TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête n° 44962/98
par Louis YVON
contre la France
La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant le 19 septembre 2002 en une chambre composée de
MM. G. Ress, président,
I. Cabral Barreto,
J.-P. Costa,
L. Caflisch,
J. Hedigan,
Mme H.S. Greve,
M. K. Traja, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l'Homme le 7 octobre 1998 et enregistrée le 15 décembre 1998,
Vu l'article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Louis Yvon, est un ressortissant français, né en 1931 et résidant à Saintes. Il est représenté devant la Cour par Me D. Musso, avocat au barreau de Paris.
A. Les circonstances de l'espèce
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
A la suite d'une opération d'expropriation pour cause d'utilité publique ayant pour objet l'acquisition par l'Etat de terrains nécessaires à la réalisation de la rocade sud-ouest de Saintes (Charente-Maritime), le requérant fut exproprié d'une partie de sa propriété, soit un ensemble immobilier d'une superficie de vingt et un hectares comprenant maison et bâtiments d'exploitation.
Le 12 septembre 1994, le juge de l'expropriation du département de la Charente-Maritime rendit l'ordonnance d'expropriation emportant transfert de propriété.
Le 28 septembre 1994, à défaut d'accord amiable entre le requérant et l'Etat expropriant - la Direction des services fiscaux de la Charente Maritime - sur le montant de l'indemnité d'expropriation, le dernier saisit le juge de l'expropriation. Par une ordonnance du même jour, le juge de l'expropriation du département de la Charente Maritime fixa au 4 novembre la date de transport sur les lieux en précisant que l'audience publique aurait lieu immédiatement après le transport.
Le 3 novembre 1994, le directeur adjoint de la direction des services fiscaux de la Charente-Maritime notifia des conclusions prises en sa qualité de commissaire du Gouvernement. L'avocat du requérant demanda alors un report d'audience en raison de la tardiveté de cette notification. L'audience fut fixée au 18 novembre.
Par un jugement du 9 décembre 1994, le juge de l'expropriation fixa l'indemnité due par l'Etat à 1 441 517 FRF, après avoir entendu les parties et le directeur des services fiscaux, M.H., représentant de l'Etat dans la procédure - agissant pour le compte de la direction départementale de l'équipement -, ainsi que le commissaire du Gouvernement, M.P., suppléant le directeur départemental des impôts.
Le 5 janvier 1995, le requérant interjeta appel de ce jugement et déposa un mémoire devant la chambre des expropriations de la cour d'appel de Poitiers dans lequel il estimait le montant de l'indemnité due à 3 763 698 FRF.
Le 13 avril 1995, le directeur des services fiscaux, représentant de l'Etat, déposa un mémoire dans lequel il demandait la confirmation du jugement et citait à l'appui de son offre une série de termes de comparaison intitulée « étude de marché local ».
Le 24 avril 1995, le représentant du requérant écrivit au directeur des services fiscaux pour lui demander communication de la copie intégrale des actes et jugements cités dans le mémoire déposé le 13 avril 1995 (qui fixait le montant de l'indemnité à 1 396 267 FRF). Par un courrier du 18 juillet 1995, le directeur des services fiscaux, en la personne de M.P. (agissant comme commissaire du Gouvernement dans la procédure), opposa au requérant le secret professionnel auquel sont tenus les fonctionnaires de l'administration fiscale pour refuser la communication des documents et lui conseilla de s'adresser au Conservateur des hypothèques.
Le 17 août 1995, le conseil du requérant répondit au directeur des services fiscaux ce qui suit :
« (...) il est regrettable que près de trois mois se soient écoulés pour recevoir une réponse lapidaire à la demande normale de communication de pièces du 24 avril 1995 alors que l'affaire est fixée au 22 septembre. Ceci étant, vous commettez une erreur en confondant votre qualité de directeur des services fiscaux et celle de représentant de l'expropriant dans une procédure juridictionnelle par application du décret du 11 décembre 1973 - article
R. 179 du code des domaines de l'Etat.
A ce titre, vous êtes soumis au respect du principe fondamental du contradictoire et aux dispositions du nouveau code de procédure civile qui font une obligation essentielle aux parties de produire les éléments qu'elles invoquent. Ce principe s'applique également lorsque vous agissez en votre qualité de commissaire du Gouvernement ce qui actuellement ne fait plus l'objet d'aucune espèce de difficulté. J'ajouterai que je me serais dispensé de vous demander cette communication si votre mémoire avait comporté au moins des indications suffisantes me permettant de commander les actes à la conservation des hypothèques.
Je me vois donc contraint de demander à la Cour (...) de faire injonction de produire les pièces que vous invoquez, si mieux n'aime la Cour à écarter purement et simplement vos éléments, ce qui l'amènera à ne statuer qu'en fonction de mes propres termes de comparaison (...) »
Le 4 septembre 1995, le directeur des services fiscaux, M.P, en sa qualité de commissaire du Gouvernement, déposa des conclusions d'appel incident en vue de l'audience devant la chambre des expropriations de la cour d'appel fixée au 22 septembre (l'affaire fut renvoyée finalement au 24 mai 1996). Il fixa l'indemnité litigieuse à 1 396 267 FRF.
Le requérant répondit par un mémoire et souleva la violation de son droit à un procès équitable dans les termes suivants :
« (...)
Dans la présente instance, le directeur des services fiscaux, représentant de l'expropriant, et le directeur des services fiscaux, commissaire du Gouvernement, ne font qu'un, même si, pour la forme, le directeur des services fiscaux est représenté par deux personnes physiques distinctes ce qui constitue une fiction puisqu'aussi bien, comme on l'a vu, c'est la même personne qui répond au conseil de l'exproprié, en qualité de représentant de l'expropriant, et qui signe par ailleurs les conclusions du commissaire du Gouvernement.
Ainsi, le directeur des services fiscaux ne peut intervenir dans la présente procédure qu'en qualité, soit de représentant de l'Etat, soit de commissaire du Gouvernement, sans pouvoir cumuler les deux interventions. A défaut, les parties ne bénéficient pas d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. (...) »
Selon le Gouvernement, par des courriers du 9 mai 1996, le secrétariat greffe de la chambre des expropriations notifia au requérant ainsi qu'au directeur des services fiscaux du services des domaines les conclusions d'appel complémentaires du commissaire du Gouvernement déposées le même jour.
Par un arrêt du 21 juin 1996, la chambre des expropriations de la cour d'appel de Poitiers fixa l'indemnité à 1 542 867 FRF. Elle déclara mal fondée la demande du requérant tendant à voir écarter l'intervention du directeur des services fiscaux en sa qualité de commissaire du Gouvernement dans les termes suivants :
« Les critiques [du requérant] sur l'activité du directeur des services fiscaux et sa dualité de fonctions ne sont pas fondées parce que :
- la double qualité du directeur des services fiscaux, commissaire du Gouvernement et du directeur des services fiscaux représentant du service expropriant ne constitue pas une irrégularité ; malgré la singularité de cette situation, rien n'interdit que le directeur des services fiscaux représente le service expropriant et assume, en outre, les fonctions de commissaire du gouvernement.
- l'unicité du directeur des services fiscaux, commissaire du Gouvernement et représentant du service expropriant ne prive pas l'exproprié d'un procès équitable dès lors que le commissaire du Gouvernement ne participe pas à la décision de la juridiction de l'expropriation.
- en toute hypothèse, au cas particulier de l'appel, ce sont bien, en réalité, deux directeurs des services fiscaux qui interviennent, celui de la Charente-Maritime pour représenter l'Etat, et celui de la Vienne (cf. désignations de suppléance des 25 août 1995 et 2 mai 1996 figurant au dossier) en tant que commissaire du Gouvernement.
Les prétentions [du requérant] sur le fondement de l'article 6 de la Convention (...) doivent, en conséquences, être rejetées. (...)
Sur la demande [du requérant] relatif à la communication par l'Etat de la copie des actes et jugements invoqués comme termes de comparaison, au regard du principe du contradictoire, il apparaît en premier lieu que cette demande est recevable, comme n'étant pas « un moyen nouveau non soulevé en première instance » mais comme consistant en de nouvelles prétentions pour faire écarter les prétentions adverses (article
654 du nouveau code de procédure civile) ;
Toutefois, cette demande [du requérant] (...) doit être rejetée dès lors que les renseignements fournis sont suffisants pour permettre l'identification du bien vendu et le montant du prix convenu, ainsi qu'une libre discussion sur le caractère démonstratif ;
(...) »
Le requérant forma un pourvoi en cassation en alléguant notamment la violation de son droit à un procès équitable. Il fit valoir qu'il n'était pas nécessaire qu'une partie ne participe pas à la décision pour considérer que son intervention ne contrevient pas à l'article 6 de la Convention et dénonça le fait que le commissaire du Gouvernement prenait la parole en dernier, après l'exproprié, sans que celui-ci ait l'occasion d'y répliquer. Le requérant fit également grief à la cour d'appel d'avoir écarté les demandes de communication de copie des termes de comparaison invoqués par le commissaire du Gouvernement et de n'avoir pas indiqué quels étaient les renseignements fournis, ayant bien précisé qu'aucune indication n'avait été donnée sur la publicité à la conservation des hypothèques des actes invoqués, ce qui ne lui avait pas permis d'en connaître la teneur.
Par un arrêt du 8 avril 1998, la Cour de cassation rejeta le pourvoi :
« (...) Attendu que l'arrêt retient, à bon droit, que l'article 6 de la Convention (...) n'étant pas applicable dès lors que le commissaire du Gouvernement ne participe pas à la décision de la juridiction de l'expropriation, il n'y a pas lieu d'écarter des débats l'intervention de celui-ci ;
Attendu d'autre part, qu'aucun texte n'interdit aux parties de répliquer aux conclusions prises à l'audience par le commissaire du Gouvernement ;
(...)
Attendu que la cour d'appel a légalement justifié sa décision (...) en retenant souverainement que les renseignements fournis étaient suffisants pour permettre l'identification du bien vendu et le montant du prix convenu, ainsi qu'une libre discussion sur leur caractère démonstratif ;
(...) »
B. Le droit et la pratique internes pertinents
Code du domaine de l'Etat
A l'époque des faits, l'article 179 était ainsi rédigé :
« Pour la fixation des indemnités d'expropriation, des fonctionnaires de la direction des services fiscaux désignés par arrêté du directeur général des impôts agissent devant les juridictions de l'expropriation au nom des services expropriants de l'Etat.
(...)
Les désignations prévues au présent article ne peuvent porter sur les agents mentionnés à l'article 7 modifié du décret n° 59-1335 du 20 novembre 1959 [C. expropriation, art. 13-7]. »
L'article 179 a été modifié par un décret n° 2000-1210 du 6 décembre 2000 (J.O. du 14 décembre 2000) et est désormais ainsi libellé :
« En vue de la fixation des indemnités d'expropriation, le directeur des services fiscaux peut désigner des fonctionnaires placés sous son autorité pour agir devant les juridictions de l'expropriation au nom des services expropriants de l'Etat.
(...)
Les désignations prévues au présent article ne peuvent porter sur les agents mentionnés à l'article
R. 13-7 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »
Code de l'expropriation
Article
R. 13-7
« Le directeur des services fiscaux (domaine) du département dans lequel la juridiction de l'expropriation a son siège exerce les fonctions de commissaire du Gouvernement auprès de cette juridiction. Le directeur des services fiscaux (domaine) peut désigner des fonctionnaires de son service aux fins de le suppléer dans les fonctions de commissaire du Gouvernement auprès de la juridiction mentionnée à l'article R.13-1. Devant la chambre statuant en appel, il peut être suppléé soit par des directeurs des services fiscaux (domaine) des autres départements situés dans le ressort de la cour d'appel, soit par des fonctionnaires des services fiscaux (domaine) qu'il désigne spécialement à cet effet . »
Article R. 13-8
« Les affaires portées devant les juridictions mentionnées aux articles L. 13-1 et L. 13-22 ne sont pas communiquées au ministère public dont la présence n'est pas requise à l'audience. »
Article R. 13-9
« Devant la chambre statuant en appel, le procureur général peut néanmoins prendre communication de toutes les causes dans lesquelles il croit son ministère nécessaire. Dans ce cas, il peut venir à l'audience afin de déposer les conclusions qu'il estime devoir prendre, sans préjudice de celles du commissaire du Gouvernement. »
Article R. 13-21
« A défaut d'accord amiable dans le délai d'un mois à partir de la notification des offres de l'expropriant (...) le juge de l'expropriation peut être saisi par la partie la plus diligente dans les conditions prévues à l'article L 13-4. (...) »
Article R. 13-27
« Copie de l'ordonnance fixant les jour et heure du transport sur les lieux est transmise par le secrétaire de la juridiction à l'expropriant, en vue de sa notification aux intéressés ainsi qu'au commissaire du Gouvernement.
Si le juge est saisi par l'exproprié, les parties sont avisées directement par le secrétaire de la date du transport sur les lieux.
Le secrétaire joint à la notification faite au commissaire du Gouvernement une copie des mémoires et des documents en sa possession.
Les parties et le commissaire du Gouvernement doivent être avisés quinze jours au moins à l'avance de la date de transport sur les lieux.
La visite des lieux est faite en leur présence. Il est établi un procès-verbal des opérations. »
Article R. 13-30
« L'audience publique est tenue à l'issue du transport sur les lieux. (...) »
Article R. 13-31
« Le juge entend le représentant de l'expropriant et les expropriés (...). Les parties ne peuvent développer que des éléments des mémoires qu'elles ont présentés. (...) »
Article R. 13-32
« Le commissaire du Gouvernement est entendu en ses observations et dépose ses conclusions. Les conclusions du commissaire du Gouvernement contiennent les éléments nécessaires à l'information de la juridiction. Elles comportent notamment une évaluation motivée des indemnités principales et, le cas échéant, des indemnités accessoires revenant à chaque titulaire de droits, ainsi que, s'il y a lieu, les renseignements permettant l'application d'office des dispositions des articles L. 13-14 à L. 13-19. »
Article R. 13-33
« Si l'une des parties s'est trouvée dans l'impossibilité de produire, à l'appui de ses mémoires, certaines pièces ou certains documents, le juge peut, s'il l'estime nécessaire à la solution de l'affaire, l'autoriser sur sa demande à produire à l'audience ces pièces et documents. »
Article R. 13-35
« Le juge statue dans la limite des conclusions des parties, telles qu'elles résultent de leurs mémoires et de celles du commissaire du Gouvernement si celui-ci propose une évaluation inférieure à celle de l'expropriant. En ce cas, les conclusions écrites du commissaire du Gouvernement sont obligatoirement annexées au dossier. Si le défendeur n'a pas notifié son mémoire en réponse au demandeur dans le délai d'un mois prévu à l'article R. 13-23, il est réputé s'en tenir à ses offres, s'il s'agit de l'expropriant, et à sa réponse aux offres, s'il s'agit de l'exproprié. Si l'exproprié s'est abstenu de répondre aux offres de l'administration et de produire un mémoire en réponse, le juge fixe l'indemnité d'après les éléments dont il dispose. »
Article R. 13-36
« Le jugement précise notamment les motifs de droit ou de fait en raison desquels chacune des indemnités principales ou accessoires est allouée. Si le jugement écarte les conclusions du commissaire du Gouvernement proposant une évaluation inférieure à celle de l'expropriant, il doit indiquer spécialement les motifs de ce rejet. La lecture du jugement peut être faite par le juge en l'absence du commissaire du Gouvernement. Le jugement est notifié par la partie la plus diligente à l'autre partie et au commissaire du Gouvernement. »
Article R. 13-47
« L'appel est interjeté par les parties ou par le commissaire du Gouvernement dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement (...). »
Article 13-49
« L'appelant doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser son mémoire et les documents qu'il entend produire au secrétariat de la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel.
L'intimé doit déposer ou adresser son mémoire en réponse et les documents qu'il entend produire au secrétariat de la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel. L'intimé doit déposer ou adresser son mémoire en réponse et les documents qu'il entend produire au secrétariat de la chambre dans le mois de la notification du mémoire de l'appelant. Les mémoires et les documents doivent être produits en autant d'exemplaires qu'il y a de parties plus un. Le secrétaire notifie à chaque intéressé et au commissaire du Gouvernement, dès leur réception, une copie des pièces transmises au secrétariat. Appel incident peut être formé par les parties dans leur mémoire en réponse ou par déclaration faite au secrétariat de la chambre. S'il émane du commissaire du Gouvernement, il est fait dans cette dernière forme. »
Article R. 13-52
« La chambre [d'appel] statue sur mémoires. Les parties peuvent toutefois développer brièvement les éléments de mémoire qu'elles ont présentés. »
Décret n° 67-568 du 12 juillet 1967 relatif à la réalisation d'acquisitions foncières pour le compte des collectivités publiques dans certains départements
Article 1er
« Dans les départements désignés comme il est dit à l'article 10, la direction départementale des impôts chargée du domaine est seule habilitée à poursuivre les acquisitions d'immeubles, de droits immobiliers ou de fonds de commerce, à l'amiable ou par voie d'expropriation, pour le compte de tous les services publics, civils ou militaires de l'Etat. »
Article 3
« Dans les procédures d'expropriation dont elle est chargée en application des articles 1er et 2, la direction départementale des impôts chargée du domaine accomplit, au nom de l'expropriant, tous les actes incombant à celui-ci, sous réserve des dispositions des articles 4 et 5. »
Article 4 (tel que libellé à l'époque des faits)
« Pour la fixation des indemnités d'expropriation, des fonctionnaires de la direction départementale des impôts chargée du domaine désignés par arrêté du directeur général des impôts agissent devant les juridictions de l'expropriation au nom des services expropriants de l'Etat.
Ils agissent également au nom des collectivités, établissements ou sociétés mentionnés à l'article 2 , si ceux-ci l'ont demandé.
Les désignations prévues au présent article ne peuvent porter sur les agents mentionnés à l'article 7 modifié du décret modifié du décret susvisé du 20 novembre 1959. »
Article 4 (tel que modifié par le décret n° 2000-1210 du 6 décembre 2000)
« En vue de la fixation des indemnités d'expropriation, le directeur des services fiscaux peut désigner des fonctionnaires placés sous son autorité pour agir devant les juridictions de l'expropriation au nom des collectivités, établissements ou sociétés mentionnés à l'article 2, si ceux-ci l'ont demandé.
Les désignations prévues au présent article ne peuvent porter sur les agents mentionnés à l'article
R. 13-7 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »
Jurisprudence
L'intervention du fonctionnaire des domaines à la fois en qualité de représentant de l'expropriant, en vertu du décret du 12 juillet 1967, et en tant que commissaire du Gouvernement, par application de l'article
R. 13-7, premier et troisième alinéas, du code de l'expropriation, ne constitue pas une cause d'irrégularité de la procédure (CA Paris expro., 30 janv. 1981).
Dans un arrêt du 21 octobre 1992, la Cour de cassation (troisième chambre civile) a indiqué :
« (...)
Attendu que la société Rivom reproche à l'arrêt attaqué (Besançon, 19 septembre 1990) de fixer l'indemnité qui lui est due à la suite de l'expropriation, au profit du département de la Côte-d'Or, d'une parcelle lui appartenant, alors, selon le moyen, que cette société avait fait valoir que la procédure suivie en première instance était irrégulière et comportait une violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, selon lequel toute personne avait droit à un procès équitable, dès lors que celui qui avait occupé le siège du commissaire du Gouvernement en première instance était l'inspecteur des Domaines ayant établi, pour le compte de l'autorité expropriante, l'avis d'estimation préalable aux offres d'indemnités ; qu'il était, en effet, contraire à l'esprit comme à la lettre de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi qu'au principe du droit à un procès équitable que cette personne ait pu être ensuite commissaire du Gouvernement dont la fonction consiste à conseiller le juge sur la valeur des terrains expropriés ; qu'en délaissant de telles conclusions qui, à les supposer fondées, devaient entraîner la nullité du jugement, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en méconnaissance de l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le commissaire du Gouvernement ne participant pas à la décision de la juridiction de l'expropriation, et l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'étant, dès lors, pas applicable, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes ; (...) » (Cass. 3eciv. 21 octobre 1992, Sté Rivom c. Département de la Côte-d'Or, Bull. cass. III, n° 279).
(...) »
GRIEF
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de l'absence de communication obligatoire des conclusions du commissaire du Gouvernement. Eu égard à son rôle déterminant dans la fixation de l'indemnité d'expropriation, il estime avoir été placé dans une situation désavantageuse par rapport au commissaire qui a la parole en dernier et considère que sa fonction, doublée de celle de directeur des services fiscaux - représentant de l'Etat dans la procédure - accentue le déséquilibre entre les parties au litige. Il dénonce la méconnaissance de ce fait du droit à un procès équitable.
EN DROIT
Le requérant se plaint de la procédure devant la juridiction de l'expropriation et invoque l'article 6 § 1 de la Convention, libellé ainsi dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1. Arguments des parties
a) Le Gouvernement
Selon le Gouvernement, le commissaire du Gouvernement est chargé, en tant que partie à l'instance devant le juge de l'expropriation, d'éclairer le juge sur la valeur des biens expropriés et de garantir le bon emploi des deniers publics. Etant ainsi une partie à l'instance, il est une personnalité extérieure à la juridiction de l'expropriation.
Sur le premier point, le Gouvernement expose que le commissaire n'est pas le représentant de la collectivité expropriante et qu'il n'a pas de pouvoir de décision dans la fixation de l'indemnité de dépossession, qui ressort de la compétence souveraine du tribunal ou de la cour d'appel, lesquels n'ont pas obligation de suivre ses conclusions. La fonction de commissaire est confiée au directeur des services fiscaux du département dans lequel la juridiction concernée a son siège. Le raison de ce choix réside dans le fait que, de par ses attributions administratives, fiscales et domaniales, le directeur départemental des impôts est rompu aux techniques de l'évaluation et de l'expertise immobilières. De ce point de vue, il n'est ni demandeur ni défendeur à l'instance. Parallèlement, le commissaire est garant de l'emploi des deniers publics et veille à ce que l'indemnité allouée n'excède pas la valeur réelle des biens expropriés. Même s'il n'a pas la qualité de partie principale, il est une partie à l'instance et peut faire appel de la décision rendue par le juge de l'expropriation, lorsque le montant alloué par celui-ci ne lui paraît pas conforme à l'intérêt des finances publiques.
Sur le second point, le Gouvernement soutient que le commissaire est extérieur non seulement à la formation de jugement, comme en témoigne le fait qu'il ne participe pas au délibéré, mais également à la juridiction elle-même puisque son rôle n'est pas celui d'un ministère public.
Après ces rappels, le Gouvernement considère que le grief de la rupture de l'égalité des armes entre les parties est mal fondé pour les raisons suivantes.
Premièrement, la circonstance que le commissaire appartienne parfois, comme c'était le cas en l'espèce, à la même administration que le représentant de la collectivité expropriante n'est pas déterminante. Généralement, la représentation de la collectivité expropriante n'est pas assurée par un membre de l'administration fiscale. Cependant, dans 45 départements (dont la Charente-Maritime), les services expropriants sont représentés par celle-ci ; mais lorsque tel est le cas, l'article R. 179-3 du code du domaine de l'Etat prévoit que les agents désignés à ce titre ne peuvent exercer parallèlement la fonction de commissaire du Gouvernement.
En l'espèce, les fonctions de commissaire étaient exercées par M.P., directeur départemental adjoint des services fiscaux de la Charente-Maritime, qui avait été désigné pour ce faire par le directeur des services fiscaux de la Vienne, où siège la cour d'appel de Poitiers. Les terrains expropriés pour le compte de l'Etat étant sis dans le département de la Charente-Maritime, M.H., agent de la direction départementale des services fiscaux de ce département, a été désigné pour assurer la représentation de l'Etat dans la procédure contentieuse. Ces deux désignations ont été conformes à l'état du droit en vigueur, les fonctions de commissaire du Gouvernement et de représentant de l'Etat n'étant pas cumulées en l'espèce.
En tout état de cause, le Gouvernement ajoute que la circonstance que les deux fonctionnaires appartiennent à la même administration ne révèle aucun déséquilibre pour deux raisons. La première est que le commissaire n'était pas le représentant de la collectivité expropriante dans la procédure. La seconde réside dans le fait que l'article 6 § 1 n'interdit pas qu'une partie principale et une partie jointe défendent une cause commune dès lors qu'un débat contradictoire a eu lieu.
En second lieu, les conclusions du commissaire du Gouvernement tant écrites qu'orales sont soumises à la contradiction. Le droit interne prévoit qu'elles doivent pouvoir être débattues de façon contradictoire. La jurisprudence fait obligation au commissaire, à peine d'irrecevabilité de celles-ci, de déposer ses conclusions au secrétariat-greffe de la juridiction d'expropriation, dans un délai suffisant pour permettre aux parties d'en prendre connaissance avant l'audience (Cass. civ. 10 juillet 1969, Hôpital hospice de Ploërmel c. Provost). Les parties sont donc mises à même de connaître l'avis du commissaire du Gouvernement et, le cas échéant, de demander un report d'audience en cas de moyen nouveau. En outre, les articles R. 13-31 et 13-52, premier alinéa, prévoit que les parties et le commissaire ne peuvent développer au cours de l'audience que les moyens qu'ils ont déjà soutenus dans leurs mémoire écrit. La substance des conclusions que le commissaire du Gouvernement présentera à l'audience n'est donc pas différente des écritures déposées.
Par ailleurs, les parties ont la faculté de répliquer aux conclusions du commissaire lors de la phase orale des débats. Contrairement à ce que soutient le requérant, les parties auraient toujours la possibilité de discuter, en reprenant la parole après lui à l'audience, les conclusions du commissaire du Gouvernement. L'article 37 du décret n° 66-776 du 11 octobre 1966 pris en application de la loi n° 62-848 du 26 juillet 1962, qui a rétabli l'institution du commissaire du Gouvernement, ne prévoyait pas cette possibilité, mais il n'est plus en vigueur car il a été annulé par le Conseil d'Etat (CE Ass. 13 décembre 1968, Association syndicale des propriétaires de Champigny-sur-Marne, Rec. p. 645). Cette annulation ouvre donc la faculté aux parties de répliquer au commissaire.
En l'espèce, le Gouvernement affirme que le requérant a pu débattre contradictoirement des conclusions du commissaire au cours de la phase écrite de l'instruction et qu'il a renoncé à le faire à l'audience alors qu'il en avait la possibilité.
Il affirme que le requérant a produit plusieurs mémoires dont le dernier du 22 mai 1996 qui répond aux conclusions du commissaire déposées les 4 septembre 1995 et 9 mai 1996. Il ne peut donc soutenir qu'il ignorait à la date de l'audience la substance des conclusions orales du commissaire du Gouvernement, dont il n'est pas contesté par lui qu'elles ont été identiques en substance à celles, écrites, déposées au greffe de la Cour. Au surplus, le Gouvernement ajoute que le requérant disposait de la faculté de répliquer lors de l'audience aux conclusions du commissaire, comme la Cour de cassation l'a d'ailleurs relevé en l'espèce.
b) Le requérant
Le requérant soutient que le commissaire dispose en fait et en droit d'une position dominante qui déséquilibre le débat. Ainsi, il est le seul qui ne soit pas astreint à la notification de ses écritures, se contentant du seul dépôt au greffe. Cette situation s'aggrave par ailleurs lors du déroulement et de l'ordonnancement des débats. Si l'interdiction qui était faite à l'exproprié d'intervenir après le commissaire a disparu, pour autant l'ordonnancement du débat n'est pas modifié. La réponse éventuelle de l'exproprié est d'expérience assez rare, le débat étant clos après les conclusions. Par ailleurs, devant la cour d'appel, l'article R. 13-52 dispose que les parties ne peuvent que développer brièvement les éléments des mémoires qu'elles ont présentés. La situation devient caricaturale, selon le requérant, lorsque le commissaire du Gouvernement se trouve doublé face à l'exproprié par un autre agent des domaines du même service. En effet, en application des articles
R. 179 et suivants du code du domaine de l'Etat applicable dans une quarantaine de départements, lorsque l'Etat est autorité expropriante, il est obligatoirement représenté devant le juge de l'expropriation par un agent de l'administration des domaines, exerçant dans les mêmes locaux que l'autre agent des domaines qui fait office de commissaire du Gouvernement. Enfin, le requérant ajoute que le commissaire du Gouvernement dispose d'un avantage considérable sur le plan de la connaissance du marché immobilier qui est déterminant pour l'évaluation des indemnités ; à l'exception de l'Alsace et de la Moselle, la conservation des hypothèques qui détient un fichier immobilier n'est pas accessible au public.
Toutes ces circonstances font que la présence du directeur des domaines faisant fonction de commissaire du Gouvernement devant la juridiction de l'expropriation prive le propriétaire exproprié d'un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention.
Le requérant salue la reconnaissance par le Gouvernement de la qualité de partie à l'instance du commissaire du Gouvernement et considère que cette partie jouit de prérogatives exorbitantes par rapport aux autres parties.
En l'espèce, il réaffirme que l'expropriant et le commissaire du Gouvernement ont été représentés par la même personne qui, dans la procédure, intervient d'abord dans son courrier avec le conseil de l'expropriant en qualité de représentant de l'Etat expropriant, puis ensuite exerce les fonctions de commissaire du Gouvernement. En effet, en réponse à la demande de communication du mémoire présenté pour l'Etat par l'inspecteur des domaines, M.H., c'est M.P. qui a rempli les fonctions de commissaire du Gouvernement qui, au nom de la collectivité expropriante, a refusé cette communication. La double représentation de l'Etat assurée par deux personnes d'un même service est d'autant plus choquante en l'espèce que l'un de ces deux fonctionnaires, supérieur hiérarchique de l'autre, est intervenu d'abord avec le conseil de l'exproprié comme représentant de l'expropriant, puis devant la cour en qualité de commissaire du Gouvernement tout en utilisant un subterfuge qui a consisté à se faire déléguer par le directeur départemental des domaines d'un département voisin.
2. Décision de la Cour
La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.
Vincent Berger Georg ress
Greffier Président