AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société en nom collectif (SNC) Comptoirs modernes, dont le siège est ... (Seine-Maritime), en cassation d'un arrêt rendu le 4 novembre 1993 par la cour d'appel d'Angers (3e Chambre sociale), au profit :
1 ) de M. Gérard X..., demeurant rue de la Haise à Parigné-L'Evêque (Sarthe),
2 ) de Mme Josette X..., demeurant rue de la Haise à Parigné-L'Evêque (Sarthe), défendeurs à la cassation ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 mai 1995, où étaient présents : M. Lecante, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Carmet, conseiller rapporteur, MM. Boubli, Brissier, conseillers, Mmes Girard-Thuilier, Brouard, conseillers référendaires, M. Kessous, avocat général, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Carmet, les observations de la SCP Peignot et Garreau, avocat de la société Comptoirs modernes, de Me Foussard, avocat des époux X..., les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 4 novembre 1993), que la société Les Comptoirs modernes, devenue la société "Les Comptoirs modernes économiques de Normandie", qui exploite directement ou indirectement des magasins à l'enseigne STOC ou Comod, a engagé M. X..., le 20 septembre 1965, en qualité de salarié, comme animateur de produits frais ;
qu'il a, par la suite, été nommé chef de secteur, puis, par contrat du 28 juillet 1976, gérant mandataire, puis, par contrat du 1er octobre 1977, cogérant mandataire avec son épouse d'un magasin à l'enseigne Comod à Parigné-L'Evêque ;
que la société ayant décidé d'exploiter le magasin par contrat de franchise, elle a proposé un tel contrat aux époux, qui ont refusé ;
que, par lettres du 13 mai 1991, les deux cogérants ont été licenciés pour motif économique ;
Sur le premier moyen
:
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer aux époux une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, d'une part, qu'il ne résulte d'aucun texte que l'employeur avait, eu égard à la nature du licenciement économique frappant les deux salariés, l'obligation de reclasser ceux-ci ;
qu'ainsi, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne postule pas et violé les articles
1134 du Code civil et L. 321-1 et suivants et
L. 122-14-4 du Code du travail ;
alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse, l'employeur n'avait pas à justifier par écrit de ses propositions de reclassement ;
qu'en faisant grief à la SNC Comptoirs modernes de ne pas avoir respecté son obligation de reclassement, faute de ne pas avoir précisé par écrit les conditions de ses propositions, tout en admettant que certaines propositions de reclassement avaient pu être faites aux époux X..., la cour d'appel a derechef violé les textes ci-dessus visés ;
et alors, enfin, qu'en toute hypothèse, l'offre d'un contrat de franchise pouvait constituer une mesure de reclassement, dès lors que la suppression des postes des époux X... était justifiée par la réorganisation des structures de vente de la SNC Comptoirs modernes, qui mettait en oeuvre une politique d'ouverture de magasins sous franchise et de fermeture des magasins exploités par des gérants ;
qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a de nouveau violé lesdits textes ;
Mais attendu que le licenciement économique d'un salarié ne peut intervenir, en cas de suppression d'emploi, que si son reclassement n'est pas possible ;
que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur ne rapportait pas la preuve qu'il avait proposé d'autres emplois au salarié avant de lui offrir un contrat de franchise, a pu décider qu'il n'avait pas respecté son obligation de reclassement ;
qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen
:
Attendu que l'employeur fait encore grief à l'arrêt de l'avoir condamné à payer à M. X... un complément d'indemnité de licenciement, alors, selon le moyen, d'une part, que les dispositions de l'accord collectif national du 18 juillet 1963 ne sont applicables qu'aux "gérants non salariés de succursales de maisons d'alimentation de détail", dont le statut est fixé aux articles
L. 782-1 à L. 787-7 du Code du travail ;
qu'en prenant en considération la période de travail effectuée par M. X..., en qualité de salarié de la société titulaire d'un contrat de travail, antérieurement à 1976, époque de sa nomination en qualité de gérant mandataire non salarié, pour déterminer le montant de l'indemnité de résiliation qui lui était due, à raison de la rupture du contrat de gérance, la cour d'appel a violé les articles 2 et 15 de l'accord collectif national du 18 juillet 1963 ;
et alors, d'autre part, qu'en toute hypothèse, l'ancienneté de services en qualité de salarié ne se cumule pas avec l'ancienneté de services en qualité de non-salarié ;
que, dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article
L. 122-10 du Code du travail ;
Mais attendu que, selon l'article
L. 122-6 du Code du travail, l'ancienneté s'apprécie au regard des services continus chez le même employeur, quels qu'aient été les changements intervenus dans le statut de l'intéressé ;
que c'est à bon droit que la cour d'appel a calculé l'ancienneté sur toute la période de travail passée au service de l'employeur ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Sur la demande présentée au titre de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que le salarié demande, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une indemnité de 10 000 francs ;
Et attendu qu'il y a lieu d'accueillir cette demande ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Comptoirs modernes à payer aux époux X... la somme de dix mille francs en application de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile ;
La condamne également, envers les époux X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-huit juin mil neuf cent quatre-vingt-quinze.