ARRET No
du 27 octobre 2008
R. G : 08 / 01860
X...
PIERRET
c /
Y...
YM
Formule exécutoire le :
à : COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE- 1o SECTION
ARRET DU 27 OCTOBRE 2008
APPELANTS :
d'un jugement rendu le 16 Mai 2007 par le Tribunal de Grande Instance de CHARLEVILLE-MEZIERES,
Monsieur John X...
...
08600 FROMELENNES
Madame Isabelle Z... épouse X...
...
08600 FROMELENNES
COMPARANT, concluant par la SCP THOMA-LE RUNIGO-DELAVEAU-GAUDEAUX avoués à la Cour, et ayant pour conseil la SCP RAHOLA-DELVAL, avocats au barreau de CHARLEVILLE-MEZIERES
INTIME :
Maître Valérie Y...- Notaire
...
06110 LE CANNET
Comparant, concluant par la SCP DELVINCOURT-JACQUEMET-CAULIER-RICHARD, avoués à la Cour, et ayant pour conseil la SCP DESLANDES-DOMBEK, avocats au barreau de CHARLEVILLE MEZIERES.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur MAUNAND, Président de Chambre entendu en son rapport
Madame SOUCIET, Conseiller
Monsieur MANSION, Conseiller
GREFFIER :
Madame Maryline THOMAS, Greffier lors des débats et du prononcé.
DEBATS :
A l'audience publique du 30 Septembre 2008, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 Octobre 2008,
ARRET :
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 27 Octobre 2008 et signé par Monsieur Yves MAUNAND, Président de Chambre, et Madame THOMAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Suivant acte reçu le 27 février 1996 par Me Valérie Y..., alors notaire à Givet, M. John X... et son épouse, née Isabelle Z..., ont acquis un immeuble à usage d'habitation situé ... à Fromelennes (08) comportant une maison et un jardin, le tout anciennement cadastré section A no 336, aujourd'hui section AB no 80, lieudit " Le Village ", d'une contenance de 1a 7ca.
Compte tenu de l'imbrication des terrains situés derrière les maisons de la place des Rentiers et des difficultés que cette situation était susceptible de créer, M. et Mme X... et leurs voisins, M. Gérard A... et les époux B..., ont souhaité déterminer les droits de chacun aux termes d'un document qu'ils signeraient. Ils se sont adressés à cette fin à Me Y... à qui a été confiée la mission de " prendre note de leur accord et explications et ce sans vouloir payer les frais d'un acte notarié ".
Me Y... s'est rendue sur les lieux et a établi un acte sous seing privé qu'elle a fait signer le 17 avril 1996 par les parties. Aux termes de cet acte, M. et Mme X... reconnaissaient l'existence d'un droit de passage grevant leur fonds au profit des parcelles no 82 (M. A...) et no 83 (M. et Mme B...). M. A... reconnaissait l'existence d'un droit de passage grevant sa parcelle no 85 au profit de la parcelle no 86 (M. et Mme B...). L'acte prévoyait également les assiettes et les modalités d'exercice des servitudes de passage. Par ailleurs, M. A... et les consorts B... renonçaient à accéder à la pompe et au puits situés sur la parcelle no 80, M. A... acceptait que M. et Mme X... construisent une pièce telle qu'elle était hachurée sur le plan annexé, les époux X... bouchaient une fenêtre et la remplaçait par des carreaux de verre ne laissant passer que la lumière, les époux X... reconnaissaient à M. A... et aux propriétaires successifs de son fonds le droit de laisser la fosse sceptique existante jusqu'au jour où l'assainissement serait installé et M. et Mme X... reconnaissaient à M. A... et aux propriétaires successifs de la parcelle no 82 une servitude de vue correspondant à la fenêtre no 2 du plan annexé.
Le 20 février 1997, M. A... a saisi le Tribunal d'instance de Fumay à l'effet de solliciter un bornage. Le tribunal a désigné M. C..., géomètre expert, puis M. D... qui a déposé un rapport dans lequel il a indiqué que l'acte sous seing privé du 17 avril 1996 ne respectait pas la désignation des propriétés contenues dans les actes respectifs des parties.
M. A... a fait assigner les époux X... devant le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières afin de voir dire que sa propriété était constituée d'un seul tenant suivant les limites matérialisées par M. D..., voir condamner les défendeurs à supprimer tous les ouvrages et constructions empiétant sur son fonds et à lui payer des dommages-intérêts.
Par jugement du 19 mars 2004, le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a fait droit aux demandes de M. A... et condamné M. et Mme X... à supprimer sous astreinte les ouvrages empiétant sur son fonds et à lui payer la somme de 1. 500 euros à titre de dommages-intérêts.
Par arrêt du 9 août 2005, la Cour d'appel de Reims a confirmé ce jugement.
Se prévalant du préjudice qu'ils subissaient et qu'ils imputaient aux erreurs et imprécisions commises par Me Y... dans l'acte du 17 avril 1996, M. et Mme X... ont fait assigner cette dernière le 5 avril 2006 devant le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières afin de la voir condamner à réparer leur préjudice chiffré à la somme de 31. 863, 86 euros.
Par jugement du 16 mai 2007, le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières a débouté les époux X... de l'ensemble de leurs demandes, les a condamnés au paiement de la somme de 1. 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile et aux entiers dépens et dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
M. et Mme X... ont relevé appel de ce jugement le 17 juillet 2007.
Par dernières conclusions notifiées le 20 mai 2008, M. et Mme X... poursuivent l'infirmation du jugement déféré et demandent à la Cour de :
- constater que Me Y... a manqué à son devoir de conseil et la déclarer entièrement responsable du préjudice subi par eux en raison des fautes qu'elle a commises dans l'exercice de ses fonctions, et ce, en application des dispositions des articles
1382 et
1383 du code civil ;
- condamner Me Y... à leur payer la somme de 31. 863, 86 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 5 avril 2006 et application de l'anatocisme ;
- condamner Me Y... à leur payer la somme de 3. 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
- dire cette dernière irrecevable et, à tout le moins, mal fondée à davantage ou autrement prétendre ;
- condamner Me Y... aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 17 avril 2008, Me Y... poursuit la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de M. et Mme X... au paiement de la somme de 2. 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Attendu qu'il convient, tout d'abord, de relever que Me Y... n'a pas agi en sa qualité d'officier ministériel, mais dans le cadre d'une mission contractuelle qui lui avait été confiée par les consorts X..., A... et B... ; qu'il s'ensuit que sa responsabilité ne peut pas être engagée sur le fondement de l'article
1382 du code civil, mais doit être appréciée au regard des dispositions de l'article 1147 dudit code ;
Qu'il convient en conséquence de rechercher quelle mission avait été confiée à l'intimée dès lors que la mesure et la portée du devoir de conseil, auquel est tenu le notaire, doivent être appréciées selon les circonstances et selon qu'il a participé directement aux tractations relatives aux stipulations de la convention ou n'est intervenu que pour donner forme à des accords déjà conclus ;
Attendu que Me Y... se prévaut du fait que les parties lui avaient seulement demandé " de prendre note de leur accord et explications, et ce, sans vouloir payer les frais d'un acte notarié ", qu'elles ne l'avaient pas chargée d'élaborer un acte destiné à prévenir tout conflit éventuel après avoir eu accès aux titres et avoir participé aux négociations et qu'elle avait eu pour mission de formaliser par écrit l'accord que les parties avaient, hors sa présence, préalablement conclu ;
Que Me Y..., qui rappelle n'avoir perçu aucun émolument pour son intervention, en conclut qu'elle n'a commis aucun manquement à son devoir d'information et de conseil ;
Mais attendu que, dans son arrêt du 9 août 2005, la cour d'appel avait relevé les nombreuses imprécisions de l'acte du 17 avril 1996 quant à la détermination des propriétés respectives tant en ce qui concerne le texte que les plans qui y sont annexés ; qu'elle avait également constaté que les propriétés de chacune des parties étaient définies par référence au cadastre lequel n'apporte aucun renseignement fiable sur les contenances et les limites séparatives et qu'il était en fait impossible de savoir qui concédait quoi, sur quelle partie de parcelle et selon quelles modalités ;
Que Me Y..., en sa qualité de professionnelle, était à même de se rendre compte des imprécisions de l'acte du 17 avril 1996 telles qu'elles ont été dénoncées par la suite par la cour d'appel alors que le document litigieux était destiné à déterminer les droits des parties sur les terrains situés derrière les maisons de la place des Rentiers ;
Que les époux X... sont donc bien fondés à faire valoir que, dès lors que les parties s'étaient entendues avant son intervention, il appartenait à Me Y..., au titre de son devoir d'information et de conseil, de refuser de prêter sa plume si leur volonté paraissait imprécise, contraire à leurs droits respectifs et susceptible de créer de nouveaux problèmes ; que la circonstance selon laquelle Me Y... est intervenue bénévolement est, à cet égard, inopérante ;
Attendu que, ce qui concerne l'étendue de leur préjudice, les époux X... exposent que, forts de l'étendue de leurs droits, ils ont fait construire une terrasse et une véranda dont une partie l'a été sur la parcelle revendiquée avec succès par M. A... de sorte qu'il a fallu démolir les ouvrages édifiés sur la partie litigieuse et les reconstruire ; qu'ils indiquent avoir subi un préjudice de jouissance et avoir dû faire face à des frais de procédure et d'avocat ;
Que les époux X... justifient des sommes qu'ils ont dû engager en pure perte pour la construction de la terrasse et de la véranda, puis pour procéder à leur démolition et à leur reconstruction ; qu'ils ont par ailleurs dû verser à M. A... des dommages-intérêts et une indemnité de procédure et prendre à leur charge les dépens de première instance et d'appel, outre les honoraires qu'ils ont payés à leur avocat ; que la nécessité de démolir, puis de reconstruire l'ouvrage qu'ils avaient édifié a causé aux époux X... un trouble de jouissance dont ils sont bien fondés à poursuivre la réparation ;
Qu'au regard des éléments justificatifs produits et des explications fournies la somme de 30. 000 euros sera allouée à M. et Mme X... en réparation de leur préjudice ;
Que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt par application de l'article
1153-1 du code civil ;
Que rien ne s'oppose à ce que la demande d'anatocisme soit accueillie ;
Que le jugement déféré sera par conséquent infirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu que Me Y..., qui succombe dans ses prétentions, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ; qu'elle ne peut donc pas obtenir l'indemnité qu'elle sollicite au titre de ses frais de procédure non compris dans les dépens ;
Que l'équité commande sa condamnation au paiement de la somme de 2. 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris et statuant à nouveau ;
Dit que Mme Valérie Y... a manqué à son devoir d'information et de conseil ;
Condamne Mme Valérie Y... à payer à M. John X... et Mme Isabelle Z... épouse X... la somme de 30. 000 euros (trente mille euros) à titre de dommages-intérêts ;
Dit que somme cette portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article
1154 du code civil
Condamne Mme Valérie Y... à payer à M. John X... et Mme Isabelle Z... épouse X... la somme de 2. 000 euros (deux mille euros) au titre de l'article
700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande d'indemnité de procédure formée par Mme Valérie Y... et la condamne aux dépens de première instance et d'appel ; admet, pour ces derniers, la SCP Thoma Le Runigo Delaveau Gaudeaux, avoués, au bénéfice de l'article
699 du code de procédure civile.
Le GreffierLe Président