CEDH, Cour (Première Section), SAMSONOV c. RUSSIE, 16 septembre 2014, 2880/10

Synthèse

  • Juridiction : CEDH
  • Numéro de pourvoi :
    2880/10
  • Dispositif : Irrecevable
  • Date d'introduction : 16 janvier 2007
  • Importance : Faible
  • État défendeur : Russie
  • Nature : Décision
  • Identifiant européen :
    ECLI:CE:ECHR:2014:0916DEC000288010
  • Lien HUDOC :https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-147336
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Résumé

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Texte intégral

PREMIÈRE SECTION DÉCISION Requête no 2880/10 Mikhail Vitalevich SAMSONOV contre la Russie La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant le 16 septembre 2014 en une chambre composée de : Isabelle Berro-Lefèvre, présidente, Khanlar Hajiyev, Mirjana Lazarova Trajkovska, Julia Laffranque, Erik Møse, Ksenija Turković, Dmitry Dedov, juges, et de Søren Nielsen, greffier de section, Vu la requête susmentionnée introduite le 16 janvier 2007, Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1. Le requérant, M. Mikhail Vitalevich Samsonov, est un ressortissant russe né en 1953 et résidant à Glazov. 2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme. A. Les circonstances de l'espèce 1. Le jugement ordonnant le paiement du salaire 3. Par une décision du 23 mai 2005, le juge de paix de la circonscription judiciaire de Glazov de l'Oudmourtie enjoignit à l'employeur du requérant - l'entreprise unitaire (paragraphe 17 ci-dessous) nationale de la république d'Oudmourtie « Glazovskaïa » (Государственное унитарное предприятие Удмуртской республики машинно-технологическая станция «Глазовская») (« l'entreprise débitrice ») - de verser à ce dernier 19 329,36 roubles russes (RUB) à titre d'arriéré de salaire. L'exécution immédiate de la décision fut ordonnée et, le jour même, un titre exécutoire fut délivré. Le 1er juin 2005, le requérant se fit remettre le titre exécutoire par le tribunal. Selon les statuts de l'entreprise, celle-ci effectua des services dans le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire, notamment, les travaux agricoles ; le transport des matériaux de construction, des machines, des engrais et des produits agricoles, ainsi que différents types de construction et de réparation. 2. La procédure d'exécution du jugement et la procédure d'insolvabilité de l'entreprise débitrice 4. Le 3 juin 2005, la cour de commerce ouvrit une procédure d'insolvabilité à l'égard de l'entreprise débitrice et désigna un administrateur provisoire (временный управляющий). 5. Le 6 juin 2005, l'huissier de justice du district de Glazov ordonna l'engagement de la procédure d'exécution de la décision du 23 mai 2005. 6. Le 1er juillet 2005, l'administrateur provisoire informa le service des huissiers de justice de l'ouverture de la procédure d'insolvabilité et demanda la mise à sa disposition de tous les titres exécutoires délivrés contre l'entreprise débitrice. 7. Selon les informations fournies par le Gouvernement, le dirigeant de l'entreprise débitrice fut verbalisé le 15 juillet 2005 parce qu'il avait refusé de se conformer aux injonctions de l'huissier de justice. Le 18 août 2005, le directeur par intérim de l'entreprise débitrice fut officiellement averti qu'il risquait d'être reconnu pénalement responsable pour l'inexécution des décisions judiciaires rendues contre l'entreprise. 8. Le 6 septembre 2005, le requérant reçut 10 021,71 roubles russes au titre de l'exécution partielle de la décision de justice. 9. Le 28 novembre 2005, la cour de commerce de l'Oudmourtie prononça la faillite de l'entreprise débitrice et désigna un liquidateur. 10. Le 23 octobre 2007, cette cour examina la demande du liquidateur visant à la clôture de la procédure de liquidation (конкурсное производство). Il releva que, en raison de l'insuffisance des fonds de l'entreprise, seules les dépenses courantes avaient pu être payées et que les créances n'avaient pas pu être honorées. Après examen du bilan du liquidateur, la cour mit fin à la procédure de liquidation de l'entreprise débitrice. 11. Le 9 novembre 2007, l'information relative à la liquidation de l'entreprise débitrice fut inscrite au registre uni d'État des personnes morales. 3. L'action judiciaire relative à la responsabilité des huissiers pour défaut d'exécution du jugement initial 12. À une date non précisée, le requérant introduisit une action civile en responsabilité de l'État contre la direction régionale du service fédéral des huissiers de justice, le service des huissiers de Glazov et le Trésor public pour défaut d'exécution complète du jugement du 23 mai 2005. Il demandait tout d'abord le recouvrement du solde impayé. Il reprochait en outre aux huissiers de ne pas avoir tenté de vendre des biens saisis de l'entreprise débitrice et de ne pas lui avoir proposé des biens saisis non vendus, ainsi que d'avoir dépassé le délai de deux mois qui était, selon lui, imparti par la loi pour l'exécution des jugements. Il ajoutait que l'inertie des huissiers lui avait causé un préjudice pour lequel il demandait réparation. 13. Le 25 avril 2006, le juge de paix de la circonscription judiciaire no 3 de Glazov débouta le requérant de son action. Dans sa décision, il rappelait que, selon les articles 16 et 1069 du code civil, le préjudice causé à un individu par des actes (ou par l'inaction) illégaux des institutions publiques (ou de leurs fonctionnaires) était indemnisé par le Trésor public. Il relevait par ailleurs que le requérant devait apporter la preuve du caractère illégal des actes des huissiers, de la faute prétendument commise et du lien de causalité entre ces actes et le préjudice allégué. Il estimait que l'intéressé n'avait pas rempli cette obligation au motif que, d'une part, les actes des huissiers évoqués par lui n'avaient aucun caractère illégal et que, d'autre part, ils ne lui avaient causé aucun préjudice. Enfin, le juge notait que la somme demandée était équivalente au montant du salaire impayé. Or, selon le juge, les défendeurs ne pouvaient en aucun cas être tenus pour responsables du non-paiement du salaire par une société tierce. Il concluait que, au demeurant, il n'avait pas été établi qu'un préjudice matériel quelconque eût été causé au requérant. 14. Le requérant interjeta appel. Par une décision du 20 juillet 2006, le tribunal de Glazov confirma en appel la décision du 25 avril 2006 pour des motifs identiques. B. Le droit et la pratique internes pertinents 1. Dispositions légales régissant les entreprises unitaires (statut juridique, biens, vocation) 15. L'article 49 du code civil dispose que les personnes morales peuvent avoir des droits civils correspondant au but de leur activité prévu dans leurs statuts et qu'elles peuvent assumer les obligations liées à cette activité. À l'exception, entre autres, des entreprises unitaires - terme propre au seul droit russe -, les personnes morales possèdent les droits civils et remplissent les fonctions civiles indispensables à l'accomplissement de toute activité qui n'est pas interdite par la loi. L'article 50 du code dispose que les personnes morales peuvent exister soit sous forme d'organisation commerciale, c'est-à-dire poursuivant un but lucratif, soit sous forme d'organisation non commerciale, dépourvue d'un tel but. 16. Selon l'article 113 du code civil, une entreprise unitaire est une organisation commerciale n'ayant pas de droit de propriété sur les biens que leur a affectés leur propriétaire. Les biens qui lui sont affectés sont indivisibles et ne peuvent être partagés (parts, apports), pas même entre les salariés de l'entreprise (article 113 § 1 du code civil, article 2 de loi fédérale du 14 novembre 2002 no 161-FZ sur les entreprises unitaires nationales et municipales (О государственных и муниципальных унитарных предприятиях) (« la loi »). Ils appartiennent à l'État si l'entreprise unitaire est nationale ou à la municipalité si elle est municipale. Ils lui sont affectés au titre de la gérance économique (хозяйственное ведение) ou de la gestion opérationnelle (оперативное управление) (article 113 § 2). 17. La loi distingue deux types d'entreprises unitaires : a) les entreprises unitaires nationales (федеральное государственное предприятие) et les entreprises unitaires municipales (муниципальное предприятие), qui sont fondées sur le droit de gérance économique (хозяйственное ведение), et b) les entreprises d'État (казенное предприятие) qui sont fondées sur le droit de gestion opérationnelle (оперативное управление) (article 2 § 2 de la loi). Le résumé ultérieur du droit interne ne concernera que les entreprises qui sont fondées sur le droit de gérance économique. 18. Seules les entreprises publiques peuvent être créées sous forme d'entreprises unitaires (article 113 § 1 du code civil). 19. L'article 8 § 4 de la loi énumère les circonstances dans lesquelles il est possible de créer une entreprise unitaire. Cela est notamment le cas lorsqu'est nécessaire l'usage de biens dont la privatisation est interdite : par exemple, pour préserver la sécurité de l'État, assurer des fonctions sociales (notamment le contrôle des prix de certains produits), conduire les activités réservées par les lois fédérales aux entreprises unitaires ou fabriquer certains produits retirés de la circulation civile. 20. L'entreprise unitaire est responsable de ses dettes sur tous les biens qui lui sont affectés. Elle n'est pas responsable des dettes du propriétaire de ses biens (à savoir la Fédération de Russie, l'entité fédérée ou la collectivité locale) (article 113 § 5 du code civil, article 7 § 1 de la loi). 21. Le propriétaire des biens affectés à l'entreprise unitaire n'est pas responsable des dettes de l'entreprise unitaire (l'article 114 § 7 du code civil), sauf lorsque l'insolvabilité de l'entreprise a été provoquée par lui-même. En pareil cas, et si les biens de l'entreprise unitaire ne suffisent pas au paiement des dettes, la responsabilité subsidiaire du propriétaire de ces biens, c'est-à-dire l'État fédéral, l'entité fédérée ou la municipalité concernés, peut être engagée (article 7 § 2 de la loi et article 56 § 3 du code civil) (paragraphe 32 ci-dessous). 22. Selon l'article 11 de la loi, le patrimoine de l'entreprise unitaire est constitué : a) des biens affectés par le propriétaire au titre de la gérance économique ou de la gestion opérationnelle ; b) des revenus de l'entreprise générés par ses activités ; et c) d'autres sources conformément à la loi. Selon l'article 16 de la loi, l'entreprise unitaire constitue un fonds de réserve formé par son bénéfice net. Ce fonds est exclusivement utilisé pour couvrir les pertes de l'entreprise. Selon l'article 17 de la loi, le propriétaire des biens de l'entreprise unitaire a droit à une part du bénéfice tiré de l'usage des biens qu'il a affectés à l'entreprise. Selon l'article 23 de la loi, le propriétaire des biens affectés à l'entreprise doit consentir à toute transaction importante, c'est-à-dire toute transaction dont la valeur maximale s'élève à dix pour cent des fonds statutaires de l'entreprise ou 50 000 fois le montant du salaire mensuel minimum fixé par la loi nationale. De même, tout emprunt contracté par l'entreprise unitaire doit être approuvé par le propriétaire (article 24 de la loi). 23. Selon l'article 18 § 3 de la loi, l'entreprise unitaire jouit des biens mobiliers et immobiliers qui lui sont affectés dans les limites propres à garantir la poursuite de l'activité, telle que définie dans ses statuts. Selon le paragraphe 10 de la directive commune des présidences de la Cour suprême de Russie et de la Cour suprême de commerce de Russie no 10/22 du 29 avril 2010, intitulée « Certaines questions (...) relatives aux litiges ayant trait à la protection du droit de propriété et à d'autres droits réels » (« О некоторых вопросах, возникающих в судебной практике при разрешении споров, связанных с защитой права собственности и других вещных прав »), les contrats conclus par l'entreprise en violation de cette disposition sont nuls, et ce indépendamment du consentement du propriétaire. 2. Dispositions légales et jurisprudence relatives aux pouvoirs du propriétaire à l'égard des biens qu'il a affectés à l'entreprise 24. Selon l'article 295 du code civil, le propriétaire décide de la création de l'entreprise, de l'objet et du but de son activité, de sa réorganisation et de sa liquidation. Il vérifie que les biens sont utilisés par l'entreprise conformément à leur affectation et veille à leur préservation. Il établit les critères de l'efficacité économique de l'entreprise unitaire et contrôle le respect des critères établis (article 20 § 12 de la loi). Il a droit à une part des bénéfices tirés par l'entreprise de l'usage des biens (article 295 § 1 du code civil). L'entreprise unitaire n'a pas le droit de disposer des biens immobiliers affectés à titre de gérance économique sans le consentement du propriétaire. 25. Chaque année, l'entreprise unitaire fait l'objet d'un audit financier obligatoire. Après chaque exercice comptable, elle doit soumettre ses documents financiers aux autorités fédérales ou municipales compétentes (article 26 de la loi). 26. Si l'entreprise ne peut disposer des biens immobiliers qui lui sont affectés au titre de la gérance économique (à savoir, entres autres, vendre, louer, hypothéquer) sans le consentement de leur propriétaire, elle peut en revanche le faire s'agissant des autres biens, sauf dispositions contraires prévues par la loi. Selon les modalités prévues par le code civil ou d'autres lois (article 299 § 2 du code civil), elle possède au titre de la gérance économique les produits et revenus tirés de l'usage par elle des biens affectés au titre de la gérance économique, ainsi que les biens acquis par elle sur la base d'un contrat ou sur un autre fondement. 27. Le droit de gérance économique prend fin sur les mêmes fondements et selon les mêmes modalités que le droit de propriété, et notamment lorsque le propriétaire prend une décision légitime de retirer ses biens de l'entreprise (article 299 § 3 du code civil). Le droit de propriété cesse, entre autres, en cas de rétractation du propriétaire (articles 235 § 1 et 236 du code civil). 28. La Cour suprême de commerce a souligné que les entreprises unitaires, possédant les biens au titre de la gérance économique, jouissent, à l'instar des propriétaires, du droit à la protection judiciaire de leur titre. Pour se prévaloir de ce titre, elles peuvent intenter une action en revendication ou action négatoire (actio negatore), y compris contre le propriétaire des biens (voir le paragraphe 6 de la directive no 8-O du 25 février 1998 : « certaines questions (...) relatives aux litiges ayant trait à la protection du droit de propriété et à d'autres droits réels » (« О некоторых вопросах, возникающих в судебной практике при разрешении споров, связанных с защитой права собственности и других вещных прав »)). En 2010, la Cour suprême de Russie et la Cour suprême de commerce de Russie ont ajouté que, au regard des dispositions de la loi fédérale, le propriétaire ayant affecté des biens à une entreprise unitaire à titre de gérance économique n'a pas le droit de disposer de ces biens, et ce indépendamment du consentement de l'entreprise (la directive commune no 10/22 du 29 avril 2010, précité, paragraphe 5, alinéa 3). 29. Depuis la fin de 2008 les cours de commerce ont élaboré une jurisprudence relative à la validité des retraits ou des transferts des biens. Cette jurisprudence a fait valoir les deux raisons suivantes. D'une part, elle a considéré que ni le code civil ni la loi ne prévoyaient le droit du propriétaire de retirer les biens. D'autre part, elle a estimé que l'article 18 § 3 de la loi interdisait à une entreprise unitaire disposant de biens au titre de la gérance économique de renoncer à ces biens lorsque leur retrait avait pour effet d'empêcher l'entreprise d'effectuer l'activité dont l'objet et le but étaient définis dans ses statuts. De nombreux arrêts peuvent être cités, par exemple, l'arrêt du 25 novembre 2008 (no F09-8506/08-С6) rendu par la cour de commerce de la circonscription de l'Oural. L'entreprise M. avait contesté la légalité de la décision de l'administration locale - propriétaire des biens affectés à l'entreprise au titre de la gestion économique - de retirer un bien immobilier. Les cours de commerce inférieurs avaient rejeté l'action au motif que le transfert des biens avait eu lieu conformément à la demande de l'entreprise elle-même et qu'il était donc régulier au sens des articles 299 et 236 du code civil (paragraphe 27 ci-dessus). La cour de commerce de la circonscription de l'Oural a annulé ces jugements. Elle a accueilli la demande de l'entreprise, ayant déclaré que le transfert avait été opéré en violation de la loi car avait pour effet d'empêcher l'entreprise d'effectuer l'activité dont l'objet et le but étaient définis dans ses statuts. 30. Les cours de commerce ont suivi ce raisonnement dans un nombre d'affaires ultérieures (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour suprême de commerce du 16 juin 2011, no VAS-6841/11, l'arrêt de la cour de commerce de la circonscription judiciaire du Nord-Ouest du 28 janvier 2010, no F07-13570/2009, et les arrêts de la cour de commerce de la circonscription judiciaire de l'Oural du 23 décembre 2013, no F09-13129/13). 31. En revanche, dans d'autres affaires, les juridictions de commerce ont confirmé le droit du propriétaire de retirer les biens affectés à l'entreprise unitaire dans certaines circonstances. Ainsi, par un arrêt du 4 décembre 2008 no F08-7268/2008, la cour de commerce de la circonscription judiciaire du Caucase du Nord a rejeté le recours du liquidateur d'une entreprise unitaire. Selon la cour, le retrait par le propriétaire - l'administration locale - des biens n'était pas contraire à la loi lorsque les conditions suivantes étaient réunies : a) le propriétaire a pris la décision de liquider ou de réorganiser l'entreprise unitaire, b) l'usage des biens n'est pas conforme au but statutaire de l'entreprise ou c) l'entreprise elle-même a renoncé aux biens (pour le même raisonnement, voir l'arrêt du 25 mars 2008, no F-1893/08-S06, rendu par la cour de commerce de la circonscription judiciaire de l'Oural). 3. Dispositions légales et jurisprudence quant à la responsabilité subsidiaire de l'État à l'égard des dettes des entreprises unitaires 32. Tant le code civil dans son article 56 § 3 que la loi dans son article 7 § 2 disposent que le fondateur de la personne morale ou le propriétaire du patrimoine de celle-ci n'assument pas les obligations de la personne morale et que cette dernière n'assume pas les obligations du fondateur ou du propriétaire, sauf dans les cas prévus par le code civil ou par les statuts de la personne morale. Ils énoncent en outre que, lorsque l'insolvabilité (faillite) de la personne morale est provoquée par son fondateur, par le propriétaire de son patrimoine ou par d'autres personnes qui sont en droit de lui donner des instructions contraignantes ou qui peuvent par tout autre moyen déterminer ses actions, leur responsabilité subsidiaire à l'égard des obligations de la personne morale peut être mise en jeu, si celle-ci n'a pas suffisamment d'actifs. 33. Le 20 février 2013, la cour de commerce de la circonscription judiciaire Povoljskiy a rendu un arrêt (no F06-11590/12) relatif à l'action introduite par le liquidateur de l'entreprise unitaire « Teplovyïe seti » de Volgograd contre l'administration de la ville. Le liquidateur avait demandé la mise en jeu de la responsabilité subsidiaire du propriétaire des biens. Selon lui, le retrait des biens de l'entreprise, ayant eu pour effet de l'empêcher d'apurer son passif, avait conduit à l'insolvabilité de celle-ci. La cour de commerce a statué en faveur du liquidateur. Elle a estimé qu'aucune loi ne conférait au propriétaire le droit de retirer les biens de l'entreprise. À l'appui de sa conclusion, elle a cité la jurisprudence de la Cour suprême de commerce, notamment la directive no 10/22 du 29 avril 2010 (paragraphe 28 ci-dessus). Elle a établi que le propriétaire avait retiré les biens utilisés par l'entreprise, ce qui avait empêché cette dernière d'exercer son activité économique et d'honorer ses créances, et qu'il avait par conséquent provoqué l'insolvabilité de l'entreprise. Elle a rejeté l'argument de la défenderesse selon lequel, au moment du retrait des biens, l'entreprise aurait déjà présenté des signes d'insolvabilité, au motif que cette circonstance n'était pas de nature à exclure la responsabilité du propriétaire. 34. Sur ce dernier point, la jurisprudence est instable. Par exemple, dans une décision du 20 mai 2010 (no ВАС-6138/10), la Cour suprême de commerce, refusant le renvoi de l'affaire à l'instance du contrôle en révision, a rejeté le recours de la société K. et Co. Cette société avait demandé que fût mise en jeu la responsabilité subsidiaire de l'administration locale qui avait retiré les biens d'une entreprise unitaire. La Cour suprême a jugé qu'il n'y avait pas de lien de cause à effet entre le retrait des biens et l'insolvabilité de l'entreprise au motif que cette dernière présentait déjà des signes d'insolvabilité avant le retrait des biens. 35. Le 6 mars 2012, la cour de la république de Carélie a rendu un arrêt contre une entreprise unitaire (Апелляционное определение СК по гражданским делам Верховного суда Республики Калмыкия от 6 марта 2012 г. по делу N 33-133/2012). Dans cette affaire, T., après avoir démissionné, avait saisi la justice d'une action en indemnisation contre l'entreprise. Il avait obtenu gain de cause, mais ses démarches en vue de faire exécuter la décision avaient échoué pour cause d'insuffisance d'actif de l'entreprise. Il s'était alors retourné contre le Trésor public pour demander le recouvrement de l'arriéré de salaire conformément aux dispositions légales prévoyant la responsabilité subsidiaire du Trésor à l'égard des dettes de l'entreprise unitaire. La cour régionale a débouté T. au motif que l'article 7 § 2 de la loi ne trouvait pas à s'appliquer puisque l'entreprise n'avait pas été déclarée insolvable. 36. Dans l'affaire no F08-717/2006 examinée par la cour de commerce de la circonscription judiciaire du Caucase du Nord, une administration locale avait affecté des biens à une entreprise unitaire. Lors de la faillite de celle-ci, tous les biens appartenant à l'entreprise, y compris ceux affectés par l'administration, avaient été destinés au remboursement de la masse de créances. L'administration locale avait alors intenté une action visant à l'exclusion de « ses » biens de la masse, faisant valoir que le paiement des créances aux dépens de ces biens reviendrait de facto à voir engager sa responsabilité subsidiaire. Or cette dernière pouvait être mise en jeu uniquement lorsque le propriétaire avait provoqué l'insolvabilité par ses actes ou instructions contraignantes. Par un arrêt devenu final le 15 mars 2006, la cour a rappelé que, en cas d'insolvabilité, les créances devaient être honorées aux dépens des biens de l'entreprise, y compris ceux ayant été affectés au titre de la gérance économique, et ce sans que le consentement du propriétaire fût nécessaire. Par conséquent, le paiement des créances n'impliquait pas, en tant que tel, la responsabilité subsidiaire du propriétaire. 4. Concepts de réformes envisagées relativement aux entreprises unitaires a) Le concept de 1999 relatif à la gestion du patrimoine public et à la privatisation au sein de la Fédération de Russie 37. L'arrêté du gouvernement de la Fédération de Russie du 9 septembre 1999 no 1024 sur le concept relatif à la gestion du patrimoine public et à la privatisation au sein de la Fédération de Russie (О концепции управления государственным имуществом и приватизации в Российской Федерации) (« le concept ») est le fruit de l'analyse de la législation relative aux entreprises unitaires et de son application en pratique. Il a mis en lumière les défauts du cadre légal de ces entreprises et a tracé les étapes de la réforme. Cette analyse a mis en évidence les éléments suivants : la loi en vigueur conférait à l'entreprise unitaire de larges pouvoirs en matière de gestion des biens du propriétaire. En pratique, ces fonctions étaient exercées par le directeur qui était bien protégé par la législation du travail. En revanche, les pouvoirs du propriétaire étaient énumérés de façon exhaustive et l'intervention des autorités publiques dans l'activité de l'entreprise était prohibée par la loi. De ce fait, l'État ne pouvait ni donner des instructions contraignantes pour l'entreprise ni contrôler l'usage du patrimoine ni même prendre des mesures disciplinaires à l'égard du directeur de l'entreprise. Le cadre juridique des entreprises unitaires était insuffisant et il n'y avait pas de registre répertoriant l'ensemble des entreprises unitaires et donnant des informations sur leurs actifs, sur leur situation financière ainsi que sur leurs résultats d'exploitation. En pratique, les directeurs d'entreprises abusaient de leurs fonctions, par exemple en transférant des fonds vers des entreprises-satellites, en concluant des contrats qui leur étaient favorables, en détournant des fonds ou en ne présentant pas aux organes d'État des informations à jour relativement à l'état des affaires. Il en résultait une augmentation du nombre d'entreprises en situation d'insolvabilité. Enfin, les entreprises unitaires étaient, en règle générale, peu performantes. L'État n'avait pas suffisamment de capacités de gestion et de contrôle pour toutes les superviser. Une réforme radicale de leur système de gestion s'imposait. En premier lieu, le concept préconisait d'évaluer les entreprises unitaires et de dresser une liste de celles qui exerçaient une activité dans les domaines stratégiques de l'État (sécurité nationale, transport public, politique sociale), selon des critères expressément énumérés. Il recommandait de restructurer les entreprises qui ne remplissaient pas ces critères, notamment par la voie de la privatisation. En deuxième lieu, le concept préconisait de confier aux institutions publiques compétentes, d'une part, la fixation des objectifs pour les entreprises unitaires et, d'autre part, le contrôle des résultats. En troisième lieu, le concept proposait un ensemble de mesures visant à mettre le statut des entreprises unitaires en conformité avec les lois en vigueur. Il envisageait en outre des mesures visant à superviser les directeurs de ces entreprises. Le concept concluait que la mise en œuvre de ces directives nécessiterait l'élaboration et l'adoption d'une base légale adéquate. b) Le concept de 2009 relatif au développement de la législation civile de la Fédération de Russie 38. Selon le concept relatif au développement de la législation civile de la Fédération de Russie, adopté par le conseil de la codification et du perfectionnement de la législation civile auprès du Président russe le 7 octobre 2009 et préparé en application du décret du Président russe no 1108 du 18 juillet 2008 (Концепция развития гражданского законодательства Российской Федерации Российской Федерации), l'entreprise unitaire est une forme unique de personne morale qui n'est pas propriétaire de ses biens et dont la capacité juridique est limitée. Une telle entreprise n'a pas le droit de conclure des contrats qui disposeraient de « ses » biens sans le consentement du propriétaire (fondateur). Tous les contrats conclus par elle peuvent être déclarés nuls s'ils la privent de la possibilité d'assurer l'activité dont l'objet et le but sont définis dans ses statuts (article 18 § 3 de la loi). Il en résulte que les signataires de contrats avec ces entreprises encourent un risque permanent de voir leurs contrats contestés par les propriétaires, alors que ces derniers n'endossent aucune responsabilité matérielle pour les conséquences d'une telle « gestion ». Toujours selon ce concept, cette forme de personne morale est dépourvue de perspectives d'avenir. Le concept recommande le remplacement progressif de cette forme d'entité par des sociétés de droit privé, dans lesquelles les entités publiques auraient une participation. Compte tenu des besoins de l'État fédéral, il convient, selon les auteurs du concept, de ne garder des entreprises unitaires nationales que dans les domaines les plus importants de l'économie nationale. 5. Règles régissant les contrats de travail des directeurs d'entreprises unitaires a) Dispositions régissant la nomination et la responsabilité du directeur 39. L'entreprise unitaire a à sa tête un directeur, qui est désigné par le propriétaire ou par un organisme mandaté par celui-ci et qui est tenu de rendre compte à ces derniers (article 113 § 4 du code civil et article 21 de la loi). Le propriétaire a le droit d'introduire une action civile contre le directeur de l'entreprise pour faire indemniser les dommages causés par les actes fautifs de celui-ci (article 25 de la loi). b) Dispositions régissant la révocation du directeur 40. L'article 278 du code du travail, tel que modifié par la loi fédérale du 30 juin 2006 no 90-FZ, permet de résilier le contrat de travail du directeur d'une entreprise unitaire, notamment sur décision du propriétaire des biens de l'entreprise (article 278 § 2 du code). 41. L'arrêté du gouvernement russe du 16 mars 2000 no 234 relatif à la conclusion des contrats de travail et au contrôle des compétences des directeurs d'entreprises unitaires nationales précise les motifs pouvant justifier le licenciement de ceux-ci (par exemple, en cas de non-respect des arrêtés adoptés par le gouvernement fédéral à l'égard de l'entreprise, en cas d'infraction aux lois en vigueur dans la gestion des biens affectés à l'entreprise par le propriétaire et en cas de défaut de paiement des salaires aux employés pendant au moins trois mois). Il définit également les modalités du contrôle des compétences des directeurs d'entreprises unitaires. 6. Règles régissant l'exécution des jugements rendus contre les entreprises unitaires et contre les entreprises d'État 42. La loi fédérale no 119-FZ du 21 juillet 1997 relative aux procédures d'exécution (Федеральный закон от 21 июля 1997 № 119-ФЗ « Об исполнительном производстве), dans ses dispositions consacrées à la procédure d'exécution des jugements, ne prévoit aucune exception pour les entreprises unitaires nationales et municipales (федеральное/муниципальное государственное предприятие), contrairement aux entreprises d'État (казенное предприятие), dont les comptes sont alimentés par le Trésor public. 43. Le chapitre 24 - 1 du code budgétaire russe (Бюджетный кодекс Российской Федерации), tel que modifié par la loi du 27 décembre 2005, régit les modalités d'exécution des jugements rendus contre l'État et contre les entreprises d'État (казенное предприятие). Dans ce dernier cas de figure, le demandeur doit présenter le titre exécutoire au Trésor public, qui détient le compte courant de l'entreprise d'État. Lorsque les fonds sont insuffisants pour honorer la créance, l'entreprise défenderesse demande à l'organe compétent pour l'exécution du budget de lui octroyer une subvention budgétaire (article 2423 § 5). 44. En cas d'insolvabilité d'une société quelle qu'elle soit, l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire (процедура наблюдения) suspend de plein droit l'exécution de tous les jugements rendus contre elle, à l'exception de ceux qui, rendus avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, ordonnent le paiement de l'arriéré de salaire (article 63 § 1, alinéa 4, de la loi fédérale no 127-FZ du 26 octobre 2002 relative à l'insolvabilité). Selon la directive no 59 du 23 juillet 2009 de la Cour suprême de commerce de la Fédération de Russie relative à certaines questions portant sur l'application de la loi fédérale relative aux procédures d'exécution en cas d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité, est illégal tout acte d'huissier visant à l'exécution des jugements pris en dehors du cadre de la procédure de redressement judiciaire (paragraphe 6 de la directive). C. Le droit international pertinent 45. Les articles sur la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite, adopté par la Commission du droit international (« la CDI ») en 2001 (Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie) ainsi que les commentaires qui s'y rapportent ont codifié les principes dégagés par le droit international moderne concernant la responsabilité de l'État pour fait internationalement illicite. Les dispositions pertinentes en l'espèce se lisent comme suit : Article 5 Comportement d'une personne ou d'une entité exerçant des prérogatives de puissance publique « Le comportement d'une personne ou entité qui n'est pas un organe de l'État au titre de l'article 4, mais qui est habilitée par le droit de cet État à exercer des prérogatives de puissance publique, pour autant que, en l'espèce, cette personne ou entité agisse en cette qualité, est considéré comme un fait de l'État d'après le droit international. » Article 8 Comportement sous la direction ou le contrôle de l'État « Le comportement d'une personne ou d'un groupe de personnes est considéré comme un fait de l'État d'après le droit international si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet État. » 46. Dans son commentaire relatif à l'article 8, la CDI a noté ce qui suit : « Plus complexes sont les problèmes qui se posent lorsqu'il s'agit de déterminer si le comportement a été mené «sur les directives ou sous le contrôle» de l'État. Ce comportement ne peut être attribué à l'État que si ce dernier a dirigé ou contrôlé l'opération elle-même et que le comportement objet de la plainte faisait partie intégrante de cette opération. Le principe d'attribution ne s'étend pas aux comportements dont le lien avec l'opération considérée n'était qu'incident ou périphérique et qui échappaient à la direction ou au contrôle de l'État. » 47. Les commentaires de la CDI relatifs à d'autres dispositions pertinentes des articles sur la responsabilité des États pour fait internationalement illicite sont résumés dans l'arrêt Kotov (voir, Kotov c. Russie [GC], no 54522/00, §§ 30-32, 3 avril 2012). GRIEF 48. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention et l'article 1 du Protocole no 1, le requérant se plaint d'un caractère incomplet et tardif de l'exécution de la décision rendue contre l'entreprise unitaire nationale qui l'employait.

EN DROIT



A. Sur la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention

et de l'article 1 du Protocole no 1 49. Le requérant se plaint d'une inexécution du jugement définitif le concernant, soutenant que celle-ci a emporté violation de ses droits au regard de la Convention. La Cour examinera ce grief sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention et de l'article 1 du Protocole no 1. La partie pertinente en l'espèce de ces dispositions est ainsi libellée : Article 6 § 1 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » Article 1 du Protocole no 1 « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. » 50. Tout d'abord, la Cour tient à définir la question qu'elle est amenée à trancher. Elle note que, pour le requérant, l'entreprise débitrice est une société entièrement détenue par l'État et que, par conséquent, en cas d'insolvabilité de celle-ci, l'exécution du jugement rendu doit être assurée aux dépens du budget de l'État. Elle note ensuite que le Gouvernement combat cette thèse, soutenant que l'État n'est en principe pas responsable pour les dettes des entreprises unitaires, lesquelles sont, selon lui, des entités indépendantes du point de vue de leur gestion et de leur fonctionnement. Aussi la Cour estime-t-elle que la question principale qui se pose en l'espèce est celle de savoir si l'entreprise débitrice peut être assimilée à une « organisation gouvernementale », au sens de la Convention, et, par conséquent, si la responsabilité de l'État pour une dette de celle-ci pouvait être engagée comme c'est le cas pour les dettes des institutions publiques. Elle considère que, dans la négative, il conviendra d'examiner la question de savoir si la responsabilité de l'État pouvait être engagée au motif que les services de l'État compétents auraient failli à assister le requérant dans ses démarches visant à l'exécution du jugement rendu à son égard. 1. Quant à la question de savoir si l'État peut être tenu pour responsable des dettes de l'entreprise débitrice a) Thèses des parties 51. Le Gouvernement estime que la requête est irrecevable ratione personae au motif que l'entreprise unitaire nationale est une personne morale autonome, pour les obligations de laquelle, selon lui, l'État ne peut assumer la responsabilité. Se référant en termes généraux aux articles de la commission du droit international de l'ONU sur la responsabilité de l'État, le Gouvernement note que le comportement des acteurs privés ne peut pas, en principe, être attribué à l'État. Se référant ensuite à la jurisprudence de la Cour, il dit résumer comme suit les critères élaborés par celle-ci en matière de responsabilité de l'État : le droit de propriété de l'État à l'égard de l'entreprise unitaire, la nature de l'activité et le degré d'indépendance institutionnelle et opérationnelle vis-à-vis de l'État. Le Gouvernement ajoute que l'entreprise débitrice ayant le droit au titre de la gérance économique ne satisfait pas à ces critères pour les raisons suivantes. 52. En premier lieu, il souligne que le droit russe confère aux entreprises nationales un statut de personne morale autonome. Il indique que, d'une part, ces entreprises ne se voient pas accorder des fonds prélevés sur le budget de l'État (article 6, alinéas 9 et 38, et article 152 du code budgétaire), et que, d'autre part, le propriétaire, qui a affecté des biens à l'entreprise nationale au titre de la gérance économique, n'a qu'un pouvoir très limité pour en contrôler l'usage (paragraphe 38 ci-dessus). Il conclut à ce propos que, si le propriétaire est à ce point écarté de la gestion de son patrimoine, le titre de propriété est vidé de tout contenu. 53. En second lieu, le Gouvernement soutient que l'entreprise débitrice a été créée conformément à l'arrêté no 150 du 31 janvier 2000 du gouvernement de la république d'Oudmourtie pour exercer une activité « financière et commerciale » (финансово-хозяйственная деятельность) ; il indique que le fondateur de cette entreprise était le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire de cette entité fédérée. Il ajoute que la république d'Oudmourtie a affecté des biens à l'entreprise au titre de la gérance économique, tout en restant propriétaire de ces biens, et que, d'après les statuts de l'entreprise, le fondateur n'était pas responsable des dettes de cette dernière, à moins d'avoir lui-même provoqué l'insolvabilité, ce qui, selon le Gouvernement, n'a pas été prouvé. Le Gouvernement ajoute que, en tant que société à vocation commerciale, l'entreprise débitrice n'avait ni exercé des fonctions publiques ni géré des services publics sous le contrôle des autorités. 54. En troisième lieu, le Gouvernement est d'avis qu'il ne conviendrait pas d'étendre aux affaires russes la jurisprudence relative aux entreprises publiques européennes, car le régime juridique des entreprises unitaires en Russie se différencierait de celui des autres États. Il précise à cet égard que le code civil distingue entre l'entreprise unitaire nationale ou municipale (унитарное предприятие), qui bénéficie d'une autonomie importante, et l'entreprise d'État (казенное предприятие), qui dépend directement de l'État (paragraphe 17 ci-dessus). À titre de preuve de l'autonomie des entreprises unitaires nationales, le Gouvernement cite le code civil et la jurisprudence pertinente (paragraphe 36 ci-dessus), selon lesquels, à ses dires, la responsabilité subsidiaire de l'État à l'égard des dettes d'une telle entreprise est limitée aux cas d'insolvabilité provoquée par l'État, propriétaire des biens (paragraphe 32 ci-dessus). De même, le Gouvernement renvoie à l'article 295 du code civil (paragraphes 26-28 ci-dessus) pour préciser que l'entreprise est libre de disposer de ses biens mobiliers sans le consentement de l'État - propriétaire des biens. Il affirme enfin que, comme le démontrerait le concept de 1999, les directeurs des entreprises unitaires, étant selon lui bien protégés par la législation du travail, gèrent, de facto sans le moindre contrôle de la part du propriétaire, les finances et le patrimoine de l'entreprise (paragraphe 36 ci-dessus). 55. Le Gouvernement soutient par ailleurs que le concept relatif à la gestion du patrimoine public et à la privatisation au sein de la Fédération de Russie a identifié certains défauts propres à cette forme de personne morale (paragraphe 37 ci-dessus). Il précise à cet égard que la Russie a entrepris de restreindre le nombre d'entreprises unitaires en transformant leur structure juridique en une autre forme de personne morale. Il ajoute que le concept relatif au développement de la législation civile de la Fédération de Russie du 7 octobre 2009 recommande de ne pas maintenir ce type d'entreprises en Russie (paragraphe 38 ci-dessus). 56. Le Gouvernement argue enfin que les entreprises unitaires sont indépendantes de l'État du point de vue institutionnel et opérationnel. Il indique à cet égard que, d'une part, la loi nationale ne prévoit pas la responsabilité subsidiaire de l'État pour les dettes des entreprises unitaires, à une exception près (paragraphe 32 ci-dessus), et que, d'autre part, dans la présente espèce, l'entreprise débitrice a mené une activité économique « ordinaire », c'est-à-dire, selon lui, qu'elle poursuivait un but lucratif sans avoir vocation à pourvoir aux besoins de l'État. 57. Le Gouvernement conclut que le juge national a rendu son jugement non contre l'État, mais contre l'entreprise débitrice, et que celle-ci ne s'est pas conformée au jugement pour cause d'insolvabilité, insolvabilité qui n'aurait pas été provoquée par l'État, propriétaire du patrimoine de l'entreprise. 58. Quant au requérant, il maintient son grief et s'en remet à la sagesse de la Cour. b) Appréciation de la Cour i. Principes généraux 59. La Cour rappelle que l'impossibilité pour un créancier de faire exécuter intégralement, et dans un délai raisonnable, la décision rendue en sa faveur contre l'État constitue une violation dans son chef du « droit à un tribunal » consacré par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi que du droit à la libre jouissance de ses biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1 (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, et Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 34, CEDH 2002-III). 60. La Cour rappelle ensuite que, lorsqu'un requérant se plaint de l'impossibilité d'obtenir l'exécution d'une décision de justice rendue en sa faveur, la portée de l'obligation qui incombe à l'État au titre de l'article 6 et de l'article 1 du Protocole no 1 varie selon que le débiteur est la Haute Partie contractante au sens de l'article 34 de la Convention ou un particulier (Anokhin c. Russie (déc.), no 25867/02, 31 mai 2007). Une décision rendue contre l'État fait peser sur celui-ci l'obligation générale de régler ces dettes sur des fonds publics. 61. Lorsque le débiteur est un particulier ou une entreprise privée, en principe l'État n'est pas directement tenu de rembourser les dettes de ceux-ci et ses obligations se limitent à apporter le concours nécessaire aux créanciers pour faire exécuter les jugements en cause, par exemple par le biais d'un service d'huissiers ou par le biais de liquidateurs nommés par la justice dans le cadre de procédures de faillite afin d'assister le créditeur dans ses démarches visant à l'exécution d'un jugement (voir, par exemple, Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l'ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 114, 16 juillet 2014, Shestakov c. Russie (déc.), no 48757/99, 18 juin 2002, Krivonogova c. Russie (déc.), no 74694/01, 1er avril 2004, Kunashko c. Russie, no 36337/03, § 38, 17 décembre 2009, Kesyan c. Russie, no 36496/02, 19 octobre 2006, et Fuklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005). Une créance pécuniaire, fût-elle constatée par jugement, est alors moins certaine, car ses chances de recouvrement dépendent dans une large mesure de la solvabilité du débiteur (Kotov, précité, § 90). 62. La Cour rappelle qu'elle a également été amenée à examiner une affaire dans laquelle le débiteur - une entreprise unitaire municipale - du fait de son statut en droit interne, ne pouvait être rangée dans aucune catégorie, ni celle d'institution publique ni celle d'administration locale ni celle d'entreprise privée (Yershova, no 1387/04, § 54, 8 avril 2010). Dans cette affaire, elle a relevé que, d'une part, l'entreprise unitaire menait ses activités en jouissant d'une certaine indépendance et qu'elle ne bénéficiait pas des subventions de l'État en cas d'insuffisance de ses fonds propres. Elle a noté, d'autre part, que l'entreprise unitaire était créée par une autorité publique qui demeurait propriétaire des biens qu'elle avait affectés à celle-ci. Elle rappelle que cette autorité vérifie si l'usage de ces biens est conforme à son affectation. Elle a, par ailleurs, le pouvoir de réorganiser et de liquider l'entreprise. Ces pouvoirs de contrôle sont suffisamment forts et leur usage peut, dans certaines circonstances et pendant une certaine période, aboutir à la réduction sensible, voire à l'annulation, par l'État de l'indépendance d'une telle entreprise à l'égard des autorités fondatrices, de sorte que ce dernier se rend responsable de ses actes et omissions (Yershova, précité, § 60). L'existence de ces pouvoirs de contrôle n'implique pas pour autant une responsabilité automatique des autorités fondatrices à l'égard des actes ou omissions de telles entreprises. La Cour constate que, dans la présente affaire, la question de savoir sous quelle catégorie ranger l'entreprise débitrice est identique à celle qui se posait dans l'affaire Yershova c. Russie, car, en l'espèce, l'entreprise débitrice, bien que nationale et non municipale comme c'est le cas dans l'affaire Yershova, est également une entreprise unitaire et, par conséquent, a le même statut au regard du droit interne (paragraphe 17 ci-dessus). 63. Pour trancher la question de savoir si les actes ou les omissions de l'entreprise publique sont imputables à l'État au regard de la Convention, la Cour a élaboré la notion autonome d'« organisation gouvernementale » en se fondant sur un certain nombre de critères. Ces derniers ont initialement été définis relativement au locus standi des organisations requérantes au regard de l'article 34 de la Convention. La Cour a ainsi pris en considération le statut juridique de l'entreprise en question et, le cas échéant, les prérogatives que lui donne ce statut, la nature de l'activité qu'elle exerce et le contexte dans lequel s'inscrit celle-ci, et son degré d'indépendance par rapport aux autorités politiques (voir, parmi beaucoup d'autres, Radio France et autres c. France (déc.), no 53984/00, § 26, CEDH 2003-X, et Compagnie de navigation de la République islamique d'Iran c. Turquie, no 40998/98, § 79, CEDH 2007-V). En dépit des différences existant entre les notions d'« organisation gouvernementale » et d'« autorité publique », la Cour a retenu un mode de raisonnement similaire dans un cas comme dans l'autre. Ainsi, elle a appliqué les principes dégagés dans la décision Radio France (précitée) à d'autres affaires dans lesquelles se posait la question de la responsabilité de l'État à raison des dettes d'une entreprise opérant dans le secteur privé (Kotov, précité, § 95, Mikhaïlenki et autres c. Ukraine, nos 35091/02 et al., § 44, CEDH 2004-XII, Novosseletski c. Ukraine, no 47148/99, § 82, CEDH 2005-II, Khachatryan c. Arménie, no 31761/04, § 52, 1er décembre 2009, et Yershova, précité, §§ 55 et 62). 64. La Cour a conclu que le statut juridique de la société au regard du droit interne était important, mais qu'il n'était pas le seul facteur à prendre en compte. Elle a également analysé la nature de l'activité, reconnaissant la qualité « d'organisation gouvernementale » à des personnes morales qui participaient à l'exercice de la puissance publique ou qui géraient un service public sous le contrôle des autorités. Ainsi, dans les affaires où les entreprises débitrices s'étaient vu confier des tâches liées au chauffage d'une ville entière située dans le Grand Nord (Yershova, précité, §§ 58-62) ou des activités dans le secteur de l'énergie nucléaire dans la zone d'évacuation forcée autour de Tchernobyl (Mikhaïlenki et autres, précité, § 45), la Cour a conclu que ces entreprises assuraient un service public sous le contrôle des autorités. De même, elle a conclu que les entreprises débitrices participaient à l'exercice de la puissance publique lorsqu'elles assumaient les fonctions publiques de gestion ou de distribution des fonds de logements d'État (Novosseletski, précité, §§ 81-82) ou lorsqu'elles servaient d'« instrument du Gouvernement dans le processus de privatisation du secteur public de l'énergie » (Cooperativa Agricola Slobozia-Hanesei c. Moldova, no 39745/02, § 17, 3 avril 2007). 65. Outre la nature de l'activité, la Cour a pris en considération le contexte dans lequel s'inscrivait celle-ci, mettant l'accent plus particulièrement sur le monopole dont bénéficiait l'entreprise sur le marché (RENFE c. Espagne, no 35216/97, 8 septembre 1997, et, a contrario, Radio France et autres, précité). 66. Enfin, dans son analyse du critère de l'indépendance institutionnelle et opérationnelle vis-à-vis de l'État, la Cour a évalué le degré d'implication de l'État dans la gestion des biens affectés à l'entreprise, ainsi que le niveau de son contrôle et de sa supervision au quotidien. Le contrôle de l'État pouvait prendre plusieurs formes, notamment la réorganisation et la liquidation de l'entreprise ainsi que le transfert des biens de celle-ci à une autre entité (Yershova, précité, § 55, Chernobryvko c. Ukraine, no 11324/02, § 23, 4 octobre 2005, et Ališić et autres, précité, §§ 115-116), la prise de mesures pour soutenir financièrement l'entreprise insolvable (Khachatryan c. Arménie, précité, § 52), l'interdiction légale de saisie des biens de l'entreprise (Mikhaïlenki et autres, précité, § 45), l'administration directe de l'entreprise par un ministère (Mikhaïlenki et autres, précité, §§ 33 et 45 - dans cette affaire le ministère ukrainien de l'Énergie) ou par des organismes gouvernementaux (R. Kačapor et autres c. Serbie, nos 2269/06, 3041/06, 3042/06, 3043/06, 3045/06 et 3046/06, § 97, 15 janvier 2008, et Ališić et autres, précité, § 116), et la réglementation stricte de l'activité par la législation (Mikhaïlenki et autres, précité, § 45, et Lisianski c. Ukraine, no 17899/02, § 19, 4 avril 2006). ii. Application des principes à la présente espèce 67. Se penchant sur les circonstances de la présente espèce, la Cour note d'emblée que les arguments du Gouvernement tendent à démontrer que l'entreprise débitrice est une personne morale autonome au regard du droit interne. Bien que la Cour ait été amenée à plusieurs reprises à constater que le statut juridique de l'entreprise vis-à-vis du droit interne n'est pas décisif pour déterminer la responsabilité de l'État pour les actes de l'entreprise au regard de la Convention (voir, parmi d'autres, Yershova, précité, § 56 ; voir également, mutatis mutandis, Mikhaïlenki et autres, précité, § 45, Lisianski, précité, § 19, Cooperativa Agricola Slobozia-Hanesei, précité, §§ 18-19, Grigoryev et Kakaourova c. Russie, no 13820/04, § 35, 12 avril 2007, et R. Kačapor et autres, précité, § 98) (paragraphe 64 ci-dessous), elle se penchera sur les arguments avancés par le Gouvernement au sujet des différents aspects du droit national en ce qui concerne les entreprises unitaires. 68. S'agissant du statut des directeurs des entreprises unitaires qui, d'après le Gouvernement, implique « l'indépendance » de fait des entreprises unitaires, la Cour note que, bien que cette situation ait été décrite comme inacceptable dans le concept de 1999 (paragraphe 37 ci-dessus), le législateur a, entre-temps, adopté un cadre afin de brider les pouvoirs excessifs de ces directeurs et de déterminer la responsabilité de ceux-ci envers l'État, ainsi que d'instaurer un contrôle plus strict de l'activité des entreprises (paragraphes 19, 25, 39-41 ci-dessus). 69. La Cour admet l'argument du Gouvernement selon lequel les entreprises unitaires sont des organisations commerciales à but lucratif, dont l'activité correspond au but prévu dans ses statuts (paragraphes 15 et 16 ci-dessus). Elle note toutefois que, même au regard de la capacité juridique, l'entreprise unitaire a un statut spécial qui tient au fait qu'elle est créée pour mettre en œuvre les objectifs de l'État qui ne peuvent être confiés à des entreprises de droit privé, notamment dans le domaine de la sécurité de l'État ou de la politique sociale de celui-ci (paragraphe 19 ci-dessus). 70. La Cour prend note de l'argument relatif à l'interdiction légale du retrait arbitraire par les autorités publiques des biens affectés à l'entreprise (paragraphe 54 ci-dessus). Elle constate que si, formellement, le pouvoir de l'État de disposer de ces biens ou d'exercer un contrôle quotidien quant à leur usage est limité (paragraphes 24-28 ci-dessus), en pratique, l'État détient un certain pouvoir de contrôle des biens appartenant à l'entreprise. En effet, d'une part, l'article 295 du code civil, tel qu'interprété par les deux Cours suprêmes de Russie, énonce que le propriétaire n'a pas le droit de disposer de ces biens (paragraphe 28 ci-dessus), et ce indépendamment du consentement de l'entreprise (paragraphe 29 ci-dessus). D'autre part, l'autorité publique a le pouvoir de retirer les biens affectés à l'entreprise au titre de la gérance économique, notamment dans le cadre de la procédure de liquidation ou de réorganisation de l'entreprise (paragraphes 24 et 27 ci-dessus). La jurisprudence des juridictions de commerce montre que, lorsqu'un propriétaire a ordonné la liquidation ou la réorganisation de l'entreprise, il peut alors légitimement retirer les biens appartenant à celle-ci (paragraphe 31 ci-dessus). La Cour rappelle avoir examiné une situation similaire dans l'arrêt Yershova (précité, §§ 11 et 60). 71. La Cour admet l'argument du Gouvernement selon lequel ces entreprises ont le droit de gérer et de disposer de leurs biens à leur gré sans l'intervention des autorités publiques (paragraphes 54, 23 et 26 ci-dessus), à quelques exceptions près. Elle note à cet égard que l'entreprise unitaire a une capacité juridique spéciale, à savoir qu'elle ne peut disposer des biens que dans les limites propres à garantir la poursuite de son activité, telle que définie dans ses statuts. Les contrats conclus par elle en violation de cette disposition sont nuls, et ce indépendamment du consentement du propriétaire (paragraphe 23 ci-dessus). De cette particularité de la capacité juridique de l'entreprise découle le pouvoir de l'autorité publique - propriétaire des biens - de contester tous les contrats conclus par cette entreprise, ce qui met les signataires de contrats avec l'entreprise dans une situation précaire (voir à cet égard le concept de 2009 - paragraphe 38 ci-dessus). En outre, la loi confère au propriétaire le droit de contrôler l'usage des biens au regard de leur affectation, ainsi que le droit de vérifier annuellement les documents financiers de l'entreprise (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). L'ensemble de ces pouvoirs du propriétaire, même s'ils ne sont pas forcément exercés, confère aux autorités publiques des mécanismes virtuels du contrôle à l'égard des entreprises unitaires. 72. Par ailleurs, le Gouvernement avance des arguments tenant au statut financier des entreprises publiques par rapport au budget de l'État. D'une part, il soutient que les comptes des entreprises unitaires ne sont pas, contrairement à ceux des entreprises d'État (казенные предприятия), alimentés par le Trésor public (paragraphes 42-43 ci-dessus) en cas d'insuffisance de leurs fonds. D'autre part, il avance que le droit interne ne prévoit qu'une seule exception au principe de non-responsabilité de l'État pour les dettes des entreprises unitaires, à savoir celle qui serait énoncée à l'article 56 § 3 du code civil et à l'article 7 § 2 de la loi (paragraphes 21 et 32 ci-dessus). La Cour note que cette exception ne s'applique qu'aux entreprises déclarées insolvables (paragraphe 35 ci-dessus), sous réserve que cette insolvabilité ait été provoquée par des instructions contraignantes ou par d'autres actions des pouvoirs publics (paragraphes 21 et 32 ci-dessus). La Cour constate que les dispositions légales susmentionnées, ainsi que leur application pratique (paragraphe 29 ci-dessus), confirment bien la thèse selon laquelle l'État garde la mainmise sur les entreprises unitaires. Lesdites dispositions serviraient donc à protéger ces dernières contre l'immixtion arbitraire et excessive des autorités publiques. Or la Cour constate, au vu de la jurisprudence nationale, que ces intrusions ont bien eu lieu. En effet, dans presque toutes les affaires dans lesquelles les juridictions nationales ont appliqué le principe de la responsabilité subsidiaire, celles-ci ont considéré que le propriétaire avait légitimement disposé des biens affectés à l'entreprise (paragraphe 29 ci-dessus). 73. Cela dit, la Cour constate, à l'instar du Gouvernement, que le statut juridique de ces entreprises offre en principe une grande autonomie à celles-ci (paragraphes 25-26 ci-dessus) et que le cadre légal mis en place en Russie définit de manière très stricte les limites de l'intervention de l'État - propriétaire des biens affectés aux entreprises unitaires - en matière tant de disposition de ces biens que de gestion de l'entreprise. La Cour rappelle en même temps la contradiction qui existe entre ce cadre légal et l'application pratique des mécanismes légaux ouvrant la possibilité de saper l'indépendance de l'entreprise (paragraphe 62 ci-dessus). Afin de trancher la question de l'indépendance de l'entreprise débitrice dans les circonstances de la présente espèce, il convient donc d'aller au-delà du seul statut juridique en droit interne pour attribuer ou non un comportement à l'État. La Cour doit examiner de manière effective le contrôle que l'État a exercé dans les circonstances de l'espèce. De l'avis de la Cour, cette approche est conforme tant à sa jurisprudence antérieure (paragraphes 62-66 ci-dessus) qu'à l'interprétation donnée par la CDI à l'article 8 des articles sur la responsabilité de l'État (paragraphes 45-46 ci-dessus). 74. En l'espèce, se penchant sur la nature de l'activité de l'entreprise, la Cour prend note de l'argument présenté par le Gouvernement, selon lequel l'entreprise débitrice n'exerçait ni des prérogatives de puissance publique ni une activité d'utilité publique. Cette information n'a pas été réfutée par le requérant ni infirmée par les documents qui ont été versés au dossier soumis devant la Cour. En effet, l'entreprise débitrice assurait des services dans le secteur de l'agriculture et de l'agroalimentaire ouvert à la concurrence (paragraphe 3) ; aucune clause de ses statuts ne permet de conclure qu'elle disposait de prérogatives du pouvoir public dans le cadre de ses activités (Radio France et autres, précité, § 26, et Ukraine-Tioumen c. Ukraine, no 22603/02, § 27 in fine, 22 novembre 2007). L'entreprise débitrice différait donc peu d'autres sociétés dites privées. 75. S'agissant enfin de l'indépendance institutionnelle et opérationnelle de l'entreprise, la Cour relève que ni le Gouvernement ni le requérant n'ont allégué que l'État, propriétaire des biens de l'entreprise débitrice, s'était immiscé dans la gestion de l'entreprise sous quelque forme que ce fût, par exemple par le biais des mesures constatées par la Cour dans des affaires antérieures (paragraphe 66 ci-dessus). En effet, le requérant n'allègue pas que l'État a été directement responsable de l'insolvabilité de l'entreprise débitrice, a détourné les fonds de cette dernière ou a donné, par l'intermédiaire de ses agences, des instructions contraignantes à l'entreprise au détriment de celle-ci. La Cour note de surcroît que le requérant n'a pas formulé de tels arguments devant les juridictions internes. Il a également manqué à combattre la thèse que le Gouvernement a exposée devant la Cour, selon laquelle il n'y aurait eu aucun motif pour engager cette responsabilité subsidiaire, car l'insolvabilité de l'entreprise débitrice résultait, selon lui, d'une situation économique défavorable plutôt que d'une mauvaise gestion (Anokhin, précité). 76. Dès lors, la Cour estime que l'entreprise débitrice n'est pas une « organisation gouvernementale » au sens de la Convention. Il ne peut donc être exigé de l'État qu'il exécute, aux dépens du budget fédéral, le jugement rendu contre l'entreprise en question. La responsabilité de l'État au regard de la Convention doit donc s'analyser selon les principes élaborés en matière d'inexécution des jugements rendus contre les personnes privées (Kunashko, précité, §§ 38-40). 2. Quant à la question de savoir si l'État est responsable des défaillances des services de l'État compétents pour l'exécution a) Thèses des parties 77. Se référant à la décision Shestakov c. Russie (précitée), le Gouvernement soutient que l'insolvabilité d'une société privée ne peut pas entraîner une responsabilité de l'État au regard de la Convention et de ses Protocoles. S'appuyant sur ses arguments présentés ci-dessus (paragraphes 51-57), le Gouvernement considère que le statut des entreprises unitaires est identique à celui des sociétés privées et que, par conséquent, l'État n'est pas redevable de leurs dettes. 78. Il est d'avis qu'en l'espèce la responsabilité de l'État ne pourrait être engagée qu'en sa qualité de dépositaire de la force publique (Kunashko, précité, §§ 38-40, et Shestakov, précité). Il indique à cet égard que les autorités compétentes ont pris toutes les mesures adéquates et nécessaires pour assister le créancier dans l'exécution des jugements (Fociac c. Roumanie, no 2577/02, § 70, 3 février 2005). Il ajoute que, plus particulièrement, avant l'ouverture de la procédure d'insolvabilité, les huissiers de justice ont procédé à l'exécution du jugement : ils ont saisi les biens de l'entreprise débitrice, les ont mis en vente et ont versé les fonds ainsi réunis au profit du requérant. Selon le Gouvernement, si l'exécution intégrale du jugement n'a pas été possible, c'est en raison de l'insolvabilité de l'entreprise débitrice. Partant, le droit du requérant garanti par l'article 6 § 1 de la Convention n'aurait pas été atteint. 79. Le requérant maintient son grief. b) Appréciation de la Cour 80. La Cour rappelle que l'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l'article 6 de la Convention (Hornsby, précité, § 40, et Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999-V). Elle rappelle également que, dans les cas où le jugement est rendu contre un défendeur « privé », l'obligation positive qui est faite à l'État lui impose de se doter d'un arsenal juridique permettant aux individus d'obtenir de leurs débiteurs récalcitrants le paiement des sommes allouées par les juridictions (Dachar c. France (déc.), no 42338/98, 6 juin 2000). Certes, il ne s'agit pas d'une obligation de résultat, mais de moyens. Les autorités doivent avoir pris les mesures qui leur étaient raisonnablement accessibles pour aider les créanciers dans la procédure de recouvrement. Par conséquent, à moins qu'il ne soit établi que les mesures adoptées par les autorités nationales n'ont pas été adéquates et suffisantes, l'État ne peut être tenu pour responsable du défaut de paiement d'une créance exécutoire par un débiteur « privé » (voir, à ce sujet, Shestakov, précité, Ruianu c. Roumanie, no 34647/97, § 66, 17 juin 2003, Anokhin, précité, et Kunashko, précité, § 38). 81. Par ailleurs, en matière civile, les États contractants ne sauraient être tenus pour responsables du défaut de paiement d'une créance exécutoire à raison de l'insolvabilité d'un débiteur « privé » (Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003). De même, l'État défendeur ne peut être tenu pour directement responsable des irrégularités commises par un liquidateur qui a été nommé par la justice (Kotov, précité, § 107). 82. Eu égard aux circonstances de l'espèce, la Cour relève que, compte tenu de ses conclusions ci-dessus (paragraphes 67-76 ci-dessus), l'État défendeur n'est pas directement responsable des défaillances de l'entreprise débitrice. Au demeurant, la loi russe relative aux procédures d'exécution ne prévoit aucune exception relativement à la procédure d'exécution des jugements pour les entreprises unitaires (paragraphe 42 ci-dessus). Par conséquent, les dettes de celles-ci ne peuvent pas être payées sur le budget fédéral. Le service des huissiers de justice est donc compétent pour exécuter les jugements rendus contre les entreprises unitaires, à moins que la procédure d'insolvabilité ne se trouve engagée (paragraphe 44 ci-dessus). 83. Il convient donc d'examiner si, en l'espèce, la responsabilité de l'État peut être engagée du fait de l'inertie des huissiers de justice. 84. La Cour note que le requérant a obtenu un jugement en sa faveur le 23 mai 2005. Le 6 juin 2005, l'huissier de justice du district de Glazov a engagé la procédure d'exécution. Le 1er juillet 2005, l'administrateur provisoire nommé par la cour de commerce a informé le service des huissiers que la procédure d'insolvabilité était en cours et a demandé la mise à sa disposition de tous les titres exécutoires. Avant même la déclaration d'insolvabilité de l'entreprise débitrice, le requérant a perçu, le 6 septembre 2005, une certaine somme au titre de l'exécution partielle du jugement du 23 mai 2005 (paragraphe 8 ci-dessus). Ainsi, la procédure d'exécution menée par les huissiers de justice a duré un mois et huit jours. Le solde de sa créance n'a pas été payé au requérant en raison de l'insolvabilité de l'entreprise débitrice. 85. Selon les informations fournies par le Gouvernement et non réfutées par le requérant, les huissiers de justice ne sont pas restés inactifs pendant la période indiquée ci-dessus : ils ont saisi les biens de l'entreprise débitrice et les ont mis en vente. Ce faisant, ils ont pris des mesures qui leur étaient raisonnablement accessibles aux fins de l'exécution du jugement. 86. Quant à la période postérieure à la déclaration d'insolvabilité de l'entreprise débitrice, la Cour estime que le requérant n'est pas fondé à se plaindre, au regard de l'article 6 § 1 de la Convention, de n'avoir aucun espoir de recouvrer sa créance en raison exclusivement de l'insolvabilité du débiteur, placé en liquidation judiciaire (Sanglier, précité, § 39). 87. Dès lors, le grief du requérant relatif à l'inertie des autorités compétentes pour l'exécution du jugement est manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) et il doit être rejeté, en application de l'article 35 § 4 de la Convention.

B. Sur la violation alléguée de l'article 13 de la Convention

88. Le requérant se plaint également de l'absence d'un recours effectif susceptible de lui permettre de faire exécuter le jugement du juge de paix du 23 mai 2005. Il invoque en substance l'article 13 de la Convention, qui se lit comme suit : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. » 89. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils s'y trouvent consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant l'instance nationale compétente à connaître du contenu d'un « grief défendable » fondé sur la Convention. Compte tenu de ses conclusions ci-dessus, la Cour considère que le requérant n'a pas de « grief défendable » à formuler au regard de la Convention ou de ses Protocoles, du moins en ce qui concerne d'éventuelles défaillances des autorités compétentes quant à l'exécution des jugements (paragraphes 67-75 ci-dessus). 90. Dès lors, la Cour conclut que le grief du requérant est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il doit être rejeté, en application de l'article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs

, la Cour, à l'unanimité, Déclare la requête irrecevable. Søren Nielsen Isabelle Berro-Lefèvre Greffier Présidente

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