Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 18 février 2021, la SCI ML Immo, représentée par Me Sechi, demande au tribunal :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 décembre 2020 par lequel le maire de Grosseto-Prugna a refusé de lui délivrer un permis de construire 18 logements collectifs sur la parcelle cadastrée section A n° 3623, située au lieudit " Forcoli " ;
2°) d'enjoindre au maire de cette commune dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre principal, de lui délivrer un permis de construire et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de permis.
3°) de mettre à la charge de la commune de Grosseto-Prugna la somme de 3 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
La société requérante soutient que :
- l'arrêté litigieux, en se fondant sur l'avis conforme défavorable du préfet de la Corse-du-Sud, méconnaît l'article
L. 121-8 du code de l'urbanisme, son projet s'implantant en continuité d'une agglomération ou d'un village et dans une tache urbaine au titre du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) ;
- cet arrêté méconnaît l'article
L. 121-13 du code de l'urbanisme, son projet ne constituant pas une extension d'urbanisation ; subsidiairement, il constitue une extension limitée d'urbanisation ;
- cet arrêté méconnaît les prescriptions du PADDUC relatives aux espaces stratégiques environnementaux, son projet n'étant pas compris dans de tels espaces ;
- cet arrêté méconnaît les prescriptions du PADDUC relatives aux réservoirs de biodiversité, son projet n'étant pas compris dans de tels espaces ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence, en l'absence de justification de publication régulière de la délégation de compétence à son signataire ;
- cet arrêté est insuffisamment motivé, en droit et en fait ;
- cet arrêté méconnaît l'article
L. 111-11 du code de l'urbanisme, son projet ne nécessitant pas d'extension du réseau électrique mais un simple raccordement qui constitue un équipement propre.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tirés de la méconnaissance du champ d'application de la loi, s'agissant des prescriptions du PADDUC relatives aux réservoirs de biodiversité.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jan Martin, premier conseiller ;
- et les conclusions de Mme Christine Castany, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit
:
1. M. A a, au nom de la SCI ML Immo, déposé le 24 septembre 2020 en mairie de Grosseto-Prugna une demande de permis de construire 18 logements collectifs sur la parcelle cadastrée section A n° 3623, située au lieudit " Forcoli ". Par l'arrêté du 21 décembre 2020, le maire de cette commune a refusé de lui délivrer le permis sollicité. La SCI ML Immo demande au tribunal d'annuler cet arrêté.
2. Aux termes de l'article
L. 174-1 du code de l'urbanisme : " Les plans d'occupation des sols qui n'ont pas été mis en forme de plan local d'urbanisme, en application du titre V du présent livre, au plus tard le 31 décembre 2015 sont caducs à compter de cette date, sous réserve des dispositions des articles
L. 174-2 à L. 174-5. / La caducité du plan d'occupation des sols ne remet pas en vigueur le document d'urbanisme antérieur. / A compter du 1er janvier 2016, le règlement national d'urbanisme mentionné aux articles
L. 111-1 et
L. 422-6 s'applique sur le territoire communal dont le plan d'occupation des sols est caduc ". L'article
L. 174-3 du même code dispose que : " Lorsqu'une procédure de révision du plan d'occupation des sols a été engagée avant le 31 décembre 2015, cette procédure peut être menée à terme en application des articles L. 123-1 et suivants, dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, sous réserve d'être achevée au plus tard le 26 mars 2017 ou, dans les communes d'outre-mer, le 26 septembre 2018. Les dispositions du plan d'occupation des sols restent en vigueur jusqu'à l'approbation du plan local d'urbanisme et au plus tard jusqu'à cette dernière date ".
3. Il est constant qu'à la date du 26 mars 2017, la procédure de révision du plan d'occupation des sols de Grosseto-Prugna n'avait pas été menée jusqu'à son terme. Il s'ensuit que l'autorisation d'urbanisme litigieuse devait être délivrée après avis conforme du préfet de la Corse-du-Sud, en vertu des dispositions, applicables en exécution des dispositions de l'article
L. 422-6 du code de l'urbanisme.
4. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Corse-du-Sud a émis, le 5 novembre 2020, un avis conforme défavorable à la demande de permis déposée pour la SCI ML Immo. Cette dernière doit être regardée comme soutenant, par voie d'exception, que cet avis est entaché d'illégalité.
5. En premier lieu, aux termes de l'article
L. 121-8 du code de l'urbanisme : " L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants () ". Il résulte de ces dispositions que l'urbanisation peut être autorisée en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais qu'aucune construction nouvelle ne peut en revanche être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.
6. Le PADDUC, qui précise, en application du I de l'article
L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, les modalités d'application des dispositions citées ci-dessus, prévoit que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu'elle constitue, à l'importance et à la densité significative de l'espace considéré et à la fonction structurante qu'il joue à l'échelle de la micro-région ou de l'armature urbaine insulaire, et que, par ailleurs, un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l'espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l'organisation et le développement de la commune. Ces prescriptions du PADDUC apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme citées au point 5.
7. Il ressort des pièces du dossier, notamment des vues aériennes, que le projet en cause, qui s'implante au lieudit " Forcoli ", se situe au sud et en continuité du secteur de Porticcio qui recouvre les lieuxdits " Porticcio ", " Scaglione " et " Terrasses de Porticcio " et se caractérise par un nombre et une densité élevés de constructions, alors qu'il n'est pas contesté en défense qu'un tel espace est composé d'un habitat permanent et dispose de services et de commerces. Dès lors, un tel secteur doit être regardé comme constituant une agglomération au sens des dispositions précitées de l'article
L. 121-8 du code de l'urbanisme telles que précisées par le PADDUC. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'inexacte application de ces dispositions doit être accueilli.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article
L. 121-13 du code de l'urbanisme : " L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'article
L. 321-2 du code de l'environnement est justifiée et motivée dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau. () ".
9. Une opération qu'il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés ne peut être regardée comme une " extension de l'urbanisation " au sens de l'article
L. 121-13 du code de l'urbanisme que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l'urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d'un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. En revanche, la seule réalisation dans un quartier urbain d'un ou plusieurs bâtiments, qui est une simple opération de construction, ne peut être regardée comme constituant une extension de l'urbanisation au sens de la loi.
10. Le PADDUC prévoit par ailleurs que les espaces proches du rivage sont identifiés en mobilisant des critères liés à la distance par rapport au rivage de la mer, la configuration des lieux, en particulier la covisibilité avec la mer, la géomorphologie des lieux et les caractéristiques des espaces séparant les terrains considérés de la mer, ainsi qu'au lien paysager et environnemental entre ces terrains et l'écosystème littoral. En outre, le PADDUC prévoit que le caractère limité de l'extension doit être déterminé en mobilisant des critères liés à l'importance du projet par rapport à l'urbanisation environnante, à son implantation par rapport à cette urbanisation et au rivage, et aux caractéristiques et fonctions du bâti ainsi que son intégration dans les sites et paysages. Les prescriptions du PADDUC apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme citées au point précédent.
11. Il ressort des pièces du dossier, notamment du dossier de demande de permis de construire, que les constructions projetées, dont il est constant qu'elles se situent dans les espaces proches du rivage, se caractérisant par un ensemble de trois immeubles de 18 logements au total, créent une surface de plancher de 954 m2 sur une parcelle de 3647 m2. Si, ainsi qu'il a été dit au point 7, ce projet se situe en continuité de l'agglomération de Porticcio, les constructions environnantes sont essentiellement formées d'un habitat pavillonnaire alors que les constructions projetées s'implantent en bordure d'un vaste espace naturel qui s'étend vers le sud. Dès lors, un tel projet ne saurait être regardé comme une simple opération de construction, mais comme renforçant de manière significative l'urbanisation d'un quartier périphérique de cette agglomération. Il s'ensuit que ce projet constituant une extension non limitée de l'urbanisation au sens de la loi, le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions de l'article
L. 121-13 du code de l'urbanisme ne peut qu'être écarté.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article
L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales : " Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut, compte tenu du caractère stratégique au regard des enjeux de préservation ou de développement présentés par certains espaces géographiques limités, définir leur périmètre, fixer leur vocation et comporter des dispositions relatives à l'occupation du sol propres auxdits espaces, assorties, le cas échéant, de documents cartographiques dont l'objet et l'échelle sont déterminés par délibération de l'Assemblée de Corse. / En l'absence de schéma de cohérence territoriale, de plan local d'urbanisme, de schéma de secteur, de carte communale ou de document en tenant lieu, les dispositions du plan relatives à ces espaces sont opposables aux tiers dans le cadre des procédures de déclaration et de demande d'autorisation prévues au code de l'urbanisme ".
13. En application des dispositions, qui viennent d'être citées, le PADDUC délimite des espaces dits " espaces stratégiques environnementaux " au motif qu'ils présentent un intérêt écologique ou nécessaire au maintien des équilibres biologiques, définis comme présentant des enjeux de biodiversité, relevant d'une logique d'intervention prioritaire en référence aux documents de la trame verte et bleue et comme étant soumis à une forte pression anthropique ou urbaine qui met en péril la fonctionnalité d'un réservoir ou d'un corridor de biodiversité tels que définis par ladite trame verte et bleue. Le livret réglementaire (livret IV) du PADDUC prévoit que, en l'absence d'un document local d'urbanisme compatible, toute extension de l'urbanisation est interdite au sein des espaces stratégiques environnementaux.
14. Il ressort des pièces du dossier et de la carte des enjeux environnementaux annexée au PADDUC que le projet en cause se situe en dehors de l'espace stratégique environnemental que cette carte délimite dans le secteur de Porticcio. Dès lors, la SCI ML Immo est fondée à soutenir que l'avis conforme du préfet litigieux méconnaît les prescriptions du PADDUC relatives aux espaces stratégiques environnementaux.
15. En quatrième lieu, aux termes du I de l'article
L. 4424-10 du code général des collectivités territoriales : " Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse vaut schéma régional de cohérence écologique au sens de l'article
L. 371-3 du code de l'environnement. / ". L'article
L.4251-3 du même code dispose que : " Les schémas de cohérence territoriale et, à défaut, les plans locaux d'urbanisme, les cartes communales ou les documents en tenant lieu, ainsi que les plans de mobilité, les plans climat-air-énergie territoriaux et les chartes des parcs naturels régionaux : 1° Prennent en compte les objectifs du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires ". Aux termes du I de l'article
L. 371-1 du code de l'environnement : " La trame verte et la trame bleue ont pour objectif d'enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en bon état des milieux nécessaires aux continuités écologiques, tout en prenant en compte les activités humaines, et notamment agricoles, en milieu rural ainsi que la gestion de la lumière artificielle la nuit ". Le II de l'article
L. 371-3 du code de l'environnement dispose que : " Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires prévu par l'article
L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales définit les enjeux régionaux en matière de préservation et de remise en bon état des continuités écologiques ".
16. Il résulte de ces dispositions que le PADDUC, en ce qu'il vaut schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, comporte une trame verte et bleue qui identifie des réservoirs et corridors de biodiversité, qui n'est directement opposable qu'aux documents locaux d'urbanisme et non pas aux autorisations d'urbanisme. Dès lors, en opposant au projet de la SCI ML Immo les prescriptions du PADDUC relatives aux réservoirs de biodiversité, le préfet de la Corse-du-Sud a méconnu le champ d'application de la loi.
17. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que seul est fondé le motif de l'avis conforme défavorable du préfet de la Corse-du-Sud tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article
L. 121-13 code de l'urbanisme. Il résulte de l'instruction que le préfet aurait rendu le même avis s'il n'avait retenu que ce motif. Par suite, le maire étant en situation de compétence liée pour refuser la délivrance d'un permis de construire à la SCI ML Immo, les moyens soulevés par cette dernière directement à l'encontre de l'arrêté litigieux sont inopérants.
18. Il résulte de ce qui précède que la SCI ML Immo n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du maire de Grosseto-Prugna lui refusant la délivrance d'un permis de construire. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte, ainsi que celles tendant à l'application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCI ML Immo est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SCI ML Immo, à la commune de Grosseto-Prugna et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Monnier, président ;
M. Jan Martin, premier conseiller ;
M. Hanafi Hallil, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2022.
Le rapporteur,
Signé
J. MARTIN
Le président,
Signé
P. MONNIER
La greffière,
Signé
H. NICAISE
La République mande et ordonne au préfet de la Corse-du-Sud en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Signé
H. NICAISE