1. | Le litige à l’origine du présent renvoi préjudiciel oppose la société VAS « Latvijas dzelzceļš » ( 2 ), gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire publique de Lettonie, à une entreprise (AS « Baltijas Ekspresis » ( 3 )) qui se consacre au transport de marchandises par chemin de fer. |
2. | Le litige est né lorsque LDz a tenté d’activer une clause de résiliation anticipée figurant dans le contrat de location d’un bâtiment destiné au dépôt de matériel ferroviaire conclu entre LDz en tant que propriétaire et Baltijas Ekspresis en tant que locataire. Cette dernière s’est opposée à la demande de LDz. |
3. | Ce différend a été soumis à l’autorité nationale de contrôle du secteur ferroviaire ( 4 ), qui l’a tranché en faveur de Baltijas Ekspresis, empêchant LDz de faire évacuer le bâtiment. |
4. | LDz a introduit un recours en justice contre cette décision, le point litigieux portant, en substance, sur l’interprétation des règles nationales ayant transposé la directive 2012/34/UE ( 5 ) en droit letton. |
5. | L’article 3 (« Définitions ») de la directive 2012/34 dispose : « Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
[...] » |
6. | Aux termes de l’article 13 (« Conditions d’accès aux services ») de la directive 2012/34 : « […] 2. Les exploitants d’installations de service fournissent à toutes les entreprises ferroviaires, de manière non discriminatoire, un accès, y compris aux voies d’accès, aux infrastructures visées à l’annexe II, point 2, et aux services offerts dans ces infrastructures. [...] 6. Si une installation de service visée à l’annexe II, point 2, n’a pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives et si des entreprises ferroviaires se sont déclarées intéressées par un accès à cette installation auprès de l’exploitant de cette installation, sur la base de besoins avérés, son propriétaire annonce publiquement que son exploitation est disponible à la location ou au crédit-bail en tant qu’installation de service ferroviaire, en totalité ou en partie, à moins que l’exploitant de cette installation de service ne démontre qu’un processus de reconversion en cours empêche son utilisation par une entreprise ferroviaire. [...] » |
7. | L’article 27 (« Document de référence du réseau ») de la directive 2012/34 énonce : « 1. Le gestionnaire de l’infrastructure établit et publie, après consultation des parties intéressées, un document de référence du réseau pouvant être obtenu contre paiement d’un droit qui ne peut être supérieur au coût de publication de ce document. Le document de référence du réseau est publié dans au moins deux langues officielles de l’Union. Son contenu est mis gratuitement à disposition sous forme électronique sur le portail internet du gestionnaire de l’infrastructure et accessible par un portail internet commun. Ce portail internet est mis en place par les gestionnaires de l’infrastructure dans le cadre de leur coopération conformément aux articles 37 et 40. 2. Le document de référence du réseau expose les caractéristiques de l’infrastructure mise à la disposition des entreprises ferroviaires et contient des informations précisant les conditions d’accès à l’infrastructure ferroviaire concernée. Le document de référence du réseau contient également des informations précisant les conditions d’accès aux installations de service reliées au réseau du gestionnaire de l’infrastructure et la fourniture de services dans ces installations, ou indique un site internet où ces informations sont mises gratuitement à disposition sous forme électronique. Le contenu du document de référence du réseau est défini à l’annexe IV. [...] » |
8. | L’article 56 (« Fonctions de l’organisme de contrôle ») de la directive 2012/34 prévoit : « 1. Sans préjudice de l’article 46, paragraphe 6, un candidat peut saisir l’organisme de contrôle dès lors qu’il estime être victime d’un traitement inéquitable, d’une discrimination ou de tout autre préjudice, notamment pour introduire un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure ou, le cas échéant, par l’entreprise ferroviaire ou l’exploitant d’une installation de service en ce qui concerne : [...]
[...] 9. L’organisme de contrôle examine chaque plainte et, le cas échéant, sollicite des informations utiles et engage des consultations avec toutes les parties concernées dans un délai d’un mois à compter de la réception de la plainte. Il se prononce sur toutes les plaintes, adopte les mesures nécessaires afin de remédier à la situation et communique sa décision motivée aux parties concernées [...]. Sans préjudice des compétences des autorités nationales de concurrence pour assurer la concurrence sur le marché des services ferroviaires, l’organisme de régulation prend, le cas échéant, de sa propre initiative les mesures appropriées pour corriger toute discrimination à l’égard des candidats, toute distorsion du marché et toute autre évolution indésirable sur ces marchés, notamment eu égard au paragraphe 1, points a) à j). [...] » |
9. | L’annexe II (« Services à fournir aux entreprises ferroviaires ») de la directive 2012/34 est libellée comme suit : « [...] 2. L’accès, y compris l’accès aux voies, est fourni aux installations de service suivantes, lorsqu’elles existent, et aux services offerts dans ces installations : [...]
[...] » |
10. | L’article 3 (« Définitions ») du règlement d’exécution 2017/2177 dispose : « Aux fins du présent règlement, on entend par : [...]
[...]
[...] » |
11. | Aux termes de l’article 15 (« Installations inutilisées ») du règlement d’exécution 2017/2177 : « 1. Les installations de service énumérées à l’annexe II, point 2, de la directive [2012/34] qui n’ont pas été utilisées pendant au moins deux années consécutives font l’objet d’un appel à manifestation d’intérêt pour être mises en crédit-bail ou en location. Des informations sur les installations inutilisées sont publiées conformément à l’article 5. 2. La période de deux ans visée au paragraphe 1 commence à courir le jour suivant celui où le service associé au transport ferroviaire a été fourni pour la dernière fois dans l’installation de service concernée. 3. Un candidat souhaitant utiliser une installation de service visée à l’annexe II, point 2, de la directive [2012/34], qui n’a pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives, exprime son intérêt par écrit à l’exploitant de l’installation de service concernée et en informe l’organisme de contrôle. Cette expression d’intérêt met en évidence les besoins de l’entreprise ferroviaire concernée. L’exploitant de l’installation de service peut décider de reprendre ses activités de manière à répondre aux besoins établis de l’entreprise. 4. Lorsque le propriétaire d’une installation de service n’en est pas l’exploitant, l’exploitant de l’installation informe le propriétaire de la manifestation d’intérêt dans un délai de 10 jours à compter de sa réception. Le propriétaire de l’installation annonce publiquement que l’installation est disponible à la location ou au crédit-bail, en totalité ou en partie, à moins que l’exploitant de l’installation de service n’ait décidé de reprendre l’exploitation après la manifestation d’intérêt. 5. Avant de faire cette annonce, le propriétaire de l’installation de service peut autoriser l’exploitant à présenter ses observations sur l’annonce dans un délai de quatre semaines. L’exploitant peut s’opposer à cette annonce en soumettant des documents prouvant qu’un processus de reconversion a été entrepris avant le lancement de la manifestation d’intérêt. 6. Afin d’en apprécier la plausibilité, l’organisme de contrôle, que le propriétaire informe du processus de reconversion, peut demander des documents à l’exploitant. Si l’évaluation n’est pas satisfaisante, l’organisme de contrôle exige que soit publiée la mise en location ou en crédit-bail, en totalité ou en partie, de l’exploitation de l’installation. [...] » |
12. | L’article 12.1, paragraphe 2, du Dzelzceļa likums (loi sur les chemins de fer) ( 6 ) prévoit que les exploitants d’installations de service garantissent à tous les transporteurs, de manière non discriminatoire, un accès (y compris aux voies d’accès) à leurs installations de service et, le cas échéant, aux services fournis dans les installations suivantes : « [...]
|
13. | Conformément à l’article 12.2, paragraphe 2, de la loi sur les chemins de fer, lorsque l’une des installations de service visées à l’article 12.1, paragraphe 2, de cette loi n’a pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives et qu’un transporteur a manifesté à l’exploitant de cette installation son intérêt, fondé sur des besoins avérés, à y avoir accès, le propriétaire annonce publiquement que son exploitation est disponible à la location ou au crédit-bail, en totalité ou en partie, pour la fourniture de services, à moins que l’exploitant de cette installation ne démontre qu’aucun transporteur ne peut l’utiliser en raison des transformations qui y sont réalisées. |
14. | L’article 12.2, paragraphe 8, de la loi sur les chemins de fer énonce que, si l’une des installations visées à l’article 12.1, paragraphe 2, de cette loi n’est pas utilisée pendant au moins deux années consécutives, son propriétaire peut annoncer publiquement que la totalité ou une partie de l’installation de service est disponible à la location, au crédit-bail ou à la cession. S’il ne reçoit pas d’offres dans un délai de trois mois à compter de la publication, l’exploitant de l’installation est autorisé à la fermer, après notification, au moins trois mois à l’avance, à l’administration nationale des chemins de fer et au gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire publique. |
15. | En 2002, LDz a loué à Baltijas Ekspresis un bâtiment, dont elle est propriétaire, situé dans la localité de Ventspils (Lettonie, ci-après le « dépôt de Ventspils »). Le contrat a été renouvelé à plusieurs reprises, dont la dernière fois, le 20 juin 2016, pour une période de douze ans. |
16. | Après les adaptations appropriées, Baltijas Ekspresis a utilisé le dépôt de Ventspils en tant qu’atelier de réparation et d’entretien de ses locomotives ( 7 ). |
17. | Le 5 septembre 2017, LDz a informé Baltijas Ekspresis qu’elle procédait à la résiliation unilatérale du contrat. Elle a fait valoir que, en sa qualité de gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire publique, elle avait besoin des installations en tant qu’espace de stockage de matériel roulant, en vue de l’entretien de cette infrastructure ( 8 ). |
18. | Le 18 septembre 2017, Baltijas Ekspresis a introduit une plainte auprès de l’organisme de contrôle pour violation de la concurrence et discrimination. Elle a demandé qu’il soit mis fin au comportement de LDz, en ce qu’il compromettait la poursuite de l’activité de l’installation de service ( 9 ). |
19. | Le 5 décembre 2017, l’organisme de contrôle a ordonné à LDz de garantir l’accès de Baltijas Ekspresis au dépôt de Ventspils, en tant qu’installation de service, ainsi qu’aux services fournis dans celle-ci. |
20. | Les arguments de l’organisme de contrôle aux fins de motiver sa décision ont été, en substance, les suivants :
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21. | LDz a introduit un recours contre la décision de l’organisme de contrôle devant l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district, Lettonie), faisant valoir que :
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22. | Par un jugement du 25 janvier 2019, l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district) a rejeté le recours de LDz. Entre autres motifs, cette juridiction a déclaré que LDz devait être qualifiée d’« exploitant d’une installation de service », dès lors qu’elle était responsable de sa gestion. Elle a également considéré que le dépôt de Ventspils était approprié aux fins de la fourniture de services d’entretien. |
23. | LDz a fait appel du jugement de première instance devant l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
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24. | LDz et Baltijas Ekspresis soutiennent, selon des points de vue opposés, que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, car elle est fondée sur des prémisses erronées : la juridiction de renvoi aurait eu tort, selon LDz, de qualifier le dépôt de Ventspils d’« installation de service » et, selon Baltijas Ekspresis, d’affirmer que cette installation avait été inutilisée. |
25. | L’organisme de contrôle considère, dans le même sens, que, à moins d’être reformulées, les questions préjudicielles ne sont pas recevables. |
26. | Ces objections ne sauraient prospérer, car les questions préjudicielles concernant le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence qui n’a pas été infirmée ici. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier leur nécessité pour résoudre le litige dont elle est saisie et ce n’est que si le contraire était clairement établi (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) que la Cour pourrait refuser d’y répondre. |
27. | La Cour peut refuser de répondre à une question préjudicielle posée par une juridiction nationale s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 10 ). Rien de tel n’a lieu ici. |
28. | Le renvoi préjudiciel n’est pas, en l’espèce, de nature hypothétique et il s’inscrit dans le cadre d’un litige réel, sur la résolution duquel les parties concernées sont en désaccord, dans lequel le droit de l’Union s’applique. L’initiative de le formuler a été prise par l’une des parties, qui, logiquement, ne saurait attendre de la juridiction de renvoi qu’elle corrobore tous ses arguments ( 11 ). |
29. | Par ailleurs, ces objections soulèvent en fait un problème de fond et non de recevabilité du renvoi préjudiciel. |
30. | Avant de me pencher sur l’examen des questions préjudicielles, il me semble opportun d’apporter quelques précisions sur la règle du droit de l’Union applicable et sur la situation (l’existence d’une installation de service) à l’origine du débat. |
31. | Les trois questions préjudicielles portent tant sur l’interprétation de la directive 2012/34 que sur celle du règlement d’exécution 2017/2177. Ce dernier n’est toutefois pas applicable ratione temporis à des faits (la résiliation du contrat) survenus en septembre 2017, alors que ce règlement n’était pas encore entré en vigueur ( 12 ). |
32. | Les dispositions du règlement d’exécution 2017/2177 peuvent, en tout état de cause, être utiles pour connaître les critères qui ont été utilisés, par la Commission européenne et par les divers organismes de contrôle nationaux, lors de l’interprétation de la directive 2012/34. L’article 13, paragraphe 9, de cette dernière attribuait à la Commission la tâche d’« adopter des mesures détaillant la procédure à suivre et les critères à respecter pour l’accès aux services à fournir dans les installations de service ». |
33. | Ces mesures devaient être prises « [s]ur la base de l’expérience acquise par les organismes de contrôle et les exploitants d’installation de service, ainsi que sur la base des activités du réseau visé à l’article 57, paragraphe 1 » ( 13 ). |
34. | Par conséquent, puisque le règlement d’exécution 2017/2177 s’appuie sur l’expérience acquise lors de la mise en œuvre de la directive 2012/34, en tant qu’expression des pratiques communes des États membres, ses dispositions peuvent être utilisées pour mieux comprendre celles de la directive qu’elles mettent en œuvre, sauf si une contradiction manifeste entre les unes et les autres est constatée ( 14 ). |
35. | Selon LDz, le dépôt de Ventspils n’était pas une installation de service, car : a) le contrat de location n’indiquait pas que telle était sa destination et b) il n’apparaissait pas en tant que tel dans le document de référence du réseau. |
36. | La qualification d’« installation de service » – en tant que notion distincte de celle d’« infrastructure ferroviaire » ( 15 ) – dépend d’une série de facteurs techniques que seule la juridiction de renvoi est en mesure de considérer comme étant vérifiés. C’est à elle qu’il appartenait de déterminer si, en raison de leurs caractéristiques particulières, le terrain, les bâtiments et l’équipement du dépôt de Ventspils étaient « spécialement aménagés, en totalité ou en partie, pour permettre la fourniture d’un ou plusieurs des services visés à l’annexe II, points 2, 3 et 4 » (article 3, point 11, de la directive 2012/34). |
37. | Or, la juridiction de renvoi affirme que « le dépôt de Ventspils est une installation de service, dans la mesure où il satisfait aux exigences techniques permettant de considérer que cet espace est adapté à la fourniture de services » ( 16 ). |
38. | Face à cette appréciation, que la juridiction de renvoi qualifie de « constatation factuelle », la thèse de LDz, adoptée sous une perspective purement formelle, ne saurait prospérer. |
39. | Les termes dans lesquels un contrat est rédigé ne prévalent pas sur la réalité, lorsque les circonstances caractérisant un immeuble déterminé doivent être vérifiées. Tout semble indiquer, en outre, que l’existence d’un atelier dans le dépôt de Ventspils était notoire, connue et consentie par le propriétaire depuis l’année 2004 ( 17 ). |
40. | L’argument selon lequel le dépôt de Ventspils ne figurait pas dans le document de référence du réseau est quelque peu paradoxal, puisqu’il émane de LDz, le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire lettonne, qui, en tant que tel, est tenu d’établir le document de référence du réseau conformément à l’article 27 de la directive 2012/34, c’est-à-dire en y incluant toutes les installations existantes ( 18 ). Cette omission pourrait être due à une erreur ; précisément, les années suivantes, le dépôt de Ventspils figurait dans le document de référence du réseau letton en tant qu’installation de service exploitée par Baltijas Ekspresis ( 19 ). |
41. | La qualification de la juridiction de renvoi me semble donc convaincante et conforme à la définition d’« installation de service » figurant à l’article 3, point 11, de la directive 2012/34, lu en combinaison avec l’annexe II, points 2 à 4, de celle-ci. |
42. | Les éléments retenus par la directive 2012/34 en la matière concernent les prestations fournies dans un espace déterminé. Si, comme en l’espèce (selon ce qui ressort de la décision de renvoi), cet espace est destiné aux installations d’entretien du matériel ferroviaire décrites à l’annexe II, point 2, sous e) et f), de cette directive ( 20 ), cela suffit pour satisfaire aux exigences de la notion d’« installation de service ». |
43. | La juridiction de renvoi souhaite savoir si, en vertu de l’article 13, paragraphes 2 et 6, de la directive 2012/34, l’organisme de contrôle peut imposer au propriétaire d’une installation de service qui n’en est pas l’exploitant de garantir l’accès aux services qui y sont fournis. |
44. | L’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 ne donne aucune indication permettant de répondre à ce qui fait l’objet de la question, auquel se rapporte davantage le paragraphe 2 de cet article, aux termes duquel « [l]es exploitants d’installations de service fournissent à toutes les entreprises ferroviaires, de manière non discriminatoire, un accès, y compris aux voies d’accès, aux infrastructures visées à l’annexe II, point 2, et aux services offerts dans ces infrastructures ». |
45. | L’interprétation de la disposition requiert, avant tout, de distinguer les fonctions des propriétaires des installations de celles de leurs exploitants. En l’espèce, il n’est pas contesté que Baltijas Ekspresis exploitait l’installation de service. Les doutes se limitent au rôle joué par LDz. |
46. | Dans cette première question, la juridiction de renvoi part de la prémisse que LDz ne pouvait pas être qualifiée d’« exploitant de l’installation de service ». Pourtant, dans la troisième question, elle mentionne « l’exploitant de l’installation de service (en l’occurrence le propriétaire de l’installation de service) ». |
47. | Bien qu’il appartienne à la juridiction de renvoi de clarifier ce point, la lecture de la décision de renvoi, dans son ensemble, semble confirmer que, pour cette juridiction, LDz n’était pas l’exploitant de l’installation de service, dont la gestion était exclusivement assumée par Baltijas Ekspresis. |
48. | La juridiction de première instance avait affirmé que LDz « devait être considérée comme un exploitant d’installation de service, dès lors qu’elle était responsable de la gestion de cette installation » ( 21 ). Selon un point de vue similaire, quoique pas exactement identique, l’organisme de contrôle avait la même appréciation, soulignant la similitude entre le propriétaire qui loue un immeuble et celui qui l’exploite ( 22 ). |
49. | Je ne partage pas cette appréciation, qui ne me semble pas conforme à la définition d’« exploitant d’installation de service » figurant à l’article 3, point 12, de la directive 2012/34. Dans ce contexte, « exploiter » signifie non pas obtenir des revenus économiques d’un bien immobilier (par exemple au moyen d’une location ou d’un crédit-bail), mais assumer la gestion effective de l’installation elle-même. L’analogie préconisée par l’organisme de contrôle ne saurait, dès lors, être acceptée. |
50. | Je le répète, l’élément caractéristique de la qualité d’exploitant d’une installation de service est qu’il assume la « gestion » de celle-ci, soit lorsqu’il en donne l’accès aux entreprises ferroviaires, soit lorsqu’il leur offre les services qu’il fournit dans cette même installation. |
51. | Être propriétaire des espaces dans lesquels se trouve une installation de service ne suffit pas à conférer la qualité de gestionnaire. Si tel était le cas, tout propriétaire d’un immeuble dans lequel se trouve une installation de service en serait l’exploitant, ce qui estomperait la séparation établie à l’article 3 de la directive 2012/34. Il en va différemment si le propriétaire assume simultanément la gestion de l’installation ( 23 ). |
52. | Pour que LDz puisse être considérée comme étant exploitant de l’installation de service, il faudrait qu’elle ait une implication réelle dans sa gestion, ce qui ne ressort d’aucun élément du dossier ( 24 ). Par conséquent, j’estime que seule Baltijas Ekspresis avait cette qualité. |
53. | Si tel est le cas, il convient de répondre par la négative à la première question préjudicielle telle qu’elle a été formulée : l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2012/34 concerne les obligations de l’exploitant de l’installation de service et non celles de son propriétaire lorsque celui-ci n’intervient pas dans la gestion de l’installation. |
54. | Cette réponse est probablement insatisfaisante pour déterminer ce qu’un organisme de contrôle peut faire dans un cas comme celui de l’espèce, dans lequel le propriétaire de l’installation de service entend empêcher celui qui l’exploite de poursuivre sa gestion. J’aborderai ce problème – qui va au-delà de la première question préjudicielle – ultérieurement. |
55. | Les deuxième et troisième questions préjudicielles, qui peuvent être examinées conjointement, portent sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34. |
56. | La juridiction de renvoi souhaite savoir si cette disposition : a) autorise le propriétaire d’une installation de service à mettre fin au contrat de bail et à la reconvertir et b) autorise l’organisme de contrôle à vérifier la décision de reconversion. |
57. | J’examinerai successivement les problèmes liés à l’utilisation de l’installation de service et ceux concernant son éventuelle reconversion. |
58. | La condition pour appliquer l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 est qu’une installation de service visée à l’annexe II, point 2, « n’a[it] pas été utilisée pendant au moins deux années consécutives et [que] des entreprises ferroviaires se so[ie]nt déclarées intéressées par un accès à cette installation auprès de l’exploitant de cette installation, sur la base de besoins avérés ». |
59. | L’exigence que l’installation de service ait été inutilisée pendant deux années consécutives implique, selon moi, la cessation effective de l’activité durant cette période, outre l’absence corrélative de demande d’entreprises ferroviaires intéressées par son utilisation ( 25 ). |
60. | Or, ainsi que le souligne la Commission, il ne ressort pas des informations figurant dans le dossier que cette exigence soit remplie en l’espèce. Au contraire, il en découle que Baltijas Ekspresis a utilisé, sans interruption, le dépôt de Ventspils pour l’entretien du matériel ferroviaire, c’est-à-dire pour l’une des prestations typiques des installations de service visées à l’annexe II, point 2, de la directive 2012/34. |
61. | Il est vrai que, selon la juridiction de renvoi, « l’installation de service en cause doit être considérée comme une installation de service non utilisée » ( 26 ). Cette affirmation – qui devrait être considérée comme étant irréfutable si elle était limitée à la simple constatation d’un fait – ne dément toutefois pas, en réalité, l’utilisation continue du dépôt de Ventspils par Baltijas Ekspresis (comme indiqué dans d’autres passages de la décision de renvoi ( 27 )), mais procède plutôt d’une mauvaise compréhension de la disposition en cause. |
62. | En effet, la juridiction de renvoi ne conteste pas que Baltijas Ekspresis utilise, de facto, le dépôt de Ventspils pour fournir les services d’entretien de locomotives. Ce qu’elle affirme, c’est que cette utilisation ne relève pas de la notion de « fourniture de services pour compte propre » visée à l’article 3, point 8, du règlement d’exécution 2017/2177 ( 28 ) et que Baltijas Ekspresis « ne fournit pas non plus de services à d’autres entreprises ferroviaires (du moins jusqu’à l’adoption de la décision [de l’organisme de contrôle]) » ( 29 ). |
63. | Aucune de ces deux circonstances ne concerne toutefois la notion de « non-utilisation » visée à l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34. |
64. | S’agissant de la fourniture de services pour compte propre, je partage le point de vue de la juridiction de renvoi selon lequel ce n’était pas le cas en l’espèce, car cette notion exige la présence de deux opérateurs, à savoir une entreprise ferroviaire autre que l’exploitant de l’installation de service et ce dernier. |
65. | La fourniture de services pour compte propre mentionnée dans le règlement d’exécution 2017/2177 consiste, ainsi que l’explique la Commission, à ce que l’exploitant de l’installation de service mette celle-ci à la disposition d’une entreprise ferroviaire (tierce), afin que cette dernière effectue des opérations sur ses trains, en utilisant sa propre main-d’œuvre et son propre matériel ( 30 ). Dans la présente affaire, il n’y a toutefois qu’une seule entreprise ferroviaire (Baltijas Ekspresis) qui exploite, pour elle-même, le dépôt de Ventspils. |
66. | Qu’il n’y ait pas de fourniture de services pour compte propre ne signifie toutefois pas que l’installation de service soit inutilisée. Si, comme c’était le cas, les opérations de réparation et d’entretien de la flotte de locomotives de Baltijas Ekspresis étaient effectuées sans interruption dans le dépôt de Ventspils, cela suffisait pour qu’il y ait « utilisation d’une installation de service » au sens de la directive 2012/34. |
67. | Il est indifférent que des services à d’autres entreprises ferroviaires n’aient pas été fournis dans cette installation ( 31 ). L’élément déterminant consiste en ce que, d’un point de vue objectif, les services (ici, d’entretien du matériel ferroviaire) soient fournis, quel que soit leur destinataire. À cet égard, je le répète, il importe peu qu’ils soient fournis à des tiers ou uniquement à l’exploitant de l’installation de service. |
68. | Il est donc possible que l’entreprise qui gère l’installation soit celle qui bénéficie des services, sans préjudice de son obligation, en tant qu’exploitant, de fournir aux autres entreprises ferroviaires, de manière non discriminatoire, l’accès à cette installation et aux services qui y sont offerts, conformément à l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2012/34. |
69. | En somme, l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 ne régit pas une situation telle que celle de l’espèce, dans laquelle Baltijas Ekspresis a utilisé, de manière continue, l’installation de service ( 32 ). |
70. | La reconversion apparaît à l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34, liée à l’hypothèse que l’installation de service n’ait pas été utilisée pendant deux ans et qu’il existe des entreprises ferroviaires intéressées par un accès à cette installation. Cette hypothèse, comme je l’ai déjà indiqué, n’est pas celle de l’espèce, de sorte que les références de la décision de renvoi à la reconversion n’ont pas de fondement solide. |
71. | En outre, la reconversion visée dans la disposition précitée est celle qui se trouve en cours lorsque le propriétaire de l’installation non utilisée annonce publiquement mettre son exploitation en location ou en crédit-bail. Dans une telle hypothèse, il incombe à l’exploitant de l’installation de démontrer qu’un « processus de reconversion » a été entrepris ( 33 ). |
72. | L’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 ne porte donc pas sur la prétention du propriétaire d’une installation utilisée qui entend récupérer sa possession (en l’occurrence en résiliant un contrat de location) afin de la consacrer à ses propres besoins d’entretien de l’infrastructure ferroviaire. |
73. | Enfin, il convient de considérer que le terme « reconversion » employé tant dans la directive 2012/34 que dans le règlement d’exécution 2017/2177 ne couvre pas toute transformation d’une installation de service. Son acception est plus restreinte, puisqu’il se limite à un changement de destination écartant cette installation de la fourniture de services associés au transport ferroviaire ( 34 ). |
74. | Même si les autres circonstances étaient réunies (quod non), la volonté de LDz de destiner, à l’avenir, le dépôt de Ventspils au stockage de matériel roulant en vue de l’entretien de l’infrastructure ferroviaire publique empêcherait, en tout état de cause, de considérer qu’il y a « reconversion » au sens de la directive 2012/34. |
75. | En somme, l’article 13, paragraphe 6, de la directive 2012/34 n’est pas non plus applicable, dans les circonstances de l’espèce, en ce qui concerne la reconversion de l’installation de service. |
76. | Je reconnais toutefois que la réponse que je propose aux questions préjudicielles, tributaire de la manière dont elles sont formulées, n’est pas satisfaisante pour déterminer : a) quand, en vertu de la directive 2012/34, le propriétaire d’une installation de service peut la récupérer pour la destiner à ses besoins en tant que gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire, en résiliant à l’avance un contrat de bail en cours, et b) quels sont les pouvoirs de l’organisme de contrôle à cet égard. |
77. | Bien que ces deux problèmes soient étroitement liés, je préfère les examiner séparément. Je le ferai en considération du fait que la Cour peut fournir au juge national des indications, fondées sur le dossier et sur les observations qui lui auraient été soumises, sur des points qui ne s’inscrivent pas strictement dans le cadre des questions préjudicielles, si elle l’estime pertinent en vue d’améliorer sa collaboration avec la juridiction de renvoi. |
78. | Dans ses observations écrites, LDz invoque à plusieurs reprises la défense de son droit de propriété et l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Elle cite, à l’appui de sa position, l’arrêt Commission/Hongrie, dans lequel la disposition précitée a été interprétée ( 35 ). |
79. | Ainsi que le souligne la Commission, la création d’un espace ferroviaire européen unique visait à donner aux nouvelles entreprises du transport ferroviaire (ou à celles fournissant des services liés à ce transport) l’accès à des infrastructures jusqu’alors dominées par les opérateurs historiques, dont l’utilisation devait être ouverte aux tiers ( 36 ). |
80. | Ce dessein concernait tant les infrastructures proprement dites que les installations de service qui, par le passé, faisaient partie des premières et qui forment désormais une nouvelle catégorie dans le secteur ferroviaire. Les unes et les autres ont une capacité limitée et doivent être mises à la disposition des entreprises ferroviaires intéressées par leur utilisation. |
81. | Par conséquent, quels que soient les propriétaires de l’infrastructure ferroviaire et des installations de service, leurs droits patrimoniaux sont limités ex lege, en vertu de la directive 2012/34, dans les termes découlant de ses dispositions. Lesdits propriétaires ne peuvent invoquer leurs titres de propriété pour démanteler le réseau ferroviaire d’un État ou les installations de service indispensables à son fonctionnement. |
82. | La protection conférée par l’article 17 de la Charte ne saurait faire abstraction du régime légal, imposé par le droit de l’Union, concrétisé dans les règles de la directive 2012/34. Ces règles limitent, en soi et par définition, les droits dont disposerait, in abstracto et indépendamment desdites règles, tout propriétaire d’un bien qui ne serait pas affecté aux besoins du service ferroviaire. |
83. | Du point de vue du droit de l’Union, le droit de propriété des installations de service ne confère tout bonnement pas à son titulaire la faculté d’en disposer à sa guise. Le législateur a souhaité soumettre leur utilisation au principe selon lequel elles doivent demeurer en tant que telles, ouvertes aux entreprises ferroviaires qui le demanderaient, lorsque cela est indispensable à l’ensemble du secteur ferroviaire. |
84. | Il s’agit d’une volonté logique, car la nature rigide de l’infrastructure ferroviaire (au sens large) limite la capacité des entreprises à choisir les espaces dans lesquels leurs trains peuvent recevoir les prestations nécessaires à leur fonctionnement. |
85. | À ces réflexions s’ajoutent celles qui apparaîtraient si le titulaire de l’infrastructure ferroviaire et des installations de service était, précisément, le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire publique. Les immeubles dont cette entité serait propriétaire et qui seraient affectés au service ferroviaire, au sens large, peuvent être soumis à un régime juridique spécifique, qu’il appartient à l’État de réglementer, dans le respect du droit de l’Union. |
86. | La juridiction de renvoi pourrait, le cas échéant, examiner si LDz, bien que revêtant la forme d’une société, n’est pas, en réalité, un instrument de l’État qui gère, sous un régime de monopole ( 37 ), le réseau ferroviaire public. Il appartiendrait alors à l’État lui-même de définir le statut des propriétés publiques assignées à cette entité instrumentale soit directement, soit par l’intermédiaire de l’autorité (également étatique) chargée de la réglementation du secteur ferroviaire. |
87. | Dans une telle situation, l’entité instrumentale ne pourrait pas invoquer à l’encontre de l’État des droits de propriété que celui-ci lui a conférés dans des limites prédéterminées, afin de faciliter l’exercice, par des tiers, du transport ferroviaire et des services annexes à ce dernier. |
88. | Enfin, les contrats conclus entre le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire publique et une entreprise de transport ferroviaire (y compris leurs clauses de résolution) ne sauraient prévaloir sur les compétences de l’organisme de contrôle pour trancher les litiges entre les deux, au regard du droit public qui lui incombe. |
89. | En définissant les fonctions de l’organisme de contrôle, l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34 ( 38 ) lui confère de larges pouvoirs d’intervention, en vertu desquels il peut prendre les mesures appropriées pour « corriger [...] toute [...] évolution indésirable sur ces marchés [ferroviaires], notamment eu égard au paragraphe 1, points a) à j) ». |
90. | Le terme « notamment » montre que le renvoi au paragraphe 1 est indicatif, non exhaustif. L’éventail des « évolutions indésirables » est très large, de sorte que, lors de leur examen, l’organisme de contrôle peut corriger une pathologie telle que celle en cause en l’espèce, dans laquelle le propriétaire tente de priver l’exploitant de l’utilisation de l’installation de service ( 39 ). |
91. | Ce pouvoir est conforme à la volonté du législateur de l’Union qui, dans le considérant 18 du règlement d’exécution 2017/2177, a fixé l’objectif consistant à « utiliser au mieux les installations existantes ». |
92. | La mise en œuvre de cet objectif vise à éviter que des installations de service ne soient pas utilisées pendant une période d’au moins deux ans. À l’issue de cette période, les entreprises ferroviaires peuvent manifester leur intérêt à y accéder, auquel cas : a) le propriétaire doit proposer l’installation en location ou en crédit-bail ou b) l’exploitant peut choisir de poursuivre l’exploitation de l’installation de service (article 15, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2017/2177). |
93. | L’organisme de contrôle est en droit d’exiger – bien que non sur le fondement de l’article 13 de la directive 2012/34, comme nous l’avons vu précédemment – le respect de ces prescriptions, y compris contre la volonté du propriétaire d’une installation de service, lorsque celle-ci avait été mise à la disposition de son exploitant (moyennant, logiquement, une contrepartie financière appropriée). |
94. | La situation qui se présente dans un tel cas est analogue, toute proportion gardée, à celle à laquelle les règles générales applicables aux entreprises qui jouissent d’une position dominante dans un secteur économique remédient. Les autorités chargées de la protection de la concurrence sur les marchés des services ferroviaires ( 40 ) peuvent obliger une entreprise ayant une telle qualité à offrir ses installations essentielles à d’autres opérateurs du même secteur, sans que cette imposition porte atteinte, eo ipso, au droit de propriété. |
95. | Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère de répondre à l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie) en ces termes :
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