Chronologie de l'affaire
Tribunal judiciaire de Libourne 24 juin 2021
Cour d'appel de Bordeaux 17 novembre 2022

Cour d'appel de Bordeaux, 1ère CHAMBRE CIVILE, 17 novembre 2022, 22/01141

Mots clés Demande d'expulsion et/ou d'indemnités dirigée contre les occupants des lieux · procédure civile · vente · immobilier · occupation · trouble · provision · astreinte · bail commercial · condamnation · infraction · référé · signification · adresse

Synthèse

Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro affaire : 22/01141
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Libourne, 24 juin 2021
Président : Monsieur Roland POTEE

Chronologie de l'affaire

Tribunal judiciaire de Libourne 24 juin 2021
Cour d'appel de Bordeaux 17 novembre 2022

Texte

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 17 NOVEMBRE 2022

N° RG 22/01141 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MSRJ

[G] [E]

c/

[K] [L]

[U] [L]

Nature de la décision:

APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE

Grosse délivrée le : 17 NOVEMBRE 2022

aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 26 janvier 2022 par le Juge des contentieux de la protection de LIBOURNE (RG : 21/00120) suivant déclaration d'appel du 07 mars 2022

APPELANTE :

[G] [E]

née le 27 Mars 1972 à [Localité 6]

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 8]

Représentée par Me Philippe LECONTE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[K] [L]

né le 12 Octobre 1966 à [Localité 1]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]

[U] [L]

née le 09 Juillet 1994 à [Localité 4]

de nationalité Française

demeurant [Adresse 7]

Représentés par Me Amélie CAILLOL de la SCP EYQUEM BARRIERE - DONITIAN - CAILLOL, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

Greffier lors des débats : Séléna BONNET

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Mme [G] [E] et M. [K] [L] ont vécu en concubinage. Deux enfants sont nées de leur union, [U] [L] née le 9 juillet 1994 et [D] [L], née le 23 août 2004.

Suivant acte authentique en date du 23 mars 2000, Mme [E] a acquis une maison d'habitation, située à [Localité 2], lieu dit "[Localité 5]".

Le couple et ses deux enfants ont occupé cette maison jusqu'au mois d'avril 2020, date à laquelle Mme [E] a quitté le domicile conjugal après avoir déposé une plainte pour violences à l'encontre de son compagnon.

Par courriers en date des 17 septembre 2020, 17 décembre 2020 et 7 janvier 2021, Mme [E] a signifié à M. [L] son intention de vendre la maison lui appartenant et lui a demandé l'accès à celle-ci pour la faire visiter, le départ des occupants ainsi qu'une indemnité d'occupation.

Les démarches amiables entreprises étant restées vaines, Mme [E] a, par acte du 23 mars 2021, assigné M. [L] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Libourne.

Par ordonnance du 24 juin 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Libourne s'est déclaré incompétent pour connaître le litige et a renvoyé l'affaire devant le juge des contentieux de la protection.

Par ordonnance de référé du 26 janvier 2022, le juge des contentieux de la protection a :

- Dit n'y avoir lieu à référé,

- Rejeté l'intégralité des demandes des parties.

- Condamné Mme [G] [E] à verser à M. [K] [L] et Mme [U] [L], la somme totale de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné Mme [G] [E] à supporter les entiers dépens de 1'instance.

- Rappelé que la présente ordonnance est de plein droit exécutoire à titre provisoire.

Pour statuer ainsi, le juge des référés a retenu que Mme [E] ne démontrait pas le caractère urgent de la procédure et que ses demandes se heurtaient à des contestations sérieuses.

Mme [G] [E] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 7 mars 2022.

Par conclusions déposées le 2 mai 2022, Mme [G] [E] demande à la cour de :

- Réformer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau :

- Dire que Mme [G] [E] pourra faire visiter l'immeuble lui appartenant sis [Adresse 7] et actuellement occupé par M. [L] et ses filles [D] et [U], afin de faire procéder à son estimation et sa mise en vente par tout agent immobilier ou notaire de son choix ;

- Condamner M. [L] à permettre les visites des lieux tant aux fins d'évaluation du bien qu'aux fins de vente, en dehors des jours fériés, et sur une période inférieure à deux heures sur les jours ouvrables ;

- Assortir cette obligation d'une astreinte de 2 000 euros par infraction constatée constituée par le refus de M. [L] ou tout occupant de laisser pénétrer tout agent immobilier ou

notaire du choix de Mme [E], 15 jours après la signification de la décision à intervenir ;

- Ordonner l'expulsion de M. [K] [L], de Mme [U] [L], Mme [D] [L] et tous occupants de leurs chefs de l'immeuble appartenant à Mme [E] et sis à [Adresse 7] dans tel délai que fixera le juge des référés mais qui ne saurait excéder six mois au regard tant des nécessités de la vente du bien que des revenus de Monsieur [L] lui permettant aisément de se reloger ;

- Condamner M. [L] au paiement d'une provision au titre de l'occupation par M. [L] et tous occupants de son chef de l'immeuble propriété de Mme [E] à compter du mois d'avril 2020 jusqu' au mois d'avril 2022 pour un montant de 36 000 euros ;

- Condamner M. [L] au paiement d'une somme provisionnelle à titre d'indemnité d'occupation à compter du mois de novembre 2021 jusqu'à son départ des lieux à hauteur de 1500 euros mensuels ;

- Condamner M. [L] au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel ;

- Débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Par conclusions déposées le 31 mai 2022, M. [K] [L] et Mme [U] [L] demandent à la cour de :

- Déclarer Mme [G] [E] irrecevable et en tous cas, mal fondée en son appel.

En conséquence,

- Confirmer l'ordonnance du 26 janvier 2022 en ce qu'elle a :

* Rejeté les prétentions de Mme [G] [E] ;

* Condamné Mme [E] à indemniser les consorts [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

* Condamné Mme [E] aux entiers dépens.

Ainsi,

- Déclarer irrecevable, car nouvelle en cause d'appel, la demande de Mme [G] [E] visant à la condamnation de M. [L] à « permettre les visites des lieux tant aux fins d'évaluation du bien qu'aux fins de vente '' ;

- Déclarer Mme [G] [E] infondée en ses demandes.

En conséquence,

- Débouter Mme [G] [E] de l'ensemble de ses moyens, fins et prétentions ;

- Condamner Mme [G] [E] à régler à M. [K] [L] et Mme [U] [L] une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner aux entiers dépens.

Au visa de l'article 905 du code de procédure civile, l'affaire a fait l'objet le 31 mars 2022 d'une ordonnance de fixation à bref délai avec clôture de la procédure 15 jours avant la date de l'audience, fixée au 6 octobre 2022.


MOTIFS DE LA DÉCISION


Aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Dans l'exposé de leurs moyens, les intimés évoquent l'intervention volontaire de M. [L] en qualité de représentant légal de sa fille mineure [D] [L]. Ils n'en tirent cependant aucune conséquences dans le dispositif de leurs conclusions, étant observé au surplus que [D] [L], qui n'est donc pas partie à la présente procédure, est devenue majeure le 24 août 2022.

Sur la recevabilité de la demande de Mme [E]

Les intimés soulèvent l'irrecevabilité de la demande de Mme [E] visant à la condamnation de M. [L] à « permettre les visites des lieux tant aux fins d'évaluation du bien qu'aux fins de vente '', faisant valoir qu'il s'agit d'une prétention nouvelle en cause d'appel.

Cependant, dans son assignation du 23 mars 2021, Mme [E] demandait au juge des référés du tribunal judiciaire de Libourne de 'dire qu'elle pourra faire visiter l'immeuble lui appartenant, actuellement occupé par M. [L] et ses filles, afin de faire procéder à son estimation et sa mise en vente par tout agent immobilier ou notaire de son choix'.

Cette demande était en outre précisée lors de l'audience devant le juge des contentieux de la protection, puisqu'il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que 'concernant la demande par Mme [E] d'obliger M. [L] et ses filles à lui laisser l'accès à l'immeuble lui appartenant qu'ils occupent en vue de la mise en vente de cette maison, Mme [E] prétend voir le juge assortir cette obligation d'une astreinte de 2000 euros par infraction constituée par le refus de M. [L], de ses filles ou de tout occupant de son titre, de laisser pénétrer tout agent immobilier ou notaire choisi par elle, 15 jours après la signification de la décision à intervenir.'

Mme [E] ne formulant ainsi aucune demande nouvelle en appel, le moyen d'irrecevabilité soulevé de ce chef sera écarté.

Sur le trouble manifestement illicite

Selon l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le juge des contentieux de la protection peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Ainsi, l'existence de contestations sérieuses est indifférente pour la mise en oeuvre de ce texte, le trouble manifestement illicite se définissant comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire ; dans ce cas, le dommage est réalisé et il importe d'y mettre un terme.

En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats que le domicile familial situé à [Adresse 3], appartient exclusivement à Mme [E] qui l'a acquis aux termes d'un acte authentique du 23 mars 2000.

Il est tout aussi constant que par courriers adressés par l'intermédiaire de son conseil en date des 17 septembre 2020, 17 décembre 2020 et 7 janvier 2021, Mme [E] a demandé à M. [L], d'une part, de prendre ses dispositions pour libérer les lieux dans les meilleurs délais et, d'autre part, de lui permettre, dès à présent, l'accès à l'immeuble afin que des agences immobilières procédent à une évaluation du bien et à des visites. Ces demandes sont restées infructueuses.

L'impossibilité pour Mme [E] d'accéder à un bien dont elle est propriétaire constitue un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser. En conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande de l'appelante et d'ordonner à M. [L] de permettre à Mme [E] de faire visiter le bien situé [Adresse 3]) aux fins d'évaluation et de vente de l'immeuble, en dehors des jours fériés et sur une période inférieure à deux heures sur les jours ouvrables. Cette condamnation sera assortie d'une astreinte de 500 euros par infraction constatée constituée par le refus de M. [L] ou tout occupant de laisser pénétrer tout agent immobilier ou notaire du choix de Mme [E], 15 jours après la signification de la présente décision.

En revanche, l'occupation, à tout le moins d'une partie des lieux, par M. [L] ne constitue par un trouble manifestement illicite dès lors que ce dernier justifie d'un contrat de bail commercial daté du 30 avril 2014 par lequel Mme [E] a consenti à la société [G], dont l'intimé est le gérant, un bail commercial d'une durée de 9 années, portant sur les locaux suivants : 'Dans un ensemble immobilier sis [Adresse 3]), un bureau ainsi que la partie non bâtie de la parcelle d'une surface d'environ 700 m2", l'article 5.5 dudit bail prévoyant que 'le preneur pourra édifier sur les lieux loués toute construction nouvelle sous réserve cependant d'en informer le bailleur. Toute construction nouvelle qui serait faite par le preneur, même avec l'autorisation du bailleur, ne deviendra la propriété du bailleur qu'en fin de jouissance, sans indemnité au profit du preneur'. Ladite parcelle ayant fait l'objet de la construction d'une extension, ainsi qu'il résulte de la production du permis de construire et des photographies versées aux débats, le bail commercial porte donc sur le bureau présent dans l'immeuble d'origine mais aussi sur l'extension de la maison d'habitation.

L'occupation des lieux sans droit ni titre n'étant pas démontrée, le trouble manifestement illicite n'est pas constitué et Mme [E] sera déboutée de sa demande d'expulsion.

Sur la provision

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier.

En l'espèce, il n'est pas sérieusement contestable que le bien sis [Adresse 3] et occupé par M. [L] et sa fille est la propriété de Mme [E].

Si une partie de ce bien fait l'objet d'un bail commercial ainsi qu'il a été vu ci-dessus, il n'en demeure pas moins que Mme [E] est fondée à solliciter le paiement d'une provision pour l'indemniser de l'occupation, par M. [L], de la partie de l'immeuble non objet dudit bail.

Au regard de la superficie du bien immobilier et du terrain qui comporte une piscine extérieure ainsi que de la durée de l'occupation des lieux par M. [L], il sera fait droit à la demande de provision de Mme [E] à hauteur de 36.000 euros.

L'expulsion de M. [L] n'étant pas ordonnée pour les motifs qui précèdent, il n'y a pas lieu en revanche de le condamner à une indemnité d'occupation jusqu'à la libération des lieux qu'il n'occupe pas sans droit ni titre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. M. [L] en supportera la charge.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, M. [L] sera condamné à payer à Mme [E] la somme de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS



La Cour,

Déclare recevables les demandes formées par Mme [E],

Infirme l'ordonnance déférée,

Statuant de nouveau,

Condamne M. [L] à permettre à Mme [E] de faire visiter le bien situé [Adresse 3]) aux fins d'évaluation et de vente de l'immeuble, en dehors des jours fériés et sur une période inférieure à deux heures sur les jours ouvrables,

Dit que cette condamnation sera assortie d'une astreinte de 500 euros par infraction constatée constituée par le refus de M. [L] ou tout occupant de laisser pénétrer tout agent immobilier ou notaire du choix de Mme [E], 15 jours après la signification de la présente décision,

Condamne M. [L] à payer à Mme [E] la somme provisionnelle de 36.000 euros,

Condamne M. [L] à payer à Mme [E] la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [L] aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,