TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 03 Mars 2010
3ème chambre 3ème section N° RG : 07/13504
DEMANDERESSES Société NOVARTISAG LICHTSTRASS35, CH-4056 Bâle 57340 SUISSE
Société CIBA VISION AG Intervenant volontaire HARDHOFS-TRASS 15,CH 8424 EMBRACH SUISSE
Société CIBA VISION Intervenant volontaire [...] 31700BLAGNAC représentées par Me Sabine AGE, avocat au barreau de PARIS, avocat vestiaire P0024, Me Pierre V, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P24
DÉFENDERESSES Société JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC [...], Jacksonville FL-32256, FLORIDE (USA)
Société JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED Po box 1988, Simpson Parkway, Livingston, West Lothian EH54 OAB ECOSSE (ROYAUME UNI)
S.A.S ETHICON [...] 92130 ISSY LES MOULINEAUX représentées par Me Grégoire DESROUSSEAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire W03
COMPOSITION DU TRIBUNAL Agnès T. Vice-Président, signataire de la décision Anne CHAPLY, Juge Mélanie BESSAUD, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS A l'audience du 14 Décembre 2009 tenue en audience publique
JUGEMENT Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoireen premier ressort
La société NOV ARTIS AG, société de droit suisse, est titulaire d'un brevet européen EP-A-0 819 258 B1 délivré sur le fondement d'une demande internationale de brevet déposée le 22 mars 1996 en application du Traité de Washington dit PCT, sous priorité de demandes de brevet européen, suisse et américain. Le titre et l'objet du brevet sont les "lentilles ophtalmiques qui peuvent être portées pendant une longue durée".
La délivrance de ce brevet a été publiée au Bulletin européen de brevets du 12 septembre 2001. Il a été fait mention de la remise de la traduction en langue française à l'INPI au Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle du 15 février 2002.
La société NOVARTIS AG est propriétaire de la totalité de ce brevet à la suite de la cession à son profit, le 30 septembre 2007, de la quote part de copropriété du laboratoire de recherche australien COMMONWEALTH SCIENTIFIC AND INDUSTRIAL RESEARCH ORGANISATION avec lequel elle avait initialement déposé l'invention.
L'invention porte sur une lentille ophtalmique pouvant notamment être portée en continu sur de longues périodes d'au moins 24 heures sans répercussion indésirable importante sur la santé de l'oeil ou le confort du consommateur.
Cette invention est exploitée en France par la société CIBA VISION, filiale du groupe NOVARTIS, sous la marque "AIR OPTIX NIGHT&DAY".
L'opposition au brevet européen formée par la société américaine JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC. a été rejetée par décision de la chambre des recours de l'OEB en date du 12 juillet 2007, infirmant totalement la décision de la division d'opposition.
La société NOVARTIS AG ayant constaté que la société JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC commercialisait notamment en France par l'intermédiaire de ses filiales européennes, la société britannique JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et la société française ETHICON, des lentilles ophtalmiques dénommées "ACUVUE OASYS with HYDRACLEAR Plus", qu'elle estimait reproduire les caractéristiques protégées par la revendication 1 du brevet européen ci-dessus visé, a : - le 19 septembre 2007, fait établir un constat d'huissier sur les sites Internet www.acuvue.com et www.pro-acuvue.fr, - le 21 septembre 2007, fait procéder à une saisie contrefaçon au siège social de la société ETHICON en exécution d'une ordonnance rendue sur requête par le Président du tribunal de ce siège en date du 19 septembre 2007.
Par actes en date du 5 octobre 2007, la société NOVARTIS AG a assigné les sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC., JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON devant le Tribunal de ce siège en contrefaçon du brevet européen n° 0 819 258 B1 et en indemnisation .Cette action s'inscrit dans un litige de plus grande ampleur entre les sociétés NOVARTIS et JOHNSON & JOHNSON, plusieurs procédures aux États-Unis, en Australie et dans divers pays européens (dont l'Allemagne, la Grande Bretagne et l'Italie notamment) étant également en cours.
Le 9 octobre 2007, la société ETHICON a assigné la société NOVARTIS AG devant le juge des référés aux fins de voir les documents n° 5 à 11, saisis à l'occasion des opérations de saisie contrefaçon, placés sous scellés et déposés au greffe du Tribunal jusqu'à ce que le juge du fond en décide autrement ou à défaut la désignation d'un expert aux fins de tri entre les documents confidentiels et ceux qui ne le seraient pas.
Par ordonnance en date du 20 novembre 2007, le juge des référés a désigné un expert aux fins d'examiner les différents documents en la seule présence des avocats des parties et d'occulter dans ces documents l'information qui est sans rapport avec la contrefaçon. L'expert, Monsieur K, a déposé son rapport le 14 avril 2008.
Par jugement mixte du 25 mars 2009, le tribunal de grande instance de Paris a:
Rejeté les demandes des sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC., JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON tendant au rejet des conclusions n° 3 et n° 4 de la société NOVARTIS AG ainsi que des pièces n°35 à 39, la nouvelle pièce n°9 et leurs traductions ;
Rejeté les demandes des sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC., JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON tendant à voir déclarer le brevet européen n° 0 819 258 sans effet en France o u la traduction déposée à l'Institut National de la Propriété Industrielle comme ne faisant pas foi ;
Dit que la revendication 1 du brevet européen n° 0 819 258 ne peut bénéficier des dates de priorité de la demande européenne EP 95810221 déposée le 4 avril 1995 et de la demande suisse CH 149695 déposée le 19 mai 1995;
Débouté les sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC., JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON de leur demande en nullité de la partie française du brevet européen n° 0 819 258;
Dit qu'en important, offrant à la vente, mettant dans le commerce et détenant aux fins précitées en France, les lentilles ophtalmiques ACUVUE OASYS with HYDRACLEAR Plus , les sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON ont commis des actes de contrefaçon de la revendication 1 de la partie française du brevet européen EP 0 819 258 au préjudice de la société NOVARTIS AG ;
Fait interdiction aux sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON de poursuivre de tels agissements, et ce sous astreinte de 5.000 € par infraction constatée à compter de la signification du présent jugement ;Ordonné la confiscation aux fins de destruction sous contrôle d'un huissier désigné par la société NOVARTIS AG et aux frais des sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON, de toute lentille ophtalmique contrefaisante qui sera trouvée en leur possession en France au jour de la signification du présent jugement ;
Débouté la société NOVARTIS AG de ses demandes contre la société JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC. ;
Débouté les sociétés JOHNSON & JOHNSON VISION CARE, INC., JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON de leur demande reconventionnelle pour procédure abusive ;
Avant dire droit sur le montant des dommages et intérêts, ordonné une expertise ;
Désigné pour y procéder Madame F demeurant 3, avenue VA VIN à PARIS 6 ème , à titre d'expert, avec mission de rechercher et fournir au Tribunal tous éléments permettant de définir la masse contrefaisante résultant des actes de contrefaçon commis par la société JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et la société ETHICON en obtenant notamment des éléments d'information tels que les quantités de lentilles ophtalmiques ACUVUE OASYS with HYDRACLEAR Plus commercialisées, livrées, reçues ou commandées en France ainsi que sur le prix obtenu pour ces produits, lui permettant de statuer ultérieurement sur le quantum du préjudice subi par la société NOVARTIS AG du fait des actes de contrefaçon commis sur le territoire français par les sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON du brevet européen EP 0 819 258 ;
Dit que l'expert devra déposer son rapport dans un délai de SIX MOIS à compter de l'avis de consignation effective qui lui sera adressé par le service du contrôle des expertises ;
Fixé à la somme de 5000 euros, la provision de l'expert qui sera consignée au greffe de ce Tribunal dans le délai d'un mois par les sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON in solidum ;
Dit qu'à défaut la mesure deviendra caduque et l'affaire sera radiée ;
Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état pour vérification de la consignation ;
Condamné in solidum les sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON à payer à la société NOVARTIS AG une provision de 1.000.000 €, à valoir sur son préjudice ;
Autorisé la publication du dispositif du présent jugement dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais in solidum des sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON, sans que le coût de chaque publication n'excède, à la charge de celle-ci, la somme de 5.000,00 € H.T. ;
Ordonné aux sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON, de procéder à la publication du dispositif du présent jugement en page d'accueil dessites Internet www.acuvue.com et www.pro-acuvue.fr et ce, pendant une durée de six mois sous astreinte de 5.000,00 € par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la signification du présent jugement ;
Dit se réserver la liquidation des astreintes ordonnées ;
Ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamné in solidum les sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON à payer à la société NOVARTIS AG la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile ;
Condamné in solidum les sociétés JOHNSON & JOHNSON MEDICAL LIMITED et ETHICON à payer à la société NOVARTIS AG à payer les entiers dépens, avec recouvrement direct au profit des avocats, conformément à l'article
699 du code de procédure civile.
Ce jugement est actuellement frappé d'appel mais les opérations d'expertise ordonnées par le tribunal se poursuivent et c'est dans ces conditions que les sociétés CIBA VISIONS AG et CIBA VISION SAS, par conclusion signifiées le 5 juin 2009, ont déclaré intervenir volontairement à l'instance en leur qualité respective de licenciée et de distributrice des produits brevetés et ont sollicité l'extension de la mission de Mme F pour fournir des élément permettant l'évaluation du préjudice qu'elles ont subi du fait des actes de contrefaçon.
Par conclusions du 1 er juillet 2009, les sociétés JOHNSON et ETHICON ont soulevé l'irrecevabilité de l'intervention volontaire des deux sociétés CIBA VISION et par conclusions signifiées le même joui' ces deux sociétés ont demandé au juge de la mise en état de surseoir à statuer sur la demande d'extension de mission dans l'attente de la décision définitive du tribunal sur la recevabilité des interventions volontaires.
Par décision en date du 26 août 2009, le juge de la mise en état a interprété la mission de l'expert précédemment désigné et dit que l'expert devait solliciter des parties tout document permettant non seulement d'évaluer le manque à gagner de la société NOVARTIS, c'est à dire la perte d'une redevance indemnitaire mais également les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire de droit, distinction étant à faire entre les faits de contrefaçon antérieurs à la mise en application de l'article
L615-7 du code de la propriété intellectuelle et les faits postérieurs à cette disposition et sursis à statuer sur la demande d'extension de mission de l'expert relative à l'évaluation du préjudice subi par les sociétés CIBA VISION jusqu'à la décision du tribunal sur la recevabilité des interventions volontaires.
Par conclusions signifiées 10 décembre 2009, les sociétés CIBA VISION AG et CIBA VISION, SAS demandent au tribunal au visa des articles 325 et suivants du code de procédure civile, de:dire et juger que les sociétés Johnson & Johnson Médical et Ethicon devront indemniser, in solidum, les sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision SAS du préjudice que leur a causé l'importation, l'offre et la vente, en France, des lentilles ophtalmiques Acuvue Oasys with Hydraclear Plus ;
condamner in solidum les sociétés Johnson & Johnson Médical et Ethicon à payer aux sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision SAS la somme de 100 000 € en application de l'article
700 du Code de procédure civile ;
condamner in solidum les sociétés Johnson & Johnson Médical et Ethicon aux entiers dépens, et dire qu'ils seront recouvrés conformément à l'article
699 du Code de procédure civile.
Et, avant dire droit sur le mérite de ces demandes :
déclarer les sociétés Ciba Vision SAS et Ciba Vision AG recevables en leur intervention volontaire ;
dire et juger que relèvent du fond du droit les contestations élevées par les sociétés Johnson & Johnson Médical et Ethicon sur la mise en œuvre du brevet européen n° 0 819 258 par les lentilles de la gamme Aix Opti x des sociétés Ciba Vision ainsi que sur l'existence d'un risque de confusion, entre ces lentilles et les lentilles Acuvue Oasys with Hydraclear Plus ; les réserver pour les trancher ultérieurement ;
renvoyer l'affaire à une audience du Juge de la mise en état pour qu'il soit statué sur la demande des sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision SAS tendant à ce que les opérations d'expertise de Madame L, expert désigné par le jugement du 25 mars 2009, soient : -déclarées communes et opposables aux sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision ; -étendues à la recherche et la fourniture des éléments qui permettront au Tribunal d'évaluer le préjudice propre et distinct des sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision résultant des actes de contrefaçon commis par les sociétés Johnson & Johnson Médical et Ethicon ;
rejeter les demandes des sociétés Johnson & Johnson Médical et Ethicon ;
réserver les dépens de la présente instance.
Par dernières conclusions signifiées le 11 décembre 2009, les sociétés JOHNSON&JOHNSON MEDICAL Ltd et ETHICON ont principalement demandé au tribunal de :
déclarer irrecevable l'intervention volontaire des sociétés CIBA VISION SAS et CIBA VISION AG,
à titre subsidiaire, ne déclarer recevable l'intervention des sociétés CIBA VISION SAS et CIBA VISION AG que pour les faits postérieurs au 20 octobre 2009, date du contrat confirmatif de licence,à titre très subsidiaire, ne déclarer recevable l'intervention des société CIBA VISION SAS et CIBA VISION AG que pour les faits postérieurs à la date du 4 août 2008 date d'entrée en vigueur des dispositions de l'alinéa 3 de l'article
L613-9 du code de la propriété intellectuelle,
dans l'hypothèse où les demandes des sociétés CIBA VISION et CIBA VISION AG seraient jugées recevables, renvoyer l'affaire pour examen de leur bien fondé;
condamner les sociétés CIBA VISION et CIBA VISION AG à leur payer la somme de 10 000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile,
condamner les sociétés CIBA VISION et CIBA VISION AG aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître DESROUSSEAUX, en application de l'article
699 du nouveau code de procédure civile.
Le tribunal a accepté la production d'un échange de notes en délibéré par les parties suite aux dernières écritures des sociétés JOHNSON et JOHNSON et ETHICON signifiées le 11 décembre 2009.
Les sociétés CIBA VISION AG et CIBA VISION SAS ont adressé une note en délibéré le 15 janvier 2010 et les sociétés JOHNSON et JOHNSON et ETHICON y ont répliqué le 2 février 2010.
Toutes les autres notes en délibérés, communiquées par la suite et qui n'ont pas été autorisées par le tribunal seront écartées des débats.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'intervention des sociétés CIBA VISION AG et CIBA VISION SAS
L'article
325 du code de procédure civile dispose que : "l'intervention n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant" et l'article
329 du même code que :"l'intervention est principale lorsqu'elle relève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention."
En l'espèce, le tribunal, saisi par la société NOVARTIS titulaire du brevet, a déclaré qu'en important, offrant à la vente, mettant dans le commerce et détenant aux fins précitées en France les lentilles ophtalmiques ACUVUE OASYS with HYDROCLEAR plus, les sociétés JOHNSON et JONHSON et ETHICON avaient contrefait la revendication 1 de la partie française du brevet européen EP 0819 25 8 au préjudice de la société NOVARTIS et avant dire droit institué une mesure d'expertise afin de déterminer le préjudice de cette société .
La société Ciba Vision AG et la société Ciba Vision SAS sont toutes deux des filiales de la société Novartis propriétaire du brevet européen n° 0 819 258.
Les sociétés Ciba Vision AG et Ciba Vision SAS déclarent intervenir respectivement en qualité de licenciée du brevet européen n° 0 819 25 8 et en qualité de distributeur exclusif des lentilles brevetées auprès des centrales d'achat et des opticiensfrançais et soutiennent qu'en leur faisant perdre des ventes de lentilles Air Optix et Air Optix Night & Day, les actes de contrefaçon commis par les sociétés Johnson & Johnson Médical et Ethicon leur ont causé un préjudice dont elles demandent réparation et que leur intervention volontaire à l'instance en cours tendant à la détermination et à la liquidation du préjudice de la société Novartis AG est recevable.
Sur la recevabilité de l'intervention de la société CIBA VISION AG en qualité de licenciée
Aux ternies de l'article
L615-2 du code de la propriété intellectuelle "l'action en contrefaçon est exercée par le propriétaire du brevet. (...) Tout licencié est recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon engagée par le breveté, afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre".
Par ailleurs l'article
L613-9 du dit code dispose que "tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit registre national des brevets, tenu par l'institut national de la propriété intellectuelle.
Toutefois avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits après la date de cet acte, amis qui avaient connaissance de celui-ci lors de "l'acquisition de ces droits."
La loi du 4 août 2008 a ajouté un troisième alinéa à l'article
L 613-9, qui dispose que "le licencié, partie à un contrat de licence non inscrit sur le registre national des brevets, est également recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon engagé par le propriétaire du brevet afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre".
-Sur l'existence d'une licence
Les sociétés JOHNSON et ETHICON soutiennent que la société CIBA VISION AG n'établit pas sa qualité à agir en qualité de licenciée du brevet européen dont s'agit.
La société CIBA VISION AG produit aux débats un acte intitulé "acte confirmatif de licence de brevet" intervenu le 20 octobre 2009 entre la société NOVARTIS AG et la société CIBA VISION AG. Ce document, après avoir rappelé que "la société NOVARTIS était titulaire du brevet européen 0819258 déposé le 22 mars 1996 et délivré le 12 septembre 2001; que ce brevet avait été déposé en copropriété par la société NOVARTIS AG et la Commonwealth scientific and inustriel research organisation ; que cet organisme avait le 30 septembre 2007 cédé sa part de copropriété à la société NOVARTIS et que de tout temps la Commonwealth scientific and industriel research organisation et la société ont consenti à la société CIBA VISION une licence exclusive et mondiale du brevet européen n°0819258 qui produit effet depuis la date de dépôt du brevet", précise que : "les sociétés NOVARTIS et CIBA VISION confirment par le présent acte, avoir respectivement consenti et accepté la licence précitée, qui inclut une licence exclusive du brevet européen n°0819258 et, plus généralement, que la so ciété NOVART IS a toujours et constamment consenti à conférer une telle licence du brevet européen n°0819258pour tous les pays où il produit ses effets et que la société CIBA VISION l'a toujours et constamment accepté. Cette licence confère à la société CIBA VISION le droit exclusif de vendre, utiliser, faire et faire faire des lentilles ophtalmiques qui mettent en oeuvre les revendications du brevet européen n°0 819 258. Les sociétés NOVARTIS et CIBA VISION confirment, en outre, que cette licence confère à la société CIBA VISION un droit propre à la réparation du préjudice qui pourrait lui être causé par un tiers, du fait de la contrefaçon du brevet européen n°0819258."
Par ailleurs, la société CIBA VISION AG verse également aux débats un acte sous seing privé en date du 1 er janvier 2001, intervenu entre la société NOVARTIS AG et la société CIBA VISION AG, "ci-après dénommée CV", intitulé "Contrat". Ce document précise que par " droits de propriété" il désigne "l'ensemble des brevets, des demandes de brevet, inventions, droits d'auteur et autres biens immatériels relatifs aux produits" et son article 3.1 est ainsi rédigé :"par les présentes, la société NOVARTIS concède à la société CV, et la société CV accepte, une licence des droits de la société NOVARTIS sur les Biens Immatériels, sur le Territoire, conformément aux termes et conditions énoncés dans le présent contrat. Cette licence inclut le droit de concéder des sous-licences".
Il est constant que des sociétés poursuivies en contrefaçon ne sont pas fondées à s'immiscer dans les rapports du breveté et du licencié et à contester la validité du contrat de licence, dès lors que le breveté et le licencié agissent dans la même instance.
Dès lors, la société CIBA VISION AG établit suffisamment par les actes versés aux débats sa qualité de licenciée de la société NOVARTIS, étant relevé que cette dernière société présente dans la cause ne lui conteste pas cette qualité.
-Sur le caractère exclusif de la licence
La société CIBA VISION AG ne prétend pas agir comme licenciée exclusive de la société NOVARTÎS sur le territoire français mais comme simple licenciée. Dès lors, les développements des sociétés JOHNSON et ETHICON sur le caractère non exclusif de la licence concédée sont sans incidence.
-Sur la recevabilité de la société CIBA VISION AG sur le fondement de l'article
L613-9 du code de la propriété intellectuelle
La licence dont se prévaut la société CIBA VISION AG n'a fait l'objet d'aucune inscription.
Il est constant que l'article
L613-9 subordonnait la recevabilité de l'action du licencié à la publication de sa licence et que l'inscription pouvait intervenir à tout moment, même après l'assignation en contrefaçon et que la loi du 4 août 2008 a supprimé cette fin de non recevoir.
Il convient de faire application des dispositions de l'article
126 du code de procédure civile qui dispose que " dans les cas où la situation donnant lieu à fin de non recevoir est susceptible d'être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue (...)"Dans ces conditions, la loi ayant supprimé cette fin de non recevoir désormais le licencié non inscrit est recevable à agir au côté du breveté pour obtenir réparation du préjudice qui lui est propre.
Cependant aux termes de l'article
2 du code civil "la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif. Dès lors, si la condition de recevabilité de l'action du licencié n'est plus subordonnée à inscription de sa licence au RNB, cette mesure bien qu'applicable aux instances en cours ne concerne que les actes commis à compter de l'entrée en application de cette loi et non les actes antérieurs.
En l'espèce, la société CIBA VISION AG n'est donc recevable à agir en application de ce texte qu'en ce qui concerne les actes commis après le 4 août 2008.
-Sur le fondement de l'article
1382 du code civil
Pour la période antérieure au 4 août 2008, le licencié qui n'a pas de droit privatif peut agir au côté du breveté sur le fondement de la concurrence déloyale sur les même faits que ceux déjà argués de contrefaçon.
Rien ne lui interdit de se plaindre de la faute que constitue, sous l'empire de l'article
1382 du code civil la contrefaçon du brevet appartenant à son donneur de licence. Il peut donc demander réparation de son dommage sur le fondement de la responsabilité civile.
Dans ces conditions, la société CIBA VISION AG est recevable dans son action fondée sur l'article
1382 du code civil.
Sur la recevabilité de la société CIBA VISION SAS
Cette société déclare agir en sa qualité de distributeur exclusif en France de lentilles de contact mettant en oeuvre le dispositif breveté.
Les sociétés JOHNSON et ETHICON soutiennent que la société CIBA VISION SAS ne démontre pas sa qualité de distributeur exclusif de produits brevetés, que les attestations produites ne démontreraient pas ce caractère exclusif et qu'en toute hypothèse la société NOVARTIS a soutenu dans la procédure d'expertise quelle avait consenti une sous licence du brevet EP B0819 258 à certains concurrents.
La société Ciba Vision AG soutient qu'elle vend à sa filiale française, la société Ciba Vision SAS, distributeur exclusif des produits Ciba Vision en France, des lentilles qui mettent en œuvre ce brevet, soit : les lentilles Air Optix ; les lentilles Air Optix Night & Day, anciennement dénommées Focus Night & Day. et que la société Ciba Vision SAS vend ces lentilles, en France, auprès des centrales d'achat et des opticiens.
La société CIBA VISION SAS pour démontrer sa qualité de distributeur exclusif des produits brevetés verse aux débats :-une attestation du président directeur général de la société CIBA VISION SAS, attestée par son commissaire aux comptes indiquant que "depuis l'année 2006, CIBA VISION SAS s'approvisionne en lentilles de contact exclusivement auprès de la société CIBA VISION AG"
-une attestation du commissaire aux comptes de la société CIBA VISION AG selon laquelle la société CIBA VISION AG vend à sa filiale française, la société CIBA VISION SAS l'ensemble des lentilles de la gamme AIR Optix destinées au marché français
Le tribunal relève que la société CIBA VISION SAS soutient que les actes de contrefaçon commis par les sociétés JOHNSON et ETHICON ont constitué à son égard des actes de concurrence déloyale et lui ont causé un préjudice, notamment par perte d'une marge, en raison de la perte de ventes de lentilles de la gamme AIR Optix et fonde son action sur l'article
1382 du code civil.
La recevabilité d'une action fondée sur l'article
1382 du code civil, n'est pas subordonnée au caractère exclusif de la distribution, mais à l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage.
Il est suffisamment établi par les pièces produites aux débats que la société CIBA VISION SAS distribue en France des lentilles de la gamme AIR Optix, que lui vend la société CIBA VISION AG, licenciée de la société NOVARTIS titulaire du brevet dont s'agit.
Le caractère exclusif de la distribution devra être apprécié par le tribunal au stade de la détermination de l'importance du préjudice subi par la société CIBA VISION SAS, il en est de même de la mise en oeuvre du brevet par les lentilles AIR Optix, qui relève du bien fondé de l'action et non de sa recevabilité.
Sur le lien suffisant des interventions avec l'action principale
Les sociétés JONHSON et ETHICON soutiennent que les interventions seraient irrecevables faute de lien suffisant avec l'instance principale, le tribunal étant par application de l'article
481 du code de procédure civile désormais dessaisi de la contestation relative à la contrefaçon et à la responsabilité des sociétés JOHNSON et ETHICON.
Il convient d'observer que le jugement du 25 mars 2009, est un jugement mixte qui après s'être prononcé sur l'existence d'une contrefaçon à l'égard de la société NOVARTIS par les sociétés JOHNSON et ETHICON a sursis à statuer sur l'évaluation du préjudice de la société NOVARTIS et a institué une mesure d'expertise sur cette évaluation.
Dès lors, bien que cette décision fasse l'objet d'un appel, le présent tribunal reste saisi de la demande d'évaluation du dommage de la société breveté.
Dans ces conditions, l'action de la sociétés CIBA VISION AG, en sa qualité de licenciée et de la société CIBA VISION SAS, en sa qualité de distributeur du dispositif breveté, aux côtés de la société NOVARTIS, dans l'instance l'opposant auxsociétés JOHNSON et ETHICON dont le tribunal a reconnu la responsabilité quant aux actes de contrefaçon dudit brevet, pour voir reconnaître le préjudice qui leur est propre du fait de ces actes contrefaisants possède un lien suffisant avec l'instance actuellement pendante devant le tribunal.
Les interventions des sociétés CIBA VISION AG et CIBA VISION SAS doivent en conséquence être déclarées recevables. Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article
700 du code de procédure civile.
Il convient de réserver les dépens.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par décision contradictoire, susceptible d'appel avec le jugement sur le fond, et par mise à disposition au greffe,
Déclare recevable l'intervention volontaire des sociétés CIBA VISION AG et CIBA VISION SAS,
Renvoie l'affaire à l'audience du juge de la mise en état du mardi 11 Mai 2010 à 15 heures 30 pour conclusions des parties sur l'extension de la mission de l'expert saisi,
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article
700 du code de procédure civile,
Réserve les dépens.