Logo pappers Justice

Cour d'appel de Montpellier, 30 novembre 2022, 19/03472

Synthèse

Voir plus

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Montpellier
30 novembre 2022
CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS
15 avril 2019

Texte intégral

Grosse + copie délivrées le à COUR D'APPEL DE MONTPELLIER 1ère chambre sociale

ARRET

DU 30 NOVEMBRE 2022 Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/03472 - N° Portalis DBVK-V-B7D-OFEI Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 AVRIL 2019 - CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS - N° RG F17/00293 APPELANT : Monsieur [N] [T] né le 13 Mai 1958 à [Localité 3] de nationalité Française [Adresse 2] [Adresse 2] / FRANCE Représenté par Maître Xavier LAFON de la SCP LAFON PORTES, avocat au barreau de BEZIERS INTIMEES : S.A.S ALLIADIS prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1] [Adresse 1] Représentée par Maître Fanny LAPORTE Yann de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER et Maître Marie COURPIED BARATELLI de l'ASSOCIATION LOMBARD, BARATELLI & Associés, avocat plaidant au barreau de PARIS SASU SMART RX [Adresse 1] [Adresse 1] / FRANCE Représentée par Maître Fanny LAPORTE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat postulant au barreau de MONTPELLIER et Maître Marie COURPIED BARATELLI de l'ASSOCIATION LOMBARD, BARATELLI & Associés, avocat plaidant au barreau de PARIS Ordonnance de clôture du 27 Septembre 2022 COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 OCTOBRE 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Caroline CHICLET, Conseiller, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre Madame Caroline CHICLET, Conseiller Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller Greffière lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT ARRET : - Contradictoire ; - prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ; - signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Madame Isabelle CONSTANT, Greffière. * * * EXPOSE DU LITIGE : [N] [T] a été engagé à compter du 2 juillet 1985 par la société ASPline en qualité de responsable technicien, statut cadre, niveau 2.2, coefficient 130 de la grille des emplois de la convention collective des cabinets d'études techniques et d'ingénieurs conseils (SYNTEC) dans le cadre d'un contrat à durée indéterminé à temps complet. A compter du 6 mars 2007, l'intitulé de ce poste a été modifié pour devenir celui de directeur technique. Par un avenant du 22 janvier 2015, [N] [T] a été nommé directeur de l'équipe support et expertise technique (E-set) avec effet au 1er novembre 2013 et s'est vu octroyer à compter du 1er janvier 2014 une prime d'objectifs annuelle pouvant atteindre 4.500 € bruts. En 2012, la société ASPline a été rachetée par le groupe Cegedim. A compter de 2016, l'ensemble des actifs de la société ASPline, incluant le contrat de travail de [N] [T], a été transféré vers une filiale du groupe Cegedim, la société Alliadis exerçant sous l'enseigne Smart RX, employant habituellement au moins onze salariés. [N] [T] percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 4.350 € hors prime d'objectif. Par courriers recommandés du 10 avril 2017, l'employeur a notifié à [N] [T] un avertissement ainsi que son « repositionnement sur le poste de Responsable de la Veille Technologique» à effet au 1er mai 2017. [N] [T] a été placé en arrêt de travail à compter du 13 avril 2017. Le 19 avril 2017, [N] [T] contestait l'avertissement ainsi notifié et sollicité un délai de réflexion pour occuper le nouveau poste. Reprochant à son employeur de lui avoir imposé une double sanction et une modification illicites de son contrat de travail, [N] [T] a saisi le conseil des prud'hommes de Béziers le 19 juillet 2017 pour voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat à ses torts exclusifs et obtenir l'application de ses droits et la réparation de ses préjudices. Le 29 août 2017, il a été déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail en ces termes : « A la suite de l'étude de poste et des conditions de travail réalisées le 9/08/2017, et de l'échange avec l'employeur du 21/8/2017, [N] [T] [N] est déclaré inapte au poste de directeur technique (Art. R. 4624-42 du Code du travail). L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.» Le 25 septembre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 5 octobre 2017 avant d'être licencié par lettre du 10 octobre 2017 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement. Par jugement du 15 avril 2019, le conseil a : - débouté [N] [T] de l'ensemble de ses demandes, - dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, - dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens. Le 20 mai 2019, [N] [T] a relevé appel de tous les chefs de ce jugement. Vu les conclusions n°2 de [N] [T] remises au greffe le 11 mai 2022 ; Vu les conclusions des Sasu Alliadis et Smart RX remises au greffe le 4 novembre 2019 ; Vu l'ordonnance de clôture en date du 27 septembre 2022

; MOTIFS

: Sur l'identité de l'employeur : Après avoir soutenu en première instance et en appel que les Sasu Alliadis et Smart RX avaient délibérément entretenu une confusion entre elles ne lui permettant pas d'identifier laquelle de ces deux sociétés était son employeur, [N] [T] dirige désormais ses demandes contre la seule société Alliadis. La Sasu Smart RX sera par conséquent mise hors de cause. Sur la demande d'annulation de l'avertissement du 10 avril 2017 et la demande indemnitaire subséquente : [N] [T] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes d'annulation de l'avertissement du 10 avril 2017 et de condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 1.500 € à titre de dommages-intérêts et demande à la cour de faire droit à ses prétentions. La société Alliadis conclut à la confirmation du jugement sur ces points. Dès lors que le règlement intérieur, prescrit par l'article L. 1311-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur (cf l'article L.1321-1-3° du code du travail), une sanction disciplinaire autre que le licenciement ne peut être prononcée contre un salarié par un employeur employant habituellement au moins vingt salariés que si elle est prévue par ce règlement intérieur et si celui-ci est opposable au salarié. En outre, l'entrée en vigueur du règlement intérieur ne peut intervenir moins d'un mois après son dépôt au greffe du conseil des prud'hommes du ressort de l'entreprise et son affichage dans les lieux de travail et d'embauche (cf R.1321-1 et 2 du code du travail). En l'espèce, force est de constater que la Sasu Alliadis, qui ne conteste pas l'obligation qui était la sienne d'établir un règlement intérieur, ne démontre nullement avoir adopté un tel document en interne ni a fortiori l'avoir rendu opposable à l'appelant. La société Alliadis ne pouvait donc prononcer à l'encontre de [N] [T] une sanction disciplinaire autre que le licenciement ainsi que le soutient justement l'appelant en page 13 de ses écritures. L'avertissement du 10 avril 2017 doit, par ces seuls motifs, être annulé. La notification de cet avertissement irrégulier a causé un préjudice au salarié puisque celui-ci, après 32 ans d'ancienneté dans l'entreprise sans passé disciplinaire et des évaluations professionnelles de 2013 et 2016 ne comportant aucune allusion aux difficultés de management dénoncées soudainement en 2017, s'est senti déconsidéré ce qui a porté atteinte à sa santé et entraîné l'arrêt de travail du 13 avril 2017. La cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour lui allouer une somme de 1.500 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice et le jugement sera infirmé de ce chef. Sur l'exécution déloyale du contrat de travail et la demande de résiliation judiciaire : [N] [T] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande visant à voir reconnaître l'employeur responsable d'une exécution déloyale du contrat de travail et demande à la cour de faire droit à cette prétention. La société Alliadis conclut à la confirmation du jugement sur ce point. S'il est loisible à l'employeur, détenteur du pouvoir de direction, de changer unilatéralement les conditions de travail d'un salarié, il ne peut, en revanche, modifier son contrat de travail sans le consentement de l'intéressé. En l'espèce, la société Alliadis a écrit à [N] [T], le10 avril 2017, qu'elle lui proposait 'un repositionnement sur le poste de responsable de la veille technologique' et que 'cette affectation prendra effet à compter du 1er mai 2017". Cette proposition requérait l'accord du salarié puisqu'il s'agissait de lui retirer ses fonctions de management, correspondant à une partie essentielle de ses attributions ainsi que cela résulte de la fiche de poste de 'directeur de l'équipe E-Set' annexée à l'avenant du 22 janvier 2015 (prise en charge des problèmes en interne, faire remonter les besoins de formations et organiser les formations proposées, gestion administrative du personnel encadré avec transmission des informations au service RH, force de proposition afin d'optimiser la gestion sociale des salariés sous son autorité notamment par le biais d'entretiens annuels d'évaluation avec droit de regard sur le budget salaire de ses équipes, participer à l'embauche des techniciens de son équipe, faire respecter les horaires de travail et le règlement interne à son équipe, gérer les absences et les congés etc), pour le cantonner à une mission d'expertise technique. La société intimée ne peut soutenir qu'il ne s'agissait que d'une proposition qu'elle n'a jamais cherché à concrétiser sans l'accord de l'intéressé alors qu'il résulte des termes de son courrier du 28 avril 2017 qu'elle a refusé d'accorder à [N] [T] le délai de réflexion sollicité par ce dernier en lui répondant que la prise de poste était 'toujours effective' au 1er mai 2017, qu'elle souhaitait 'vivement (qu'il puisse) prendre (ses) nouvelles fonctions à la date évoquée' et en justifiant sa décision par le fait qu'elle avait 'souhaité mettre en place rapidement la nouvelle organisation pour pouvoir fonctionner au mieux avec le nouveau responsable de l'équipe E-set et, ainsi assurer, durant cette période de recouvrement la continuité du service dans les meilleurs conditions'. C'est d'ailleurs pourquoi, dès le 12 avril 2017, le directeur des opérations de l'entreprise informait l'ensemble de l'équipe E-set ainsi que le responsable d'exploitation de la nomination de [F] [B] aux fonctions de responsable de l'équipe E-set à partir de ce jour et de la nomination de [N] [T] aux fonctions de responsable de la veille technologique (pièce 21 de l'appelant). Il est donc établi que la société Alliadis a modifié unilatéralement le contrat de travail de [N] [T] sans l'accord de ce dernier, ainsi que l'appelant le soutient justement, peu important que le salarié ait été placé en arrêt de travail avant d'avoir pu prendre ses nouvelles fonctions et que l'employeur ait maintenu l'intitulé de ses fonctions antérieures sur les bulletins de paie édités après cet arrêt de travail. La société Alliadis ne peut justifier cette modification unilatérale prohibée par les récriminations de certains membres de l'équipe E-set contre les méthodes de management de [N] [T], contrairement à ce qu'elle soutient. En effet, si le comportement de [N] [T] constituait une menace pour la sécurité et la santé de certains salariés placés sous ses ordres, ainsi que le fait valoir la société intimée, il lui appartenait d'y répondre soit au moyen d'un changement interne pris avec l'accord du salarié soit au moyen d'une sanction disciplinaire régulière et proportionnée, ce qu'elle n'a pas fait. En ayant unilatéralement altéré les responsabilités de [N] [T] par le retrait soudain de toutes ses fonctions de management pour le cantonner à un poste d'expertise technique, la société Alliadis a manqué à son devoir d'exécution loyale du contrat de travail. La cour dit que ce manquement est suffisamment grave pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle et justifie le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Alliadis. Cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date de la rupture, soit au 10 octobre 2017. [N] [T] a droit à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois conformément à l'article 15 de la convention collective applicable et la société Alliadis sera condamnée à lui payer la somme de 13.050 € (3 x 4.350 €) outre celle de 1.305 € au titre des congés payés y afférents. S'agissant du préjudice résultant de la perte de l'emploi, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée (4.350 € bruts), de l'âge de l'intéressé (59 ans), de son ancienneté dans l'entreprise (32 ans), de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard tel que cela résulte des pièces communiquées et des explications fournies à la cour (allocation de retour à l'emploi à compter du 17 novembre 2017 et jusqu'au 30 juin 2020 avec une baisse de revenus de 45% et pension de retraite mensuelle de 2.200 € depuis juin 2020), la société Alliadis sera condamnée à lui verser la somme de 87.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, la résiliation judiciaire ayant pris effet à une date postérieure (10 octobre 2017) à l'entrée en vigueur de cette ordonnance (24 septembre 2017). Lorsque le licenciement est indemnisé en application de l'article L.1235-3 du code du travail, comme c'est le cas en l'espèce, la juridiction ordonne d'office, même en l'absence de Pôle emploi à l'audience et sur le fondement des dispositions de l'article L.1235-4 du même code, le remboursement par l'employeur de toute ou partie des indemnités de chômage payées au salarié par les organismes concernés, du jour du licenciement au jour du jugement, et ce dans la limite de six mois. En l'espèce au vu des circonstances de la cause il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités à concurrence de 6 mois. Le jugement sera infirmé sur ces points. Sur les autres demandes : Les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de la demande (soit à compter de la date de réception de sa convocation devant le bureau de conciliation), et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt. Il sera fait droit à la demande de remise des documents sociaux, sans que l'astreinte soit nécessaire. La Sasu Alliadis qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à [N] [T] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

: La cour, statuant publiquement ; Met hors de cause la Sasu Smart RX ; Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau ; Annule l'avertissement du 10 avril 2017 ; Dit que la Sasu Alliadis a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat ; Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de [N] [T] aux torts exclusifs de la société Alliadis ; Dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date de la rupture intervenue le 10 octobre 2017 ; Condamne la Sasu Alliadis à payer à [N] [T] les sommes suivantes : > 1.500 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice consécutif à la notification d'un avertissement irrégulier, > 13.050 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, > 1.305 € bruts au titre des congés payés y afférents, > 87.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ; Dit que la Sasu Alliadis devra transmettre à [N] [T] dans le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif ; Ordonne le remboursement par la Sasu Alliadis au Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à [N] [T] du jour de son licenciement à ce jour, à concurrence de 6 mois ; Dit que le greffe adressera à la direction générale de Pôle Emploi une copie certifiée conforme de l'arrêt, en application de l'article R.1235-2 du code du travail ; Déboute [N] [T] de sa demande d'astreinte et du surplus de ses prétentions; Condamne la Sasu Alliadis aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à [N] [T] la somme de 2.500 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel. La greffière, Le président,