COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT
AU FOND
DU 14 AVRIL 2023
N° 2023/149
Rôle N° RG 19/13045 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEX2U
[V] [U]
C/
Association APPASE
Copie exécutoire délivrée
le :
14 AVRIL 2023
à :
Me Sarah CUZIN-TOURHAM, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Laure CHIESA, avocat au barreau d'ALPES DE HAUTE-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de DIGNE-LES-BAINS en date du 02 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/112.
APPELANT
Monsieur [V] [U], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Sarah CUZIN-TOURHAM, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Association APPASE, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Laure CHIESA, avocat au barreau des ALPES DE HAUTE-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Janvier 2023 en audience publique. Conformément à l'article
804 du code de procédure civile, Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Avril 2023,
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président, et Monsieur Kamel BENKHIRA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Monsieur [V] [U] a été engagé par l'Association Pour la Promotion des Actions Sociales et Educatives, dite APPASE, suivant contrat de travail à durée déterminée du 1er février 2010 en qualité de stagiaire de contact. A compter du 1er décembre 2010, il a été engagé dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de moniteur adjoint d'animation au sein de l'établissement [5].
Monsieur [U] a bénéficié d'un congé parental entre septembre 2013 et juin 2015.
Par lettre du 9 mars 2016, Monsieur [U] a été convoqué à un entretien préalable et par lettre du 31 mars 2016, il a été licencié pour faute grave pour le motif suivant :
'Vous avez été embauché le 1er février 2010 à poste de stagiaire de contact puis de moniteur-adjoint d'animation, au sein de notre établissement [5], dont le but est la réinsertion et la scolarisation d' un public jeune en difficulté.
En effet, l'établissement [5] est un complexe éducatif disposant de 87 places d'accueil, habilité dans le cadre de la Protection de l'enfance et de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Le pôle accueil hébergement comporte :
o Un internat de 20 lits pour des jeunes de 14 à 21 ans situé à [Localité 3].
o Un service d'hébergement diffus de 9 places, qui est un Service d'Accompagnement Renforcé à l'Autonomie, situé sur [Localité 3] et [Localité 4]; ce service propose un hébergement diffus sur les deux territoires, à destination d'un public à partir de l'âge de 16 ans.
o Un Centre Maternel (6 places) qui prend en charge des jeunes mères avec enfant de moins de 3 ans.
o Un Service d' Accompagnement et de Suivi Educatif à Domicile (S.A.A.S.E.D.) qui accompagne 52 enfants âgés de 0 à 18 ans.
Au sein de l'A.P.P.A.S.E., le dispositif [5] compte 46 salariés dont 36 personnels éducatifs en situation d' accompagnement direct auprès des publics auprès desquels vous intervenez.
Dans le respect d'une démarche éthique et déontologique et au sein d'une équipe pluridisciplinaire, il vous appartient d' accompagner les enfants et les adolescents confiés.
Vous devez animer des activités éducatives dans une perspective de développement de leurs capacités de socialisation, d'autonomie, d'intégration et d'insertion. Cette mission doit s'exercer dans le respect d'un principe de laïcité dûment rappelé dans notre projet associatif.
Plusieurs de vos collègues de travail ont alerté la Direction de l'établissement et de l' association afin de les informer d' agissements de votre part non conformes à ce principe de base.
Certains de vos collègues de [5] nous ont remis une attestation, l'une en date du 24 février 2016 dans laquelle elle atteste avoir constaté « des propos de [V] sur le halal en présence des jeunes et de l'impact auprès des jeunes. Les discussions autour de la religion sont de plus en plus prégnantes et interfèrent dans notre prise en charge ».
Cela est corroboré par les autres attestations.
De même, Madame [P] [H], chef de service, nous a indiqué que « lors d'un repas de midi au sein du foyer et en présence des jeunes du groupe, Monsieur [U] a entamé une discussion concernant les valeurs laïques de notre institution. Valeurs auxquelles il n'adhère nullement et sur lesquelles il revient souvent. (...) Plusieurs jeunes autour de la table, las de cette discussion, ont manifesté leur mécontentement en nous demandant d'arrêter.
Nous vous rappelons que quelles que soient vos convictions personnelles, elles n' ont pas à interférer dans la réalisation de vos missions, cela est d' autant plus important au regard de la charge éducative que vous occupez vis-à-vis des jeunes.
Vos missions nécessitent de maîtriser les techniques éducatives; les techniques d'écoute et de relations à la personne; et les techniques de prévention et de gestion des conflits. Or, en abordant un tel sujet à plusieurs reprises avec les jeunes de l' établissement, vous méconnaissez ces techniques indispensables pour l' exercice de vos missions.
En effet, comme le souligne Madame [P] [H] dans son attestation, elle «s'interroge fortement du discours qu'il véhicule auprès de certains jeunes et de l'impact que cela peut représenter sur leur équilibre psychique.
Il vous appartient d' accompagner les jeunes dans les actes de la vie quotidienne, toutefois, il ne vous appartient pas de débattre avec eux de leur(s) croyance(s) et de leur façon d'appliquer les pratiques qui s'y rattachent.
Cela relève du domaine personnel de chaque jeune et de ce fait, est incompatible avec le projet associatif de l' A.P.P.A.S. E, qui met en avant son « caractère laïc, aconfessionnel et apolitique dans la conduite de ses actions.
Par ailleurs, votre chef de service vous a alerté sur votre comportement et son inadéquation avec les règles en vigueur au sein de l' Association. Toutefois, au lieu de prendre bonne note de sa remarque, vous avez maintenu votre attitude.
En ne prenant pas en compte la remarque de votre supérieur hiérarchique et en poursuivant vos discussions avec les jeunes sur cette thématique, vous méconnaissez l'une des trois caractéristiques de tout contrat de travail, à savoir le respect du lien de subordination dans lequel vous place l'exécution de votre contrat de travail.
En effet, le contrat de travail se caractérise par trois éléments : la fourniture d'une prestation de travail (physique, intellectuelle ou artistique), d'une rémunération (somme d'argent versée au salarié en contrepartie de son travail) et d'un lien de subordination. En refusant de réajuster votre attitude vis-à-vis des jeunes malgré la demande de votre hiérarchie, vous méconnaissez votre lien de subordination.
Nous considérons que votre comportement constitue une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans notre entreprise.
Votre licenciement sera donc effectif dès l'envoi de cette lettre, sans préavis ni indemnité de rupture'.
Contestant la mesure prononcée à son encontre, Monsieur [U] a saisi le conseil de prud'hommes de DIGNE-LES-BAINS, le 28 juin 2018, pour demander, à titre principal, de dire son licenciement nul, sa réintégration et le paiement de ses salaires et à titre subsidiaire, de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et demander le paiement d'indemnités de rupture.
Par jugement de départage du 2 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de DIGNE-LES-BAINS a :
-rejeté les demandes suivantes de Monsieur [U] :
* dire que le licenciement s'analyse comme un licenciement nul.
* ordonner sa réintégration.
* allouer à titre de dommages-intérêts les salaires depuis le 31 mars 2016 jusqu' au jour de sa réintégration.
-rejeté la demande tendant à faire dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
-rejeté la demande tendant à faire dire que le licenciement repose bien sur une faute grave.
-dit que le licenciement a bien une cause réelle et sérieuse, mais seulement en raison de l'existence d'une faute sérieuse et non d'une faute grave.
-rejeté la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
-condamné l'association APPASE à régler à Monsieur [U] les sommes suivantes:
* 4.456,88 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
* 3.342,66 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.
*334,25 € au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis.
-dit n'y avoir lieu à ordonner le remboursement par l'association APPASE des indemnités de chômage réglées à Monsieur [U].
-débouté les parties de leur demande d'article
700 du code de procédure civile.
-rejeté le surplus des demandes.
- constaté l'exécution provisoire de ce jugement, dans la limite maximale de neuf mois de salaires calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaires. Il convient de fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 1.671,33 € brut.
-dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.
Monsieur [U] a interjeté appel de ce jugement.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 8 décembre 2022, il demande à la cour de :
-infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de DIGNE-LES-BAINS le 2 juillet 2019 en formation de départage.
-de rejeter toutes les demandes de l'APPASE.
Statuant à nouveau :
A titre principal :
-dire que le licenciement est nul.
-ordonner la réintégration de Monsieur [U].
-lui allouer l'ensemble des salaires qu'il aurait dû percevoir depuis le 31 mars 2016 jusqu'au jour de la réintégration.
A titre subsidiaire :
-dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
-par conséquent allouer à Monsieur [U] la somme de 10.027,98 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif.
En tout état de cause :
-condamner l'APPASE au versement de 2.500 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2022, l'APPASE demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que les faits reprochés à Monsieur [U] constituait une faute simple et non une faute grave.
- le réformer en ce qu'il a fait droit aux indemnités de licenciement et de préavis.
- débouter Monsieur [U] de l'ensemble de ses demandes.
- reconventionnellement le condamner à verser à l'APPASE la somme de 2.000 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION
Alors que Monsieur [U] demande de juger son licenciement nul pour violation d'une liberté fondamentale, à savoir la liberté d'expression, l'APPASE conclut au bien fondé du licenciement pour faute grave du salarié.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis. Elle doit être prouvée par l'employeur.
Pour démontrer la réalité, l'imputabilité au salarié et la gravité des faits commis et reprochés dans la lettre de licenciement, l'APPASE verse :
- la charte de la laïcité et de la liberté de conscience qui dispose en son article 15 : « l'APPASE est une association laïque et apolitique. Tous les résidents ou personnes suivis ainsi que leur famille sont accompagnés de la même façon quelles que soient leurs convictions, leurs croyances ou l'absence de croyance religieuse.
L'APPASE respecte les croyances et convictions des personnes accueillies, de leur famille ou de leur autorité de tutelle. Les personnes accueillies ont le droit d'exprimer leurs croyances et convictions religieuses. La pratique du culte de la personne accueillie accompagnée ou de sa famille s'exerce dans un cadre intime (chambre individuelle et/ ou lieux adaptés en dehors de l'établissement).
Tout prosélytisme est interdit qu'il soit le fait d'une personne accueillie de sa famille, d'un visiteur, d'un membre du personnel ou d'un bénévole », rappelant que l'APPASE est une association à but non lucratif qui assure des actions sociales et médico-sociales mentionnées à l'article
L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles. En cela, elle mène des missions d'utilité sociale mais n'exerce pas une mission de service public de sorte qu'elle ne compte pas en son sein des agents « fonctionnaires ou contractuels » mais seulement des salariés de droit privé qui ne tirent pas leur obligation de neutralité de l'article 25 de la loi 83-634 du 13 juillet 1983 mais du règlement intérieur de l'établissement dans lequel ils travaillent. Elle invoque également l'article
L.1321-2-1 du code du travail qui dispose : 'le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché'.
- l'attestation de Madame [H], sa chef de service, qui témoigne : « je vous informe que lors d'un repas de midi au sein du foyer et en présence des jeunes du groupe, Mr [U] a entamé une discussion concernant les valeurs laïques de notre institution. Valeurs auxquelles il n'adhère nullement et sur lesquelles il revient souvent. En effet, je l'ai informé qu'il n'y avait plus de viande halal au sein de l'établissement mais que l'alimentation pour les jeunes de religion musulmane serait respecté par le biais de plats appropriés. Ce dernier a expliqué que derrière ses valeurs, on pouvait l'interpréter de bien des façons et que cela n'avait rien à voir avec la viande halal et la religion. Un échange s'est instauré pendant un long moment autour de ce sujet afin de lui faire entendre notre point de vue. Plusieurs jeunes autour de la table, las de cette discussion, ont manifesté leur mécontentement en nous demandant d'arrêter. Un autre jeune a catégoriquement refusé de manger estimant qu'il était en droit de manger halal. Il a fallu que j'intervienne fermement pour que cela s'arrête. J'ai donc terminé en demandant à Mr [U], de prendre rendez-vous avec Mr [A], afin d'en discuter et qu'il pourrait échanger sur ce sujet puisque ce dernier est musulman. Mr [U], m'a alors répondu que le Directeur n'était peut-être pas un vrai musulman ... Face à son positionnement hermétique et catégorique, le dialogue a cessé. Force est de constater que ce n'est pas la première fois que ce salarié revient sur tout ce qui tourne autour de la religion, et qu'il devient impossible de contrôler ses agissements puisque ceux-ci s'effectuent souvent en mon absence voir parfois en l'absence de ses collègues. A l'heure actuelle, je m'interroge fortement du discours qu'il véhicule auprès de certains jeunes et de l'impact que cela peut représenter sur leur équilibre psychique ».
- l'attestation de Madame [Y], monitrice éducatrice, qui atteste : « des propos de [V] sur le halal en présence des jeunes et de l'impact auprès des jeunes. Ces discussions autour de la religion sont de plus en plus prégnantes et interfèrent dans notre prise en charge. Nous ne pouvons pas communiquer avec ce collègue qui n'entend pas nos inquiétudes et doléances et reste sur ses positions. Nos remarques sont mal interprétées et provoquent des tensions pouvant mener à des conflits verbaux. Il devient difficile pour l'ensemble du personnel de travailler de façon posée et seine au vu de ces constats. Certains professionnels ont même peur de dénoncer par peur de représailles ».
- l'attestation de Madame [F], maîtresse de maison qui indique : 'Des propos de [V] sur le halal en présence des jeunes et de l'impact auprès des jeunes. Ces discussions autour de la religion sont de plus en plus prégnantes et interfère dans notre prise en charge. Nous ne pouvons pas communiquer avec ce collègue, qui n'entend pas nos inquiétudes et nos doléances et reste sur ses positions. Nos remarques sont mal interprétées et provoquent des tensions pouvant mener à des conflits verbaux. Il devient difficile pour l'ensemble du personnel de travailler de façon seine et posée au vu de ses constats. Certains professionnels ont même peur de dénoncer par peur de représailles. De plus, certains de ces comportements mettent mal à l' aise. Il va même jusqu'à prendre des photos du frigo pour dire que la température n'est pas bonne alors que ma collègue surveille son bon fonctionnement et fait un relevé des températures ».
- l'attestation de Monsieur [L], moniteur éducateur, qui indique : (sic) « Il n'arrête pas de dire aux jeunes que les plats ne sont pas certifier hallal, ce que les jeunes de religion musulmane font. De ce fait, nous sommes régulièrement obligés d'intervenir à ce sujet et génère des tensions. Il lit les étiquettes des yaourts et autres en faisant attention s'il y a la mention gélatine de porc, ce qu'il divulgue également aux jeunes, qui auparavant n'y prêtaient pas attention. Selon lui toute gélatine est à base de porc donc ne peut manger. Le plus choquant, c'est quand une jeune fille, qui mangeait un yaourt «liégeois» et qu'elle entend ces propos, elle crache dans son assiette et court se rincer la bouche. Tous ces propos impactent fortement et deviennent pesant sur le repas auprès des jeunes. Aujourd'hui, certains jeunes ne mangent plus de viande et surveille les autres en leur mettant la pression. Nous observons que les jeunes font attention à ce qu'ils font, ce qu'ils disent et/ou mangent lorsque notre collègue [V] est présent.
Il va même jusqu'à imprimer des feuilles sur le déroulement de la prière avec comment faire, dire et à qu'elle moment la faire. Il les a fournis à des jeunes qui ne portaient aucune attention à la pratique religieuse auparavant. Il a même parler ouvertement de prière avec ces documents dans le bureau des éducateurs, en ma présence, et celle d'un collègue avec un jeune de façon stricte.
Dernièrement, alors que je souhaite un bon appétit lorsque nous sommes à table avec les jeunes, il prononce des mots en Arabe.
Un collègue est venu me rapporter qu'il filmait les jeunes parce qu'il ne mangeait pas de viande Hallal et pour prouver que les jeunes de religion musulmane ne se nourrisse pas.
Le stagiaire ([X]) dont je suis le maître de stage a était témoin de ce que je viens de relater.
Il se permet même de lui dire de contrôler ses heures de travail et que l'institution n'a pas le droit de le faire travailler de telle ou telle façon.
Mes collègues ([D] et [T]) ont été témoin, à nouveau, des propos de [V] sur le hallal en présence des jeunes et de l'impact auprès des jeunes. Ces discussions autour de la religion sont de plus en plus prégnantes et interfère dans notre prise en charge. Nous ne pouvons pas communiquer avec ce collègue, qui n' entend pas nos inquiétudes et nos doléances et reste sur ses positions. Nos remarques sont mal interprétées et provoquent des tensions pouvant mener à des conflits verbaux. Il devient difficile pour l'ensemble du personnel de travailler de façon seine et posée au vu de ces constats. Certains professionnels ont même peur de dénoncer par peur de représailles.
De plus, certains de ces comportements mettent mal à l'aise. Il va même jusqu'à prendre des photos du frigo pour dire que la température n'est pas bonne alors que ma collègue surveille son bon fonctionnement et fait un relevé des températures ».
- l'attestation de Madame [C], monitrice éducatrice, qui indique (sic) 'Impression des feuilles sur le déroulement de la prière avec comment faire, dire et a qu'elle moment la faire. Il les a fournis à des jeunes qui ne portaient aucune attention à la pratique religieuse auparavant. Il a même parler ouvertement de prière avec ces documents dans le bureau des éducateurs, en ma présence, et celle d'un collègue avec un jeune de façon stricte. Il prononce des mots en Arabe. Il se permet même de lui dire de contrôler ses heures de travail et que l'institution n'a pas le droit de le faire travailler de telle ou telle façon ».
- le compte rendu de l'entretien du 21 mars 2016 dans lequel il est mentionné que Monsieur [U] indique qu' « il dit avoir lu sur un pot de Yaourt : présence de gélatine de porc et a dit que dans le doute lui n'en mangerait pas ».
L'APPASE indique que Monsieur [U] a méconnu les dispositions de la charte de la laïcité et de la liberté de conscience, dont il a eu connaissance et qui est affichée dans chaque établissement ; que le compte rendu du 11 mars 2016 indique bien que Monsieur [U] reconnaît avoir lu la charte mais précise qu'il n'en aurait pas eu un exemplaire ; qu'il en était donc informé et avait la possibilité de la consulter lorsqu'il le souhaitait ; qu'il lui est reproché dans la lettre de licenciement, qui contient des griefs matériellement vérifiables, des actes réitérés de prosélytisme et d'insubordination (il n'adhérait pas aux valeurs laïques de l'institution, il contestait l'arrêt de la nourriture halal et orientait les jeunes sur des pratiques de la religion musulmane, il distribuait les horaires de prières) alors qu'en sa qualité de moniteur éducateur, sa fonction consistait à participer à l'action éducative, à l'animation et à l'organisation de la vie quotidienne de personnes en difficulté ou en situation de handicap et non à débattre avec les jeunes sur leurs croyances et sur leurs façons d'appliquer les pratiques qui s'y rattachent, ni de rallier les jeunes à ses propres croyances et de les orienter ; que ce prosélytisme est d'autant plus condamnable qu'il s'adresse à de jeunes personnes vulnérables ; qu'il s'agit, de la part de Monsieur [U], d'un comportement d'insubordination volontaire et réitéré malgré les mises en garde du chef de service et qui a eu des conséquences sur l'équilibre des jeunes accueillis et sur le bon fonctionnement du service.
Monsieur [U] conteste les griefs qui lui sont reprochés et soutient n'avoir jamais contesté et encore moins outrepassé les restrictions qui lui incombaient en matière d'expression ou de pratique de nature religieuse. Il invoque des versions inventées par les témoins dont les attestations sont dépourvues de toute force probante et sont diffamatoires. Aucun témoignage versé aux débats par l'employeur ne vient soutenir qu'il incitait les jeunes à vérifier la composition de leurs aliments et à surveiller ce qu'ils mangeaient et aucun témoignage ne soutient non plus qu'il incitait les jeunes à ne pas consommer de la gélatine de porc ou à consommer halal. Le fait qu'il révèle la véritable raison à la jeune fille de son refus personnel de ne pas manger le yaourt ne constitue nullement une violation de son obligation de neutralité et encore moins un acte de prosélytisme et le sanctionner pour ce propos n'est ni justifié ni proportionné de la part de l'employeur. Au contraire, cela méconnaît ouvertement sa liberté d'expression. De même, en décembre 2015, au cours d'un repas avec Madame [H], il n'a pas lancé de débat pour contester les valeurs laïques, mais a simplement rappelé à Madame [H] qu'elle ne pouvait prétendre supprimer la viande halal au nom du respect de la laïcité puisqu'en faisant cela, au contraire, l'établissement ne respectait plus la liberté de conscience des jeunes et Madame [H] n'a pas supporté ce recadrage de la part d'un salarié subordonné. Il conteste fermement les allégations de Madame [H] qu'il qualifie de mensongères et conteste également avoir tenu des discours de prescriptions religieuses aux jeunes, précisant qu'il a remis à de jeunes maliens de confession musulmane, qui lui en ont fait la demande, des horaires de prières dans les lieux de cultes en dehors de l'établissement. En les aidant à exercer leur culte, il n' a pas fait un acte de prosélytisme ou une interférence de ses convictions religieuses dans sa prise en charge éducative et il n'a fait que respecter les croyances de ces jeunes migrants en leur facilitant l'exercice de leur liberté de culte, dans le respect du principe de laïcité.
Monsieur [U] conteste la valeur probante des attestations produites par l'employeur et demande de les appréhender avec la plus grande circonspection. Il fait valoir qu'elles sont particulièrement vagues, peu circonstanciées, dactylographiées, certaines ne sont pas accompagnées des cartes d'identité de leurs auteurs et comportent des paragraphes 'copiés-collés' qui leur retirent toute valeur personnalisée. Ce procédé révèle que les témoignages ont été orchestrés par l'équipe qui le détestait et Monsieur [U] déclare que ces attestations sont des faux qui ont été rédigées par une même personne de l'équipe, les autres n'ayant fait que signer. Monsieur [U] demande donc d'écarter ces attestations en ce qu'elles sont dépourvues de toutes force probante.
Il invoque l'article 311-3 du code de l'action sociale et des familles qui garantit l'exercice des droits et libertés individuelles à toute personne prise en charge dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux et l'article 11 de la charte des droits et libertés de la personne accueillie, publiée par la direction générale de l'action sociale, qui dispose que les conditions de la pratique religieuse doivent être facilitées sans que celles-ci puissent faire obstacle aux missions des établissements et services et sous réserve que son exercice ne trouble pas le fonctionnement normal des établissements et services. Ainsi, loin de faire acte de prosélytisme, il n'a fait que « faciliter » la pratique religieuse des jeune accueillis dans le respect de leur religion et de leur dignité, ce dont témoigne Monsieur [B].
Monsieur [U] conclut que l'APPASE a méconnu sa liberté d'expression, ce qui justifie de prononcer la nullité de son licenciement.
*
Pour assurer la charge probatoire qui lui incombe en matière de faute grave, l'APPASE produit cinq attestations de salariés de l'établissement dont aucune ne respecte les exigences de l'article
202 du code de procédure civile.
Ainsi, elles sont toutes dactylographiées et, concernant les attestations de Madame [H] et de Monsieur [C], ne sont pas joints de documents officiels justifiant de l'identité de leur auteur et de leur signature.
La signature figurant sur la copie de la carte nationale d'identité jointe à l'attestation de Madame [F] est totalement divergente de celle inscrite sur l'attestation portant son nom.
Par ailleurs, la cour constate que les attestations de Madame [F] et de Madame [Y] comportent des phrases strictement identiques et les mêmes fautes d'orthographes ('il devient difficile pour l'ensemble de personnel de travailler de façon seine'). Il en est de même des attestations de Monsieur [C] et de Monsieur [L] ('il prononce des mots en Arabe', 'il les (les feuilles sur le déroulement de la prière) a fournis', il imprime 'des feuilles sur le déroulement de la prière avec comment faire, dire et qu'elle moment la faire' etc...). Il en ressort que les contenus de ces attestations résultent en partie de 'copiés-collés' dactylographiés, procédé qui ne permet pas de s'assurer que les faits qui y sont relatés ont été personnellement constatés par leurs auteurs et que ces attestations sont l'exacte expression de leur pensée et de leur appréciation des situations décrites.
Enfin, aucune des attestations ne porte de la main de leur auteur la mention qu'elles ont été établies en vue de sa production en justice et de leur connaissance qu'une fausse attestation de leur part les expose à des sanctions pénales.
Dans ces conditions, les garanties probatoires de ces pièces sont totalement insuffisantes pour rapporter la preuve des faits reprochés à Monsieur [U] et de la faute grave invoquée par l'employeur et ne seront donc pas prises en considération par la cour.
L'APPASE invoque également la charte de la laïcité et de la liberté de conscience qui d'une part pose le principe que l'association est 'laïque et apolitique' et qui, d'autre part interdit, aux membres du personnel tout prosélytisme.
Il ressort des termes employés dans la lettre de licenciement qu'il n'est pas strictement fait référence à un prosélytisme mais qu'il est reproché à Monsieur [U] d'avoir violé le principe de laïcité rappelé dans le projet associatif.
Or, l'APPASE est une association à but non lucratif qui, si elle mène des missions d'utilité sociale, n'exerce pas une mission de service public de sorte que ses salariés ne sont pas, comme les agents, fonctionnaires ou contractuels de la fonction publique, astreints à l'obligation de neutralité au sens de l'article 25 loi 83-634 du 13 juillet 1983.
Le règlement intérieur de l'APPASE ne pose que le principe de l'interdiction, pour les salariés, de tout prosélytisme.
Il ressort du compte rendu de l'entretien préalable que Monsieur [U] a reconnu avoir 'lu sur un pot de yaourt : présence de gélatine de porc et a dit dans le doute que lui n'en mangerait pas'. Il reconnaît également avoir donné à des jeunes, qui lui en avaient fait la demande, les horaires de prières et avoir rappelé à Madame [H] qu'elle ne pouvait prétendre supprimer la viande halal au nom du respect de la laïcité, versions qu'il maintient dans ses conclusions. Le grief de prosélytisme (qui s'entend comme un zèle ardent pour recruter des adeptes) ne peut se fonder sur cette seule version reconnue des faits.
Par ailleurs, les griefs évoqués dans la lettre de licenciement (le fait de ne pas accomplir sa mission professionnelle dans le respect de la laïcité, de susciter des débats sur la religion qui interférent sur la prise en charge des jeunes hébergés, qui les perturbent ainsi que le bon fonctionnement du service) ne sont établis par aucune autre pièce que les attestations produites par l'employeur et qui ont été jugées comme n'ayant pas de valeur probante suffisante.
Il en est de même du grief relatif à son insubordination qui ne résulte qu'aucune pièce produite au débat.
Il en résulte que le licenciement n'est pas fondé.
Monsieur [U] invoque la nullité de son licenciement en ce que l'employeur a méconnu une liberté fondamentale, à savoir sa liberté d'expression.
Cependant, intervenant dans le cadre d'une association affirmant ses valeurs laïques et de neutralité à l'égard des religions et auprès d'un jeune public fragile et vulnérable, Monsieur [U] était tenu à une obligation de retenue dans l'exercice de ses fonctions. Ainsi, distribuer notamment les horaires de prières ne rentre pas dans le cadre de la liberté d'expression, ce d'autant qu'il ne justifie pas qu'il pouvait prendre une telle initiative sans l'accord du chef de service. Au regard de ce contexte professionnel, de la nature des tâches confiées au salarié et au but recherché par l'association, Monsieur [U] ne saurait utilement invoquer une violation ou même une restriction infondée à sa liberté d'expression.
La demande de nullité du licenciement sera donc écartée.
En application des dispositions de l'article
L.1235-3 du code du travail, et compte tenu de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (38 ans), de son ancienneté (6 ans révolus), de sa qualification, de sa rémunération (1.671,33 €), des circonstances de la rupture mais également de l'absence de justification de sa situation professionnelle postérieurement à la rupture du contrat de travail, il convient d'accorder à Monsieur [U] une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 10.027,98 €.
Monsieur [U] qui, dans le dispositif de ses conclusions, demande l'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, ne demande pas à la cour de confirmer les dispositions du jugement relatives à l'indemnité conventionnelle de licenciement, à l'indemnité de préavis et aux congés payés afférents.
Sur l'article
700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.
Il est équitable de condamner l'APPASE à payer à Monsieur [U] la somme de 2.500 € au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a engagés en première instance et en cause d'appel.
Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de l'APPASE, partie succombante par application de l'article
696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l'article
450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud'homale,
Infirme jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le licenciement de Monsieur [V] [U] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne l'Association Pour la Promotion des Actions Sociales et Educatives, dite APPASE à payer à Monsieur [V] [U] la somme de 10.027,98 € au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne l'Association Pour la Promotion des Actions Sociales et Educatives, dite APPASE à payer à Monsieur [V] [U] la somme de 2.500 € au titre l'article
700 du code de procédure civile,
Condamne l'Association Pour la Promotion des Actions Sociales et Educatives, dite APPASE aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction