Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2021, M. A C, représenté par Me Dupy, demande au tribunal :
1°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser la somme de 20 061 euros au titre des préjudices subis par son épouse, Mme D épouse C, en sa qualité de victime directe, lors de sa prise en charge à l'hôpital des Broussailles à Cannes ;
2°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser la somme la somme de 25 000 euros en sa qualité de victime indirecte suite aux préjudices subis lors de la prise en charge de son épouse à l'hôpital des Broussailles à Cannes ;
3°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser la somme de 25 000 euros, en sa qualité de représentant de son enfant mineur, victime indirecte, suite aux préjudices subis par sa mère lors de sa prise en charge à l'hôpital des Broussailles à Cannes ;
4°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux a conclu que son épouse avait été victime d'une infection nosocomiale ayant causé son décès et que ses héritiers étaient fondés à demander réparation des préjudices subis ;
- la commission a indiqué que l'ONIAM devait lui adresser une offre d'indemnisation dans un délai de quatre mois ;
- aucune offre ne lui a été faite ;
- il est fondé à demander la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, ainsi que ceux de son fils, en application des dispositions de l'article
L. 1142-20 du code de la santé publique, et qui se décomposent comme suit :
* au titre des préjudices subis par, son épouse, victime directe :
- déficit fonctionnel temporaire : 500 euros ;
- souffrances endurées : 15 561 euros ;
* au titre de son préjudice d'affection : 25 000 euros ;
* au titre du préjudice d'affection subi par son fils : 25 000 euros.
Par un mémoire, enregistré le 15 février 2021, la caisse primaire d'assurance maladie du Var indique qu'elle n'entend pas intervenir dans la présente instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2021, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, représenté par Me Fitoussi, conclut :
1°) à ce que les demandes indemnitaires soient ramenées à de plus justes proportions ;
2°) au rejet de la demande présentée au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales fait valoir que :
- il ne conteste pas l'obligation d'indemniser les conséquences dommageables imputables au décès de Mme D ;
- les prétentions indemnitaires doivent être ramenées à de plus justes proportions.
Par ordonnance du 7 octobre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 28 octobre 2021 à 12 heures.
Vu :
- l'ordonnance de la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille du 20 mars 2019 ordonnant une expertise ;
- l'ordonnance n° 18MA05392 de la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille du 20 janvier 2020 taxant et liquidant les frais d'expertise confiée à MM. Desoursseaux, Flipo, Sollet et Bénichou aux sommes respectives de 2 080 euros, 700 euros, 1 000 euros et 700 euros et les mettant à la charge de l'ONIAM ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 19 mars 2024 :
- le rapport de Mme Chaumont, première conseillère,
- les conclusions de Mme Moutry, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme B D épouse C, née le 19 juin 1992, présentait une psychose dissociative grave compliquée par une désocialisation et des conduites autodestructives. Alors qu'elle était enceinte de six mois, elle a été hospitalisée en psychiatrie du 8 avril au 14 avril 2016. Le 3 mai 2016, elle a de nouveau été hospitalisée en raison de ses troubles. Une césarienne a alors été programmée et réalisée au centre hospitalier de Cannes le 28 juin 2016 sous antibioprophylaxie. Le 29 juin suivant, Mme C a pu rejoindre le service de psychiatrie. Toutefois, des douleurs ont été signalées et des signes digestifs sont apparus le 1er juillet 2016. Un état de choc septique a été constaté à 18 heures et un transfert en réanimation a été décidé à 23 heures. Une intervention en urgence a été réalisée en raison de la suspicion d'une péritonite avec perforation. Les analyses ont montré la présence de clostridium difficile faisant conclure à une colite nécrosante consécutive à une infection à ce germe. L'état de choc septique a persisté mais il a toutefois été décidé, en accord avec la famille, d'arrêter les soins actifs, de mettre en place une alimentation parentérale totale et de procéder à une amputation du pied, le contexte de psychose grave dont souffrait Mme C rendant sa prise en charge quasiment impossible. Mme C est décédée le 14 juillet 2016.
2. M. C, agissant en qualité d'ayant droit de son épouse, en sa qualité de victime indirecte et en tant que représentant de son fils mineur, a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) Provence Alpes Côte d'Azur d'une demande en réparation des conséquences dommageables liées au décès de son épouse suite aux soins dispensés au centre hospitalier de Cannes à compter du 28 juin 2016. Par un avis du 9 septembre 2020, la CRCI Provence Alpes Côte d'Azur a estimé que l'infection nosocomiale dont Mme C a été victime ouvrait droit à réparation au titre des préjudices en découlant par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale et que l'office adresserait à M. C, dans un délai de quatre mois et dans les conditions posées par l'article
L. 1142-17 du code de la santé publique, une offre d'indemnisation. Par la présente requête, M. C demande au tribunal, sur le fondement de l'article
L. 1142-20 du code de la santé publique, de condamner l'ONIAM à l'indemniser des préjudices subis suite au décès de son épouse lors de sa prise en charge au centre hospitalier de Cannes le 28 juin 2016.
Sur la responsabilité :
3. D'une part, aux termes de l'article
L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article
L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; () ". Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial au sens de ces dispositions une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
4. Il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été exposé au point 1, que Mme C a présenté, quelques jours après sa césarienne du 28 juin 2016, un état de choc septique ayant conduit à son transfert en service de réanimation le 1er juillet suivant et que les prélèvements réalisés le 4 juillet 2016 sont revenus positifs au germe clostridium difficile, faisant conclure à une colite nécrosante. Il ne résulte pas de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du docteur E, remis à la cour administrative d'appel de Marseille en 24 décembre 2019, que l'infection contractée par Mme C dans les suites de sa césarienne du 28 juin 2016 était présente ou en incubation au début de celle-ci. Il résulte également de l'instruction, notamment de l'avis précité de la CCI Provence Alpes Côte d'Azur qu'il s'agit d'une infection nosocomiale en lien avec l'hospitalisation et que le centre hospitalier de Cannes n'a pas apporté la preuve d'une cause étrangère à cette infection. Enfin, il résulte de l'instruction que cette infection nosocomiale a contribué au décès de Mme C.
5. D'autre part, aux termes de l'article
L. 1142-20 du code de la santé publique : " La victime, ou ses ayants droit, dispose du droit d'action en justice contre l'office si aucune offre ne lui a été présentée ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. L'action en indemnisation est intentée devant la juridiction compétente selon la nature du fait générateur du dommage. ".
6. Il résulte de l'instruction que l'ONIAM ne conteste pas être tenu de verser à M. C, en sa qualité d'ayant droit de la victime et en sa qualité de représentant de son fils, les montants correspondants à l'ensemble des préjudices qui sont imputables à l'infection nosocomiale dont Mme C a été victime le 28 juin 2016 à l'occasion d'une intervention pour césarienne.
7. Il résulte de ce qui précède que M. C est fondé à solliciter l'engagement de la responsabilité de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale sur le fondement de l'article
L. 1142-1-1 du code de la santé publique.
Sur l'indemnisation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices de Mme C, victime directe :
8. Le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause. Si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers.
9. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise précité, que Mme C a principalement enduré des souffrances physiques consécutives à l'infection nosocomiale a clostridium difficile, infection particulièrement grave et fulgurante, qui a nécessité son placement en service de réanimation et qui ont été évaluées par la CRCI à 5 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 15 000 euros.
10. En second lieu, il résulte de l'instruction que Mme C a présenté un déficit fonctionnel temporaire total du 4 juillet au 14 juillet 2016, soit pendant 15 jours. Il sera fait une juste appréciation du préjudice résultant du déficit fonctionnel temporaire de Mme C en le fixant, sur une base de 16 euros par jour, à la somme de 240 euros.
11. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 15 240 euros au bénéfice de la succession de Mme C.
En ce qui concerne les préjudices de l'époux et du fils de Mme C, victimes indirectes :
12. Il résulte de l'instruction que le décès de Mme C a causé un préjudice d'affection à son époux et à son fils, dont il sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 25 000 euros pour chacun d'entre eux.
13. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 25 000 euros à verser à au requérant et à son fils.
Sur les frais d'expertise :
14. Par ordonnance en date du 20 janvier 2020, la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille a liquidé et taxé les frais de l'expertise qu'elle a ordonné le 20 mars 2019 à la somme de 4 480 euros toutes taxes comprises. En vertu des dispositions de l'article
R. 761-1 du code de justice administrative, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre lesdits frais à la charge définitive de l'ONIAM.
Sur les frais de procédure :
15. Aux termes de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
16. Il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'ONIAM est condamnée à verser à la succession de Mme D épouse C la somme de 15 240 euros.
Article 2 : L'ONIAM est condamné à verser à M. C, en sa qualité de victime indirecte et en sa qualité de représentant légal de son fils, la somme de 50 000 euros.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 4 480 euros par ordonnance du 20 janvier 2020, sont mis à la charge définitive de l'ONIAM.
Article 4 : L'ONIAM versera à M. C la somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. C, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie du Var.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pascal, président,
Mme Chaumont, première conseillère,
Mme Duroux, première conseillère,
Assistés de Mme Ravera, greffière.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.
La rapporteure,
signé
A-C. CHAUMONT
Le président,
signé
F. PASCAL La greffière,
signé
C. RAVERA
La République mande et ordonne au préfet des Alpes-Maritimes en ce qui le concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour le greffier en chef,
Ou par délégation la greffière.