CJUE, 10 mars 1994, 2351/90

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Texte intégral

Avis juridique important | 61993C0002 Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 10 mars 1994. - Exportslachterijen van Oordegem BVBA contre Belgische Dienst voor Bedrijfsleven en Landbouw et Generale Bank NV. - Demande de décision préjudicielle: Rechtbank van eerste aanleg Brussel - Belgique. - Peste porcine - Mesures de soutien du marché - Cautionnement - Règlement (CEE) n. 2351/90 de la Commission. - Affaire C-2/93. Recueil de jurisprudence 1994 page I-02283 Conclusions de l'avocat général ++++ Monsieur le Président, Messieurs les Juges, A - Les faits 1. Au cours de l' année 1990, la peste porcine classique s' est déclarée dans certaines régions de Belgique à forte concentration d' élevages porcins. Pour y faire face, des mesures ont été prises tant par l' État belge que par la Commission européenne. L' État belge a notamment institué trois zones, à savoir une zone de protection (I) autour du foyer d' infection, autour de celle-ci une zone de surveillance (II) et, autour de cette dernière, une zone tampon (III). 2. La Commission a également pris une série de mesures afin que soit évitée la propagation de la peste porcine dans les autres États membres et afin de soutenir le marché belge de la viande de porc. La plus importante de ces mesures consistait en un régime d' achat selon lequel l' organisme belge d' intervention (l' OBEA), partie défenderesse dans la présente affaire, achetait pour le compte de la Communauté des porcs provenant de la zone contaminée. Ces animaux devaient être abattus et transformés en produits destinés à des fins autres que l' alimentation humaine. 3. Les mesures arrêtées par la Commission incluent le règlement (CEE) nº 2351/90 (1). Ce texte prévoyait notamment que la viande de porc provenant de la zone tampon (III) pouvait, après traitement thermique, être transformée normalement et utilisée pour l' alimentation humaine (articles 4 à 8). 4. Les articles 9 et 10 règlent l' achat de viande de porc de la zone tampon (III) par l' organisme d' intervention belge (OBEA) aux frais de la Communauté, dans la limite des quantités maximales et aux prix fixés par le règlement. Cette viande était destinée à la transformation en produits impropres à la consommation humaine. 5. En exécution du règlement de la Commission précité, l' OBEA a arrêté l' avis nº 55.200 réglementant les modalités de la passation des contrats sur l' achat des viandes en question entre l' OBEA et les abattoirs et fixant les conditions auxquelles était soumis cet achat. 6. L' article I de cet avis prévoyait que, en introduisant une demande d' achat, l' abattoir intéressé acceptait les clauses et conditions édictées par l' OBEA. L' article IX établissait également que, en introduisant une demande, l' abattoir s' engageait sans réserve ni restriction à remplir toutes les obligations prévues par l' avis. Enfin, aux termes de l' article XII, les factures relatives au paiement de la marchandise devaient être accompagnées de la preuve de la constitution d' une garantie d' un montant égal à 110 % du montant demandé (TVA comprise), cette garantie étant libérée lorsque l' OBEA entrait en possession de la preuve que toutes les conditions prévues par l' avis avaient été respectées. 7. En août 1990, l' OBEA a conclu avec la partie demanderesse au principal, sur demande de cette dernière, des contrats portant sur l' achat de certaines quantités de viande de porc provenant de la zone tampon (III). Conformément à l' avis nº 55.200, l' entreprise en question a constitué auprès de la SA Générale de banque une garantie en faveur de l' OBEA. 8. Des contrôles administratifs ultérieurs ont révélé que la viande livrée par la partie demanderesse ne répondait pas aux conditions convenues avec l' OBEA. En conséquence, ce dernier a réclamé le remboursement du montant qu' il avait déjà versé à la partie demanderesse en précisant qu' à défaut de ce remboursement, il serait contraint de faire appel à la garantie constituée. La partie demanderesse a alors demandé en référé à la juridiction belge compétente d' interdire à la SA Générale de banque de payer la garantie en question à l' OBEA. A l' appui de sa demande, elle a fait valoir que, faute d' être prévue par la réglementation communautaire pertinente, la constitution de la garantie aurait été illégale. 9. Le rechtbank van eerste aanleg te Brussels a alors saisi la Cour de justice des questions préjudicielles suivantes (2): "Par l' intermédiaire de l' Office belge de l' économie et de l' agriculture, l' État belge viole-t-il le règlement (CEE) nº 2351/90 de la Commission, du 9 août 1990, en exigeant, à l' article XII de l' avis nº 55.200, à titre préalable, une caution pour le versement, pour le compte de la Communauté européenne, du prix d' achat de la viande de porc contaminée par la peste porcine? 1) Le droit communautaire autorise-t-il l' organisme belge d' intervention, par application entre autres de l' article 8 du règlement (CEE) nº 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, dans le cadre des mesures prises pour combattre la peste porcine, et en particulier de l' achat de viande de porc par l' organisme d' intervention, conformément au règlement (CEE) nº 2351/90 de la Commission, du 9 août 1990, à exiger une caution préalable pour le versement, pour le compte de la Communauté européenne, du prix d' achat de la viande de porc originaire de la zone tampon? 2 a) L' intérêt d' une lutte résolue contre la peste porcine et la nécessité d' une application stricte des mesures prises par la Commission permettent-ils que, sans avoir égard à l' étendue des défauts de conformité et/ou des irrégularités constatées, il soit fait appel à la totalité de la garantie et que celle-ci soit définitivement acquise par la partie qui la revendique? 2 b) A supposer que la Cour de justice estime qu' on ne peut pas faire appel, dans sa totalité, à la garantie constituée, l' organisme belge d' intervention, l' Office belge de l' économie et de l' agriculture, peut-il, en fonction des résultats des sondages qui ont été effectués dans le cadre du contrôle des marchandises vendues, extrapoler un pourcentage global qui ne satisfait pas aux conditions requises, à concurrence duquel le remboursement des sommes payées peut être exigé et, le cas échéant, il peut être fait appel à la garantie? B - Appréciation La recevabilité 10. Mis à part l' exposé des conclusions des parties, la demande de décision préjudicielle ne comporte pas d' autres éléments de motivation à l' appui des questions posées. Il est cependant possible de dégager les faits de l' espèce des documents cités dans l' ordonnance de renvoi, de sorte qu' une réponse aux questions posées devient possible. La demande préjudicielle est donc recevable. La première question 11. La partie demanderesse au principal fait observer que les contrats qu' elle a conclus avec l' OBEA ont trait à des mesures normales de soutien du marché du porc, à savoir l' achat de viande de porc par l' OBEA en vue de sa destruction et de sa transformation en produits impropres à la consommation humaine. Le règlement nº 2351/90, en application duquel l' avis nº 55.200 a été établi, ne prévoirait pas de cautionnement obligatoire pour de tels contrats; ce cautionnement obligatoire ne serait prévu que pour les contrats conclus avec l' OBEA en rapport avec les aides spéciales prévues aux articles 4 à 8 du règlement en question. Ainsi, le cautionnement qui lui a été exigé devrait être considéré non pas comme découlant du règlement en question, mais au contraire comme un cautionnement autonome, exigé sur la seule base de l' avis nº 55.200. 12. La réglementation pertinente en l' espèce serait le règlement nº 2759/75 du Conseil, du 29 octobre 1975, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande de porc (3), qui constituerait un système complet. Or, selon la jurisprudence de la Cour, les États membres n' auraient plus compétence, dans le cadre d' un tel système complet, pour édicter des mesures nationales (4). 13. Le règlement nº 2351/90 de la Commission aurait été arrêté en exécution du règlement nº 2759/75, et notamment de ses articles 20 et 24. Il s' inscrirait donc intégralement dans le système complet de l' organisation commune du marché de la viande de porc. Comme cette réglementation complète ne prévoit pas de cautionnement pour un cas tel que celui de l' espèce, l' OBEA ne pouvait exiger un tel cautionnement dans son avis nº 55.200 et aurait dès lors excédé sa compétence. 14. L' obligation de fournir un tel cautionnement s' analyserait en une entrave à la pleine efficacité du droit communautaire et porterait atteinte aux droits que les particuliers peuvent tirer de celui-ci; de telles mesures nationales devraient, selon la jurisprudence de la Cour, être déclarées inapplicables par les juridictions nationales (5). 15. Le fait que le règlement nº 2351/90 ne prévoit de cautionnement que pour les mesures de soutien prévues dans ses articles 4 à 8 serait dû à ce que ces mesures de soutien ont trait à la transformation de la viande de porc qui, après avoir été soumise à un traitement thermique, peut être négociée sur le marché intracommunautaire et destinée à la consommation humaine. C' est pourquoi, dans de tels cas, les conditions de mise sur le marché devraient être beaucoup plus rigoureuses. En revanche, les mesures de soutien prévues à l' article 9 du règlement auraient trait à l' achat de viande de porc en vue de sa destruction et transformation en produits impropres à la consommation humaine. 16. La demanderesse au principal fait enfin valoir que le règlement nº 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, relatif au financement de la politique agricole commune (6), comporte des dispositions générales qui trouveraient application dans le domaine spécifique de la lutte contre la peste porcine par le biais des dispositions des règlements nº 2759/75 et nº 2351/90, lesquels constitueraient donc une lex specialis par rapport au premier règlement. 17. La demanderesse au principal en conclut que le droit communautaire ne permettrait pas à l' OBEA d' imposer la constitution préalable d' un cautionnement, tel que celui en cause dans la procédure au principal. 18. Cette argumentation ne saurait être retenue. 19. La Commission observe à juste titre que le règlement nº 2351/90 ne comporte pas de système complet en matière d' achat de viande porcine et ne prévoit notamment pas de dispositions visant à assurer le respect de leurs obligations par les abattoirs. Il ne serait pas non plus interdit, ni explicitement ni implicitement, aux États membres de prendre eux-mêmes certaines mesures. Dans ces circonstances, il y aurait lieu de considérer, conformément à la jurisprudence de la Cour, que les États membres auraient compétence pour prendre des mesures complémentaires, pourvu que, premièrement, celles-ci soient nécessaires à l' exécution du droit communautaire et, deuxièmement, qu' elles ne portent pas atteinte à la portée et à l' efficacité des dispositions de ce droit (7). Vu sous cet angle, le système belge de constitution d' une garantie préalable serait compatible avec le droit communautaire. 20. En vertu de l' article 8, paragraphe 1, du règlement nº 729/70, qui constituerait une application concrète du principe énoncé à l' article 5 du traité CEE, les autorités belges seraient par ailleurs tenues de prendre les mesures qu' elles estimeraient nécessaires pour prévenir les fraudes dans la mise en oeuvre du régime d' achat prévu par le règlement nº 2351/90 (8). Ces mesures devraient être suffisamment efficaces pour empêcher, notamment, l' achat de viande porcine ne provenant pas de la zone considérée ou n' entrant pas en ligne de compte du fait de sa composition. Le système de cautionnement préalable constituerait un moyen efficace et d' ailleurs fréquemment employé dans la politique agricole commune, qui serait nécessaire à l' exécution de l' obligation de combattre la fraude énoncée dans l' article 8 du règlement nº 729/70. 21. Ces mesures étaient d' ailleurs tout à fait nécessaires, car, comme la Commission le relève, un rapport du FEOGA, établi à la suite de contrôles par sondage réalisés dans des entrepôts frigorifiques belges, a fait apparaître de graves irrégularités souvent révélatrices d' une fraude organisée. 22. Il convient dès lors de répondre à la première question de la juridiction de renvoi en ce sens que le droit communautaire autorise en l' espèce l' organisme belge d' intervention à exiger la constitution d' un cautionnement préalable. La deuxième question 23. La deuxième question vise en substance à savoir si et comment le principe communautaire de la proportionnalité peut trouver application à la mobilisation du cautionnement. Certes, ce dernier vise à garantir le respect d' une obligation de droit communautaire pesant sur le fournisseur de viande, mais il reste cependant qu' il est fondé sur une décision autonome - même si elle est licite du point de vue du droit communautaire - du législateur national. La juridiction de renvoi soulève la question de savoir dans quelle mesure le droit communautaire peut trouver à s' appliquer à cette obligation. Il faut observer à ce propos qu' il est de règle que les rapports juridiques qui trouvent leur source dans le droit interne sont soumis à ce droit. Toutefois, dès lors que, comme en l' espèce, un rapport de droit est façonné dans une mesure déterminante par la finalité qui lui est donnée, il est imaginable que le droit communautaire joue à ce titre un rôle dans l' interprétation et l' application du contrat de cautionnement. Mais c' est à la juridiction de renvoi qu' il appartient de le dire. 24. Au cas où celle-ci conclurait que le droit communautaire doit intervenir dans l' interprétation du rapport de droit, il y aurait lieu - et ce point a été relevé à juste titre par la Commission et par l' organisme belge d' intervention - d' appliquer la jurisprudence de la Cour d' après laquelle la perte totale du cautionnement ne constitue pas une sanction disproportionnée en cas de violation d' une obligation principale (9). 25. Force est également de se rallier au point de vue de la Commission qu' en l' espèce deux des obligations prévues par la réglementation belge pour l' achat de viande porcine doivent être qualifiées d' obligations principales: premièrement, l' obligation de livrer à l' OBEA une des catégories de produits visées à l' article 9 du règlement nº 2351/90 et, deuxièmement, l' obligation que les produits livrés proviennent de la zone concernée. 26. En cas de violation d' une obligation accessoire, la garantie pourrait être déclarée acquise partiellement seulement, dans une mesure proportionnelle à la gravité de l' infraction. Faute d' indications pertinentes plus précises dans l' exposé des faits, il n' y a pas lieu de développer d' autres considérations à ce sujet. C - Conclusion 27. C' est pourquoi nous nous proposons de répondre aux questions posées dans les termes suivants: 1) Le droit communautaire européen ne fait pas obstacle à ce que, par application notamment de l' article 8 du règlement (CEE) nº 729/70 du Conseil, du 21 avril 1970, dans le cadre des mesures prises pour combattre la peste porcine, et en particulier de l' achat de viande de porc par l' organisme d' intervention, conformément au règlement (CEE) nº 2351/90 de la Commission, du 9 août 1990, l' organisme belge d' intervention exige la constitution préalable d' un cautionnement pour le paiement, pour le compte de la Communauté européenne, du prix d' achat de la viande de porc originaire de la zone tampon. 2) La question de savoir dans quelle mesure les autorités nationales étaient en droit de retenir la totalité de la garantie ou une partie de celle-ci doit être tranchée par application du droit interne. Dans la mesure où ce dernier prévoit l' application du droit communautaire, il y a lieu de distinguer entre la violation des obligations principales et celle des obligations accessoires. En cas de violation d' une obligation principale, le cautionnement peut être déclaré acquis dans sa totalité. Parmi les obligations principales, il y a lieu de compter: premièrement, l' obligation de livrer à l' OBEA une des catégories de produits visées à l' article 9 du règlement (CEE) nº 2351/90; deuxièmement, l' exigence que les produits livrés soient originaires de la zone concernée. En cas de violation d' une obligation accessoire, il est possible de ne faire appel à la garantie que partiellement, dans une mesure proportionnée à l' importance de l' irrégularité. (*) Langue originale: l' allemand. (1) - JO L 215, p. 9. (2) - JO C 33 du 5 février 1993. (3) - JO L 282, p. 1. (4) - Arrêt du 13 mars 1984, Prantl (16/83, Rec. p. 1299). (5) - Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629). (6) - JO L 94, p. 13. (7) - Arrêt du 6 mai 1982, Baywa (146/81, 192/81 et 193/81, Rec. p. 1503). (8) - Arrêt du 12 juin 1990, Allemagne/Commission (C-8/88, Rec. p. I-2321). (9) - Voir à ce propos l' arrêt du 20 février 1979, Buitoni (122/78, Rec. p. 677) et l' arrêt du 2 décembre 1982, RU-MI (272/81, Rec. p. 4167).