Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 20 avril 2023, Mme D E, représentée par Me
Rommelaere, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 18 avril 2023 par laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer lui a refusé l'entrée en France au titre de l'asile et a fixé le pays de destination du réacheminement ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de mettre fin aux mesures de privation de liberté et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.
Elle soutient que :
Sur la
décision de refus d'entrée :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est irrégulière en ce qu'il a été porté atteinte à la confidentialité des éléments d'une demande d'asile ;
- elle est irrégulière en ce que les conditions matérielles de déroulement de l'entretien avec un officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ne lui ont pas permis de réunir suffisamment d'éléments de preuve ni de faire des déclarations suffisamment étayées ;
- elle est irrégulière en ce que l'entretien avec un officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides s'est déroulé par visioconférence ;
- elle est irrégulière en ce qu'il n'est pas démontré que le local dans lequel s'est déroulé l'entretien par visioconférence a fait l'objet d'une visite du directeur de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides avant son agrément ;
- elle est irrégulière en ce qu'elle n'a pas eu accès au rapport de l'entretien avec l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ;
- elle est entachée d'erreur de droit au regard de l'article
L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article
L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnait les articles
L. 352-2 et
L. 351-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'elle n'a pas tenu compte de sa vulnérabilité ;
- elle méconnaît l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 2 de la charte de droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnaît le principe de non-refoulement ;
Sur la décision fixant le pays de destination du réacheminement :
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 avril 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, représenté par Me Moreau (SCP Saidji et Moreau), conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme E sont inopérants s'agissant de l'incompétence de l'auteur de l'acte et de l'absence de prise en compte de la vulnérabilité et qu'ils ne sont, pour le surplus, pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme A en application de l'article
L. 352-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dobry, magistrate désignée ;
- les observations de Me Bosselut, substituant Me
Rommelaere, avocate de Mme E, qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ;
- les observations de Mme E, assistée de M. F, interprète en langue albanaise.
Le ministre de l'intérieur et des outre-mer, régulièrement convoqué, n'était ni présent ni représentée.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Madame E, ressortissante kosovare née le 1er février 1972, est arrivée à l'aéroport de Bâle-Mulhouse le 15 avril 2023, accompagnée de sa fille, C E, ressortissante kosovare également, née le 19 juin 2006. La requérante et sa fille ont été placées en zone d'attente, puis le 16 avril 2023 Mme E a indiqué demander l'asile en France. Par décision du 18 avril 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté la demande d'entrée en France au titre de l'asile de Mme E accompagnée de sa fille, et décidé de son réacheminement vers tout pays où elle sera légalement admissible.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de refus d'entrée au titre de l'asile :
En ce qui concerne la légalité externe :
2. En premier lieu, par décision du 21 juin 2022, Mme B, directrice de l'asile de l'asile à la direction générale des étrangers en France nommée le 29 juillet 2020 et détentrice d'une délégation de signature du ministre de l'intérieur en application du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, a donné délégation à Mme H G à l'effet de signer, au nom du ministre de l'intérieur, toutes décisions relevant des attributions du département de l'asile à la frontière et de l'admission au séjour. Par conséquent, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'incompétence.
3. En deuxième lieu, il résulte des dispositions de l'article
L. 352-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable à la procédure de demande d'asile à la frontière que, dans le cadre de cette procédure, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides rend un avis transmis au ministre chargé de l'immigration qui doit rendre une décision sur le caractère manifestement infondé de la demande. Par conséquent, Mme E n'est pas fondée à soutenir que les agents du ministère de l'intérieur ayant examiné sa demande ne seraient pas habilités à prendre connaissance des éléments d'information de sa demande, dès lors qu'ils étaient en charge de l'examen de sa demande. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de la confidentialité de la demande d'asile doit être écarté.
4. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'audition de la requérante par un agent de protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides se serait déroulée dans des conditions n'ayant pas permis à la requérante de faire valoir tous les éléments utiles à l'examen de sa demande d'asile.
5. En quatrième lieu, le recours à un moyen de communication audiovisuelle pour procéder à l'entretien individuel avec l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides est permis par l'article
R. 531-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a été rendu nécessaire en l'espèce par le maintien en zone d'attente de l'intéressée, sans que la méconnaissance des droits de la défense puisse être invoquée s'agissant d'une procédure qui ne présente pas un caractère juridictionnel. Au demeurant, la requérante a été mise en mesure de comparaître en personne et de présenter ses observations à l'audience qui s'est tenue le 25 avril 2023.
6. En cinquième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides de visiter les locaux destinés à la réalisation de l'entretien par un moyen de communication audiovisuelle.
7. En dernier lieu, Mme E n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas eu accès aux notes de son entretien avec un officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, la retranscription de l'entretien et l'avis de l'officier de protection ayant été produits à l'appui du mémoire en défense du ministre de l'intérieur communiqué à la requérante le 24 avril 2023.
En ce qui concerne la légalité interne :
8. En premier lieu, l'article
L. 352-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " La décision de refuser l'entrée en France à un étranger qui se présente à la frontière et demande à bénéficier du droit d'asile ne peut être prise que dans les cas suivants : () / 3° La demande d'asile est manifestement infondée. / Constitue une demande d'asile manifestement infondée une demande qui, au regard des déclarations faites par l'étranger et des documents le cas échéant produits, est manifestement dénuée de pertinence au regard des conditions d'octroi de l'asile ou manifestement dépourvue de toute crédibilité en ce qui concerne le risque de persécutions ou d'atteintes graves. "
9. D'une part, le ministre de l'intérieur n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant sur le constat que les déclarations de la requérante lors de son entretien étaient dénuées de tout élément circonstancié et que les allégations de risques de mauvais traitement en cas de retour dans son pays d'origine n'étaient pas plausibles, pour en déduire que la demande d'asile de la requérante était manifestement infondée.
10. D'autre part, si la requérante fait état de son endettement pour justifier de menaces qu'elle subirait dans son pays d'origine, elle est restée lors de son entretien avec un officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides puis lors de l'audience très évasive sur le montant de son endettement, le montant des soins dont sa fille aurait bénéficié en Turquie et qui seraient la cause de son endettement, et sur les personnes qui la menaceraient. Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en considérant que le risque de persécutions ou d'atteintes graves n'apparaissait pas crédible et en rejetant sa demande d'asile comme manifestement infondée.
11. En deuxième lieu, les dispositions des articles
L. 352-2 et
L. 351-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui se rapportent aux conditions dans lesquelles l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides peut décider de mettre fin au maintien en zone d'attente, sont inopérantes contre la décision relative au refus d'entrée au titre de l'asile.
12. En troisième lieu, Mme E soutient que la décision contestée porte atteinte au droit à la vie de sa fille, garanti par les articles 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 2 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. S'il ressort des pièces du dossier que la fille de la requérante a des problèmes de santé, il est toutefois constant qu'aucune démarche n'a été entreprise aux fins d'obtention d'un visa ni auprès d'établissements de santé en France afin de réaliser les examens nécessaires. Les documents médicaux produits à l'appui de la requête datent au plus tard du mois de janvier 2023, de sorte que la requérante ne peut soutenir que l'absence de demande de visa serait due à l'urgence de la situation, celle-ci n'étant arrivée à la frontière française que le 15 avril 2023 sans avoir aucun rendez-vous médical planifié. A l'audience, la requérante fait état d'une consultation médicale avec un médecin généraliste en zone d'attente, lors de laquelle ce dernier aurait émis des doutes sur le diagnostic de sa fille. Dans ces conditions, la gravité de la pathologie de la fille de la requérante, l'impossibilité d'accéder à un traitement dans son pays d'origine et l'urgence qu'il y aurait à la prendre en charge en France sont insuffisamment établies et le moyen doit être écarté.
13. En dernier lieu, la requérante, qui ne s'est pas vu reconnaître la qualité de réfugié et dont la demande d'asile a été considérée comme manifestement infondée, ne peut utilement se prévaloir du principe de non refoulement applicable aux personnes qui se sont vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la convention de Genève du 28 juillet 1951.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays de destination du réacheminement :
14. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 10, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de réacheminement vers le Kosovo doit être écarté.
15. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 13, la requérant ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de Mme E est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme D E et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Prononcé en audience publique le 25 avril 2023.
La magistrate désignée,
S. A
La greffière,
L. Cherif
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
L. Cherif