la
cour d'appel avait encore violé l'article 6, par. 2.
Mais par un arrêt rendu le 21 février 1983, la chambre
criminelle de la cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant.
GRIEFS
Les griefs peuvent se résumer comme suit :
Le requérant allègue la violation de l'article 6, par. 1 et 2
de la Convention.
L'article
392 du Code des Douanes français dispose que :
"Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable
de la fraude".
Cette disposition ne répond pas à certaines exigences de
l'article 6 de la Convention. En effet, l'article 392 du Code des
Douanes édicte à la charge du détenteur une double présomption
d'imputabilité matérielle et de culpabilité.
Selon ce système l'élément moral de l'infraction se trouve
réduit par le jeu d'une présomption d'imputabilité à une exigence
minimum : le législateur induit des faits matériels l'existence
préalable d'une volonté délictueuse, la simple constatation du fait
laissant supposer l'existence de l'infraction.
Suivant les catégories juridiques du droit français, les délits
douaniers, dont celui visé par l'article
392 du Code des Douanes,
constituent des infractions dites "non intentionnelles" ou
"matérielles". Le fardeau de la preuve qui incombe à la partie
poursuivante (le ministère public, l'Administration des Douanes et des
Droits Indirects) se trouve donc considérablement allégé puisqu'en
démontrant l'existence des faits constitutifs d'une violation de la loi
pénale, la partie poursuivante démontre à la fois l'élément matériel
de l'infraction et son élément moral.
A cela s'ajoute que le détenteur, ainsi présumé coupable de
l'infraction, ne peut pas renverser la présomption, la jurisprudence
française se montrant particulièrement sévère en exigeant la
démonstration d'une erreur invincible ; comme l'ont souligné certains
auteurs, il s'agit en réalité d'une présomption "pratiquement
irréfragable".
Les raisons politiques criminelles propres à la matière
douanière, ainsi que les nécessités de l'ordre public, la sauvegarde
des intérêts nationaux, mises en avant par le législateur français et
l'administration pour justifier l'existence des dipositions en cause,
ne sauraient faire perdre de vue que celles-ci méconnaissent plusieurs
principes de la Convention.
1. Prétendue violation de l'article 6 par. 1 de la Convention
A partir du moment où l'une des parties au procès pénal dispose
d'un principe qui lui fait directement présumer la volonté coupable du
prévenu d'un fait matériel, telle la simple détention d'un objet, et
voit l'objet de la preuve dont la charge lui incombe, considérablement
allégé, il faut admettre que les parties au procès ne se trouvent plus
sur le terrain d'égalité théorique que les principes généraux de la
procédure
pénale sont censés garantir. Il s'ensuit que l'article 392
du Code des Douanes méconnaît ouvertement le principe du procès
équitable.
En l'espèce, la Cour de cassation a précisément mis en lumière
la méconnaissance de la règle du procès équitable en décidant que
l'article
392 du Code des Douanes n'avait pas été implicitement abrogé
par l'adhésion de la France à la Convention et devait recevoir
application dès lors que la cour d'appel, qui s'est déterminée au vu
des éléments de preuve contradictoirement débattus devant elle, a
constaté la prise de possession par le prévenu du colis en cause et a
tiré de ce fait matériel de détention une présomption qu'aucun élément
résultant d'un évènement non imputable à l'auteur de l'infraction ou
qu'il lui était dans l'impossibilité d'éviter, n'est venue détruire.
2. Prétendue violation de l'article 6, par. 2, de la Convention
De même, la double présomption d'imputabilité matérielle et de
culpabilité édictée par l'article
392 du Code des Douanes, ainsi que
la jurisprudence très restrictive de la chambre criminelle de la Cour
de cassation française et des juridictions du fond, aboutissent à
remettre en cause la présomption d'innocence qui doit bénéficier au
prévenu.
En effet, celui-ci, dès lors que le fait matériel, telle que
la détention, est démontré, ne pourra quasiment pas faire valoir la
présomption d'innocence pourtant édictée à son profit. A tout le
moins, c'est au contraire une présomption de culpabilité qui pèsera en
définitive sur le prévenu.
En l'espèce, il est particulièrement significatif que la cour
d'appel de Paris ait pu relaxer, même au bénéfice du doute, le
requérant de la poursuite pénale pour importation illicite de
stupéfiants, tout en le déclarant coupable du délit douanier et en le
condamnant au paiement d'une somme de 100.000 francs au profit de
l'Administration des Douanes.
Seul le système de la double présomption d'imputabilité et de
culpabilité édictée par l'article incriminé permet d'expliquer que pour
les mêmes faits le même prévenu puisse être dans un cas présumé
innocent et dans l'autre se voir refuser l'application de la
présomption d'innocence.
De l'avis du requérant cette situation ne répond ni aux
exigences du paragraphe 1er de l'article 6 ni à celles du paragraphe
2 du même article.
Procédure
La requête a été introduite le 29 juillet 1983 et enregistrée
le 1er août 1983.
Le 10 décembre 1984, la Commission a décidé de donner
connaissance de la requête au Gouvernement, en application de l'article
42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à
présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le
bien-fondé de la requête.
En particulier, la Commission a invité le Gouvernement à se
prononcer sur les questions suivantes :
Peut-on considérer que le principe du procès équitable, posé
à l'article 6 par. 1, et la présomption d'innocence, posée à l'article
6 par. 2 de la Convention, ont été respectés lorsque dans un système,
tel que celui qui est prévu par l'article
392 du Code des Douanes, le
renversement de la charge de la preuve aboutit à ce que, tout en étant
accusé, le requérant doit apporter la preuve de sa non-responsabilité
et que le principe "in dubio pro reo" ne peut lui être appliqué ? En
d'autres termes, les dispositions de l'article
392 du Code des Douanes
sont-elles compatibles avec les garanties énoncées à l'article 6 ?
Le Gouvernement a présenté ses observations sur la recevabilité
et le bien-fondé le 27 janvier 1985 et les observations en réponse du
requérant sont parvenues le 7 octobre 1985.
Le 5 décembre 1985, la Commission a décidé de tenir une
audience contradictoire en ce qui concerne les griefs tirés de
l'article 6 par. 1 et 2. A cet égard, la Commission a prié les parties
de bien vouloir répondre aux questions suivantes :
1. L'article
392 du Code des Douanes, tel qu'il a été appliqué en
l'espèce, dispose : "Le détenteur de marchandises de fraude est réputé
responsable de la fraude". Peut-on considérer que dans les
circonstances de la cause, le principe de l'égalité des armes découlant
de la notion de procès équitable, posé à l'article 6 par. 1 de la
Convention, et qui exige un certain "équilibre" de la procédure, tel
qu'il ressort de la jurisprudence de la Commission et de la Cour
européennes des Droits de l'Homme (voir notamment l'arrêt de la Cour
dans l'affaire Bönisch, Cour europ. D.H., arrêt du 6 mars 1985, par.
28 et suiv.), a été respecté ?
Dans cet ordre d'idées, peut-on considérer, ainsi que le
soutient le Gouvernement défendeur, que la Convention n'exige pas que
toute la preuve soit à la charge de la partie poursuivante et que par
conséquent cet "allègement de la charge de la preuve de la partie
poursuivante peut s'inscrire dans le cadre d'un procès équitable" ?
2. D'autre part, peut-on considérer que le principe de la
présomption d'innocence posé à l'article 6 par. 2, a été respecté alors
que le renversement de la charge de la preuve semble aboutir à ce que
tout en étant accusé, le requérant doit apporter la preuve de sa
non-culpabilité ?
3. Dans ses observations écrites, le Gouvernement exprime l'avis
que les dispositions de l'article
392 du Code des Douanes n'édictent
pas une présomption de culpabilité mais une présomption de
responsabilité. La Commission souhaiterait obtenir des précisions sur
cette distinction. S'appuie-t-elle sur la jurisprudence française ?
Si oui, laquelle ?
L'audience contradictoire eut lieu le 16 avril 1986.
Les parties étaient représentées comme suit :
pour le Gouvernement français :
- Mlle Alice PEZARD : Magistrat détaché à la Direction des
Affaires juridiques du Ministère des
Affaires Etrangères, agent
- M. Claude MERLIN : Sous-Directeur à la Direction Générale
des Douanes et Droits Indirects du
Ministère de l'Economie, des Finances
et de la Privatisation
- Mme Isabelle TOULEMONDE : Magistrat à la Direction des Affaires
criminelles et des Grâces du Ministère
de la Justice
pour le requérant :
- Maître Jean-Paul COMBENEGRE : Avocat au barreau de Paris, assisté de
- Maître Lucien ACCAD : Avocat au barreau de Paris, conseils.
Argumentation des Parties
Le Gouvernement
Le principe de l'égalité des armes, découlant de la notion de
procès équitable posée à l'article 6 par. 1 et qui exige un certain
équilibre de la procédure a été respecté en l'espèce.
En effet, au regard de la jurisprudence de la Commission et de
celle de la Cour, l'égalité implique l'égalité des armes entre les
parties, notamment en matière pénale, entre le ministère public et
l'accusé.
En l'espèce, il s'agit de savoir si l'allègement de la charge
de la preuve dont bénéficie l'administration des douanes rompt ou non
l'équilibre de la procédure entre les parties au procès.
L'équilibre exigé par la Convention existe pour trois raisons.
D'une part, il appartient à l'administration des douanes d'apporter la
preuve du délit de contrebande c'est-à-dire de démontrer l'existence
matérielle des faits ; la charge de la preuve n'est donc pas renversée.
En second lieu, le prévenu peut soumettre tout au long de la procédure
tout élément à sa décharge ; enfin, les juridictions ont un pouvoir
souverain d'appréciation jusqu'à la décision ultime.
Quant à ces deux derniers points, le requérant prétend que la
présomption de responsabilité, visée à l'article 392 du Code des
Douanes méconnaît cette égalité entre les parties à la procédure parce
que pour lui, il s'agirait d'une présomption de culpabilité. Or, cette
disposition n'édicte pas une présomption de culpabilité mais une
présomption de responsabilité, laquelle implique seulement la recherche
de l'imputabilité matérielle de l'infraction. Il s'agit donc d'un
aménagement de la preuve spécifique au droit douanier.
Il résulte d'ailleurs de la jurisprudence des organes de la
Convention que celle-ci n'exige pas que toute la preuve soit à la
charge de la partie poursuivante.
Ainsi la Cour de cassation permet au prévenu de s'exonérer de
sa présomption de responsabilité, soit en démontrant que les faits
reprochés ont été commis à cause d'un événement qui ne lui est pas
imputable, soit que les faits reprochés aient été commis s'il était
dans l'impossibilité d'éviter l'infraction.
Les juges peuvent donc décharger les prévenus en matière
douanière de toute responsabilité non seulement si la détention
matérielle et objective de la marchandise prohibée n'est pas confirmée,
mais également si la volonté du détenteur de la marchandise en question
n'a pas pris part au fait matériel reproché.
Enfin, la préscription de l'article
392 du Code des Douanes
n'est pas contraire à la présomption d'innocence posée à l'article 6
par. 2 et en aucun cas ne s'y substitue. En effet, à la lumière de la
jurisprudence des organes de la Convention l'article 6 par. 2 ne vise
que les accusations portées contre un individu et non les moyens de
preuve utilisés devant les juridictions internes.
Le requérant
On se trouve en présence d'une procédure pénale ouverte contre
le requérant sur la base d'une poursuite pour délit d'importation
illicite de stupéfiants (articles L 626 et L 627 du Code de la Santé
publique) et délit douanier d'importation en contrebande de
marchandises prohibées (articles
414 et
392 du Code des Douanes).
Ces délits relèvent des lois pénales annexes au Code pénal et
présentent, notamment en matière douanière, leurs caractéristiques
propres. Cette qualification juridique interne des infractions a
conduit la cour d'appel de Paris à condamner le requérant au plan du
délit douanier sur la base des articles susvisés du Code des Douanes
alors que, au plan du délit pénal, il l'a relaxé au bénéfice du doute
et pour les mêmes faits.
D'une part, il y a délit pénal de droit commun qui est fondé
sur la notion d'illicéité : il s'agit du droit commun de la preuve. Du
point de vue de l'intention coupable, la charge de la preuve pèse sur
le ministère public.
D'autre part, il y a eu délit douanier qui est fondé sur la
notion de fraude. Celui-ci bénéficie d'un régime de preuve exorbitant
du droit commun. En effet, le délit douanier, dont celui visé par
l'article
392 du Code des Douanes, constitue, selon les catégories
juridiques du droit français, une infraction dite "non intentionnelle"
ou "matérielle". Cela veut dire que lorsque l'infraction est
simplement caractérisée par la situation irrégulière dans laquelle se
trouve une marchandise, c'est le détenteur des marchandises en fraude
qui est réputé auteur et qui est, à ce titre, pénalement responsable
sans que l'administration des douanes soit tenue d'établir à sa charge
un acte de participation personnelle. Bien au contraire, il appartient
au détenteur d'apporter la preuve de sa non-responsabilité.
Au vu de ce système l'élément moral de l'infraction se trouve
réduit par le jeu d'une présomption d'imputabilité à une exigence
minimum ; en effet, le législateur induit des faits matériels
l'existence d'une volonté délictueuse. Le fardeau de la preuve qui
incombe à la partie poursuivante (ministère public, administration des
douanes) se trouve donc considérablement allégé.
En outre, le détenteur, ainsi présumé coupable de l'infraction,
ne peut quasiment pas renverser la présomption. Il s'agit en
l'occurrence d'une "présomption irréfragable" profitant à
l'administration des douanes sur la base de la simple détention d'un
objet. On ne saurait dès lors soutenir que le principe de l'égalité
des armes découlant de la notion de procès équitable, posé au par. 1er
de l'article 6 de la Convention, a été respecté.
On ne saurait davantage soutenir que le principe de la
présomption d'innocence, énoncé au paragraphe 2 de l'article 6 de la
Convention, a été respecté alors que le renversement du fardeau de la
preuve aboutit à ce que tout en étant accusé, le prévenu doit apporter
la preuve de sa non-culpabilité.
En Droit
Le requérant allègue la violation des paragraphes 1 et 2 de
l'article 6 (art. 6-1, 6-2) de la Convention dans la mesure où il
considère que l'article
392 du Code des Douanes, tel qu'il a été
appliqué en l'espèce, et qui dispose que "le détenteur de marchandises
de fraude est réputé responsable de la fraude" ne répond pas à
certaines exigences de l'article 6 (art. 6) de la Convention. Cette
disposition stipule :
"1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par
un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera soit des contestations sur ses droits et obligations
de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle. ...
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie."
Le requérant estime qu'il ne peut être soutenu en l'espèce que
le principe de l'égalité des armes découlant de la notion de procès
équitable,posé au paragraphe 1er de l'article 6 (art. 6) de la
Convention, a été respecté lorsqu'est mise à la charge du prévenu une
présomption de culpabilité quasiment irréfragable profitant à
l'administration des douanes, sur la base de la simple détention d'un
objet.
Le requérant estime en outre que l'on ne saurait non plus
soutenir que le principe de la présomption d'innocence, énoncé au
paragraphe 2 de l'article 6 (art. 6-2) de la Convention, a été respecté
dans la mesure où le renversement du fardeau de la preuve aboutit à ce
que, tout en étant accusé, le prévenu doit apporter la preuve de sa
non- culpabilité.
Le Gouvernement conteste ces points de vue. Il a fait valoir
que les dispositions de l'article
392 du Code des Douanes, telles
qu'elles ont été appliquées, ne contreviennent à aucun des principes
énoncés à l'article 6 (art. 6) de la Convention.
Selon le Gouvernement ces dispositions n'édictent pas une
présomption de culpabilité mais une présomption de responsabilité, qui
n'implique que la recherche de l'imputabilité matérielle de
l'infraction. Il s'agit donc d'un aménagement du régime de la preuve
spécifique au droit douanier.
Le Gouvernement a encore soutenu que l'allègement de la charge
de la preuve incombant à la partie poursuivante peut s'inscrire dans
le cadre d'un procès équitable, en conformité avec l'article 6
paragraphe 1(art. 6-1). Au demeurant, la Convention n'exige pas que
toute la preuve soit à la charge de la partie poursuivante.
Enfin, pour le Gouvernement la présomption de l'article 392 du
Code des Douanes n'est pas contraire à la présomption d'innocence posée
à l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) de la Convention et en aucun cas
ne s'y substitue. En effet, il relève qu'au vu de la jurisprudence des
organes de la Convention, l'article 6 paragraphe 2 (art. 6-2) ne vise
que les accusations portées contre un individu et non les moyens de
preuve utilisés devant les juridictions internes.
Il n'est pas contesté entre les parties que les délits
douaniers, tels que ceux visés par l'article
392 du Code des Douanes,
entrent dans la catégorie des délits pénaux. Ceux-ci relèvent des lois
pénales annexes au code pénal et présentent, il est vrai, notamment en
matière douanière, leurs caractéristiques propres. Il n'en demeure pas
moins que la procédure mise en cause entre dans le domaine de
l'application de l'article 6 (art. 6) de la Convention, qui s'étend à
toute procédure portant sur le bien-fondé d'une accusation en matière
pénale.
La question se pose dès lors de savoir si, ainsi que le prétend
le requérant, l'application faite de l'article
392 du Code des Douanes
dans le cas d'espèce a engendré une inégalité des armes entre les
parties au procès, compte tenu de la présomption quasiment irréfragable
profitant à l'une d'elles, sur la base de la détention d'un objet.
Cette situation a-t-elle ou non pour conséquence l'inéquité du procès,
en violation de l'article 6 paragraphe 1 (art. 6-1) de la Convention,
qui exige un certain "équilibre" de la procédure, tel qu'il ressort de
la jurisprudence de la Commission et de la Cour Européennes des Droits
de l'Homme (Cour Eur. D.H. arrêt Bönisch du 6.5.85, série A No 92, par.
28 et suiv.) ?
La Commission rappelle en outre qu'en matière pénale, tout
prévenu ou accusé est présumé innocent tant que sa culpabilité n'a pas
été reconnue par une décision judiciaire définitive c'est-à-dire ayant
acquis l'autorité de la chose jugée. Cette présomption a pour
conséquence que le doute profite à l'accusé ou prévenu et que le
fardeau de la preuve incombe à l'accusation.
Dès lors, peut-on considérer que le principe de la présomption
d'innocence posé à l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention a été
respecté en dépit de la double présomption d'imputabilité matérielle
et de responsabilité édictée par l'article
392 du Code des Douanes, qui
pourrait conduire un accusé à devoir apporter la preuve de sa non-
culpabilité (voir No 5124/71, déc. 19.7.72, Rec. 42, p. 135) ?
La Commission considère à la lumière d'un examen préliminaire
de l'argumentation des parties, de sa propre jurisprudence et de la
jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, que les
griefs soulevés par le requérant au titre des paragraphes 1 et 2 de
l'article 6 (art. 6) posent des problèmes d'interprétation suffisamment
complexes et importants pour que la solution doive relever d'un examen
du bien-fondé de la requête et, partant, que celle-ci ne saurait être
déclarée manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs
, la Commission
DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.
Le Secrétaire adjoint Le Président
de la Commission de la Commission
(J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)