AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
I Sur le pourvoi n° F 97-17.574 formé par la société X...,
en cassation d'un arrêt rendu le 3 juillet 1997 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre civile, 1re section), au profit de Y...,
defendeur à la cassation ;
II Sur le pourvoi n° R 98-11.446 formé par la société X...,
en cassation d'un arrêt rendu le 9 octobre 1997 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre civile, 1re section), au profit de Y...,
défendeur à la cassation ;
La demanderesse au pourvoi n° F 97-17.574 invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi n° R 98-11.446 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 16 mai 2000, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Leclercq, conseiller rapporteur, M. Poullain, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Leclercq, conseiller, les observations de la SCP Monod et Colin, avocat de la société X..., de la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat de Y..., les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Joint les pourvois n° F 97-17.574 et n° R 98-11.446, qui sont connexes ;
Attendu, selon le premier arrêt attaqué (Versailles, 3 juillet 1997), que la société Diamant Industrie a tiré 4 lettres de change sur la société X... pour le paiement d'éléments de plafonds ; que le Y... est devenu porteur de ces lettres de change pour les avoir escomptées ; que les lettres de change ont été impayées à leurs échéances ; que le Y... en a judiciairement réclamé paiement à la société X... ; que celle-ci a demandé un sursis à statuer dans l'attente de la décision pénale à intervenir à la suite de sa plainte avec constitution de partie civile pour le faux et l'usage de faux commis, selon elle, sur les lettres de change ; qu'en première instance ce sursis a été refusé, et que l'arrêt d'appel est intervenu après la décision de non-lieu rendu par la juridiction pénale d'instruction ; que la société X... a également prétendu n'être pas la société désignée sur les effets, lesquels, selon elle, auraient été établis au nom d'une société anonyme "Etablissements D. X...", qui a cessé toute activité, et dont elle-même, la société X... SA, a repris les actifs ; que la cour d'appel a écarté cette prétention ; que la société X... a encore prétendu n'être pas débitrice des montants réclamés, eu égard à l'importance des retards et malfaçons imputables à la société Diamant industrie ; que la cour d'appel, se référant à un rapport d'expertise concluant à un partage de responsabilité pour les retards et malfaçons évoqués, a condamné la société X... à payer au Y..., en deniers ou quittances, la somme de 1 070 170,87 francs ; qu'un arrêt rectificatif en date du 9 octobre 1997 a décidé le remplacement de la mention "le greffier qui a participé au délibéré" inscrite à la fin du premier arrêt par la mention "le greffier qui a participé au prononcé" ;
Sur le premier moyen
soutenu à l'appui du pourvoi n° F 97-17.574 et sur le moyen unique, pris en ses deux branches, soutenu à l'appui du pourvoi n° R 98-11.446 :
Attendu que la société X... fait grief aux arrêts des mentions relatives à la participation du greffier au délibéré, alors, selon les pourvois, 1 / que les délibérations des juges sont secrètes ; que l'arrêt mentionnant expressément la présence au délibéré du greffier l'ayant signé, a été rendu en violation des articles
447,
448 et
458 du nouveau Code de procédure civile ; 2 / que la mention d'un jugement constatant la présence du greffier au délibéré vaut jusqu'à inscription de faux ; que ce vice ne peut être réparé, l'inobservation des prescriptions légales résultant de la décision elle-même ; qu'ainsi, en retenant que l'arrêt du 3 juillet 1997 constatant que le greffier avait assisté au délibéré était, sur ce point, entaché d'erreur matérielle et en ordonnant la rectification de cette erreur en application de l'article
462 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel a violé ce texte ensemble les articles
457 et
459 de ce Code ; 3 / et en tout état de cause, qu'en se fondant, pour dire la mention expresse de son précédent arrêt selon laquelle le greffier a assisté au délibéré entaché d'erreur matérielle, sur une autre mention de l'arrêt énonçant que les magistrats avaient délibéré conformément à la loi et sur ce que, selon elle, la raison commande, sans relever aucun élément de nature
à établir, de manière irréfragable, que le délibéré s'est déroulé en dehors de la présence du greffier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article
462 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a pu estimer que la mention de la participation du greffier au délibéré avait été portée à la fin de l'arrêt à la suite d'une erreur matérielle, dès lors qu'elle était contredite par une autre indication, selon laquelle seuls les magistrats avaient délibéré ; que les moyens ne sont fondés en aucune de leurs branches ;
Sur le deuxième moyen
soutenu à l'appui du pourvoi n° F 97-17.574, pris en ses trois branches :
Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt du 3 juillet 1997 du rejet de ses prétentions sur l'inexactitude de sa désignation dans les effets litigieux, alors, selon le pourvoi, 1 / que l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui sont définitives et statuent sur le fond de l'action publique, et non aux ordonnances de non-lieu, qui sont provisoires et révocables en cas de survenance de charges nouvelles ;
que la cour d'appel qui, pour estimer que la fausseté des mentions ou de la cause des traites litigieuses était définitivement écartée, s'est fondée sur le prononcé d'une ordonnance de non-lieu, a méconnu le principe de l'autorité absolue de la chose jugée au pénal ; 2 /, que la lettre de change contient le nom de celui qui doit payer (tiré) ; que la cour d'appel, pour juger valables les effets mentionnant comme tiré la "SA X...", a estimé que ces traites comportaient le nom et l'adresse du tiré, et qu'il importait peu que le numéro de compte de domiciliation fasse référence à un compte ouvert au nom de la société anonyme "Etablissements X...", les erreurs sur la dénomination commises par le banquier ou son client dans leurs relations étant étrangères au rapport cambiaire ou fondamental dont la traite était le support ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas un doute sur la personne désignée comme tiré du fait qu'il n'existe pas de société ayant pour raison sociale "SA X...", et que le compte dont le numéro était mentionné sur les lettres de change était celui de la société anonyme Etablissements D. X..., qui constitue une personne morale distincte de celle de l'exposante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 110, 3 , du Code de commerce ; 3 / que l'extrait K bis du 4 janvier 1990 produit avec les extraits des 5 janvier 1990 et 14 février 1995 concernant la société X... SA, était celui de la société anonyme "Etablissements D. X..." ; que la cour d'appel, qui énonce que la dénomination et l'adresse exactes du tiré (SA X... ...) mentionnées sur chacune des traites querellées est conforme à l'extrait K bis du 4 janvier 1990 versé au dossier, a dénaturé l'extrait précité, qui mentionne une autre société et a violé l'article
1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que si par une formulation générale inopérante, la cour d'appel a, surabondamment, énoncé que "la fausseté des mentions ou de la cause des traites litigieuses est définitivement écartée" en conséquence du non-lieu opposé par la juridiction pénale d'instruction à la plainte pour faux et usage de faux, elle n'a pas entendu pour autant opposer l'autorité de chose jugée aux moyens invoqués par la société X..., et relative aux divergences entre son nom social, ainsi que ses références bancaires, et les mentions des effets sur la désignation du tiré, ainsi que la domiciliation bancaire qui y était portée ; qu'elle a, au contraire, examiné ces moyens, les seuls soutenus par la société X... pour contester la "régularité des effets" ;
que le grief de la première branche est, dès lors, irrecevable pour défaut d'intérêt ;
Attendu, d'autre part, que c'est par une appréciation souveraine des éléments en débat devant elle que la cour d'appel a retenu que malgré quelques erreurs matérielles les indications sur la désignation du tiré, telles que portées sur les effets litigieux, étaient suffisamment précises pour retenir qu'elle se référait à la société X... SA ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen
, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt de sa condamnation à paiement, alors, selon le pourvoi, 1 / que la société X... SA contestait l'affirmation du Y... selon laquelle elle aurait reconnu devoir la somme de 1 070 170,87 francs, le document invoqué par la banque se bornant à récapituler le montant de la commande, les sommes versées à la société Diamant industrie et les sommes encore réclamées par cette dernière société ; que l'arrêt attaqué qui énonce qu'il apparaît que la société X... ne conteste ni le principe ni le montant de sa créance, dès lors que cette preuve résulte de ses propres documents, a violé l'article
4 du nouveau Code de procédure civile ; 2 / que la société X... SA contestait les conclusions du rapport d'expertise judiciaire sur la part de responsabilité de la société Diamant industrie ; que l'arrêt attaqué qui énonce que la société X... SA n'a pas contesté la pertinence du rapport d'expertise, a violé l'article
4 du nouveau Code de procédure civile ; 3 / que sauf convention particulière, l'obligation, pour l'acheteur, de payer le prix de vente résulte de l'exécution complète, par le vendeur, de son obligation de délivrance ;
que la cour d'appel qui, pour condamner la société X... à payer à la banque le montant de lettres de changes non acceptées émises par la société Diamant Industrie, a retenu que la créance du tiré au titre du préjudice résultant de la défaillance du tireur n'était ni liquide ni exigible et sans lien de connexité avec la créance de provision et que le tiré avait déclaré tardivement sa créance au redressement judiciaire du tireur sans justifier avoir été relevé de la forclusion, a violé les articles
1604 et
1651 du Code civil ; 3 / et en tout état de cause, que la société X... avait fait valoir que suivant sa demande, acceptée par la société Diamant industrie, le solde de 75 % du prix était payable par billets à ordre classiques émis par elle-même 60 jours à fin de mois au fur et à mesure des livraisons, mais que la société Diamant Industrie avait émis sans son accord quatre lettres de change ; que la cour d'appel qui a condamné la société exposante au paiement des lettres de change litigieuses, sans s'expliquer sur l'accord des parties sur un autre mode de paiement n'a pas satisfait aux exigences des articles
455 et
458 du nouveau Code de procédure civile et a privé sa décision de base légale au regard de l'article
1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que c'est sans méconnaître l'objet du litige que la cour d'appel a retenu que celui-ci ne portait pas sur le prix des marchandises livrées par la société Diamant industrie, mais seulement sur l'incidence de ses "prétendues défaillances" ;
Attendu, d'autre part, que c'est également sans méconnaître l'objet du litige que la cour d'appel a retenu que la société X... ne formulait pas de contestation contre le rapport d'expertise, dès lors que dans ses écritures, elle n'invoquait aucun fait précis contraire aux constatations du rapport, dont elle se bornait à critiquer la conclusion ;
Attendu, de plus, que c'est sans méconnaître les dispositions légales citées au moyen que la cour d'appel a retenu que l'exception d'inexécution défectueuse ou tardive d'une livraison ne pouvait être invoquée pour obtenir une réduction du prix, ou une compensation, que si elle était déclarée auprès de l'administrateur au redressement judiciaire de la société prétendument défaillante ;
Attendu, enfin, que la cour d'appel n'avait pas à s'expliquer sur les conséquences du manquement prétendu de la société Diamant industrie aux stipulations sur les modalités de paiement, dès lors qu'elle avait retenu que les lettres de change litigieuses correspondaient au prix effectivement dû par la société X... ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société X... aux dépens ;
Vu l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande du Y... industriel de l'Ouest ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille.