COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT
AU FOND
DU 30 MAI 2024
N° 2024/ 110
Rôle N° RG 19/13391 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEYYB
SA CMA CGM
C/
Société HELVETIA COMPAGNIE SUISSE D'ASSURANCES
Société SWISS RE INTERNATIONAL SE
Société GREAT LAKES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Joseph MAGNAN
Me Christine BERNARDOT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 30 Juillet 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 2017F02755.
APPELANTE
SA CMA CGM,
dont le siège social est sis : [Adresse 3]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Laurianne RIBES, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant.
INTIMEES
Société HELVETIA COMPAGNIE SUISSE D'ASSURANCES
dont le siège social est sis : [Adresse 1]
représentée par Me Christine BERNARDOT, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Pascal ALIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Société SWISS RE INTERNATIONAL SE
dont le siège social est sis : [Adresse 2]
représentée par Me Christine BERNARDOT, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Pascal ALIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Société GREAT LAKES
dont le siège social est sis : [Adresse 4]- GDE BRETAGNE
représentée par Me Christine BERNARDOT, avocat au barreau de MARSEILLE, Me Pascal ALIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 28 Mars 2024 en audience publique. Conformément à l'article
804 du code de procédure civile, Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère rapporteur a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marielle JAMET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Mai 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Mai 2024,
Signé par Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre et Madame Marielle JAMET, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Selon un connaissement émis le 2 décembre 2016 la Société de Cultures Légumières (ci-après société SCL) a confié à la société CMA-CGM le transport maritime d'épis de maïs en provenance du Sénégal vers l'Angleterre au profit de la société Barfoot of Botley Limited.
A destination du navire le 15 décembre 2016 il a été constaté que la marchandise empotée en vrac dans l'un des conteneurs était endommagée.
Un expertise contradictoire effectuée par le cabinet TMC a mis en exergue le mauvais fonctionnement du générateur du conteneur à l'origine d'un processus d'altération irréversible de la marchandise, et a procédé à une dépréciation de la cargaison à hauteur de 64,14 %, soit un préjudice évalué à 18 600,60 euros.
Le 12 décembre 2017, la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se, assureurs de la société SCL, invoquant être subrogés dans les droits de cette dernière, ont assigné la société CMA-CGM devant le tribunal de commerce de Marseille afin d'obtenir le paiement de la somme principale de 17 440,60 euros en remboursement des avaries subies par la marchandise, outre les frais d'expertise et intérêts légaux.
Par jugement en date du 30 juillet 2019 le tribunal de commerce de Marseille a :
-déclaré recevable l'action de la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se,
-condamné la société CMA-CGM à payer à la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se la somme de 17 440,60 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice et celle de 4 000 euros en application des dispositions de l'article
700 du code de procédure civile,
-conformément aux dispositions de l'article
1343-2 du code civil (ancien article
1154 du code civil), dit que les intérêts au taux légal se capitaliseront par périodes annuelles et porteront intérêt au même taux,
-conformément aux dispositions de l'article
696 du code de procédure civile, condamné la société CMA-CGM aux dépens,
-conformément aux dispositions de l'article
515 du code de procédure civile, ordonné pour le tout l'exécution provisoire,
-rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires au jugement.
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Par acte du 14 août 2019 la société CMA-CGM a interjeté appel du jugement.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 16 février 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société CMA-CGM (SA) demande à la cour de :
Vu la convention de Bruxelles originelle,
Vu les clauses et conditions du connaissement CMA CGM,
Vu le code civil,
Vu le code de procédure civile
Vu le code des transports
Vu la jurisprudence,
Vu les pièces,
Vu le jugement entrepris
Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
En conséquence, statuant à nouveau
A titre liminaire retenir l'application de la convention de Bruxelles originelle dans le présent litige,
Juger qu'une telle demande ne constitue pas une demande nouvelle ni ne viole le principe de l'Estoppel et se trouve parfaitement recevable.
A titre principal,
Dire l'action des demandeurs irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt à agir et les débouter de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions,
Prononcer l'irrecevabilité de l'action de la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se et dans tous les cas les débouter de leurs demandes,
A titre subsidiaire,
Constater l'absence de précooling du conteneur et l'empotage contraire aux règles de l'art en la matière.
En conséquence retenir au bénéfice du transporteur maritime un cas exonératoire de responsabilité au sens de l'article 4 de la convention de Bruxelles amendée
En conséquence rejeter purement et simplement les prétentions des demandeurs à l'action et exonérer la société CMA CGM SA de toute responsabilité.
A titre infiniment subsidiaire, en application des limitations de responsabilité posée par la convention de Bruxelles originelle, limiter le montant des condamnations éventuelles de l'exposante à une somme de 823,96 DTS (huit cent vingt-trois DTS et quatre-vingt-seize ct)
En tout état de cause,
Débouter la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
Condamner la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se à payer à CMA CGM la somme de 4 000 euros (Quatre mille euros) au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, la société CMA-CGM fait valoir en premier lieu que la Convention de Bruxelles dite originelle a vocation à s'appliquer au litige. Elle ajoute que ce fondement juridique, soutenu en appel, ne modifie pas ses prétentions et est conforme aux dispositions de l'article
565 du code de procédure civile et qu'en outre, l'estoppel ne lui interdit pas de changer de défense au cours d'un procès.
En second lieu, la société CMA-CGM soutient l'irrecevabilité des demandes formées par la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se au nom de la société SCL dès lors que cette société a vendu la marchandise à la société Barfoot, destinataire, et n'a pas pu transmettre aux assureurs plus de droits qu'elle n'en détient elle-même. La société CMA-CGM invoque également la non concordance sur l'identité des assureurs entre la police d'assurance et les demandeurs à l'action.
Sur le fond, la société CMA-CGM, qui indique avoir agi en qualité de transporteur maritime, invoque l'existence de causes exonératoires, à savoir une faute du chargeur en l'absence de pré-refroidissement de la marchandise avant empotage, et également un mauvais empotage ayant empêché une circulation correcte de l'air.
Subsidiairement, la société CMA-CGM sollicite la réduction du quantum de l'indemnisation en soutenant que s'agissant d'un chargement en vrac non individualisable il convient de retenir l'existence d'une seule unité conformément à l'article 4.5 de la convention de Bruxelles, soit une limitation à hauteur de 823 DTS.
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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 16 février 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se demandent à la cour de :
Vu les écritures de 1ère instance de l'appelante
Vu la déclaration d'appel
Vu le jugement entrepris
Vu les pièces versées aux débats,
Vu notamment les dispositions des articles L 132.4 et suivantes du code de commerce
Vu les dispositions de la Convention de Bruxelles amendée
Vu celles des Règles de Hambourg
Vu par extraordinaire les dispositions de la Convention de Bruxelles originelle
Vu la jurisprudence précitée
Vu les présentes écritures
Juger que l'appelante présente en cause d'appel des demandes nouvelles et/ou moyens nouveaux au besoin contraires à ceux soutenus devant les premiers juges, et constitutif d'une violation du principe de l'estoppel selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d'autrui »
Juger ses demandes nouvelles ou moyens nouveaux irrecevables
Débouter l'appelante de ses demandes fins et conclusions en cause d'appel
En toute hypothèse ou le cas échéant,
Juger applicables les dispositions des articles L 132.4 et sv du code de commerce
Juger le cas échéant applicables les dispositions de la Convention de Bruxelles amendée
Juger à défaut applicables les dispositions des Règles de Hambourg
Juger en toute hypothèse, inapplicables les dispositions de la Convention de Bruxelles de 1924 dite originelle
Juger l'action des concluantes recevable
Juger l'action des concluantes fondée tant en leur principe qu'en leur quantum
Juger que la société CMA CGM est intervenue en qualité de commissionnaire de transport
Juger la société CMA CGM responsable des avaries causées à la marchandise à elle confiée, objet du présent litige au regard de son fait personnel et/ou de ceux de ses substitués quelles que soient les dispositions applicables,
Juger n'y avoir lieu à application des limitations d'indemnité
Rejeter la demande de la société CMA CGM sollicitant l'application des limitations d'indemnités à hauteur de 823,96 DTS soit une limitation au conteneur pris comme unité ou colis.
Débouter L'appelante de ses demandes fins et conclusions en cause d'appel
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions
Condamner la requise au paiement de la somme de 8000 € en application des dispositions de l'article
700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Les assureurs soutiennent en réponse qu'en invoquant pour la première fois en appel l'application de la Convention de Bruxelles originelle, alors qu'elle sollicitait l'application de la Convention amendée, la société CMA-CGM formule une demande nouvelle de limitation de l'indemnité et de surcroît une demande contraire à ce qui avait été soutenu en première instance.
Les assureurs ajoutent que la société CMA-CGM a volontairement fait une application de la Convention amendée et qu'en tout état de cause, la version originelle n'a pas vocation à s'appliquer en l'état du rôle de commissionnaire de la société. Ils soutiennent donc l'application des règles du code de commerce, et à défaut celles de la convention de Hambourg.
Les assureurs soutiennent en outre qu'ils sont recevables à agir au regard de l'avoir émis par Barfoots et au regard du contrat d'assurances.
Sur le fond, les assureurs contestent tout défaut de pré refroidissement et tout défaut d'empotage en rappelant que la société CMA-CGM doit faire la preuve de ces cas exceptés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Sur le quantum, les assureurs font valoir qu'en l'absence d'application de la Convention de Bruxelles originelle, il n'y a pas lieu à limitation de responsabilité au colis, et à défaut, le conteneur ne peut être considéré comme un colis, les parties ayant visé le nombre d'épis ou le
MOTIFS
S recevabilité de l'action des assureurs :
En application des articles
L121-12 et
L172-29 du code des assurances l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance acquiert, à concurrence de son paiement, tous les droits de l'assuré nés des dommages qui ont donné lieu à garantie.
Ainsi, l'assureur qui a payé l'indemnité contractuellement due à son assuré est légalement subrogé dans les droits de ce dernier.
Par ailleurs, au visa de l'article
31 du code de procédure civile l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
En l'espèce, la société CMA-CGM soutient d'une part, que la société SCL n'est pas titulaire des droits sur la marchandise pour l'avoir vendue à la société Barfoot et d'autre part, que la société Great Lakes Reinsurance Se, demandeur à l'action, n'est pas mentionnée sur l'avenant à la police d'assurances n°892.970 applicable à compter du 1er janvier 2016.
Pour autant, les assureurs produisent un document intitulé « facture avoir » d'un montant de 18 786 euros émis le 16 décembre 2016 par la société SCL, chargeur au connaissement, au profit précisément de la société Barfoot of Botley, destinataire de la marchandise, et correspondant au conteneur litigieux, attestant ainsi que la société SCL dispose d'un intérêt à agir au titre de l'indemnisation de son préjudice à la suite des avaries constatées (pièce 8 des intimées).
Par ailleurs, si l'avenant applicable à compter du 1er janvier 2016, signé par la société SCL, mentionne, parmi les assureurs, la société Concept Special Risks Sas à hauteur de 10%, aux côtés des sociétés Helvetia Assurances (75%) et Swiss Re (15%), il apparaît néanmoins que les signataires de l'avenant sont bien la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se, demandeurs à l'action en indemnisation (pièce 7 des intimées).
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré l'action des sociétés Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, Swiss Re International et Great Lakes Reinsurance Se recevable, comme étant subrogées dans les droits de la société SCL.
Sur la responsabilité de la société CMA-CGM :
Sur la Convention applicable :
En application des articles
564 et suivants du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En outre les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce, n'est pas nouvelle la demande formée pour la première fois en cause d'appel par la société CMA-CGM visant à contester, à titre subsidiaire, le quantum de la créance dès lors que cette demande tend aux mêmes fins que ses prétentions initiales visant à contester le principe même de la créance (Cass.
).
Il ressort ainsi des conclusions d'appelante de la société CMA-CGM que celles-ci tendent à titre principal à obtenir le rejet des demandes indemnitaires adverses, au même titre que ses conclusions de première instance, en dépit d'un fondement juridique différent.
Il apparaît dès lors que la demande subsidiaire, formée de surcroît à titre reconventionnel, n'a pour objectif que d'obtenir l'atténuation des effets de la condamnation prononcée sur le fondement de la demande originaire.
Dès lors, la société CMA-CGM est recevable à invoquer en cause d'appel un moyen nouveau tiré de l'application de la Convention de Bruxelles dite originelle en lieu et place de la Convention dite amendée dès lors qu'elle vise également à faire valoir les cas exceptés permettant au transporteur maritime de s'exonérer de la présomption de responsabilité pesant sur lui et ne modifie pas les prétentions initiales de la société CMA-CGM.
Par ailleurs, au regard du principe de l'estoppel, nul ne peut se contredire au détriment d'autrui. Est ainsi sanctionnée l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.
Pour autant, ce principe ne saurait faire obstacle à ce qu'une partie modifie le fondement juridique de sa demande en cause d'appel, et ce, d'autant que les positions de la société CMA-CGM ne sont pas de nature à générer d'erreur sur ses intentions dès lors que le choix de la Convention applicable n'a d'incidence que sur le quantum du préjudice et que les assureurs eux-mêmes invoquent en cause d'appel l'application nouvelle des articles
L.132-4 et suivants du code de commerce.
En conséquence, le moyen tiré de l'estoppel doit être rejeté.
S'agissant des textes applicables au litige, les assureurs ne peuvent se prévaloir au cas particulier de la qualité de commissionnaire de transport de la société CMA-CGM, et partant des articles
L.132-4 et suivants du code de commerce, en se fondant sur la seule offre de prix émise par celle-ci le 16 décembre 2016 au profit de la société SCL (pièce 9 des intimées).
En effet, d'une part, les assureurs ne démontrent par aucune pièce que cette proposition, qui inclut effectivement des prestations de préacheminement, a été acceptée par la société SCL et d'autre part, et en tout état de cause, cette offre est postérieure à la signature du connaissement et également postérieure au sinistre.
Au surplus, la circonstance que la société CMA-CGM ait pu reconnaître ou qu'il ait pu être déduit de pièces communiquées, qu'elle était intervenue en qualité de commissionnaire dans d'autres cas d'espèce, bien que relatifs aux mêmes parties et aux mêmes liaisons maritimes, ne saurait préjuger de façon générale de la nature de l'ensemble des acheminements assurés par la société CMA-CGM, et ce, de surcroît alors que le seul document contractuel produit par les parties porte exclusivement sur le transport maritime (pièce 1 des intimées, « waybill »).
En conséquence, il y a lieu de faire application de la Convention de Bruxelles dite originelle, étant rappelé que l'article 10 de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, dans sa version originelle dite « Règles de la Haye », rend cette Convention applicable aux transports couverts par un connaissement émis par un des Etats contractants. Tel est le cas du Sénégal, pays émetteur du connaissement n°DKA0112122 daté du 2 décembre 2016, lequel n'a en revanche, pas ratifié les amendements postérieurs du 23 février 1968 et du 21 décembre 1979, dits « Règles de Visby ».
En outre, si l'article 31 de la Convention des Nations Unies sur le transport de marchandises par mer du 31 mars 1978, dite Convention de Hambourg, ratifiée par le Sénégal, prévoit des modalités de dénonciation de la Convention de Bruxelles par les Etats contractants, il n'est pas démontré au cas d'espèce que le Sénégal a dénoncé cette Convention.
En tout état de cause, la France n'a pas ratifié la Convention de Hambourg. Il en résulte que les juridictions françaises ne peuvent faire application de cette Convention que pour autant qu'elle a été choisie par les parties comme texte applicable au moyen d'une clause dite Paramount (Cass. Com., 28 mars 2000, Cass. Com. 1er octobre 2013). En l'absence de preuve de l'existence d'une telle clause incluse au connaissement susvisé, il n'y a pas lieu de faire application de la Convention de Hambourg.
Sur le sinistre :
En application de la Convention de Bruxelles du 25 août 1924, le transporteur maritime est responsable des pertes et dommages subis par la marchandise depuis la prise en charge jusqu'à la livraison.
Néanmoins, il peut s'exonérer de la responsabilité qui est présumée à son encontre quant aux pertes et avaries aux marchandises transportées s'il démontre l'existence de l'un des cas exceptés admis par l'article 4-2 de la Convention de Bruxelles, et s'il démontre que ce cas excepté a bien été la cause du dommage. Parmi ces cas exceptés figurent les fautes du chargeur, notamment dans l'insuffisance d'emballage, ainsi que les causes ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur.
En l'espèce, la société CMA-CGM, qui ne conteste pas la mise à disposition par ses soins des conteneurs au profit du chargeur, se prévaut d'une absence de pré-refroidissement et d'un mauvais empotage de la marchandise.
S'agissant de l'absence de pré-refroidissement, comme l'ont justement relevé les premiers juges, l'examen des data loggers fournis par la société CMA-CGM démontre que le conteneur litigieux a été mis en marche le 26 novembre 2016 à 10h32, avec une température réglée à 15°C soit au-delà de la température de consigne fixée à 1°C, mais que pour autant, ce réglage n'a duré que 5 heures, vraisemblablement pour la durée de l'empotage de la marchandise, avant d'être porté à la température prévue au connaissement (pièces 3 et 1 de l'appelante).
Ces mêmes enregistrements montrent que la température de retour du conteneur était inférieure à la température de consigne initialement réglée à 15°C pendant les opérations d'empotage, ce dont il peut être déduit que la marchandise a nécessairement été empotée à une température inférieure, et ce, alors que la société CMA-CGM rappelle que le conteneur litigieux n'a pas une fonction de refroidissement mais uniquement de maintien en température.
L'expert de la société TMC Marine note d'ailleurs que le document intitulé « agreage expedition » en date du 27 novembre 2016 « montre que la marchandise était pré réfrigérée entre +3.5°c et 6.9°c avec une moyenne de +5.5°c avant toute conteneurisation » et affirme que « le relevé de température montre une réduction initiale, suggérant que la marchandise a été pré-refroidie » (articles 3.1 et 8.3 du rapport, pièce 2 des intimées, traduction libre et non contestée des parties).
L'examen des data loggers atteste ainsi que la faute du chargeur résultant d'un défaut de pré-refroidissement ne peut être retenue alors même que par ailleurs il ressort de ces enregistrements que la température soufflée a connu des variations fréquentes et significatives durant le transport.
S'agissant du mauvais empotage, la société CMA-CGM, sauf à dénoncer un chargement du maïs en vrac, ne démontre pas en quoi cet empotage constitue une faute, alors que d'une part, cette méthode d'empotage est expressément mentionnée au connaissement et n'a fait l'objet d'aucune réserve de la part du transporteur et alors d'autre part, que ce même document atteste que d'autres conteneurs, chargés également de maïs en vrac, ont été acheminés par le même navire sans pour autant présenter de dommages au port de destination.
Il en résulte que la faute du chargeur dans l'empotage de la marchandise n'est pas davantage démontrée.
En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société CMA-CGM au titre des dommages et pertes survenues à la marchandise en l'absence de preuve d'un cas excepté.
Sur l'indemnisation du préjudice :
Aux termes de l'article 4.5 de la Convention du 25 août 1924 « le transporteur comme le navire, ne seront tenus en aucun cas des pertes ou dommages causés aux marchandises ou les concernant pour une somme dépassant 100 livres sterling par colis ou unité, ou l'équivalent de cette somme en autre monnaie, à moins que la nature et la valeur de ces marchandises n'aient été déclarées par le chargeur avant leur embarquement et que cette déclaration ait été insérée au connaissement ».
En l'espèce, il apparaît que les mentions du connaissement font expressément référence à « 1 LOTS maïs vrac ».
Si le poids est précisé par ailleurs, tout comme le nombre d'épis, ils ne peuvent être retenus comme unité choisie par les parties dès lors qu'a contrario, elles font clairement référence, dans le même connaissement à d'autres unités comme les « palettes » pour d'autres produits, attestant que la notion de lot correspond à la valeur choisie.
Les assureurs dénoncent la limitation induite par la référence au lot, assimilable au conteneur lui-même, en faisant valoir que cette acception de l'unité conduit à une limitation sans commune mesure avec leur préjudice réel et est contraire à l'esprit de la Convention de Bruxelles originelle, antérieure au phénomène de conteneurisation de la marchandise.
Pour autant, étant rappelé que la convention fait la loi des parties, les assureurs ne démontrent pas en quoi toute autre référence explicite ne pourrait ressortir des mentions du connaissement.
En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société CMA-CGM à payer à la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se la somme de 17 440,60 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, outre capitalisation des intérêts.
La société CMA-CGM sera dès lors tenue de payer à la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se la somme de 823,96 DTS ou son équivalent en euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 12 décembre 2017, outre capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article
1343-2 du code civil.
Sur les frais et dépens :
La société CMA-CGM, à l'origine des dommages à la marchandise, conservera la charge des dépens et sera tenue de payer à la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se, ensemble, la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article
700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Dit recevable la demande de la société CMA-CGM tendant à voir « à titre infiniment subsidiaire, en application des limitations de responsabilité posée par la convention de Bruxelles originelle, limiter le montant des condamnations éventuelles de l'exposante à une somme de 823,96 DTS (huit cent vingt-trois DTS et quatre-vingt-seize ct) »,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Marseille le 30 juillet 2019, sauf en ce qu'il a condamné la société CMA-CGM à payer à la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se la somme de 17 440,60 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, outre capitalisation des intérêts,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société CMA-CGM à payer à la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se la somme de 823,96 DTS ou son équivalent en euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 12 décembre 2017, outre capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article
1343-2 du code civil,
Y ajoutant,
Condamne la société CMA-CGM aux dépens de la procédure d'appel,
Condamne la société CMA-CGM à payer à la société Helvetia Compagnie Suisse d'Assurances, la société Swiss Re International et la société Great Lakes Reinsurance Se, ensemble, la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article
700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,