AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur le pourvoi formé par M. Jean X..., demeurant à Rumilly (Haute-Savoie), ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 15 mars 1988 par la cour d'appel de Chambéry, au profit de la société anonyme Serco, dont le siège social est à La Creuse de Saint-Eanne, La Mothe Saint-Héray (Deux-Sèvres),
défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 10 mai 1991, où étaient présents : M. Massip, conseiller doyen faisant fonctions de président, M. Zennaro, conseiller rapporteur, MM. Grégoire, Bernard de Saint-Affrique, Thierry, Lemontey, Gélineau-Larrivet, conseillers, M. Savatier, conseiller référendaire, M. Gaunet, avocat général, Mlle Ydrac, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Zennaro, les observations de la SCP Peignot et Garreau, avocat de M. X..., de la SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, avocat de la société Serco, les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
! Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, courant 1980, est intervenu entre M. Jean X..., négociant en bestiaux et éleveur, et la société Serco, fabricant d'aliments pour bétail, un contrat verbal selon lequel cette société, après avoir racheté à son cocontractant les veaux nourrissons que ce dernier se procurait, lui fournissait la nourriture nécessaire à l'engraissement de ces jeunes bêtes, assuré tant par lui-même que par d'autres éleveurs choisis et rémunérés par lui ; qu'à la fin de la période d'engraissement, M. X..., qui prenait en charge les frais de vétérinaire, faisait son affaire de la vente de veaux gras à des chevillards et conservait le prix de cette vente, tandis que la société Serco lui facturait le prix initial des veaux nourrissons ainsi que le coût des aliments fournis et les frais financiers engendrés par l'acquisition des jeunes bêtes ; que, M. X... ne lui ayant pas réglé ses dernières factures, la société Serco l'a assigné en paiement de la somme de 1 266 714,44 francs ; que M. X... a formé une demande reconventionnelle pour faire juger que la société Serco devait supporter les pertes subies lors de la vente des veaux gras et qu'elle avait rompu abusivement leur convention ; qu'après expertise, les premiers juges ont estimé que la société Serco devait supporter la charge du résultat déficitaire de l'élevage puisqu'elle était devenue propriétaire des veaux nourrissons, qu'il y avait lieu de déduire de sa créance les frais d'agios puisque l'opération initiale s'analysait en un achat des jeunes bêtes par la société Serco à M. X... et non en un "pré-financement" par cette société de l'achat par M. X... de ces animaux, et que, tous comptes faits en fonction des créances respectives des parties, M. X... ne restait devoir à la société Serco qu'une somme de 26 226,35 francs en principal ; que la cour d'appel, réformant cette décision, a dit que le contrat "sui generis" conclu entre les intéressés faisait bénéficier M. X... d'une trésorerie importante en contrepartie du
fait qu'en lui rachetant les veaux nourrissons, la société Serco
gardait à titre de garantie la propriété de ceux-ci, que ce "montage juridique" n'autorisait pas M. X... à faire supporter par la société Serco les aléas de son propre négoce de bestiaux, dès lors qu'étant redevenu propriétaire des veaux en fin de période d'engraissement, il assurait lui-même la vente des veaux gras à des chevillards suivant les cours au jour des transactions et, après compensation des sommes dues par l'une et l'autre des parties, a condamné M. X... à payer à la société Serco la somme de 981 120,97 francs englobant les frais financiers pour un montant de 37 339,45 francs ;
Sur le premier moyen
, pris en ses trois branches :
Attendu que M. X... reproche à l'arrêt
attaqué (Chambéry, 15 mars 1988) d'avoir décidé qu'il devait supporter seul la charge des résultats déficitaires de son négoce de bestiaux, alors, selon le moyen, d'une part, que les parties étaient liées par des obligations réciproques de fourniture de produits et de services au sens de l'article 17 de la loi du 6 juillet 1964 modifiée par la loi du 4 juillet 1980 régissant le contrat d'intégration, et qu'en se déterminant comme elle a fait sans s'expliquer, en l'absence de contrat écrit, sur toutes les obligations de l'éleveur à l'égard de la société Serco, fournisseur d'aliments, obligations dont la réunion était de nature à caractériser l'existence d'un contrat d'intégration, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte précité ; alors, d'autre part, qu'en reconnaissant que la société Serco était propriétaire des animaux pendant toute la période d'engraissement, tout en admettant que lui-même en était également propriétaire, sans s'expliquer sur le moment à partir duquel le transfert de propriété s'opérait au profit du négociant, la cour d'appel s'est contredite ; et alors, enfin, qu'en laissant à sa charge les risques de l'élevage liés à la mortalité des animaux, tout en retenant que la société Serco était propriétaire des veaux pendant la phase d'engraissement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles
1138 et
1624 du Code civil ;
Mais attendu
, d'abord, que M. X... n'a jamais soutenu devant les juges du fond que la convention litigieuse constituait un contrat
d'intégration soumis aux prescriptions de la loi du 6 juillet 1964 ; qu'en sa première branche, le moyen est nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable ;
Attendu, ensuite, qu'en relevant que la société Serco "finançait les petits veaux à l'entrée" en rachetant à M. X... les jeunes bêtes, puis que ce dernier, devenu propriétaire des veaux gras en fin de période d'engraissement, en assurait lui-même la vente à des chevillards, les juges du second degré ne se sont pas contredits ;
Attendu, enfin, que, la cour d'appel ayant retenu, par un motif non critiqué, qu'il ne résultait d'aucun élément de l'expertise judiciaire, ni des écritures des parties, que certains veaux nourrissons seraient morts en cours d'engraissement, le moyen est inopérant en sa troisième branche ;
D'où il suit que le premier moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé en ses deux autres branches ;
Sur le second moyen
:
Attendu que M. X... reproche encore à l'arrêt attaqué d'avoir
fixé le montant de la facturation restant due à la société Serco à la somme de 1 074 903,74 francs et d'avoir dit que, déduction faite de sa propre créance envers cette société, il restait devoir à celle-ci la somme de 981 120,97 francs, alors, selon le moyen, qu'en ayant omis de s'expliquer sur le montant des agios mis à sa charge et représentant une somme de 37 339,45 francs, dont il avait demandé qu'il soit déduit de la créance de son cocontractant, l'opération initiale s'analysant en une vente et non en un "préfinancement", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles
1134 et
1907 du Code civil ;
Mais attendu
que les juges du second degré, en retenant que l'opération initiale de rachat des jeunes veaux par la société Serco constituait une facilité de trésorerie qu'elle accordait à M. X..., et en relevant que ce dernier redevenait propriétaire des veaux en fin de période d'engraissement en les rachetant à leur prix d'origine
et en les revendant pour son propre compte à des chevillards, ont considéré que ce "montage juridique" avait été mis en place pour assurer en réalité le financement de veaux nourrissons que M. X... avait toujours eu à sa disposition ; qu'ils ont implicitement mais nécessairement estimé que, aucune véritable vente n'étant intervenue entre M. X... et la société Serco, le premier devait supporter les agios dont le montant n'était pas contesté et constituait une des composantes de la créance de la société Serco ;
D'où il suit que le second moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... envers le Trésor public à une amende civile de cinq mille francs, envers la société Serco, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du onze juin mil neuf cent quatre vingt onze.