QUATRIÈME SECTION
DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 8322/07
présentée par Henryk GOC
contre la Pologne
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant le 30 juin 2009 en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Giovanni Bonello,
Ljiljana Mijović,
David Thór Björgvinsson,
Ledi Bianku,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 12 février 2007,
Vu la déclaration du 20 avril 2009 par laquelle le gouvernement défendeur invite la Cour à rayer la requête du rôle et la réponse du requérant à cette déclaration,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Henryk Goc, est un ressortissant polonais, né en 1949 et résidant à Wiązowna. Il est représenté devant la Cour par Me Robert Zając, avocat à Katowice. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
Par une ordonnance du tribunal de district de Katowice prononcée le 7 janvier 2004, le requérant fut placé en détention préventive dans le cadre d'une procédure pénale intentée contre lui. Il était soupçonné de s'être rendu coupable du délit d'association de malfaiteurs dont les activités consistaient notamment à organiser un réseau de contrebande de spiritueux en provenance de la France et de l'Italie. De surcroît, on lui reprocha le fait d'avoir falsifié un certain nombre de documents douaniers.
La détention du requérant fut prolongée par la suite à des intervalles réguliers. Pour motiver leurs décisions de maintenir le requérant en détention les autorités se fondèrent en particulier sur des soupçons, étayés par des éléments du dossier, que celui-ci avait été l'auteur des faits incriminés, passibles d'une peine d'emprisonnement élevée. Les autorités se fondèrent également sur l'existence du risque de collusion de la part du requérant et de ses complices tout comme celui d'entraves au bon déroulement de l'enquête que le requérant pourrait tenter de créer s'il était libéré. Les recours formés par l'avocat du requérant à l'encontre des ordonnances prolongeant la détention de ce dernier furent rejetés.
Il ressort du dossier de l'affaire qu'environ deux mois avant l'arrestation du requérant on diagnostiqua chez lui une tumeur maligne de la vessie. En avril 2004, l'administration pénitentiaire sollicita auprès du responsable de la maison d'arrêt l'autorisation de transférer le requérant dans une clinique pénitentiaire de Łódź. Dans l'avis médical établi le 4 mai 2004 par les médecins de la maison d'arrêt de Katowice il fut indiqué que l'état de santé du requérant n'était pas incompatible avec l'incarcération.
Le 12 mai 2004, le requérant subit un examen médical approfondi au sein du service d'urologie de la clinique pénitentiaire de Katowice. Dans un avis médical il fut indiqué que le requérant devrait impérativement subir une opération. Le requérant refusa de se soumettre à l'opération estimant que si celle-ci devait être réalisée au sein la clinique pénitentiaire, les chances du succès d'un tel traitement seraient compromises en raison de la qualité douteuse des soins procurés au sein de cet établissement.
Le 14 juillet 2004, l'avocat du requérant demanda au tribunal de nommer deux experts médecins afin qu'ils se prononcent sur la question de savoir si l'état de santé de son client était compatible avec l'incarcération. Cette demande aurait été rejetée.
Le 8 septembre 2004, le requérant fut opéré à la clinique pénitentiaire de Łódź. Il ressort du rapport médical établi à l'issue de son hospitalisation consécutive à l'opération que l'état du requérant était satisfaisant. Les médecins prescrivirent au requérant de se soumettre à un contrôle médical deux mois plus tard.
En janvier 2005, l'avocat du requérant adressa une plainte au parquet au sujet de la qualité insuffisante de soins procurés à son client à la maison d'arrêt. Il se plaignit également de la durée excessive de l'enquête. En répondant à sa plainte par les lettres des 11 février et 22 mars 2005, les autorités jugèrent ces allégations infondées. Elles relevèrent que le parquet s'informait régulièrement auprès des autorités pénitentiaires de l'état de santé du requérant et consultait les rapports médicaux présentés régulièrement par l'administration pénitentiaire. Les rapports en question indiquaient, qu'à la maison d'arrêt, le requérant bénéficiait d'un traitement approprié et que son incarcération n'était pas incompatible avec son état de santé. Le fait qu'en dépit des recommandations des médecins, il n'ait pas été opéré dans l'immédiat ne pouvait être imputé aux autorités étant donné que le requérant avait refusé d'accepter le traitement proposé. Le parquet releva par ailleurs qu'au vu du nombre de prévenus concernés par l'enquête (24) et de la complexité de celle-ci, la durée de la détention du requérant ne pouvait être qualifiée d'excessive.
Il ressort du rapport médical daté du 17 août 2005, que le requérant fut hospitalisé à la clinique pénitentiaire de Łódź en raison d'un faible renouvellement de la tumeur. Le 28 juillet 2005, on lui administra un traitement particulier (électrocoagulation du renouvellement de la tumeur cancéreuse). L'état de santé du requérant à l'issue de son hospitalisation fut jugé satisfaisant.
Le 12 septembre 2005, l'acte d'accusation fut déposé par le parquet auprès du tribunal de district de Katowice.
Les 5 juillet et 30 août 2006, le tribunal de district prolongea la détention du requérant jusqu'au 31 décembre 2006, en relevant que les motifs ayant justifié l'application initiale de cette mesure étaient toujours pertinents.
Les 10 mars, 11 juillet, 18 août 2006 et 3 novembre 2006, le tribunal rejeta les demandes tendant à la libération du requérant. Le tribunal releva qu'il ressortait de la documentation médicale pertinente que le requérant pouvait demeurer en détention. Une telle conclusion fut notamment formulée dans l'avis médical du 29 mai 2006 ainsi que dans le certificat médical délivré à l'issue de l'hospitalisation du requérant. Celle-ci avait eu lieu entre le 21 juillet et le 17 août 2006 en raison de la nécessité d'effectuer une autre électrocoagulation du renouvellement de la tumeur cancéreuse constaté chez le requérant. L'avis établi le 19 octobre 2006 lors de la consultation du requérant par l'urologue coïncidait avec les avis médicaux antérieurs.
Le 28 décembre 2006, la cour d'appel prolongea la détention du requérant jusqu'au 30 avril 2007. Elle releva que l'allongement de la procédure pénale était dû essentiellement à la complexité de l'affaire, laquelle concernait un grand nombre d'accusés et comportait de nombreuses preuves à examiner. La cour d'appel estima qu'à la lumière des rapports médicaux, l'état de santé du requérant ne pouvait être considéré comme étant incompatible avec la détention. La cour d'appel souligna que le tribunal de district exerçait un contrôle régulier de la compatibilité de l'incarcération avec l'état de santé du requérant.
Il ressort du dossier que le requérant fut libéré le 9 octobre 2007.
Par un jugement prononcé le 16 octobre 2007, le requérant fut déclaré coupable des faits et se vit infliger une peine de 3 années et 6 mois de réclusion criminelle et une peine d'amende. Le jugement en question n'est pas définitif. Il semblerait que la durée de la détention provisoire du requérant fut déduite dans sa totalité des peines prononcées à son égard.
GRIEFS
1. Invoquant l'article 3 de la Convention, le requérant se plaint d'avoir subi un traitement dégradant du fait de sa détention en dépit de son état de santé préoccupant et de l'absence du suivi médical approprié à la maison d'arrêt.
2. Citant l'article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de la longueur de sa détention préventive.
3. Invoquant l'article 6 de la Convention, le requérant se plaint également de la durée de la procédure pénale.
EN DROIT
A. La durée de la détention provisoire appliquée à l'égard du requérant
Le requérant dénonce la durée de sa détention provisoire. Il invoque l'article 5 § 3, dont le passage pertinent en l'espèce dispose :
Article 5 § 3
« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...). »
Par une lettre du 20 avril 2009, le Gouvernement a informé la Cour qu'il entendait faire une déclaration unilatérale tendant à résoudre la question soulevée par la requête. Il a en outre invité la Cour à rayer l'affaire du rôle en vertu de l'article 37 de la Convention.
La déclaration se lit ainsi :
« (...) le Gouvernement déclare - au moyen de la présente déclaration unilatérale - qu'il reconnaît la durée excessive de la détention provisoire du requérant.
Compte tenu des circonstances de la cause, le Gouvernement déclare être prêt à verser au requérant, au titre de la satisfaction équitable, la somme de 1 500 EUR. Cette somme, qui couvrira tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens, ne sera soumise à aucun impôt. Elle sera payable dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour rendue conformément à l'article 37 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. A défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s'engage à verser, à compter de l'expiration de celui-ci et jusqu'au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage ».
(...)
Le requérant ne s'est pas prononcé au sujet de la proposition contenue dans la lettre du Gouvernement du 20 avril 2009.
La Cour rappelle que l'article 37 de la Convention dispose que, à tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de tirer l'une des conclusions exposées aux alinéas a), b) ou c) du paragraphe 1 de cet article. En particulier, l'article 37 § 1 c) autorise la Cour à rayer une requête du rôle lorsque :
« pour tout autre motif dont [elle] constate l'existence, il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête. ».
Elle rappelle aussi que, dans certaines circonstances, elle peut rayer une requête du rôle dans sa totalité ou en partie en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d'une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l'examen de l'affaire se poursuive.
En pareil cas, pour déterminer si elle doit rayer la requête du rôle, la Cour examine attentivement la déclaration à la lumière des principes se dégageant de sa jurisprudence, en particulier de l'arrêt Tahsin Acar (Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, §§ 75-77, CEDH 2003-VI), WAZA Spółka z o.o. c. Pologne (déc.), no 11602/02, 26 juin 2007, et Sulwińska c. Pologne (déc.), no 28953/03).
Compte tenu de la nature des concessions que renferme la déclaration du Gouvernement ainsi que du montant de l'indemnité proposée - qui cadre avec les sommes octroyées dans des affaires analogues - la Cour estime qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).
Eu égard à ce qui précède, et en particulier à l'existence d'une jurisprudence claire et abondante sur la question posée en l'espèce, elle considère que le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses protocoles n'exige pas qu'elle poursuive l'examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 in fine).
B. Autres griefs
Citant l'article 3 de la Convention, le requérant affirme avoir subi un traitement dégradant à raison de son maintient en détention, en dépit de son état de santé préoccupant et l'absence de suivi médical adéquat.
La Cour rappelle que la détention d'une personne malade peut poser problème sous l'angle de l'article 3. Bien que la Convention ne prévoie aucune obligation générale de remettre en liberté un détenu pour motifs de santé ou de le placer dans un hôpital civil afin de lui permettre d'obtenir un traitement médical particulier (Mouisel c. France, no 67263/01, 14 novembre 2002, § 40), l'on peut cependant déduire de l'article 3 une obligation positive en vertu de laquelle il incombe aux autorités de s'assurer que tout détenu demeure dans des conditions compatibles avec la dignité humaine. De surcroît, il leur incombe également de protéger la santé des personnes privées de liberté, notamment par l'administration des soins médicaux appropriés.
En se référant au cas d'espèce, la Cour ne décèle pas d'éléments susceptibles de démontrer que les obligations que les autorités se devaient de remplir en vertu de l'article 3 n'ont pas été respectées à l'égard du requérant. La Cour note en particulier que pendant la durée intégrale de l'application de la détention provisoire l'état de santé du requérant avait été jugé compatible avec l'incarcération par les médecins. De surcroît, il ressort du dossier que dès le début de sa détention, le requérant a bénéficié d'une prise en charge médicale et a demeuré sous une surveillance constante des médecins, spécialistes compris. Par ailleurs les autorités s'informaient régulièrement auprès des médecins de l'état de santé du requérant et en fonction de leur avis décidaient de la prolongation de la détention provisoire. Pour autant que le requérant remette en cause la nature et la qualité des soins qui lui ont été procurés en milieu carcéral, rien dans le dossier n'indique que ceux-ci auraient été inadéquats ou insuffisants. Au contraire, le requérant, certes souffrant d'une maladie grave, a pu bénéficier de soins spécialisés qui lui ont été administrés dans des établissements de soins appropriés, conformément aux recommandations des médecins. En particulier, après l'opération, le requérant a bénéficié d'un suivi médical régulier. La Cour relève également qu'aucun élément du dossier n'indique que l'état de santé du requérant se soit détérioré à l'issue de son incarcération en raison de négligences susceptibles d'être imputées aux autorités.
Compte tenu de l'ensemble des éléments ci-dessus, la Cour considère qu'en l'espèce, il n'a pas été établi que le traitement contesté par le requérant ait atteint le seuil de gravité prévu par l'article 3 de la Convention. Dès lors, la Cour considère que le grief est infondé et le rejette en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant dénonce également la durée de la procédure pénale dirigée contre lui. Or, il ne ressort pas du dossier qu'il ait utilisé le recours prévu par la Loi de 2004 sur les plaintes relatives à une violation du droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable (Ustawa o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postepowaniu sadowym bez nieuzasadnonej zwloki). Dès lors, la Cour rejette ce grief en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention du fait du non-épuisement des voies de recours internes.
Par ces motifs
, la Cour, à l'unanimité,
Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur en ce qui concerne le grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements qu'elle comporte ;
Décide, en vertu de l'article 37 § 1 c) de la Convention, de rayer l'affaire du rôle pour autant qu'elle concerne le grief ci-dessus;
Déclare la requête irrecevable pour le surplus.
Lawrence Early Nicolas Bratza
Greffier Président