Cour d'appel de Bordeaux, 8 novembre 2018, 17/02464

Synthèse

  • Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
  • Numéro de pourvoi :
    17/02464
  • Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
  • Décision précédente :Tribunal de grande instance de Bordeaux, 21 mars 2017
  • Lien Judilibre :https://www.courdecassation.fr/decision/5fdc5c311e362f8016af6ba8
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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2020-03-25
Cour d'appel de Bordeaux
2018-11-08
Tribunal de grande instance de Bordeaux
2017-03-21

Texte intégral

COUR D'APPEL DE BORDEAUX PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE --------------------------

ARRÊT

DU : 08 NOVEMBRE 2018 (Rédacteur : Catherine BRISSET, conseiller,) N° RG 17/02464 Hervé X..., Marcel, Marie Y... c/ Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'AQUITAINE Nature de la décision : AU FOND Grosse délivrée le : aux avocats Décision déférée à la cour : jugement rendu le 21 mars 2017 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 15/00248) suivant déclaration d'appel du 21 avril 2017 APPELANT : Hervé X..., Marcel, Marie Y... né le [...] à ANTIBES (06) demeurant [...] Assisté par Me Pascal Z... de la A..., avocat au barreau de NICE Et représenté par Me Claire E... substituant Me Laurène B... de la SCP CLAIRE E... & LAURÈNE B..., avocat au barreau de BORDEAUX INTIMÉE : CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL D'AQUITAINE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social 304, boulevard du Président Wilson - [...] Représentée par Me Sylvaine C..., avocat au barreau de BORDEAUX COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 septembre 2018 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Catherine BRISSET, conseiller, chargé du rapport, Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de: Elisabeth LARSABAL, présidente, Catherine BRISSET, conseiller, Sophie BRIEU, Vice-Président placé, Greffier lors des débats : Séléna BONNET ARRÊT : - contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. * * * Selon offre préalable du 21 juillet 2006, acceptée le 1er août 2006, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine (ci-après le Crédit Agricole) a consenti à M. Y... un prêt immobilier d'un montant de 200 000 euros stipulé remboursable en 180 mensualités au taux de 3,70% révisable après une période de neutralisation de la révision de 84 mois. Se prévalant de la déchéance du terme après des impayés, le Crédit Agricole a, par acte du 31 décembre 2014, fait assigner M. Y... en paiement des sommes dues au titre du prêt ainsi que du solde du compte courant. Par jugement du 21 mars 2017, le tribunal a condamné M. Y... à payer au Crédit Agricole les sommes suivantes : 142 925,67 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,75% à compter du 4 novembre 2014, 5 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, 594,65 euros avec intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2014 au titre du solde du compte courant. Le tribunal a en outre ordonné la capitalisation des intérêts. Il a rejeté les autres demandes au titre du devoir de mise en garde du banquier et tendant à l'exécution provisoire et condamné M. Y... à payer au Crédit Agricole la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Pour statuer ainsi le tribunal a considéré que M. Y... était un emprunteur averti de sorte qu'il n'existait pas de devoir de mise en garde et que les sommes étaient établis par le Crédit Agricole sauf à réduire l'indemnité d'exigibilité à la somme de 5 000 euros. M. Y... a relevé appel de la décision le 21 avril 2017. Dans ses dernières écritures en date du 10 juillet 2017, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, M. Y... conclut à la réformation du jugement et formule les demandes suivantes : I ' Sur le prêt du 1er août 2006 Constater que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine n'apporte pas la preuve de ce qu'elle a respecté son obligation de mise en garde à l'égard de Mr Hervé Y... lequel ne pouvait être considéré que comme un emprunteur non averti. Dire et juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine a manqué à son devoir de mise en garde à l'égard de Mr Hervé Y.... Dire et juger que l'indemnité contractuelle de 7 % contenue dans l'acte de prêt s'analyse en une clause pénale.

En conséquence

, Condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine à payer à Mr Hervé Y... la somme de 152.773,83 euros à titre de dommages et intérêts résultant de son préjudice caractérisé par la perte d'une chance ne pas avoir contracté ledit prêt qu'il conviendra le cas échéant de compenser avec les éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées. Dire et juger qu'à compter de la déchéance du terme, le taux d'intérêts contractuel est ramené à 1,15%. Débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine de sa demande relative à l'indemnité contractuelle de 7 % laquelle fait double emploi avec la demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et subsidiairement supprimer ou réduire à un euro symbolique la clause pénale d'un montant excessif de 9.848,16 euros revendiquée par la banque. Voir supprimer du décompte la somme de 2.237,69 euros au titre des intérêts de retard au taux majoré de 4,15 % et la somme de 9.848,16 euros au titre de l'indemnité de recouvrement de 7%. Débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine de sa demande de capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 devenu 1343-2 du code civil. II- Sur le solde débiteur du compte dépôt à vue Dire et juger que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine ne dispose d'aucune créance exigible à l'égard de Mr Hervé Y.... En conséquence, Débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine de sa demande de paiement du solde débiteur de 594,65 euros au titre du compte dépôt à vue. En tout état de cause, Débouter la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions. Condamner la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine au paiement de la somme de 3.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens distraits au profit de la SCP E... & d'AD... Il soutient que c'est à tort que le premier juge l'a considéré comme un emprunteur averti et rappelle que c'est au jour où le contrat a été signé qu'il convient de se placer. Il ajoute que le Crédit Agricole ne peut se retrancher derrière l'absence de risque de l'opération dès lors qu'il ne connaissait pas l'intégralité de sa situation et de ses charges. Sur le quantum des sommes dues il fait valoir que seul le taux contractuel de 1,15% peut être retenu et que la banque ne peut prétendre à la majoration du taux d'intérêt pour avoir exigé le remboursement immédiat. Il estime que l'indemnité de 7% fait double emploi avec l'indemnité pour frais de procédure et constitue en outre une clause pénale réductible. Il estime que les dispositions du code de la consommation font obstacle à la capitalisation des intérêts. Sur le compte de dépôt à vue il discute le caractère exigible de la créance, n'étant pas justifié de la clôture du compte. Dans ses dernières écritures en date du 28 août 2017, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, le Crédit Agricole conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelant au paiement de la somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Il soutient que M. Y... était un emprunteur averti et qu'en outre il n'existait pas de risque caractérisé d'endettement excessif de sorte qu'il n'était pas tenu à un devoir de mise en garde. Sur le quantum des sommes dues, il considère qu'il a été exactement apprécié par le tribunal, la majoration de l'intérêt étant bien due jusqu'à la déchéance du terme. Il conteste que l'indemnité de recouvrement et l'indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile aient le même objet et indique accepter la réduction de la clause pénale à 5 000 euros. Il soutient que la capitalisation des intérêts est de droit. Il soutient enfin que le compte courant, support du prêt, n'a pas été clôturé mais que l'assignation vaut avis de clôture. La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 13 septembre 2018. MOTIFS DE LA DÉCISION Sur le prêt immobilier Bien que les parties n'aient pas présenté leur argumentation dans cet ordre, il convient tout d'abord de caractériser la dette de M. Y... vis à vis de la banque avant d'envisager la question de l'obligation de mise en garde. En effet, M. Y... qui rappelle pourtant que la conséquence d'un manquement à cette obligation s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, ne craint pas de solliciter des dommages et intérêts à hauteur non pas de la somme telle que retenue par le premier juge, acceptée par le Crédit Agricole, et qu'il conteste pour partie, mais à hauteur de la somme réclamée initialement contre lui. La créance de la banque telle que retenue par le premier juge est contestée par M. Y... du point de vue des intérêts et de la clause d'exigibilité. Le décompte présenté par la banque fait apparaître un taux d'intérêt de retard majoré de 3 points jusqu'à la déchéance du terme. Toutefois, c'est à juste titre que M. Y... fait valoir que cette majoration n'est due contractuellement que dans le cas où le prêteur n'exige pas le remboursement immédiat du prêt. Or, en l'espèce il a bien exigé ce remboursement immédiat de sorte qu'il ne peut se prévaloir à la fois de la majoration d'intérêt et de l'indemnité d'exigibilité. Au surplus, à supposer même que le prêteur puisse prétendre à la fois à l'indemnité et à la majoration d'intérêt, ce qui ne correspond pas aux stipulations contractuelles, il s'agirait d'apprécier de manière globale le caractère manifestement excessif de la clause pénale, lequel serait caractérisé. C'est donc à juste titre que M. Y... demande que soit exclue du décompte la somme de 2 237,69 euros. Quant à l'indemnité d'exigibilité de 7%, cette indemnité ne saurait être confondue avec l'indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, laquelle a trait non pas à l'exigibilité anticipée des sommes mais à l'existence d'une procédure judiciaire. Il s'agit d'une clause pénale. Usant de son pouvoir modérateur le premier juge l'a réduite à 5 000 euros. Le Crédit Agricole ne conteste pas cette réduction. Si la clause était certes manifestement excessive, ce qui n'est plus contesté, aucun élément ne conduit à la réduire plus amplement que ce que retenu par le premier juge. Il s'en déduit que la créance de la banque s'établit à la somme de 140 687,98 euros outre 5 000 euros au titre de la clause pénale. S'agissant du cours des intérêts, le taux normal est de 1,15% au regard du décompte présenté par la banque. C'est à la suite de ce qui relève d'une erreur de plume que le taux a été repris dans le jugement à hauteur de 1,75%. Quant à la capitalisation des intérêts, si la banque fait valoir qu'elle est de droit lorsqu'elle est demandée au titre des dispositions de l'article 1154 du code civil tel qu'en vigueur avant le 1er octobre 2016, il s'agit là du régime applicable en droit commun. Or, le prêt est en l'espèce un prêt immobilier soumis aux dispositions du code de la consommation. Le droit spécial dérogeant en l'espèce au droit commun, c'est à juste titre que l'appelant fait valoir que la capitalisation des intérêts vient en contradiction avec la limitation des coûts pouvant être mis à la charge de l'emprunteur par application des dispositions de l'article L 313-52 du code de la consommation (ancien L 313-36). Il n'y a donc pas lieu d'ordonner la capitalisation. Le jugement sera en conséquence confirmé sur la clause pénale ramenée à 5000 euros et infirmé pour le surplus de la dette au titre du prêt immobilier, M. Y... étant condamné au paiement de la somme de 140 687,98 euros avec à compter de la mise en demeure du 4 novembre 2014 intérêts au taux de 1,15% sur 132 923,51 euros et légal pour le surplus. Quant au devoir de mise en garde du banquier, celui-ci suppose la double condition d'un emprunteur profane et d'un prêt faisant naître un risque d'endettement excessif. Il est exact que c'est au jour où le prêt est souscrit, soit en l'espèce en 2006, qu'il convient de se placer pour déterminer si M. Y... peut être qualifié d'emprunteur averti. Peu importe donc qu'au jour où la cour statue M. Y... exerce dans le domaine de l'immobilier et dirige un certain nombre de sociétés. Peu importe également les suppositions du Crédit Agricole sur une société qui aurait été en cours de formation au jour du contrat sans plus d'éléments de preuve. Il n'en demeure pas moins qu'au jour du contrat, si M. Y... percevait une rémunération modeste en qualité de conducteur de travaux à temps partiel, l'essentiel de ses revenus provenait de ses fonctions de gérant salarié de la société ITC Développement laquelle a pour activité l'ingénierie dans le domaine de l'architecture et de l'urbanisme. Il ne saurait prétendre comme il le fait que ses fonctions de gérant étaient exécutés principalement sous la direction de son père. Outre qu'il est à tout le moins singulier pour lui de revendiquer qu'il n'aurait pas exercé la réalité des fonctions de gérant pour lesquelles il était rémunéré, il procède de ce chef par affirmation alors que la banque produit son profil LinkedIn où il revendique des fonctions de direction de la société ITC depuis 1995. L'activité d'ITC Développement était bien liée à une activité immobilière puisque M. Y... lui même dans ses courriers à la banque faisait état de cette activité et de phases de montage pour des opérations relevant de la promotion immobilière. Les opérations dont il est question sont certes postérieures à la souscription du prêt mais il n'apparaît à aucun moment que la société ITC ait changé d'activité. Il s'en déduit que dans de telles circonstances, M. Y... ne pouvait être considéré comme un emprunteur profane. En outre, c'est une double condition qui doit être remplie et le devoir de mise en garde ne naît qu'en présence d'un crédit de nature à engendrer un risque d'endettement excessif. En l'espèce, le prêt était souscrit à hauteur de 200 000 euros pour un investissement total de 431 527,67 euros sans qu'il soit même allégué qu'il existait un concours de financements sur le bien. Il s'agissait de financer la résidence principale de l'emprunteur. Les échéances mensuelles de l'emprunt étaient de 1 446,49 euros. Au cours de l'année 2005, M. Y... avait déclaré un revenu annuel de 87 451 euros, soit de 7 287,58 euros. Il apparaît ainsi que pour le financement de sa résidence principale, qui était celle de la famille alors que son épouse travaille même si son revenu était plus modeste, son taux d'endettement personnel était de moins de 20%. Même en retenant les seuls revenus des quatre premiers mois de l'année 2006, ses revenus mensuels s'établissaient à 5 561 euros soit un taux d'endettement de 26%. Une telle situation n'est pas de nature à faire naître un risque d'endettement excessif. M. Y... soutient cependant que la banque devait se renseigner sur l'intégralité de sa situation financière et patrimoniale, sans même expliciter ce qu'était sa situation et encore moins en justifier. Il n'existait ainsi pas de devoir de mise en garde et la demande indemnitaire est mal fondée. C'est à juste titre que le premier juge l'a rejetée et le jugement sera confirmé de ce chef. Le solde du compte Pour conclure à la réformation de ce chef, M. Y... fait valoir que le compte n'a pas été clôturé de sorte que la créance n'est pas établie par la banque puisque celle-ci ne peut être établie que sur le solde final. Il apparaît cependant que M. Y... a été destinataire d'une mise en demeure au titre de ce solde débiteur et que par ailleurs l'assignation emportait bien clôture du compte de sorte que la somme dont le montant est établi par l'historique du compte est n'est d'ailleurs pas spécialement contestée est bien due. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M. Y... au paiement de ce titre. Les autres demandes. L'appel est très partiellement bien fondé et M. Y... demeure condamné au paiement. Dès lors le jugement sera confirmé sur le sort des dépens de première instance et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. À hauteur d'appel il n'apparaît pas inéquitable que chacune des parties conserve à sa charge les frais et dépens par elle exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour, Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. Y... au paiement de la somme de 142 925,67 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,75% à compter du 4 novembre 2014 et ordonné de ce chef la capitalisation des intérêts, Statuant à nouveau sur ces points, Condamne M. Y... à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Aquitaine la somme de 140 687,98 euros avec à compter du 4 novembre 2014 intérêts au taux de 1,15% sur 132 923,51 euros et légal pour le surplus, Rejette la demande de capitalisation des intérêts, Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions non contraires, Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, Laisse à chacune des parties la charge des dépens exposés en cause d'appel. Le présent arrêt a été signé par Elisabeth LARSABAL, présidente, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. Le Greffier,La Présidente,