Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 avril et 22 décembre 2022, M. B A demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 16 février 2022 par laquelle le maire de Fenouillet a refusé de lui attribuer un complément indemnitaire annuel (CIA) au titre de l'année 2021 ;
2°) d'enjoindre à la commune de Fenouillet, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, de procéder au versement du CIA auquel il pouvait prétendre au regard de son engagement professionnel et de sa manière de servir ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Fenouillet le versement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas bénéficié d'un entretien d'évaluation au titre de l'année 2021 avant sa mutation dans une autre collectivité le 1er décembre 2021 ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article
4 du décret du 20 mai 2014 dès lors qu'elle ne tient pas compte de son engagement professionnel et de sa manière de servir ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce que le maire a considéré à tort que le versement du CIA était facultatif, sans tenir compte de son engagement professionnel et de sa manière de servir ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de son engagement professionnel et de sa manière de servir ;
- il s'approprie les écritures du syndicat SUD Collectivités territoriales de la Haute-Garonne, intervenant au soutien de la demande.
Par un mémoire enregistré le 23 mai 2022, la commune de Fenouillet, représentée par sa directrice générale des services, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- la requête est tardive, et donc, irrecevable ;
- aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Par une intervention, enregistrée le 22 décembre 2022, le
syndicat SUD Collectivités territoriales 31 demande que le tribunal fasse droit aux conclusions de la requête.
Il se réfère aux moyens exposés dans la requête et soutient en outre que :
- son intervention est recevable ;
- les écritures de la commune sont irrecevables dès lors, d'une part, que la délibération autorisant le maire de Fenouillet à ester en justice n'est pas produite et, d'autre part, que la signataire du mémoire en défense ne justifie d'aucune délégation ;
- la requête de M. A n'est pas tardive.
Par une ordonnance du 12 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 février suivant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 ;
- le décret n° 2014-1526 du 16 décembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frindel ;
- et les conclusions de M. Leymarie, rapporteur public.
Considérant ce qui suit
:
1. M. A, adjoint technique territorial, exerçait depuis 2010 des fonctions d'agent polyvalent au sein des services techniques de la commune de Fenouillet, avant d'être muté dans une autre collectivité à compter du 1er décembre 2021. Par deux courriers électroniques des 1er et 16 février 2022, il a demandé à bénéficier d'un entretien d'évaluation professionnelle au titre de l'année 2021, dans la perspective de se voir attribuer le complément indemnitaire annuel (CIA) prévu par son régime indemnitaire au titre de la même année. Par une décision du 16 février 2022, le maire de Fenouillet, interprétant sa demande comme tendant au versement du CIA, l'a rejetée. Par la présente requête, M. A demande au tribunal l'annulation de cette décision en tant qu'elle lui refuse le versement du CIA pour l'année 2021.
Sur l'intervention du
syndicat SUD Collectivités territoriales 31 :
2. Un syndicat de fonctionnaires est recevable à intervenir à l'appui d'une demande d'annulation d'une décision individuelle défavorable concernant un fonctionnaire, présentée devant le juge administratif par le fonctionnaire intéressé, dès lors qu'il justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.
3. A cet égard, le
syndicat SUD Collectivités territoriales 31, dont les statuts prévoient qu'il a pour objet d'assurer la défense individuelle et collective des intérêts professionnels, économiques et sociaux des personnels de la fonction publique territoriale qu'il regroupe, justifie d'un intérêt de nature à rendre recevable son intervention dans la présente instance.
Sur la recevabilité des écritures de la commune de Fenouillet :
4. La qualité de la signataire du mémoire en défense présenté le 23 mai 2022 pour la commune de Fenouillet, qui se borne à conclure au rejet de la requête, est sans incidence sur la solution du litige. Par suite, il n'y a pas lieu d'écarter ces écritures des débats.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune :
5. Aux termes de l'article
R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ".
6. La requête, enregistrée le 6 avril 2022, soit moins de deux mois après l'édiction de la décision attaquée le 16 février 2022, et, a fortiori, moins de deux mois après sa notification, n'est pas tardive. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune doit être écartée.
En ce qui concerne la légalité de la décision attaquée :
7. D'une part, aux termes de l'article
17 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " La valeur professionnelle des fonctionnaires fait l'objet d'une appréciation qui se fonde sur une évaluation individuelle donnant lieu à un compte rendu qui leur est communiqué ". Aux termes de l'article
76 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors applicable : " L'appréciation, par l'autorité territoriale, de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct qui donne lieu à l'établissement d'un compte rendu. () ". Aux termes de l'article 2 du décret susvisé du 16 décembre 2014 relatif à l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires territoriaux : " Le fonctionnaire bénéficie chaque année d'un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. / Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. / La date de l'entretien est fixée par le supérieur hiérarchique direct en fonction, notamment, du calendrier de la commission administrative paritaire dont relève l'agent évalué ". L'application de ces dispositions est subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l'année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d'apprécier sa valeur professionnelle.
8. D'autre part, aux termes de l'article 4 du décret susvisé du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'Etat : " Les fonctionnaires mentionnés à l'article 1er peuvent bénéficier d'un complément indemnitaire annuel qui tient compte de l'engagement professionnel et de la manière de servir, appréciée dans les conditions fixées en application de l'article
55 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. / Il est compris entre 0 et 100 % d'un montant maximal par groupe de fonctions fixé par arrêté du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget et, le cas échéant, du ministre intéressé. Le complément indemnitaire fait l'objet d'un versement annuel, en une ou deux fractions, non reconductible automatiquement d'une année sur l'autre ". Par ailleurs, aux termes de l'article
88 de la loi du 26 janvier 1984 : " Les organes délibérants des collectivités territoriales et de leurs établissements publics fixent les régimes indemnitaires, dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l'Etat. / Ces régimes indemnitaires peuvent tenir compte des conditions d'exercice des fonctions, de l'engagement professionnel et, le cas échéant, des résultats collectifs du service. / Lorsque les services de l'Etat servant de référence bénéficient d'une indemnité servie en deux parts, l'organe délibérant détermine les plafonds applicables à chacune de ces parts et en fixe les critères, sans que la somme des deux parts dépasse le plafond global des primes octroyées aux agents de l'Etat () ". Il résulte de l'application combinée de ces dispositions que le complément indemnitaire annuel est un élément de rémunération variable et personnel, modulé en fonction de la manière de servir de chaque agent, dont le montant est fixé chaque année sur la base de l'évaluation professionnelle de l'agent concerné effectuée dans le cadre de l'entretien professionnel annuel.
9. En application de ces dispositions, et par une délibération du 21 décembre 2018, le conseil municipal de Fenouillet a adopté le régime indemnitaire des agents communaux tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), composé de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) et du CIA.
10. Pour refuser de verser à M. A un CIA au titre de l'année 2021, le maire de Fenouillet s'est fondé sur la circonstance que l'intéressé, qui a quitté les effectifs de la commune le 30 novembre 2021 avant d'intégrer une autre collectivité le 1er décembre suivant, n'avait pas bénéficié d'un entretien d'évaluation au titre de cette même année. Toutefois, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A aurait été durablement absent de son service au cours de l'année 2021, les onze mois au cours desquels il a effectivement exercé ses fonctions au sein des services de la commune de Fenouillet en 2021 étaient suffisants pour permettre à son ancien supérieur hiérarchique direct d'apprécier sa valeur professionnelle. En outre, en l'absence de dispositions législatives ou règlementaires contraires, la circonstance que M. A a été muté en fin d'année 2021 ne faisait obstacle, ni à l'évaluation de sa valeur professionnelle par la collectivité qui l'a employé le plus longtemps au cours de cette année, ni à l'attribution par elle d'un CIA, au prorata de sa durée de présence dans ses services cette année-là. Dans ces conditions, c'est à tort que le maire de Fenouillet a considéré que M. A ne pouvait se voir attribuer un CIA au titre de l'année 2021 faute d'avoir bénéficié d'un entretien professionnel annuel.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A est fondé à demander l'annulation de la décision du 16 février 2022 du maire de Fenouillet lui refusant l'octroi du CIA au titre de l'année 2021.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'exécution du présent jugement implique seulement que le maire de Fenouillet réexamine la demande de M. A tendant à l'octroi du CIA au titre de l'année 2021, dans un délai de trois mois suivant la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
13. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative par M. A, qui n'est pas représenté par un conseil et ne justifie pas des frais exposés au titre de la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention du
syndicat SUD Collectivités territoriales 31 est admise.
Article 2 : La décision du maire de Fenouillet du 16 février 2022 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au maire de Fenouillet de réexaminer la demande de M. A tendant au versement d'un complément indemnitaire annuel au titre de l'année 2021, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. B A, à la commune de Fenouillet et au
syndicat SUD Collectivités territoriales 31.
Délibéré après l'audience du 28 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Poupineau, présidente,
Mme Rousseau, conseillère,
M. Frindel, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2024.
Le rapporteur,
T. FRINDEL
La présidente,
V. POUPINEAULa greffière,
B. RODRIGUEZ
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme :
La greffière en chef,
No 2201963