Conseil constitutionnel, 13 avril 2018, 2018-700 QPC

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Résumé

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Texte intégral

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI

le 26 janvier 2018 par le Conseil d'État (décision n° 415695 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société Technicolor par Mes Stéphane Austry et Philippe Zoubritzky, avocats au barreau des Hauts-de-Seine. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-700 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l'article 17 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

Au vu des textes suivants

: * la Constitution ; * l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; * le code de commerce ; * le code général des impôts ; * la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ; * la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ; * le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ; Au vu des pièces suivantes : * les observations présentées pour la société requérante par Mes Austry et Zoubritzky, enregistrées les 19 et 26 février 2018 ; * les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 19 février 2018 ; * les pièces produites et jointes au dossier ; Après avoir entendu Me Austry, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 3 avril 2018 ;

Et après avoir entendu le rapporteur

; LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT : 1. Le paragraphe I de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2016 mentionnée ci-dessus prévoit que, pour les sociétés auxquelles sont consentis des abandons de créances dans le cadre d'un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 611-8 du code de commerce ou lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ouverte à leur nom, la limite d'un million d'euros prise en compte pour le calcul du montant déductible du bénéfice soumis à l'impôt sur les sociétés, en application du dispositif de report en avant des déficits, est majorée du montant desdits abandons de créances. Le paragraphe II du même article 17, prévoit : « Les dispositions du I ont un caractère interprétatif ». 2. Selon la société requérante, les dispositions contestées donneraient une portée rétroactive aux dispositions du dernier alinéa du paragraphe I de l'article 209 du code général des impôts, tel qu'il résulte du paragraphe I de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2016, selon lequel le plafond de déficit imputable sur le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés, au titre d'un report en avant, peut être majoré, pour une société ayant bénéficié d'abandons de créances, du montant de ces abandons. Or, ces dernières dispositions n'auraient pas la même portée que celles auxquelles elles se sont substituées, qui permettaient au contraire, selon la société requérante, de faire bénéficier d'une telle majoration les sociétés ayant consenti des abandons de créances. Ainsi, en modifiant rétroactivement les modalités de calcul du déficit imputable sur le bénéfice fiscal, le législateur aurait, sans motif d'intérêt général suffisant, porté atteinte à des situations légalement acquises et aux effets qui peuvent légitimement en être attendus. Il en résulterait une méconnaissance de la garantie des droits protégée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. 3. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant ni porter atteinte aux situations légalement acquises, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. 4. Le troisième alinéa du paragraphe I de l'article 209 du code général des impôts institue un mécanisme de report en avant des déficits en faveur des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés. Celui-ci leur permet, lorsqu'elles ont subi un déficit au titre d'un exercice, de le déduire du bénéfice imposable qu'elles réalisent au titre des exercices suivants. Ce déficit ne peut, en principe, être déduit du bénéfice d'un exercice que dans la limite d'un montant d'un million d'euros majoré de 50 % du bénéfice excédant ce montant. Cette limite peut cependant être majorée dans les conditions prévues par le dernier alinéa du même paragraphe I, qui a connu deux rédactions successives. 5. Dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012 mentionnée ci-dessus, cet alinéa prévoit que la limite d'un million d'euros « est majorée du montant des abandons de créances consentis à une société en application d'un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 611-8 du code de commerce ou dans le cadre d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ouverte à son nom ». Ces dispositions étaient applicables à partir des exercices clos à compter du 31 décembre 2012. 6. Dans sa rédaction résultant du paragraphe I de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2016, le dernier alinéa du paragraphe I de l'article 209 du code général des impôts prévoit que, pour les sociétés auxquelles sont consentis des abandons de créances, dans le cadre d'un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l'article L. 611-8 du code de commerce ou lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ouverte à leur nom, la limite d'un million d'euros est majorée du montant de ces abandons de créances. Les dispositions contestées confèrent à ces dispositions un caractère interprétatif. 7. En premier lieu, en complétant le paragraphe I de l'article 209 du code général des impôts par la loi du 29 décembre 2012, le législateur a, ainsi qu'il résulte des travaux préparatoires, entendu donner aux sociétés auxquelles ont été consentis des abandons de créances dans le cadre d'une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires la possibilité de majorer la limite de déficit déductible du bénéfice d'un exercice, à hauteur du montant des abandons de créances qui leur ont été consentis au cours de cet exercice. Il a ainsi entendu soutenir les entreprises en difficultés. 8. En second lieu, afin de lever toute ambiguïté sur la détermination des sociétés bénéficiaires de cette majoration, la loi du 29 décembre 2016 a remplacé ces dispositions par d'autres, plus claires, ayant le même objet et la même portée. Dès lors, compte tenu de leur caractère interprétatif, le législateur pouvait, sans porter d'atteinte à des situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations, rendre ces nouvelles dispositions rétroactivement applicables à compter des exercices clos à partir du 31 décembre 2012. Le grief tiré de la méconnaissance de la garantie des droits résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté. 9. Le paragraphe II de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2016, qui ne méconnait aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE

: Article 1er. - Le paragraphe II de l'article 17 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 est conforme à la Constitution. Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 avril 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Jean-Jacques HYEST, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT. Rendu public le 13 avril 2018.