Chronologie de l'affaire
Cour d'appel de Paris (18e chambre B) 08 mars 2004
Cour de cassation 11 juillet 2005

Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 11 juillet 2005, 04-30319

Mots clés société · sécurité sociale · prescription · reconnaissance · maladie · employeur · caisse · professionnel · faute inexcusable de l'employeur · préjudice d'agrément · préjudice · procédure civile · rente · réparation · action

Synthèse

Juridiction : Cour de cassation
Numéro affaire : 04-30319
Dispositif : Cassation partielle
Décision précédente : Cour d'appel de Paris (18e chambre B), 08 mars 2004
Président : Président : M. DINTILHAC

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Paris (18e chambre B) 08 mars 2004
Cour de cassation 11 juillet 2005

Texte

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mostefa X..., employé de la société Everite du 10 juillet 1963 au 24 octobre 1964, puis du 30 juillet 1974 au 31 décembre 1987, est décédé le 24 avril 1993 des suites d'un cancer du poumon ; que le caractère professionnel de sa maladie ayant été reconnu, son épouse et ses enfants ont saisi la juridiction de sécurité sociale d'une demande d'indemnisation complémentaire en raison de la faute inexcusable de son employeur ;

Sur le premier moyen

:

Attendu que la société Everite fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action des consorts X... en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, alors, selon le moyen :

1 / qu'en vertu des articles L. 431-2 et L. 461-1 du Code de la sécurité sociale, la prescription en matière de maladie professionnelle est acquise deux ans après la date à laquelle l'intéressé a été informé du lien entre son affection et l'activité qu'il exerçait chez son employeur ;

qu'en l'espèce la société Everite faisait valoir que le certificat médical portant à la connaissance du défendeur au pourvoi une telle information était daté du 6 novembre 1992 de sorte que l'action en faute inexcusable introduite par les consorts X... seulement le 12 juillet 2000 était prescrite et qu'en l'espèce la cour d'appel a violé les textes susvisés par refus d'application ;

2 / que les normes modifiant les règles de procédure ne sauraient, sauf dispositions expresse et compensatoire, rouvrir des prescriptions déjà acquises ; qu'en l'occurrence, le revirement jurisprudentiel en vertu duquel le délai de prescription en matière de faute inexcusable pourrait ne commencer à courir qu'à compter de la décision de prise en charge de la maladie par la Caisse date seulement du 3 avril 2003 , de sorte qu'en en faisant application dans les circonstances de l'espèce où la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable était définitivement acquise depuis le 6 novembre 1994, la cour d'appel de Paris a violé ensemble l'article L. 431-2 du Code de la sécurité sociale, ainsi que l'article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

3 / qu'en substituant à la date à laquelle la victime a eu connaissance du lien entre son affection et l'activité qu'il exerçait chez son employeur, la date de prise en charge de la maladie professionnelle qui dépend des diligences accomplies par la Caisse, l'arrêt attaqué méconnaît en violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme le principe de sécurité juridique et celui de l'égalité des armes en laissant la prescription à la disposition de la Caisse ;

Mais attendu que le délai de prescription de l'action du salarié pour faute inexcusable de l'employeur ne peut commencer à courir qu'à compter de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie ; que la cour d'appel, qui a relevé qu'un tel caractère n'avait été reconnu que le 1er juin 2000 et que les consorts X... avaient formé leur demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l' employeur par lettre du 12 juillet 2000, en a déduit à bon droit, et sans encourir les griefs du moyen, que l'action n'était pas prescrite ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen

:

Attendu que la société Everite fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir reconnu sa faute inexcusable et fixé au maximum la majoration de la rente, alors, selon le moyen :

1 / que méconnaît la notion de faute inexcusable et viole l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale l'arrêt qui considère que la responsabilité de l'employeur serait acquise du seul fait que les travaux entrepris se seraient révélés insuffisant et inefficaces pour prévenir les risques découlant de l'usage autorisé à l'époque de l'amiante, substituant ainsi une obligation de sécurité à la notion de faute sans indiquer comment un tel objectif de sécurité pouvait être satisfait à l'époque ;

2 / que viole l'article 455 du nouveau Code de procédure civile l'arrêt qui se fonde seulement sur des attestations non circonstanciées de salariés déjà utilisées dans d'autres instances et qui ne répond pas aux conclusions de l'appelante selon lesquelles des mesures d'empoussièrement avaient été effectuées révélant des taux constamment inférieurs aux seuls successivement édictés par la réglementation en vigueur aux époques où M. X... avait été exposé aux risques ;

Mais attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;

Et attendu que les énonciations de l'arrêt caractérisent le fait d'une part que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, d'autre part, qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que la cour d'appel a pu en déduire que la société Everite avait commis une faute inexcusable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et

sur le quatrième moyen

:

Attendu que la société Everite fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir accordé aux demandeurs l'intégralité de leurs demandes au titre de la réparation de la souffrance physique, de la souffrance morale et du préjudice d'agrément de leur auteur, alors, selon le moyen, que méconnaît à nouveau , en violation de l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, le principe selon lequel l'indemnité nécessaire pour compenser le dommage doit être calculé en fonction de la valeur du dommage sans que la gravité de la faute ne puisse avoir d'influence sur le montant de ladite indemnité l'arrêt attaqué qui "prend en considération" le fait que le préjudice ait été engendré par une faute inexcusable ;

Mais attendu que selon l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la victime a le droit de demander réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées et de son préjudice d'agrément ;

Et attendu que la cour d'appel a constaté que Mostafa X... avait enduré des douleurs liées tant aux souffrances engendrées par la maladie et les traitements qui s'étaient révélés nécessaires que des souffrances morales tenant à l'âge auquel s'est déclaré cette maladie à l'issue fatale ;

Qu'ainsi, abstraction faite du motif surabondant critiqué par le moyen, elle a légalement justifié sa décision ;

Mais

sur le deuxième moyen

:

Vu les articles L. 452-2, L. 452-3 et R. 441-11 et suivants du Code de la sécurité sociale ;

Attendu que pour dire que la caisse primaire d'assurance maladie pourrait récupérer sur la société Everite les indemnités attribuées aux consorts X..., l'arrêt retient que le respect du principe du contradictoire prévu par les dispositions des articles R. 441-10 et suivants du Code de la sécurité sociale relève uniquement des rapports employeurs-caisse primaire et n'a pas lieu d'être invoqué dans le cadre d'une action en recherche de faute inexcusable supposant acquis le principe du caractère professionnel de la maladie ;

Attendu cependant que l'inopposabilité à l'égard de l'employeur, du fait du caractère non contradictoire de la procédure, de la décision de la caisse primaire d'assurance maladie d'admettre le caractère professionnel de la maladie prive cette Caisse du droit de récupérer sur l'employeur, après reconnaissance de sa faute inexcusable, les compléments de rente et indemnités versés par elle ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si, comme le soutenait la société Everite, la décision de la Caisse était inopposable à celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS

:

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la caisse primaire d'assurance maladie pourrait récupérer auprès de l'employeur les indemnités attribuées aux consorts X..., l'arrêt rendu le 8 mars 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la société Everite et la Caisse primaire d'assurance maladie de Seine-et-Marne, in solidum, aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Everite à payer aux consorts X... la somme globale de 2 000 euros ;

Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille cinq.