TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 13 Janvier 2012
3ème chambre 2ème section N°RG: 10/16889
DEMANDERESSE Association FEDERATION INTERNATIONALE DES LOGIS [...] 75013 PARIS représentée par Me Berengère BRISSET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0384
DEFENDERESSE Société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE, [...] 93100 MONTREUIL représentée par Me Benoît ATTAL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0608
COMPOSITION DU TRIBUNAL Véronique R, Vice-Président, signataire de la décision Eric H. Vice-Président Valérie DISTINGUIN, Juge assistés de Jeanine R, FF Greffier, signataire de la décision
DEBATS A l'audience du 08 Décembre 2011 tenue en audience publique
JUGEMENT Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressort
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES La FEDERATION INTERNATIONALE DES LOGIS (ci-après F.I.L.), association placée sous le régime de la loi de 1901 qui a notamment pour but de favoriser le développement et la modernisation des hôtels-restaurants de tradition, de procéder à la délivrance, au contrôle et au retrait des labels dont elle est propriétaire, d'agréer les associations départementales et régionales ainsi que les animateurs et d'assurer la promotion et la publicité en faveur des Logis, indique être titulaire de quatre marques dont les deux marques communautaires suivantes : - la marque figurative, représentant une cheminée d'inspiration médiévale en jaune sur fond vert, déposée à l'OHMI le 14 décembre 2002 sous le n°2 891 588 dans les classes 16, 35, 39 et 43, - la marque dénominative LOGIS DE FRANCE déposée à l'OHMI le 10 juillet 2002 sous le n°2 771 277 dans les classes 16, 35, 39 et 43.Ayant appris que la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE, qui a pour activité le commerce de gros de tapis et avec laquelle elle avait conclu, le 25 septembre 2001, un contrat de fournisseur agréé ayant produit effet jusqu'au 31 décembre 2003, présentait sur son stand au Salon international des professionnels de l'hôtellerie et de la restauration EQUIP'HOTEL, qui s'est tenu du 14 au 18 novembre 2010 au Parc des expositions de la porte de Versailles à PARIS, un tapis sur lequel la marque figurative et le vocable LOGIS DE FRANCE étaient reproduits, et que par ailleurs un tapis de sol revêtu des signes des marques précités figurait également sur le site www.tapispub.com enregistré au nom de la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE, elle a, par acte du 25 novembre 2010, fait assigner cette dernière en contrefaçon de marques.
Dans ses conclusions récapitulatives du 7 octobre 2011, la F.I.L., après avoir réfuté les arguments présentés en défense, demande en ces termes au Tribunal de :
à titre principal, - dire et juger qu'en apposant la marque figurative communautaire n°2 891 588 et la marque dénominative communautaire LOGIS DE FRANCE n°2 771 277 sur un tapis de sol exposé dans un salon professionnel, la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE a porté atteinte aux marques précitées et engagé sa responsabilité, - dire et juger qu'en reproduisant la marque figurative communautaire n°2 891 588 et la marque dénominative communautaire LOGIS DE FRANCE n°2 771 277 sur son site Internet consultable à l'adresse www.tapispub.com . la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE a porté atteinte aux marques précitées et engagé sa responsabilité, - en conséquence, condamner la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts,
à titre subsidiaire, - dire et juger que la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE s'est rendue coupable d'actes distincts de parasitaire (sic), au sens de l'article
1382 du Code civil, - en conséquence, condamner la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts,
en tout état de cause, - faire interdiction à la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE d'utiliser ses marques sous quelque forme et quelque support que ce soit, - dire et juger que cette interdiction sera assortie d'une astreinte définitive d'un montant de 1.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement à intervenir, le Tribunal de céans se réservant expressément le droit de liquider cette astreinte directement, - ordonner la publication du jugement à intervenir, en intégralité ou par extraits, dans quatre journaux ou publications professionnels (dont électroniques) de son choix et aux frais exclusifs de la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 6.000 euros HT, et sur la page d'accueil du site www.tapispub.com pendant une durée de six mois, passé le délai de 15 jours après la signification du jugement à intervenir, - condamner la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE à lui payer la somme de 8.000 euros en vertu de l'article
700 du Code de procédure civile, ainsi qu'auxdépens dont distraction au profit de son conseil et qui comprendront les frais de constats d'huissier, - ordonner l'exécution provisoire.
Dans ses dernières écritures du 18 octobre 2011, la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE, qui conteste la qualité à agir de l'association demanderesse, soulève la nullité des marques qui lui sont opposées faute de caractère distinctif, invoque l'application des dispositions contractuelles l'ayant liée à la F.I.L., et conclut au débouté des demandes. Elle sollicite la condamnation de la demanderesse à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l'article
700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 novembre 2011.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur la recevabilité des demandes
Bien que ne soulevant pas expressément l'irrecevabilité de l'action de la demanderesse, la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE considère que l'association F.I.L. ne justifie pas de son droit d'ester en justice, faute de déclaration de son existence à la préfecture de son siège social.
Cependant, la F.I.L., qui indique avoir été fondée le 25 novembre 1949 sous le nom de FEDERATION DES LOGIS DE FRANCE et avoir fait l'objet d'une déclaration en préfecture le 9 mai 1950, verse aux débats copie de la publication au Journal Officiel du 13 mai 1950, ainsi que le récépissé émis le 6 juin 2007 lors de la modification de sa dénomination en préfecture, laquelle a été publiée au Journal Officiel le 16 juin 2007.
Elle justifie ainsi de sa qualité à agir pour des faits qui, à les supposer établis, lui auraient causé directement préjudice.
- Sur la validité des marques
Ainsi qu'il a été exposé, la F.I.L. est titulaire des deux marques communautaires suivantes : - la marque figurative, représentant une cheminée d'inspiration médiévale en jaune sur fond vert, déposée à l'OHMI le 14 décembre 2002 sous le n°2 891 588 dans les classes 16, 35, 39 et 43, - la marque dénominative LOGIS DE FRANCE déposée à l'OHMI le 10 juillet 2002 sous le n°2 771 277 dans les classes 16, 35, 39 et 43.
Se fondant sur l'article
L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « sont dépourvus de caractère distinctif a) les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service », et sur l'article 3 de la Directive communautaire n°89/104 selon lequel « sont refusés à l'enregistrement ou susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés (...) b) les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif (...) d) les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenues usuelles dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce », la sociétéHYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE demande l'annulation des marques dont est titulaire la F.I.L., en estimant que le terme LOGIS ou l'expression LOGIS DE FRANCE sont des termes usuels traditionnellement utilisés dans le cadre du tourisme, de l'hôtellerie, de la randonnée et du logement.
Cependant, bien que l'annulation ainsi sollicitée se rapporte aux quatre marques initialement évoquées dans l'acte introductif d'instance, il y a lieu de relever que seules deux marques sont à présent opposées par l'association demanderesse.
Concernant la marque n°2 891 588, il convient de ra ppeler qu'il ne s'agit nullement d'une marque verbale ou semi-figurative qui contiendrait le ou les termes contestés, mais d'une marque purement figurative, représentant ainsi qu'il a été dit une cheminée dessinée en jaune sur fond vert, signe arbitraire dont il n'est pas démontré en quoi il serait susceptible d'être descriptif.
Pour ce qui est de la marque n°2 771 277 LOGIS DE F RANCE, elle a été déposée : - pour différents produits de la classe 16, ayant trait aux papiers, produits de l'imprimerie, et d'une manière plus générale à tout ce qui concerne la papeterie et les journaux, - pour des services de la classe 35 concernant la publicité, la gestion de fichiers informatiques ou l'organisation d'expositions, - pour des services de la classe 39 se rapportant aux transports, aux voyages et au tourisme, - et pour les services de restauration ; restaurants à service rapide et permanent ; réservation et location de logements temporaires ; service d'hébergements ; pension ; maisons de vacances ; services d'hôtellerie et de motels, en classe 43.
Les services et produits des classes 16, 35 et 39 n'ont aucun rapport de près ou de loin avec le signe LOGIS DE FRANCE, qui ne constitue donc pas un terme usuel utilisé dans le cadre de la papeterie, de la publicité, des transports ou des voyages. Il en est de même des services ci-dessus cités de la classe 43, puisque la locution LOGIS DE FRANCE n'est en rien la désignation nécessaire ou usuelle de la restauration ou de l'hôtellerie, mais seulement un exemple d'habitation.
Dans la mesure où, à part un long exposé sur l'état actuel de la jurisprudence, la société défenderesse se garde bien de préciser en quoi le terme contesté ne serait pas distinctif ou serait la désignation nécessaire des produits ou services concernés, il y a lieu de rejeter les demandes tendant à la nullité des deux marques opposées.
- Sur la contrefaçon
Selon l'article 9 du règlement CE n°40/94 du 20 déc embre 1993, « la marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires : c) d'un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans la Communauté et que l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice ». L'article
L.717-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que constitue en particulier une contrefaçon la violation de l'interdiction prévue par letexte susvisé, alors qu'en vertu de l'article
L.713-5 du même Code, « l'emploi d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité de son auteur s'il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ».
Se fondant sur ces textes, la F.I.L. soutient que la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE a reproduit sur un tapis les deux marques numéros 2 891 588 et 2 771 277, qui jouissent selon elle d'une renommée.
Elle produit deux constats des 14 et 15 novembre 2010 établis par maître B, huissier de justice à PARIS, dont l'un, réalisé sur le stand de la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE au salon EQUIP'HOTEL, révèle la présence d'un « tapis de sol fond vert, avec un dessin de couleur jaune, représentant une cheminée avec âtre et flammes (...) exacte réplique du logo protégé de la requérante », et dont l'autre, réalisé sur le site Internet de la défenderesse, note la présence sur la colonne du milieu d'images apparaissant sur une page, du même logo sur fond vert, avec l'inscription à l'encre noire LOGIS DE FRANCE.
Cette reproduction à l'identique des deux marques opposées sur le site Internet de la défenderesse et de la seule marque figurative sur son stand au salon EQUI'HOTEL n'est pas contestée en défense.
Par ailleurs, l'association F.I.L. verse aux débats : - son guide 2011 pour justifier de la densité de son réseau, - des études de notoriété et des sondages montrant qu'en 2011, la marque LOGIS DE FRANCE est citée par 70% des sondés, - des articles de presse publiés entre 1999 et 2011 montrant ses efforts pour promouvoir ses marques en France, - des bilans des actions de communication et de publicité.
Il ressort de ces différentes pièces que tant la marque verbale LOGIS DE FRANCE que le logo d'une cheminée jaune sur fond vert constituant la marque figurative jouissent d'une renommée qui n'est pas contestée en défense, l'usage des signes par la société défenderesse ayant pour effet de donner à ses produits une plus- value indue.
La contrefaçon par reprise des signes identiques aux deux marques communautaires dont s'agit est donc constituée.
- Sur le parasitisme
Celui-ci, évoqué à titre subsidiaire dans les demandes de la F.I.L., est donc sans objet.
- Sur les mesures réparatrices
La société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE fait valoir que, par contrat du 25 septembre 2001, elle est devenue fournisseur agréé de la F.I.L., et que l'article 10 de cette convention stipulait que « toute utilisation frauduleuse directe ou indirecte du logo de la FNLF, ainsi que toute référence faite par le fournisseur agréé à la FNFL après expiration du présent contrat donnera lieu, dès lors qu'infractionaura été dûment constatée, au paiement d'une astreinte de 153 euros par jour jusqu'à la cessation de l'infraction ». Elle demande donc que cette clause reçoive application, de sorte qu'elle offre, au titre des deux infractions constatées, à savoir lors du salon EQUIP'HOTEL et sur son site Internet, la somme de 306 euros, la F.I.L. ne pouvant selon elle prétendre à aucune indemnisation supplémentaire en réparation de son préjudice.
Cependant, une clause pénale n'est nullement exclusive de dommages-intérêts, et ne peut avoir pour objet d'autoriser une éventuelle contrefaçon. De surcroît, la réparation du préjudice subi est indépendante de la mise en œuvre d'une clause pénale que la demanderesse ne sollicite pas.
En conséquence, il convient d'allouer à la F.I.L. en réparation de l'atteinte qui a été portée à ses deux marques la somme de 20.000 euros., en deniers ou quittances valables au vu de l'ordonnance de référé du 6 janvier 2011, étant précisé qu'il n'y a pas lieu, comme le demande la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE, de « dire infondée » ladite ordonnance.
En revanche, s'il convient de faire droit à l'interdiction sollicitée, dans les termes qui seront précisés au dispositif du présent jugement, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication dans la mesure où le préjudice de la F.I.L. est intégralement réparé par l'octroi de dommages-intérêts.
- Sur les autres demandes
II y a lieu de condamner la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE, partie perdante, aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile.
En outre, elle doit être condamnée à verser à la F.I.L., qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article
700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 4.000 euros.
Enfin, les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de l'exécution provisoire, qui est en outre compatible avec la nature du litige.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,
- DIT qu'en reproduisant sur un tapis présenté au salon EQUIP'HOTEL du 14 au 18 novembre 2010 et figurant à la même période sur son site Internet www.tapispub.com son logo et les termes LOGIS DE FRANCE sans son autorisation, la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE a porté atteinte aux marques communautaires de renommée n°2 891 588 et n °2 771 277 dont la FEDERATION INTERNATIONALE DES LOGIS est titulaire ;
- INTERDIT à la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE la poursuite de ces agissements, et ce sous astreinte de 300 euros par infraction constatée passé undélai de 1 mois après la signification du présent jugement, que le Tribunal se réserve de liquider ;
- CONDAMNE la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE à payer à la FEDERATION INTERNATIONALE DES LOGIS la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice, en deniers ou quittances valables au vu de l'ordonnance de référé du 6 janvier 2011 ;
- REJETTE le surplus des demandes et les demandes contraires ;
- CONDAMNE la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE à payer à la FEDERATION INTERNATIONALE DES LOGIS la somme de 3.000 euros au titre de l'article
700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNE la société HYGIENE DIFFUSION COMPAGNIE aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile ;
- ORDONNE l'exécution provisoire.