Vu la procédure suivante
:
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner
le centre hospitalier Charles Perrens à lui verser la somme de 23 134,56 euros en réparation du préjudice résultant de sa démission, qu'elle estime forcée.
Par un jugement n° 1802043 du 8 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête, enregistrée le 30 octobre 2019, et des mémoires enregistrés les 17 novembre 2019, 7 et 21 juin 2021, Mme B..., représentée par Me Laplagne, demande
à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en date
du 8 octobre 2019 ;
2°) de condamner le centre hospitalier Charles Perrens à lui verser la somme
de 23 134,56 euros en réparation du préjudice résultant de sa démission forcée ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Charles Perrens la somme
de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa démission doit être requalifiée en licenciement car elle a démissionné sous la contrainte ; le cadre de santé a menacé de lui retirer ses trois agréments pour accueillir des enfants si elle ne démissionnait pas, et lui a immédiatement retiré l'accueil d'un enfant ; sa démission ne résulte pas d'une expression claire et non équivoque ;
- le centre hospitalier Charles Perrens a reconnu l'avoir poussée à démissionner ; il a exercé une contrainte à son encontre afin qu'elle démissionne, ce qui est constitutif d'une faute ;
- elle est fondée à solliciter le paiement de 7 417,60 euros correspondant
à l'indemnité légale de licenciement ; le salaire de référence à prendre en compte n'est pas l'indemnité d'attente d'octobre 2017, période au cours de laquelle elle n'hébergeait
plus aucun enfant, mais la dernière rémunération perçue en septembre 2017 ;
- elle est fondée à solliciter le paiement de 15 216, 96 euros à titre de dommages
et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
- son préjudice moral doit être indemnisé à hauteur de 500 euros.
Par un mémoire, enregistré le 4 juin 2021, le CH Charles Perrens conclut au rejet
de la requête et à la mise à la charge de Mme B... d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens tirés du caractère contraint de la démission de Mme B...
et de l'absence de cause sérieuse de licenciement ne sont pas fondés ;
- subsidiairement l'intéressée ne justifie pas d'une perte de revenu, son indemnité
de licenciement en cas de requalification devrait être calculée sur la base de l'indemnité d'attente en l'absence d'enfant confié, et devrait être réduite de moitié car l'intéressée aurait été licenciée pour insuffisance professionnelle, ce qui ne pourrait excéder 2 163,63 euros ;
- le préjudice moral n'est pas établi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Girault,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Brouillou-Laporte, représentant Mme B... et
de Me Dupeyron représentant le centre hospitalier Charles Perrens.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme B... a été recrutée en qualité d'assistante familiale thérapeutique
par le centre hospitalier spécialisé Charles Perrens, par contrat à durée indéterminée
du 24 septembre 2004. Dans le cadre d'un remplacement d'une de ses collègues, elle
a accueilli chez elle en septembre 2017 une adolescente, à laquelle elle a acheté des vêtements et divers cadeaux, et qui a ensuite souhaité rester chez elle. Après cette prise en charge,
Mme B... a eu des échanges par messages téléphoniques avec l'adolescente malgré les mises en garde de l'établissement de santé, ce qui a provoqué de vives protestations du père de celle-ci, craignant que le subit attachement de sa fille à une professionnelle traduise
une emprise de cette dernière. Le centre hospitalier a convoqué Mme B... à un entretien, qui s'est tenu le 6 octobre 2017, au cours duquel elle s'est vue retirer immédiatement l'accueil d'un autre enfant qu'elle devait héberger jusqu'en décembre 2017. Mme B... a alors adressé sa démission, par lettre datée du 6 octobre, au centre hospitalier Charles Perrens,
qui en a accusé réception le 12 octobre 2017, et en a pris acte le 24 octobre 2017 en fixant
la fin du contrat au 12 novembre 2017, terme du préavis. Par un courrier du 8 décembre 2017, et un courriel du 11 décembre 2017, Mme B... s'est plainte au directeur du centre hospitalier du caractère forcé de sa démission, et a par la suite présenté une demande indemnitaire préalable au centre hospitalier le 26 février 2018, laquelle a fait l'objet
d'un rejet implicite. Mme B... relève appel du jugement du 8 octobre 2019 par lequel
le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande de condamnation du centre hospitalier Charles Perrens à lui verser la somme de 23 134, 56 euros.
Sur la responsabilité :
2. La démission d'un agent public ne peut résulter que d'une demande écrite marquant sa volonté non équivoque de cesser ses fonctions.
3. Pour soutenir qu'elle a été contrainte de présenter sa démission, Mme B... produit de nouveaux témoignages en appel, plusieurs personnes attestant que le cadre de santé du centre hospitalier Charles Perrens lui a laissé un message vocal, le 12 octobre 2017,
dans lequel il lui rappelait son souhait de recevoir rapidement sa lettre de démission, évoquant dans la négative un retrait de ses trois agréments. Ladite lettre de démission, datée
du 6 octobre, a été reçue selon le rappel détaillé des faits effectué par le cadre de santé encadrant Mme B..., le lendemain 13 octobre par le centre hospitalier, qui en a immédiatement accusé réception par mail en reconnaissant que la rupture a été " quelque peu brutale (mais obligatoire) ". S'il ressort du contrat de Mme B... qu'elle ne pouvait ignorer que la délivrance des agréments relevait de la compétence du président du conseil départemental, elle pouvait légitimement se laisser convaincre de ce que le centre hospitalier pouvait agir en vue de faire retirer ces agréments. La lettre de protestation qu'elle a adressée au directeur du centre hospitalier le 11 décembre 2017 évoque successivement le " conseil " de démissionner qui lui a été donné lors de l'entretien déstabilisant du 6 octobre, puis " l'injonction ", puis une fin de contrat " sans avertissement préalable " alors qu'elle avait toujours donné satisfaction. Dans ces conditions, la démission de Mme B... doit être regardée comme provoquée sous la contrainte, et Mme B... est fondée à soutenir
que le centre hospitalier, qui ne démontre nullement la prétendue insuffisance professionnelle qu'il allègue en défense, a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur les préjudices :
4. Il ressort des pièces produites devant le tribunal que le contrat de Mme B... avec le centre hospitalier stipulait qu'en cas de licenciement elle aurait droit d'une part
à un délai congé de deux mois, et d'autre part à une indemnité de licenciement dont le montant est égal par année d'ancienneté à 2/10èmes de la moyenne mensuelle des sommes perçues au titre des six meilleurs mois consécutifs de salaire versé par le centre hospitalier. Ces stipulations sont adaptées au mode particulier de rémunération des assistantes familiales, lesquelles ne touchent, lorsque le centre hospitalier ne leur confie aucun enfant,
qu'une indemnité d'attente pendant trois ou quatre mois, et voient au contraire leur rémunération d'accueil majorée éventuellement selon les contraintes propres aux enfants confiés. Elles doivent ainsi prévaloir, à titre de référence de ce que l'intéressée aurait pu percevoir en cas de licenciement, sur les dispositions générales dont se prévaut le centre hospitalier. Il est constant que Mme B... bénéficiait de treize années d'ancienneté.
Au regard des fluctuations de sa rémunération mensuelle dans l'année précédant
sa démission, et en l'absence de tout élément de nature à caractériser une insuffisance professionnelle justifiant une limitation de cette indemnité comme le sollicite le centre hospitalier, alors que son contrat n'a au demeurant pas envisagé une telle limitation dans
ce cas, il sera fait une juste évaluation du préjudice lié à l'absence d'indemnité
de licenciement en lui allouant à ce titre une somme de 6 500 euros.
5. Si Mme B... sollicite également une indemnisation pour licenciement " sans cause réelle et sérieuse ", sans expliquer le calcul de la somme demandée de 15 216,96 euros, elle ne peut utilement se prévaloir des dispositions des articles
L. 1232-1 et
L. 1233-2 du code du travail, qui ne sont pas applicables à un agent de droit public. Au demeurant, la perte de revenus dont se plaint l'intéressée, qui n'a retrouvé un emploi qu'en novembre 2018 mais
a perçu des allocations de retour à l'emploi, n'apparaît pas en lien direct avec la faute commise par le centre hospitalier, dès lors que celui-ci n'était pas tenu de lui confier
des enfants ni par suite de la rémunérer en conséquence, et qu'en l'absence de missions il était en droit, en vertu de l'article 12 de son contrat, de la licencier. Dans ces conditions, ce chef
de préjudice ne peut qu'être écarté.
6. Enfin, il sera fait une juste évaluation du préjudice moral tenant aux conditions dans lesquelles Mme B... a été poussée à la démission en lui allouant à ce titre la somme de 500 euros qu'elle demande.
7. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier doit être condamné à verser
à Mme B... une somme de 7 000 euros au titre de l'ensemble de ses préjudices.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
8. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative
font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par le centre hospitalier Charles Perrens au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce,
il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier une somme de 1 500 euros en application des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier Charles Perrens est condamné à verser à Mme B...
une somme de 7 000 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier Charles Perrens versera à Mme B... une somme
de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au centre hospitalier Charles Perrens.
Délibéré après l'audience du 31 août 2021 à laquelle siégeaient :
Mme C... Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve-Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 octobre 2021.
La présidente assesseure,
Anne Meyer La présidente rapporteure,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04091