Cour de cassation, Première chambre civile, 19 février 2014, 12-29.970

Synthèse

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2014-02-19
Cour d'appel de Caen
2012-10-25

Texte intégral

Attendu, selon l'arrêt attaqué

(Caen, 25 octobre 2012), que par deux actes reçus par M. Z..., notaire associé de la SCP Z...- A...- B... C...- D... (le notaire), la SCI Elipaul a donné à bail des locaux commerciaux, d'une surface de vente de près de 1000 m ² à la société VF Diffusion, et d'une surface de stockage de 700 m ² à M. X... pour l'exercice de tous commerces, sans mentionner qu'elle avait accepté, lors du transfert d'activité du précédent occupant, que lesdits locaux ne soient pas affectés à un usage de commerce de détail de plus de 300 m ² de surface de vente sans l'autorisation préalable de la commission départementale d'équipement commercial (CDEC) ; qu'aucune régularisation administrative n'ayant pu intervenir, la SCI Elipaul a signé avec la société VF Diffusion, en janvier 2006, et avec M. X... et son locataire-gérant la société Jolie-Table, en février 2007, des transactions portant sur la résiliation des baux et l'indemnisation des préjudices des occupants, mettant ainsi fin à la procédure en cours ; que reprochant au notaire d'avoir omis de procéder aux vérifications nécessaires pour assurer l'efficacité du bail consenti à la société VF Diffusion, et d'avoir rédigé un acte ambigu quant à la désignation des locaux loués à M. X..., qui n'avait pas caché son intention d'ouvrir son commerce au public, la SCI Elipaul l'a assigné en responsabilité professionnelle et indemnisation ;

Sur le moyen

unique, pris en sa première branche :

Attendu que le notaire fait grief à

l'arrêt de retenir sa responsabilité à l'égard de M. X... et la société Jolie-Table et, pour moitié, à l'égard de la société VF Diffusion, et de le condamner à payer à la SCI Elipaul une certaine somme, alors, selon le moyen, qu'un professionnel ne peut être déclaré responsable des conséquences d'une décision éclairée de celui qui agit en réparation ; qu'en condamnant le notaire à indemniser la SCI Elipaul du préjudice qu'elle aurait prétendument subi du fait de la résiliation du bail du 11 octobre 2004, en raison de l'impossibilité pour la société VF Diffusion d'exploiter une surface de vente de plus de 300 m ² sans autorisation administrative préalable, quand il résultait de ses propres constatations que la SCI Elipaul « savait ¿ pertinemment » que cette exploitation était impossible et « avait parfaitement conscience de l'erreur commise » par la préfecture qui avait assuré le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu

qu'ayant retenu, d'une part, que le notaire avait manqué à son devoir d'information, de conseil et d'efficacité, en omettant de vérifier les règles d'urbanisme commercial, qui imposaient une autorisation de la CDEC pour toute activité de vente sur une surface de plus de 300 m ², et en se contentant d'annexer à l'acte une lettre de la préfecture, qui ne pouvait suppléer cette autorisation et comportait des renseignements erronés, d'autre part, que la SCI Elipaul s'était abstenue de communiquer au notaire la décision de la CDEC mentionnant son accord pour ne pas affecter le local libéré par le transfert de l'activité du précédent occupant à un usage de commerce de détail de plus de 300 m ² de surface de vente sans avoir préalablement obtenu une autorisation d'exploitation commerciale, la cour d'appel a pu en déduire que la négligence de la SCI Elipaul, qui ne pouvait exonérer le notaire de sa responsabilité, avait concouru à la réalisation du dommage, ce qui emportait un partage de responsabilité ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen

unique, pris en sa deuxième branche :

Attendu que le notaire fait le même grief à

l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'un professionnel ne peut être déclaré responsable des conséquences d'une décision éclairée de celui qui agit en réparation ; qu'en imputant au notaire les conséquences prétendument dommageables pour la SCI Elipaul de la résiliation du bail de M. X..., quand il résultait de ses propres constatations que celui-ci « aurait pu régulariser la situation lorsque la société VF Diffusion a quitté les lieux, puisqu'il pouvait à cette date récupérer sans autorisation 300 m ² de surface de vente » ce dont il s'évinçait que la résiliation du bail n'était pas le fait du notaire, mais n'était que la conséquence du choix délibéré des deux parties de mettre fin au contrat, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu

que procédant à l'interprétation de l'acte, qu'une rédaction ambigüe rendait nécessaire, l'arrêt relève qu'eu égard à la généralité des termes employés, les parties n'avaient convenu d'aucune restriction à l'utilisation des locaux pour l'exploitation d'un commerce de détail sur la totalité de la surface soit 700 m ², ce qui correspondait au projet annoncé de M. X..., et que, si une régularisation était envisageable après le départ de la société VF Diffusion, elle n'aurait pu porter que sur 300 m ², en sorte qu'il ne pouvait être fait grief à M. X... d'avoir renoncé à la poursuite du bail, au surplus dans une configuration modifiée par l'installation d'une grande surface de bricolage ; que de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la résiliation anticipée du bail résultait des manquements fautifs du notaire et non de la volonté des parties ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le moyen

unique, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches : Attendu que le notaire fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°/ que le notaire ne peut se voir imputer par son client les conséquences dommageables d'une transaction qui n'est ni nécessaire, ni utile ; qu'en jugeant que le préjudice subi par la SCI Elipaul, en conséquence de la faute imputée au notaire, consistait dans les sommes qu'elle s'était engagée à payer en vertu de transactions conclues avec ses locataires, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les concessions auxquelles le bailleur avait consenti étaient imposées par la situation litigieuse, ou même justifiées et en rapport avec le préjudice dont les sociétés locataires auraient pu demander réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ; 2°/ que le préjudice doit être déterminé par la comparaison entre la situation dans laquelle se serait trouvée la victime en l'absence de la faute alléguée et celle dans laquelle elle est placée par l'effet de cette faute ; qu'en jugeant, pour évaluer le préjudice subi par la SCI Elipaul, qu'« il import ait peu » que celle-ci « ait pu relouer ses locaux immédiatement et à des conditions qui peuvent paraître plus avantageuses », refusant ainsi de prendre en compte les avantages que la SCI Elipaul avait tirés de la situation actuelle, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit ; 3°/ que le préjudice doit être déterminé par la comparaison entre la situation dans laquelle se serait trouvée la victime en l'absence de la faute alléguée et celle dans laquelle elle est placée par l'effet de cette faute ; qu'en refusant de tenir compte des avantages que la SCI Elipaul avait tirés de la relocation des locaux à la société Brico Dépôt, au motif inopérant, d'une part, que « le droit d'entrée et l'augmentation du prix du bail seraient la contrepartie des importants travaux que la société Brico Dépôt entendait effectuer dans les locaux » et, d'autre part, que « la SCI justifi ait avoir elle-même réalisé un certain nombre de travaux dans l'immeuble », sans rechercher si ces travaux avaient intégralement compensé les avantages liés à la location à la société Brico Dépôt, à savoir le paiement d'un droit d'entrée et l'augmentation du prix du bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu

que, sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation, par les juges du fond, du préjudice subi par la SCI Elipaul, lesquels ont souverainement retenu qu'il correspondait aux sommes mises à sa charge par les transactions et évaluées à partir des éléments d'une expertise comptable non sérieusement contestable, sans qu'il y eût lieu de les réduire eu égard au prétendu avantage, qui n'était pas démontré, tiré de la conclusion d'un nouveau bail avec la société Brico Dépôt ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS

: REJETTE le pourvoi ; Condamne la société Z..., A..., B...- C... et D... aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf février deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Z... A... B...- C... et D... Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que Monsieur Z... avait commis des fautes en relation directe avec le préjudice subi par la SCI ELIPAUL, d'AVOIR dit que la SCI ELIPAUL avait commis une faute ayant concouru pour moitié à la survenance de son préjudice, mais uniquement dans le cadre de l'élaboration du bail consenti à la société VF DIFFUSION, et d'AVOIR fixé le préjudice de la SCI ELIPAUL à la somme de 550. 000 euros, dont 150. 000 résultant du bail consenti à la société VF DIFFUSION ; AUX MOTIFS QUE le comportement de la SCI, et notamment de son gérant, peut également être qualifié de fautif ; qu'en effet, celui-ci, dirigeant de plusieurs entreprises commerciales, était manifestement au fait des règles d'urbanisme commercial ; que la décision de la CDEC du 12 juin 2003, autorisant le transfert de la société JM AUTO dont il était également le dirigeant, mentionnait expressément " l'accord du 24 mars 2003 de la SCI ELIPAUL représentée par M Y..., propriétaire du bâtiment concerné, situé à CARPIQUET, appelé à être libéré par le transfert envisagé, de ne pas affecter ce local, à compter de la date d'ouverture au public du magasin dont la création est demandée, à un usage de commerce de détail de plus de 300 m ² de surface de vente sans avoir préalablement obtenu une autorisation d'exploitation commerciale " ; que la SCI savait donc pertinemment que son local ne pourrait être réaffecté à un commerce présentant une surface de vente de plus de 300 m ² sans autorisation administrative préalable ; qu'or, son gérant s'est gardé de faire part de cette décision à Maître Z..., et s'est borné à transmettre à celui-ci le courrier antérieur et erroné de la préfecture, ce qui laisse supposer qu'il avait parfaitement conscience de l'erreur commise ; que la faute ainsi commise par la SCI n'est pas de nature à exonérer totalement le notaire de sa responsabilité ; qu'en effet, celui-ci ne pompait se contenter des documents remis par le bailleur pour établir son acte, et aurait pu tout le moins avoir un regard critique à leur égard ; que cette faute a néanmoins participé par moitié à la survenance du préjudice de la SCI, ce qui doit conduire à un partage des responsabilités par moitié ; 1°) ALORS QU'un professionnel ne peut être déclaré responsable des conséquences d'une décision éclairée de celui qui agit en réparation ; qu'en condamnant Monsieur Z... à indemniser la SCI ELIPAUL du préjudice qu'elle aurait prétendument subi du fait de la résiliation du bail du 11 octobre 2004, en raison de l'impossibilité pour la société VF DIFFUSION d'exploiter une surface de vente de plus de 300 m ² sans autorisation administrative préalable, quand il résultait de ses propres constatations que la SCI ELIPAUL « savait ¿ pertinemment » que cette exploitation était impossible et « avait parfaitement conscience de l'erreur commise » par la préfecture qui avait assuré le contraire (arrêt, p. 6, § 2), la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 2°) ALORS QU'un professionnel ne peut être déclaré responsable des conséquences d'une décision éclairée de celui qui agit en réparation ; qu'en imputant au notaire les conséquences prétendument dommageables pour la SCI ELIPAUL de la résiliation du bail de Monsieur X..., quand il résultait de ses propres constatations que celui-ci « aurait pu régulariser la situation lorsque la société VF DIFFUSION a quitté les lieux, puisqu'il pouvait à cette date récupérer sans autorisation 300 m ² de surface de vente » (arrêt, p. 7, § 7) ce dont il s'évinçait que la résiliation du bail n'était pas le fait du notaire, mais n'était que la conséquence du choix délibéré des deux parties de mettre fin au contrat, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 3°) ALORS QU'en toute hypothèse, le notaire ne peut se voir imputer par son client les conséquences dommageables d'une transaction qui n'est ni nécessaire, ni utile ; qu'en jugeant que le préjudice subi par la SCI ELIPAUL, en conséquence de la faute imputée au notaire, consistait dans les sommes qu'elle s'était engagée à payer en vertu de transactions conclues avec ses locataires, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les concessions auxquelles le bailleur avait consenti étaient imposées par la situation litigieuse, ou même justifiées et en rapport avec le préjudice dont les sociétés locataires auraient pu demander réparation, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°) ALORS QU'en toute hypothèse, le préjudice doit être déterminé par la comparaison entre la situation dans laquelle se serait trouvée la victime en l'absence de la faute alléguée et celle dans laquelle elle est placée par l'effet de cette faute ; qu'en jugeant, pour évaluer le préjudice subi par la SCI ELIPAUL, qu'« il import ait peu » que celle-ci « ait pu relouer ses locaux immédiatement et à des conditions qui peuvent paraître plus avantageuses » (arrêt, p. 7, in fine), refusant ainsi de prendre en compte les avantages que la SCI ELIPAUL avait tirés de la situation actuelle, la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit ; 5°) ALORS QU'en toute hypothèse, le préjudice doit être déterminé par la comparaison entre la situation dans laquelle se serait trouvée la victime en l'absence de la faute alléguée et celle dans laquelle elle est placée par l'effet de cette faute ; qu'en refusant de tenir compte des avantages que la SCI ELIPAUL avait tirés de la relocation des locaux à la société BRICO DÉPÔT, au motif inopérant, d'une part, que « le droit d'entrée et l'augmentation du prix du bail seraient la contrepartie des importants travaux que la société BRICO DÉPÔT entendait effectuer dans les locaux » et, d'autre part, que « la SCI justifi ait avoir elle-même réalisé un certain nombre de travaux dans l'immeuble », (arrêt, p. 8, § 1), sans rechercher si ces travaux avaient intégralement compensé les avantages liés à la location à la société BRICO DÉPÔT, à savoir le paiement d'un droit d'entrée et l'augmentation du prix du bail, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.