COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 58F
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 OCTOBRE 2022
N° RG 21/01660 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UL6D
AFFAIRE :
Société BALCIA INSURANCE SE
C/
S.A. ENEDIS
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Février 2021 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 1
N° RG : 2019/F0103
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Marion PERRIN
Me Stéphanie GAUTIER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Société BALCIA INSURANCE SE nouvelle dénomination de la société 'BTA INSURANCE COMPANY SE' dont le siège social est [Adresse 5])
Domicile élu au cabinet de Me Thomas DU PAVILLON
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Marion PERRIN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 84 - N° du dossier 202110
Représentant : Me Thomas DU PAVILLON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0921
APPELANTE
****************
S.A. ENEDIS
RCS Nanterre n° 444 608 442
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentant : Me Stéphanie GAUTIER de la SELARL DES DEUX PALAIS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 38 - N° du dossier 210853
Représentant : Me Gilles ROUMENS de la SCP COURTEAUD PELLISSIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0023
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article
805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 12 juin 2014, la commune d'[Localité 4] a subi une coupure de courant due à une rupture de neutre sur le réseau souterrain de distribution électrique exploité par la société ERDF, désormais dénommée Enedis.
La société Ineo, gestionnaire du réseau d'éclairage public pour le compte de la commune d'[Localité 4], est intervenue pour remplacer plusieurs équipements d'éclairage public sinistrés.
Le 15 janvier 2015, une expertise amiable a été diligentée à l'initiative de la société Balcia Insurance SE (ci-après Balcia), assureur de la commune d'[Localité 4], expertise à laquelle a participé la société ERDF, assistée de son propre expert.
Sur la base du chiffrage arrêté contradictoirement, la société Balcia a versé à son assurée la somme de 26.212, 65 €, déduction faite d'une franchise de 500 €.
Par acte du 29 mai 2019, la société Balcia, agissant en qualité de subrogée, a assigné la société Enedis devant le tribunal de commerce de Nanterre en paiement de la somme de 26.712,65 €, outre intérêts.
Par jugement contradictoire du 3 février 2021, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- Dit que la SDE Balcia Insurance SE est irrecevable en ses demandes pour cause de prescription ;
- Condamné la SDE Balcia Insurance SE à payer à la SA Enedis la somme de 3.000 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;
- Condamné la SDE Balcia Insurance SE aux dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe le 12 mars 2021, la société Balcia a interjeté appel du jugement.
Par ordonnance du 3 juin 2022, le conseiller de la mise en état de la 12e chambre de la cour d'appel de Versailles a :
- Donné acte à la SA Enedis de son désistement d'incident et à la société Balcia Insurance SE société de droit étranger, nouvelle dénomination de la société BTA Insurance Company SE, de son acceptation ;
- Constaté l'extinction de l'incident ;
- Dit que les dépens resteront à la charge des parties.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 27 avril 2022, la société Balcia Insurance SE demande à la cour de :
- Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
- Déclarer entièrement responsable du sinistre objet de la présente instance la société Enedis ;
- Condamner la société Enedis à payer à la société Balcia la somme de 26.712,65 €, somme à majorer des intérêts de droit à calculer aux taux d'intérêts successifs à compter de la date de l'assignation et jusqu'au jour du parfait paiement ;
- Ordonner la capitalisation des intérêts dans les termes et conditions de l'article
1343-2 du code civil ;
- Condamner la société Enedis à payer à la société Balcia la somme de 5.000 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Enedis aux entiers dépens de la présente instance, dont distraction au profit de Me Marion Perrin, avocat sur ses offres et affirmations de droit.
Par dernières conclusions notifiées le 18 mai 2022, la société Enedis demande à la cour de :
- Déclarer la société Enedis recevable et bien fondée en ses demandes et conclusions ;
- Confirmer le jugement prononcé le 3 février 2021 par le tribunal de commerce de Nanterre ;
y faisant droit,
Sur la prescription :
- Dire et juger que la société Balcia a exercé son action, fondée sur un défaut de l'électricité fournie, plus de trois ans après avoir eu connaissance du dommage, du défaut allégué du produit, en l'occurrence la surtension, et de l'identité du producteur ;
- Déclarer, en conséquence, leur action irrecevable comme prescrite ;
Très subsidiairement, sur le fond :
- Dire et juger que la société Balcia ne bénéficie pas de l'option prévue par l'article
1245-17 du code civil ;
- Dire et juger que la société Balcia ne démontre pas l'existence d'une faute contractuelle imputable à la société Enedis ;
- Dire et juger que la société Balcia ne justifie pas des préjudices prétendument subis par son assurée ;
- Dire et juger que les dommages sont consécutifs à une non-conformité de l'utilisation du réseau par la commune d'[Localité 4] qui a utilisé un neutre commun avec le réseau de distribution publique alors qu'un départ dédié (3 phases+neutre) était mis à sa disposition par la société Enedis spécifiquement pour le réseau d'éclairage public ;
- Dire et juger qu'en application de l'article
1245-1 du code civil, la commune d'[Localité 4] doit conserver à sa charge une franchise de 500 € ;
En tout état de cause,
- Dire que la demanderesse ne justifie ni de l'obligation à garantie de la société Balcia ni de la franchise contractuelle restée à la charge de la commune d'[Localité 4] ;
en conséquence,
- Rejeter purement et simplement comme infondées toutes demandes, y compris celles fondées sur les dispositions de l'article
700 du code de procédure civile ;
En toutes hypothèses,
- Condamner la société Balcia à payer à la société Enedis la somme de 5.000 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Balcia aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel et, concernant ces derniers, autoriser Me Stéphanie Gautier, membre de la SELARL Des deux Palais, avocat, à se prévaloir des dispositions de l'article
699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 juin 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article
455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la prescription
La société Balcia reproche au tribunal de commerce d'avoir déclaré irrecevable comme prescrite son action en retenant que le litige relevait du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.
Elle soutient qu'en application de l'article
1245-17 du code civil, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'est pas exclusif d'autres régimes de responsabilité ; que la société Enedis est tenue des obligations contractées au titre de la gestion du réseau ; que la surtension à l'origine des désordres, objet de la présente instance, est de nature à engager la responsabilité contractuelle de la société Enedis, sur le terrain de la faute ; que la société Enedis a manqué à son obligation de résultat.
Elle fait en outre valoir que le code de l'énergie prévoit dans son article L.322-12 un régime spécial de responsabilité, qui fait peser une véritable obligation, et non une simple incitation, sur les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité, cette obligation ayant pour finalité de protéger l'usager et le consommateur ; qu'en l'espèce, la faute est caractérisée par le manquement du gestionnaire, la société Enedis à son obligation d'assurer une desserte en électricité d'une qualité régulière, définie et compatible avec les utilisations usuelles de l'énergie électrique.
Elle rappelle que l'action sur le terrain de la faute se prescrit par cinq ans en application de l'article
2224 du code civil et qu'elle a agi dans ce délai. Elle en déduit que son action n'est pas prescrite.
La société Enedis oppose la prescription de l'action introduite par la société Balcia, soutenant que seule la responsabilité du fait des produits défectueux, prévue par les articles 1245 et suivants du code civil, peut être invoquée dès lors que l'origine de l'incident en cause n'est pas une rupture d'alimentation mais un défaut dans la qualité de l'électricité livrée.
Elle indique que le manquement susceptible d'engager sa responsabilité ne saurait être autre chose que d'avoir fourni un produit ne présentant pas la sécurité que le client est en droit d'attendre et rappelle l'impossibilité technique d'assurer une distribution strictement continue.
Elle ajoute qu'en tout état de cause, la société Balcia est défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombe, qu'elle ne peut se prévaloir du régime de la responsabilité contractuelle sans fournir le contrat de son assurée, la commune d'[Localité 4].
*****
Il résulte des articles
1245,
1245-2 et
1245-3 du code civil que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, que l'électricité est considérée comme un produit et qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Selon l'article
1245-16 du code civil, l'action en réparation fondée sur les règles de la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
S'il est exact que l'article
1245-17 du code civil dispose que le régime de responsabilité des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, c'est cependant à la condition que sa demande repose sur un fondement différent de la défectuosité du produit, tel notamment qu'une faute.
Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque, comme l'ont justement relevé les premiers juges, la société Balcia n'apporte pas la preuve d'une faute contractuelle qu'aurait commise la société Enedis.
Il ressort du procès-verbal de constatations relatives aux causes, circonstances et évaluation des dommages, signé conjointement le 16 mars 2015 par le cabinet Texa, expert missionné par la société Balcia, et par le cabinet Polyexpert, expert de la société Enedis, que la cause du sinistre survenu le 12 juin 2014 dans la commune d'[Localité 4] est à attribuer à « une rupture de neutre sur le réseau sous terrain basse tension exploité par ERDF après le départ de distribution public du poste PUPIN. Après investigations d'Ineo, il s'avère que le neutre EP a été repiqué sur le neutre du réseau DP à une date antérieure (non connue). L'endroit exact de la connexion en sous terrain n'a pu être localisé ».
Il convient en outre d'observer que le cabinet Polyexpert, en la personne de M. [L], a fait part de ses réserves sur la conformité du réseau d'éclairage public, géré par la société Ineo pour le compte de la commune d'[Localité 4], ces réserves étant retranscrites en ces termes dans le procès-verbal susvisé : « M. [L], cabinet Polyexpert, précise qu'ERDF a mis à disposition un départ EP (éclairage public) dédié au niveau du poste transformateur 'PUPIN', départ dont le neutre n'est ensuite pas distribué sur le réseau EP. Si ç'avait été le cas, la rupture de neutre sur le réseau DP (distribution publique) n'aurait pas affecté le réseau EP ».
La société Balcia convient que cette rupture de neutre a conduit à une surtension, à savoir une puissance inadaptée, ce que confirme le rapport établi par le cabinet Polyexpert, expert de la société Enedis, lequel vise « la fourniture d'une tension simple excédant la limite maximale de 230 V + 10 % ».
Il apparaît ainsi que le dysfonctionnement du réseau d'électricité résultant de la rupture de neutre, caractérise un défaut de qualité du produit "électricité" qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, à savoir une fourniture régulière et continue. Il existe bien une atteinte à l'usage qui peut être raisonnablement attendu du produit "électricité" au sens des dispositions précitées, de sorte que la responsabilité de la société Enedis ne peut être recherchée que sur le fondement du régime spécial des produits défectueux, soumis à la prescription triennale de l'article
1245-16 du code civil.
La société Balcia ne saurait donc invoquer au soutien de son action un autre fondement que celui prévu par les articles 1245 et suivants du code civil.
Il est constant que le sinistre a eu lieu le 12 juin 2014 et que son origine électrique a été connue, au plus tard, le 15 janvier 2015, date de la réunion d'expertise.
L'action ayant été introduite le 29 mai 2019, soit plus de trois ans après, la prescription prévue par l'article
1245-16 du code civil est acquise.
La société Balcia sera déclarée irrecevable en sa demande, pour cause de prescription, par confirmation du jugement entrepris.
Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société Balcia Insurance, qui succombe, sera condamnée aux dépens exposés en appel, dont distraction au profit de Me Stéphanie Gautier, membre de la SELARL Des deux Palais, avocat, conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée à verser à la société Enedis une indemnité de 2.000 € au titre de l'article'700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 février 2021 par le tribunal de commerce de Nanterre ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Balcia Insurance à verser à la société Enedis la somme de 2.000 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société Balcia Insurance de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE la société Balcia Insurance aux dépens, dont distraction au profit de Me Stéphanie Gautier, membre de la SELARL Des deux Palais, avocat, conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,