SOC.
JT
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 juin 2017
Cassation partielle
M. X..., conseiller le plus ancien
faisant fonction de président
Arrêt n° 1046 F-D
Pourvois n° D 16-12.832
à H 16-12.835JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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Statuant sur les pourvois n° D 16-12.832 à H 16-12.835 formés par la société Castmetal Colombier, société par actions simplifiée, dont le siège est [...],
contre quatre arrêts rendus le 2 février 2016 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans les litiges l'opposant respectivement à :
1°/ à M. Y... Z..., domicilié [...],
2°/ à M. Cengiz A..., domicilié [...],
3°/ à M. Cengiz B..., domicilié [...],
4°/ à M. Huseyin C..., domicilié [...],
5°/ au syndicat CGT Castmetal Colombier, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse aux pourvois invoque, à l'appui de ses recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 16 mai 2017, où étaient présents : M. X..., conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme D..., conseiller référendaire rapporteur, M. Déglise, conseiller, Mme Piquot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme D..., conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Castmetal Colombier, de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de MM. C..., A..., B... et Z... et du syndicat CGT Castmetal Colombier, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la connexité, joint les pourvois n° D 16-12.832 à H 16-12.835 ;
Sur le moyen
unique :
Vu
les articles
L. 1134-1,
L. 2141-5 et
R. 1455-6 du code du travail ;
Attendu, selon les arrêts attaqués rendus en référé, qu'engagés respectivement les 15 mars 1998, 21 juin 2000, 1er mai 1999 et 5 novembre 2001 en qualité d'agent de production par la société Castmetal Colombier, MM. Z..., A..., B... et C... ont été licenciés pour faute grave le 6 mai 2015 ; que, soutenant que leur licenciement constituerait un trouble manifestement illicite, ils ont saisi en référé la juridiction prud'homale aux fins qu'elle ordonne leur réintégration et condamne l'employeur au paiement de dommages-intérêts à titre provisionnel ; que le syndicat CGT Castmetal Colombier est intervenu volontairement à l'instance ;
Attendu que pour dire que le licenciement des salariés constitue un trouble manifestement illicite, ordonner sous astreinte leur réintégration et condamner l'employeur au paiement de diverses sommes, les arrêts retiennent que les salariés présentent des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination liée à leur adhésion avec d'autres collègues de la même nationalité à la section syndicale CGT créée en décembre 2014, que pour écarter toute discrimination en lien avec cette appartenance syndicale, l'employeur se contente d'affirmer que les salariés n'apportent pas la preuve de sa connaissance de leur appartenance syndicale, que toutefois les arguments de l'employeur ne sont corroborés par aucune pièce, qu'il n'établit donc pas que la mesure de licenciement des salariés est étrangère à leur appartenance syndicale ;
Qu'en statuant ainsi
, sans constater que l'employeur avait connaissance de l'appartenance syndicale des salariés lors de l'engagement de la procédure de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS
:
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'ils déclarent recevable l'intervention volontaire à l'instance du Syndicat CGT Castmetal Colombier, les arrêts rendus le 2 février 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, sur les autres points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Vu l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE
au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Castmetal Colombier, demanderesse aux pourvois n° D 16-12.832 à H 16-12.835
Il est fait grief aux arrêts infirmatifs attaqués d'AVOIR dit que les licenciements de Messieurs Z..., A..., B... et C... constituent un trouble manifestement illicite, d'AVOIR ordonné la réintégration immédiate de Messieurs Z..., A..., B... et C... au sein de la société CASTMETAL COLOMBIER à leur poste de travail antérieur ainsi que la poursuite de leur contrat de travail, dans les deux semaines suivant le jour de la signification des arrêts, d'AVOIR condamné la société CASTMETAL COLOMBIER à verser à Messieurs Z..., A..., B... et C..., à titre provisionnel, diverses sommes au titre des salaires échus entre le début de leur mise à pied conservatoire et leur licenciement, au titre des congés payés afférents, au titre des salaires échus entre leur licenciement et la date de l'audience de plaidoirie et à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et d'AVOIR condamné la société CASTMETAL COLOMBIER à verser au syndicat CGT CASTMETAL, dans chaque instance, la somme de 1.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QU' « Il résulte de l'article
L. 2141-5 du code du travail qu'il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire en raison de son appartenance syndicale de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement et il incombe à l'employeur qui conteste le caractère discriminatoire d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En l'espèce, il ressort des pièces versées et il n'est pas contesté que la CGT a créé en décembre 2014 une section syndicale au sein de la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER que M. Y... Z... ainsi que M. Cengiz B..., M. Cengiz A... et M. Huseyin C... ont immédiatement rejointe en résiliant leur adhésion à la CFDT. Ainsi, dès le 20 décembre 2014, l'union locale CGT du Pays de Montbéliard a demandé à la direction de la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER, après l'avoir informée de la création d'une section syndicale, l'attribution d'un local avec du matériel informatique, demande qui a été rejetée le 2 février 2015. Le Syndicat CGT CASTMETAL COLOMBIER a diffusé en janvier et en mars 2015 dans les locaux de l'entreprise des tracts concernant l'amélioration des conditions de travail et la nécessité de renouvellement des machines qu'elle a pris soin de faire traduire en langue turque. Il en résulte que la volonté d'implantation de la CGT au sein de l'entreprise en s'adressant notamment aux agents de production de nationalité turque était apparente. De même, par courrier adressé au responsable des ressources humaines de l'employeur le 12 mars 2015, l'union locale CGT du Pays de Montbéliard a informé la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER de son intention de présenter comme candidat aux prochaines élections des délégués du personnel M. E... F..., par ailleurs trésorier de la section syndicale au sein de l'entreprise. Il apparaît encore que la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER a licencié non seulement M. Y... Z... mais également, en leur reprochant pour partie les mêmes faits, M. Cengiz B..., M. Cengiz A... et M. Huseyin C.... Elle a par ailleurs, toujours en raison des mêmes événements, sollicité l'autorisation de licencier M. E... F... auprès de l'inspection du travail qui a rejeté cette demande en l'absence de matérialité des griefs invoqués. Il est tout aussi constant que la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER a procédé à une enquête interne concernant les faits reprochés à M. Y... Z... ainsi qu'à M. Cengiz B..., M. Cengiz A..., M. Huseyin C... et M. E... F..., en procédant à des auditions retranscrites par un huissier de justice. Or, aucun de ces protagonistes n'a été entendu. Seuls ont été auditionnés par l'employeur les témoins « à charge ». À l'issue des élections professionnelles du 17 juin 2015, la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER a annoncé sur la base du procès-verbal de décompte des voix l'élection du second de la liste CGT M. Sébastien G... alors que M. E... F..., en tête de liste, aurait dû également être élu. Si la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER prétend que l'erreur a été commise par le bureau de vote, force est de constater que la saisine du tribunal d'instance de Montbéliard relayée par voie de presse le 24 juin 2015 a cependant été nécessaire pour que soit finalement rectifié le procès-verbal des élections en y faisant figurer M. E... F.... Il y a lieu encore de noter que le syndicat Force Ouvrière de Montbéliard, selon un tract distribué aux salariés de l'entreprise, ainsi que le député du Doubs par courrier adressé au ministre du travail, s'étonnent de la coïncidence des procédures de licenciement engagées avec la volonté de la CGT de développer sa section syndicale. Enfin, aucun des salariés concernés par les procédures de licenciement, et qui ont tous été embauchés entre 1998 et 2001, n'avait fait l'objet antérieurement d'une quelconque observation relative à leur qualité de travail ou à leur comportement. Il s'ensuit, sans qu'il soit nécessaire pour la Cour d'examiner l'ensemble des indices invoqués par le salarié, que contrairement à l'appréciation des premiers juges, la concomitance de tels événements laisse supposer l'existence d'une discrimination au préjudice de M. Y... Z..., liée à son adhésion avec d'autres collègues de la même nationalité que lui à la section syndicale de la CGT lors de sa création au sein de l'entreprise en décembre 2014. Pour écarter toute discrimination en lien avec cette appartenance syndicale, force est de constater que la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER ne prétend pas que les licenciements pour faute grave sont justifiés, renvoyant sur ce point les salariés concernés à se pourvoir devant le juge du fond. La S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER se contente d'affirmer que les salariés n'apportent pas la preuve de sa connaissance de leur appartenance syndicale et que pour sa part elle n'a jamais cherché à s'opposer à l'implantation de la CGT au sein de l'entreprise. Elle rappelle qu'elle n'avait pas à attribuer de local à la CGT avant les élections. Elle explique ne pas avoir entendu lors de son enquête interne les salariés mis en cause au motif qu'elle devait leur faire bénéficier des mesures protectrices de la procédure de licenciement. La Cour constate toutefois que les arguments de la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER ne sont corroborés par aucune pièce et qu'aucun texte ne justifie l'absence de caractère contradictoire de l'enquête interne. Ainsi, au regard des éléments ci-dessus, il apparaît que la S.A.S. CASTMETAL COLOMBIER n'établit pas que la mesure de licenciement de M. Y... Z... soit étrangère à son appartenance syndicale. Dès lors, son licenciement constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser en infirmant en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée et en ordonnant la réintégration immédiate de M. Y... Z... dans son emploi antérieur et la poursuite de son contrat de travail. Les circonstances de l'espèce justifient que cette obligation soit assortie d'une astreinte selon les modalités définies au dispositif de la présente décision ; 2°) Sur les demandes provisionnelles : En application de l'article
R. 1455-7 du code du travail, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision aux créanciers ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. Le salarié réintégré a droit à une indemnité correspondant aux salaires qu'il n'a pas perçus entre d'une part sa mise à pied conservatoire et son licenciement et d'autre part entre son licenciement et sa réintégration. Au vu du contrat de travail et des bulletins de paye communiqués, il y a lieu de faire droit à la demande provisionnelle correspondant au paiement des salaires jusqu'à la date de l'audience de plaidoirie devant la Cour, l'obligation de l'employeur à ce titre n'étant pas sérieusement contestable. Enfin, le trouble manifestement illicite a nécessairement causé à M. Y... Z... un préjudice distinct justifiant à titre de dommages et intérêts l'octroi d'une provision de 1 000 €. Il sera ordonné la capitalisation des intérêts conformément à l'article
1154 du Code civil. 3°) Sur l'intervention volontaire du Syndicat CGT CASTMETAL COLOMBIER : En application de l'article
L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice et ils peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente. En l'espèce, il n'est pas sérieusement contestable que le licenciement de M. Y... Z... en lien avec son appartenance syndicale porte atteinte au droit de se syndiquer et ainsi aux intérêts collectifs défendus par le Syndicat CGT CASTMETAL COLOMBIER. Il sera alloué de ce chef à ce dernier une provision de 1 000 € à titre de dommages et intérêts » ;
1. ALORS QUE le juge des référés ne peut ordonner la réintégration d'un salarié dans son emploi qu'à la condition que son licenciement présente un caractère manifestement illicite ; qu'il appartient au salarié qui soutient que son licenciement est motivé par son appartenance syndicale de produire des éléments laissant supposer que ce licenciement est en lien avec son appartenance syndicale, ce qui implique au moins que l'employeur avait connaissance de son appartenance syndicale lors de l'engagement de la procédure de licenciement ; qu'en l'espèce, la société CASTMETAL COLOMBIER soutenait qu'elle n'avait pas connaissance de l'adhésion des salariés au syndicat CGT avant l'engagement des procédures disciplinaires et que les intéressés ne produisaient aucun élément pour établir qu'elle aurait été informée de leur adhésion au syndicat CGT ; que les premiers juges ont à cet égard constaté que les salariés ne démontraient pas que la société CASTMETAL COLOMBIER aurait eu connaissance de leur appartenance syndicale avant d'engager la procédure disciplinaire et en ont déduit qu'il était impossible de supposer un lien de causalité entre leur licenciement et leur appartenance syndicale ; qu'en affirmant cependant, pour dire que les licenciements des quatre salariés constituaient un trouble manifestement illicite, que les indices invoqués par les salariés laissaient supposer l'existence d'une discrimination liée à leur adhésion au syndicat CGT, sans avoir constaté que l'employeur avait connaissance de leur adhésion au syndicat CGT avant l'engagement des procédures disciplinaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles
L. 1134-1,
L. 2141-5 et
R. 1455-6 du Code du travail ;
2. ALORS, AU SURPLUS, QUE lorsque les faits invoqués par le salarié laissent supposer une discrimination, le juge doit rechercher si l'employeur justifie par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination les faits qui lui sont reprochés ; qu'en l'espèce, la société CASTMETAL COLOMBIER, qui contestait avoir cherché à s'opposer à l'implantation et au développement de l'activité du syndicat CGT dans l'entreprise, soutenait que l'effectif de l'entreprise, inférieur à 200 salariés, ne le lui imposait pas de mettre un local à la disposition de la CGT et qu'elle n'était pas responsable de l'erreur commise par le bureau de vote quant à la désignation des élus, sur les procès-verbaux des élections, qui avaient été rectifiés en dehors de toute procédure judiciaire ; qu'en affirmant, pour refuser d'examiner ces éléments de justification, que les arguments de la société CASTMETAL COLOMBIER ne sont corroborés par aucune pièce et que la saisine du tribunal d'instance de Montbéliard avait été relayée par voie de presse, cependant que l'exposante avait versé aux débats la lettre adressée au syndicat CGT pour expliquer l'absence de local syndical ainsi que les procès-verbaux des élections des représentants du personnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles
L. 1134-1,
L. 2141-5 et
R. 1455-6 du Code du travail.